En guise de leadership, quand on s’en remet à la Fortuna chère à Machiavel, on ne maîtrise plus l’art politique de la Virtú, cette vertu-courage qui invite à transformer le hasard en destin. D’ailleurs, le Premier Ministre ne s’y est pas trompé lorsque, penaud, il s’avance en ce vendredi 24 juin au matin pour annoncer sa démission et dire que le pays a besoin d’un nouveau capitaine pour amener son peuple vers une nouvelle destination inconnue. David Cameron avait promis ce référendum pour être réélu en 2015 et couper l’herbe sous le pied du mouvement souverainiste UKIP tout en contentant un bon nombre de cadres conservateurs historiquement réticents au projet européen. Sauf que ce ce coup de dés a fait s’emballer la machine politique, donnant tout son sens au titre du poème écrit en 1897 par Stéphane Mallarmé, professeur d’anglais et traducteur : « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard ».
Populisme
La Grande-Bretagne a réglé son contentieux historique avec le projet européen, elle qui était si mal achalandée pour l’Union européenne, elle à qui De Gaulle avait refusé son entrée une première fois. Aidés par une bonne partie de la presse, les conservateurs britanniques avaient largement stigmatisé depuis de nombreuses décennies cette monstrueuse bureaucratie bruxelloise, alors même que les fonctionnaires britanniques y avaient acquis une influence de plus en plus forte depuis le début des années 2000. De dérogation en dérogation, le naufrage du 23 juin était annoncé. Les populistes du mouvement UKIP aidés par quelques pitreries de l’ex-maire de Londres Boris Johnson ont pu sillonner le pays réel en l’opposant au pays légal sans se priver de mentir sur le coût de l’Union européenne pour les citoyens britanniques.
L’ironie de l’histoire vient du fait que les partisans du leave ont surtout mis en avant le risque migratoire et la souveraineté de l’île. Or, ce vote acte une fracture géographique renforcée : Nicola Sturgeon, cheffe du gouvernement écossais, a annoncé dans la foulée des résultats l’organisation prochaine d’un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, autre coup de dés qui pourrait fragiliser l’Union historique du royaume. Ce clivage géographique n’est pas le seul. Même si les résultats du vote appellent une analyse plus fine, les jeunes générations ont privilégié le Bremain. Aux clivages générationnels se superposent encore les divisions entre villes et campagnes. Le déclassement de certaines régions et l’éloignement vis-à-vis des grandes métropoles ont joué. L’effet métropolitain propre à la mondialisation existe bel et bien dans ce vote britannique qui affectera sans aucun doute la mobilité et la migration.
De nombreuses inconnues
Le recours auprès de la Cour Suprême britannique au sujet des expatriés britanniques ne pouvant participer au vote a été rejeté : la représentation politique des diasporas britanniques est une injure qui n’a pas lieu d’être. Au royaume britannique, lorsque l’on quitte la Couronne, on perd une partie de ses droits politiques. Le vote référendaire aura d’ailleurs aussi des conséquences pour les citoyens britanniques résidant dans un autre pays de l’Union européenne. Ces derniers mois, certains responsables politiques de ce pays se sont pris à rêver d’un destin mondial avec un Royaume-Uni réanimant l’Empire caché du Commonwealth. Nous verrons si le pays a les moyens de maîtriser sa propre mythologie mondialisée.
Ce qui est sûr, c’est qu’un vote anti-élitiste s’est exprimé lors de ce référendum, creusant une fracture profonde. Au-delà des réactions des marchés financiers, de la dévaluation de la monnaie et des conséquences économiques de cette sortie, nous verrons comment l’article 50 des traités européens sera utilisé. Rien ne serait pire qu’une agonie montrant la difficulté voire l’impossibilité de sortir de ce grand ensemble européen. Selon ce même article 50, les modalités du divorce doivent être envisagées, mais rien ne garantit une sortie rapide. Il est à parier que la Grande-Bretagne négociera jusqu’au bout un statut de partenaire privilégié, et l’AELE chère aux partisans d’un marché plus large, s’ouvrira alors à elle. Once you’re out, you’re out avait pourtant clamé David Cameron tout au long de sa campagne.
La balle est dans le camp européen où cette sortie doit être assumée au nom de la cohérence du projet. Le défi maintenant est d’affirmer avec vigueur le socle des politiques communes nécessaires au projet européen pour qu’il ne s’essouffle pas au gré des négociations intergouvernementales. Plus que jamais, l’alternative est entre une vision fédéraliste ou une vision faible faisant de l’Union européenne la métaphore de coopérations bilatérales. Les coups de dés ne suffiront pas pour créer une vision politique, il faudra convaincre davantage les peuples de la nécessité de réaffirmer un projet politique commun.