« Si nous sommes exigeants envers nous-mêmes, non seulement le succès mais aussi l’erreur, seront une source de savoir. »
Hippocrate
Le médecin doit pouvoir prendre connaissance de ce que l’on attend de sa pratique et savoir quels sont les comportements qui feront, ou non, de son activité une réalisation correcte des soins.
Actuellement, se pose très fortement la question de l’évaluation des soins médicaux en Russie. La réflexion juridique et médicale russe, sur ce thème, est très vive car les textes de droit très récents. En effet, l’irruption du droit dans la médecine a fait de ce qui n’était que querelles doctrinales, une nécessité.
Désormais, le corpus de règles juridiques russe, ainsi que la foisonnante doctrine, permettent de définir plus précisément ce qu’est un défaut dans les soins médicaux. Les règles d’expertise médico-légale viennent appuyer ce mouvement. Et demeure une question très discutée parmi les médecins et les juristes, ce qui n’est pas une particularité russe, celle de l’erreur médicale.
Les actes susceptibles d’engager la responsabilité du médecin
Le médecin doit respecter les règles juridiques encadrant sa profession et, le cas échéant, il est soumis aux règles d’engagement de sa responsabilité. Les différents types de responsabilité médicale en Russie, correspondent sensiblement à ceux existants en France : responsabilités disciplinaire, civile et pénale.
Il n’y a pas, en Russie, de tradition de recours au juge pour trancher les litiges, les russes préférant de loin la voie hiérarchique ou administrative. Toutefois, la mise en cause de la responsabilité du médecin devant un tribunal russe est un recours prévu par les textes de droit russe et de plus en plus utilisé par la population, évolution à laquelle n’a pas échappé la Russie. La jeunesse des textes prévoyant ce recours au juge ne permet pas encore d’évaluer son efficacité, mais le système de responsabilité médicale est déjà très complet. Quels sont les actes qui peuvent être considérés comme une réalisation défectueuse des soins médicaux en Russie aujourd’hui ?
Tous les défauts dans l’accomplissement de soins médicaux dans le cadre d’une activité professionnelle peuvent être classés en quatre catégories : les infractions intentionnelles, les actes d’inattention (légèreté et imprudence), l’erreur médicale qui ne contient pas l’idée de faute du médecin et le casus, conséquence de circonstances indépendantes de la volonté des parties, que le médecin ne pouvaient prévoir et prévenir. Les défauts des soins médicaux peuvent se révéler dans l’organisation de l’aide médicale, dans la détermination du diagnostic, ou dans le processus de soins. Ces défauts suppose une forme de responsabilité des médecins. Mais il existe également des défauts non liés à l’irrespect du processus de soins de la part du personnel médical, ce qui exclu la responsabilité.
L’infraction médicale est l’acte (action ou abstention) fautif (intentionnel ou non) du médecin, contraire à la loi, ayant entraîné un préjudice à la vie ou à la santé, et ayant un lien de causalité avec le préjudice. La responsabilité du médecin ne peut être engagée que en présence de toutes les conditions nécessaires et suffisantes, critères de de l’infraction : la faute, l’acte contraire à la loi, le dommage causé à la vie ou à la santé et l’existence d’un lien de causalité entre l’acte illégal et le dommage. Dans ce cas, surviennent nécessairement les conséquences juridiques correspondantes, à savoir l’engagement de la responsabilité juridique du médecin (responsabilité pénale, civile, administrative ou disciplinaire ). En dehors des cas prévus expressément par la loi, lorsque une erreur médicale ou un casus présente ces caractères, il convient de l’identifier comme une infraction médicale.
Actuellement, n’ont pas été élaboré de strictes standards, règles et actions qui permettraient d’évaluer de façon obligatoire l’activité du personnel médical. Ce problème exige d’être résolu puisque la montée en flèche récente des actions en justice pose très concrètement la question de la légalité des actions du personnel médical. C’est la législation pénale qui la première en 1997 a introduit la notion d’atteinte à la santé, élargissant ainsi le terme de préjudice corporel.
Le problème de la révélation et de l’évaluation experte des défauts médicaux se pose très nettement. D’un coté, la dissimulation des faits conduit à la dégradation progressive de l’activité des médecins, que ce soit d’un point de vue professionnel ou moral, faisant naître chez eux un sentiment d’impunité. D’un autre coté, il est difficile d’imaginer le travail d’un médecin sans erreur ou relâchement.
L’évaluation et les conséquences juridiques de l’erreur médicale en Russie
La définition de l’erreur médicale en Russie
La question de l’erreur médicale est discutée comme la possibilité de différencier la négligence, acceptable dans la pratique, de l’activité socialement dangereuse. Actuellement, l’interprétation du concept d’erreur médicale n’est toujours pas clairement déterminée, ce qui découle en premier lieu de la différence d’interprétation entre médecins et juristes. Des montagnes de littérature ont été produites sur ce thème dans des spécialités très différentes. Les déterminations existantes de l’erreur médicale ont été proposé d’abord par les médecins. Traditionnellement, le concept reposait sur le fait non fautif de porter préjudice, dans le cadre d’un rapport consciencieux du médecin envers ses obligations.
Un certain nombre de juristes ont dégagé une définition juridique de l’erreur médicale bien que son existence comme concept juridique soit contestée.
L’erreur médicale désignerait un égarement du médecin, fondé sur la non maîtrise de la science et des méthodes médicales, ou résultant d’un développement atypique de la maladie ou d’une insuffisante formation du médecin, si, dans ces conditions, n’apparaissent pas d’éléments de négligence , d’inattention ou d’ignorance médicale.
V.L. Popov et N.P. Popova définissent l’erreur médicale comme un acte ou une abstention erronée du médecin dans l’exécution de ses obligations professionnelles d’organisation et de réalisation d’une action de soins, de diagnostic, de prophylaxie ou de réhabilitation, dans la mesure où l’égarement en lui même ne peut causé un dommage à la santé de la personne, c’est à dire que l’égarement conditionne la possibilité d’un acte erroné mais ne l’est pas en lui même.
Sous le terme d’erreur médicale comme catégorie juridique I.V. Timofeev entend « l’égarement de bonne foi du médecin sans signes d’une inattention délictuelle, d’une négligence délictuelle (mépris pour un danger visible ou connu), d’une présomption délictuelle (croyance aventureuse et non fondée en la non survenue des complications) ou d’ignorance délictuelle (insuffisance des connaissances professionnelles en cas de possibilité de les acquérir) ». Actuellement la définition la plus répandue de l’erreur médicale est attribuée à Davidovski.
« L’erreur médicale est le résultat de l’égarement de bonne foi du médecin dans l’accomplissement de ses obligations professionnelles. La différence essentielle de l’erreur médicale, par rapport aux autres défauts dans l’accomplissement des soins médicaux, réside dans l’exclusion des actes délictueux intentionnels, de la négligence, de l’inattention et de l’ignorance ».
Quant à V.I. Akapov , il refuse de considérer l’erreur médicale comme un concept juridique. Et il est vrai que, le terme ne figure pas dans le du Code pénal de la Fédération de Russie.
Au final, l’erreur médicale se caractérise par l’absence de faute sous n’importe quelle forme, la présence d’un préjudice causé à la vie ou/et à la santé et un comportement illégal : le médecin a agi justement , adéquatement et opportunément par rapport au diagnostic qu’il a établi mais qui s’est révélé injuste en raison de l’égarement de bonne foi du médecin.
L’erreur médicale, circonstance d’exclusion de la responsabilité
Le commentaire du Code pénal de la Fédération de Russie, introduisant la notion générale d’erreur, en donne la détermination suivante « c’est un égarement concernant les circonstances de droit ou de fait ». Toutefois les deux types d’erreurs se caractérisent par la conscience de la personne, c’est à dire par l’acte intentionnel, ce qui ne convient pas à l’interprétation de l’erreur médicale. Pour cela, l’erreur médicale ne peut servir de fondement à la responsabilité pas plus qu’à son exclusion.
Autrement dit en cas d’erreur médicale est absente toute idée de faute intentionnelle ou non, c’est à dire que l’erreur ne constitue pas une infraction puisque la responsabilité objective (la responsabilité pour un préjudice causé sans faute) n’est pas admise. En conséquence, l’erreur médicale doit être régulée non par le droit mais par des normes éthico-morales de l’activité médicale et le préjudice causé à la vie ou/et à la santé, en résultat de l’erreur médicale, doit faire l’objet d’une discussion lors de conférences médicales pour la prévention de telles erreurs dans l’avenir. L’utilisation large du terme d’erreur en médecine, dans le cadre du contrôle de la qualité des soins médicaux, exclut une importante série d’actes contraires à la loi, du champ juridique.
Du point de vue des juristes, l’erreur médicale est intéressante dans sa distinction indispensable des actes d’inattention, infractions professionnelles des médecins. D’ailleurs, certains juristes considèrent que toute erreur médicale correspond à des soins inadéquats, à la non exécution d’obligations juridiques, c’est à dire un acte d’inattention illégal. Certains juristes ont même proposé d’introduire la notion d’erreur médicale dans la loi.
En effet, distinguer l’erreur médicale de l’infraction sous forme d’acte fautif par inattention peut se révéler difficile, d’autant plus que la dilution de la définition de l’erreur et l’absence de détermination claire des conditions de la responsabilité compliquent l’application du droit dans la pratique.
Les classifications des erreurs médicales
Il existe plusieurs classifications des erreurs médicales selon les moment de leur survenue ou selon les raisons de leur réalisation.
Les experts judiciaires (I.F. Ogarkov, I.O. Konsevitch, A.P. Gromov) distinguent, dans le comportement des médecins, les erreurs de diagnostic, de soins, d’organisation du processus de soins ainsi que récemment les erreurs de caractère éthico-déontologique.
Le juriste I.F. Krilov distingue les erreurs médicales selon la principale raison de leur survenue : les erreurs tactiques (mauvaise évaluation de l’état du malade et diagnostic incorrect ) et les erreurs techniques ( prescription d’un dosage incorrect, mauvaise manipulation).
L’academicien E.I. Tchassov réalise une distinction entre les erreurs médicales ayant un caractère objectif et celles ayant un caractère subjectif.
Relèvent des raisons objectives d’erreur les insuffisances des avancées de la recherche médicale sur le processus pathologique, une hospitalisation tardive et un état grave, la rareté de la maladie , l’impossibilité de réaliser des examens spéciaux, une maladie sans symptômes déclarés. Relèvent des raisons subjectives d’erreur la qualification insuffisante du médecin, un examen insuffisant ou tardif du malade, l’absence de méthodes d’examen spéciales alors qu’il était possible de les réaliser, absence de consultations alors qu’elles étaient possibles et nécessaires. On considère que les erreurs objectives représentent 30 à 40% des erreurs médicales et les erreurs subjectives 60 à 70%.
L’erreur dans la pratique médicale russe
Les erreurs médicales se révèlent différemment selon les spécialités. Dans les spécialités « agressives » , il y a toujours plus d’erreurs médicales que chez les thérapeutes connus pour leur conservatisme. Ainsi, les réanimateurs comptent plus d’erreurs que les dermatologues. Mais ces dernières années les chirurgiens et obstétriciens se font rattraper par les pédiatres et généralistes. L’académicien B.E. Botchal nous met en garde : « nous vivons à une époque où la chirurgie devient de moins en moins, et la thérapie de plus en plus, dangereuse ». Cela s’explique d’un coté par la pénétration de méthodes instrumentales modernes de diagnostic et de traitement (comme la sonde des vaisseaux sanguins, l’examen endoscopique) et d’un autre coté par des traitements médicinaux (anticoagulants,hormones...) plus dangereux, que le bistouri du chirurgien, particulièrement lorsqu’ils sont associés.
Les médecins vivent avec émotion leur erreur ,un dicton russe dit que le médecin meurt avec chacun de ses malades. L’erreur est utilisée comme source de connaissance par les médecins honnêtes. Les médecins progressistes ne cachent pas leurs erreurs, en font part à leurs collègues qui comprennent que l’on apprend de ses erreurs et que celles ci peuvent être une voie de prévention des défauts des soins médicaux. L’exemple classique est la publication par le renommé chirurgien N.I. Pirogov d’un travail de deux tomes sur ses erreurs. Malheureusement tous les médecins ne parviennent à reconnaître leurs erreurs même lorsque celles-ci sont révélées et prouvées.
N.N. Bourdenko, académicien chirurgien renommé, avoue :
« J’ai moi même souvent dans mon activité commis des erreurs de diagnostic et de technique opératoire. Nos échecs et l’imperfection de nos actes doivent appeler non l’abattement mais une soif encore plus grande de recherche et de perfectionnement. »
Et un thérapeute russe renommé du 19e siècle, C.P. Botkine assurait qu’il serait heureux si la moitié de ses diagnostics correspondaient à la réalité. Il faut noter que ce n’est pas une exigence propre à cette époque , le nombre d’erreurs médicales ne baisse pas. Les autopsies pratiquées dans quatre grands hôpitaux de Moscou montrent que dans 21,6% des cas le diagnostic établi pendant la vie de la victime était incorrect (un cas sur cinq sont des pneumonies non détectées).
Actuellement, les conséquences socio-économiques et juridiques des erreurs médicales et des défauts de l’action médicale ne sont pas suffisamment analysées. Pour cette raison, il n’est possible que de formuler des hypothèses quant à la réelle ampleur des conséquences de l’erreur médicale en Russie, en analysant les statistiques relatives à ce problème dans les pays où il existe une plus grande transparence de l’information et une protection juridique plus forte du médecin et du patient.
Aujourd’hui en Russie, suite au renforcement de l’éducation médico-juridique de la population, le nombre d’actions en justice des malades et de leurs proches a fortement augmenté. Dans ce contexte il est incontestablement nécessaire de respecter le droit du médecin à une défense juridique.