En novembre 2016, la COP22, au Maroc, aura permis aux 197 parties aux négociations de faire le point sur le chemin accompli depuis l’Accord de Paris. Côté climat, les trois premiers mois de l’année ont été les plus chauds jamais enregistrés en près de 150 ans, depuis que l’on relève les températures, et chaque année semble être pire que la précédente. Au vrai, nous avons déjà, depuis les débuts de l’âge industriel, consommé les deux tiers du budget carbone de la planète, et la fenêtre de tir pour ne pas émettre le tiers restant se referme. La science semble indiquer qu’il nous reste une trentaine d’années pour réduire drastiquement nos émissions, mais il nous faut surtout devenir beaucoup plus sobres dès 2020. S’y ajoute pourtant désormais une inconnue : quel chemin va prendre l’Amérique de Donald Trump en 2017 dans sa lutte contre le changement climatique ?
L’Accord de Paris
La conférence climatique de décembre 2015 a été un succès pour au moins deux raisons. La première, c’est l’objectif, sans précédent, qu’elle fixe aux nations : maintenir à 1.5 degré l’élévation de la température par rapport aux pré-temps de l’ère industrielle, une cible ardemment défendue par les pays les plus vulnérables au changement climatique, à savoir les États insulaires, menacés par l’élévation du niveau des océans. Le second, c’est bien sûr d’avoir réussi à mettre d’accord 195 pays ainsi que l’Union européenne sur cet objectif. L’Accord de Paris a également inscrit dans le marbre le principe d’un suivi régulier des promesses des États, tous les 5 ans, et dès 2020, dans le but de revoir sans cesse à la hausse ces promesses.
2016, une année de progrès à l’international
Tout aussi significatif est ce symbole d’une entrée en vigueur de cet accord dès le 4 novembre 2016, en avance sur les prédictions les plus optimistes. Pour rappel, celle-ci ne pouvait avoir lieu que lorsque 55 pays responsables d’au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre auraient ratifié l’accord. Mais ce n’est pas le seul progrès : en octobre 2016, à Montréal, les États membres de l’Organisation de l’aviation civile internationale se sont mis d’accord en quasi-majorité pour limiter les émissions d’un secteur riche en CO2 via un système de compensation.
Même son de cloche du côté du secteur maritime (lui aussi contributeur au phénomène du changement climatique) : cet automne, l’Organisation maritime internationale a annoncé que le taux de soufre dans le carburant marin sera limité à 0,5 % dès 2020, à l’échelle mondiale. Enfin, à Kigali, un accord a également été trouvé sur l’élimination de gaz HFC (ceux utilisés, par exemple, dans les réfrigérateurs et les climatiseurs, particulièrement dangereux).
Par ailleurs, de nombreuses équipes dirigeantes ont changé de visage en 2016 : avec le Norvégien Erik Solheim nommé à la tête de la PNUE, la Mexicaine Patricia Espinosa à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), le Portugais Antonio Guterres comme successeur de Ban Ki-moon à l’ONU, et l’Australien Howard Bamsey fraîchement sélectionné comme futur directeur général du Fonds vert pour le climat, l’on a assisté à un important changement d’équipes dans les instances internationales chargées de travailler à la mise en œuvre des détails de l’accord.
À sa manière (c’est-à-dire lentement), l’humanité se met en branle et commence à abattre les obstacles qui ont semblé la condamner à l’inaction entre la signature du Protocole de Kyoto en 1997 et la COP21, en 2015.
La question du financement est désormais centrale
Lors de la COP22,en novembre 2016), une feuille de route devait être développée pour la mise en œuvre de l’accord. Dès 2018, une revue collective des progrès réalisés jusque-là devrait avoir lieu pour déclencher des négociations en vue de la COP de 2020, et de nouveau, en 2023, une nouvelle révision conduira à une nouvelle série de négociations pour la COP de 2025.
Les promesses ambitieuses et les plans d’actions des gouvernements soulèvent naturellement la question de leur financement et par extension celle de la participation du secteur privé, et notamment de l’industrie financière, à l’heure où les caisses des gouvernements semblent en piteux état. Pour mémoire, le secteur privé génère les deux tiers du PIB mondial. Il n’est donc tout simplement pas possible, volens nolens, d’en faire abstraction dans le financement de la lutte contre le réchauffement climatique.
Cela veut notamment dire qu’il va falloir travailler avec les banques, et que celles-ci vont devoir se montrer plus responsables. La sociologue Saskia Sassen, qui a produit un livre savant portant notamment sur le rapport entre financiarisation excessive de l’économie et dégradation environnementale, semble ne pas dire autre chose quand elle affirme que le moment est venu d’opérer « une réorientation du capital financier pour répondre à une vaste gamme de besoins », expliquant qu’« un sérieux effort pour investir le capital financier dans le développement de l’économie matérielle est l’occasion de rendre ces investissements moins polluants – d’encourager le développement et l’emploi de technologies et de pratiques qui ne dégradent pas l’environnement ».
BlackRock, ou quand la finance s’attaque au climat
Et c’est peut-être ce qui est en train de se produire : en septembre, BlackRock, le plus grand asset manager au monde (5000 milliards de dollars, soit près de deux fois la taille de l’économie française) a défrayé la chronique en annonçant que tous les investisseurs devraient désormais prendre en compte le changement climatique dans leurs analyses de risque.
Et c’est d’ailleurs bien ce que le livre des experts Pierre Ducret et Maria Scolan met en relief : l’on assiste depuis quelques années à un véritable bourgeonnement d’initiatives pour rediriger les flux financiers de diverses origines vers le financement de la transition vers une économie neutre en carbone et résiliente au changement climatique, plus particulièrement depuis 2014. Investisseurs comme banquiers, ministres des Finances ou organisations internationales sont désormais conscients du problème et se mobilisent.
Est-il à regretter que cette transition relève des banques en partie, elles qui se sont montrées particulièrement irresponsables sur le chemin de la crise de 2008 ? Pas, insistent les deux auteurs, « dans la mesure où l’objectif à atteindre est la transformation complète de l’économie. C’est donc l’ensemble des circuits financiers qui doivent être mis au diapason ». Les banques ne sont d’ailleurs pas seules concernées : le G20, « dont les émissions de GES [gaz à effet de serre] représentent 74% des émissions mondiales et 80% de celles liées à l’énergie », a mis le sujet à l’ordre du jour des réunions des grands décideurs mondiaux. Et les auteurs de prévenir : « pour financer la transition, c’est moins des capitaux nouveaux qu’il faut mobiliser que les capitaux existants et disponibles, qu’il faut réorienter ». Au passage, supprimer les subventions aux énergies fossiles – une recommandation du FMI – serait un pas dans la bonne direction.
L’origine des 100 milliards par an en 2020
Attardons-nous un instant sur la question des financements. En 2009, l’économiste britannique Nick Stern a produit une étude montrant qu’il faudrait environ 130 milliards de dollars par an pour aider les pays en voie de développement à financer leurs efforts. (Pour rappel, les pays les plus pauvres tendent à souffrir le plus d’un phénomène auquel ils n’ont pas, ou peu, contribué). Le Premier ministre britannique de l’époque, Gordon Brown, arrondit ce chiffre à 100 milliards. Et la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton, qui se rend à la désastreuse COP de 2009, à Copenhague, dans le sillage de la crise financière, précise que ce seront 100 milliards qui doivent venir du secteur public… et du privé – à partir de 2020.
Depuis, l’OCDE a mis au point une ébauche de méthode qui indique qu’en 2014, un peu plus de 60 milliards sur les 100 promis étaient déjà transférés annuellement du Nord global vers le Sud global. Pour autant, quand on compile nombre de sources officielles, l’on se rend compte qu’il faut en réalité de 350 à 450 milliards de dollars par an pour financer la lutte dans les pays en voie de développement, et notamment l’atténuation de leurs émissions. Il y a donc encore un long chemin à parcourir, et là aussi, chacun, y compris la finance, a un rôle à jouer.
Les gouvernements ont conscience du problème
C’est là que la naissance d’une prise de conscience des dangers du changement climatique, en particulier de la part des ministres des Finances, ceux-là mêmes qui détiennent les cordons de la bourse, est importante. La finalité à laquelle ont été sensibilisés les dirigeants mondiaux sur les trois dernières années est bien celle d’une transition vers une économie bas-carbone post-2020. Car les États se rendent surtout comptent qu’il est question de survie, mais pas seulement au niveau environnemental et climatique : ceux qui resteront à la traîne seront également menacés de déclassement économique tant la compétition devrait devenir intense. De fait, même l’Arabie saoudite a annoncé il y a quelques mois la mise en place d’un fonds pour permettre une diversification économique.
Depuis la COP21, chaque pays a également un plan d’action volontaire appelé Contribution prévue déterminée au niveau national, sorte de feuille de route qui leur a permis de faire un bilan des actions à entreprendre et d’établir un agenda de mise en œuvre.
C’est crucial, car il est impératif d’avoir l’Etat de son côté pour avancer : c’est un signal pour tous les entrepreneurs qui, auparavant, n’avaient personne à qui s’adresser pour proposer leurs concepts innovants, et qui désormais vont peu à peu pouvoir bénéficier de partenariats avec la puissance publique. Or un État entrepreneur est indispensable pour mettre en place des infrastructures aussi importantes, à même de générer des changements de paradigmes.
Les entrepreneurs au défi du changement climatique
Même le secrétaire d’État américain John Kerry l’a dit à New York en avril : « Le pouvoir de cet accord est l’opportunité qu’il crée. Son pouvoir, c’est le message qu’il envoie au marché. C’est le signal, sans erreur possible, que l’innovation, l’activité entrepreneuriale, l’allocation du capital, les décisions que les gouvernements prennent, que tout cela est ce qui va définir le futur de l’énergie nouvelle ». C’est d’autant plus important que les entrepreneurs font face à des enjeux énormes pour assurer la transition technologique dont nous avons besoin : le capital à mobiliser pour concevoir, fabriquer et commercialiser des technologies propres est massif à l’entrée ; les profits que celles-ci génèrent sont difficiles à évaluer correctement, car le prix de l’énergie varie d’une année à l’autre ; enfin, les investisseurs hésitent à prendre des risques, de peur qu’une innovation dans laquelle ils investiraient soit rapidement rendue obsolète par une autre innovation, moins chère et plus efficace. Le défi est d’autant plus complexe qu’il est vain de compter sur un épuisement complet des ressources fossiles pour inciter à un passage à une économie sobre. De fait, même si l’on en parle encore peu, une ressource méconnue, l’hydrate de méthane, tapisse le sol des océans et semble tout aussi abondante que le reste des énergies fossiles… combinées ! Extrêmement dangereux, l’hydrate de méthane a déjà commencé à être exploité par des Nippons qui ont eu à souffrir de la catastrophe de Fukushima et qui ne peuvent plus s’appuyer sur le nucléaire pour alimenter leur économie. En clair, de l’énergie fossile, il y en a, et ce n’est pas sur sa raréfaction présumée qu’il faudra compter pour se motiver à trouver des substituts propres.
Une pléthore d’initiatives à tous les niveaux
Lutter contre le changement climatique ne se fait pas qu’au niveau des États ou des organisations internationales. Les collectivités, les associations, les entreprises et les citoyens ont commencé à prendre leur part de l’effort. De ce point de vue, il faut se rappeler que 10.000 actions individuelles et 70 actions collectives ont été enregistrées lors de la COP21, sur le site de la CCNUCC, y compris dans le champ de la finance climatique.
Des idées les plus modestes aux plus ambitieuses, de grandes transformations sont en cours, de la start-up Power:On, qui s’emploie à apporter de l’électricité dans un village du Bénin à l’Alliance solaire internationale, une coalition de 120 pays mise en place par l’Inde et la France et qui vise à construire l’équivalent d’1 Térawatt de capacité solaire d’ici 2030 de par le monde. Un plan pro-énergies renouvelables en Afrique a vu le jour, de même qu’un ambitieux système d’alerte pour les États insulaires, qui devrait trouver sa place au sein de l’Organisation météorologique mondiale.
Il y a également l’initiative de la Ville de Paris, qui a pris la tête du C40, une coalition de villes qui veulent développer une action collective, sachant qu’une cinquantaine de villes dans le monde sont responsables pour l’essentiel des émissions de CO2. D’ailleurs, en juin, plus de 7000 villes ont décidé de s’unir pour former une alliance contre le changement climatique. Dans ce domaine, peut-être que la capitale la plus ambitieuse reste Copenhague, qui promet de devenir neutre en carbone d’ici 2025 ! Enfin, au printemps, le constructeur américain Tesla a annoncé que les commandes pour l’un de ses derniers modèles de véhicule électrique avaient dépassé les 250.000 unités en quelques jours à peine, de quoi lancer la chaîne de production… et inquiéter les constructeurs plus traditionnels.
Réformer la CCNUCC ?
Dans ce contexte, un autre défi est peut-être aussi de réussir à réformer la gouvernance de la CCNUCC, de la rendre moins lourde, plus transparente et donc plus efficace. De fait, face à l’urgence, les négociateurs ne peuvent pas consacrer une décennie supplémentaire à se battre pour des virgules et à créer des comités Théodule.
Deux initiatives peuvent y contribuer. D’abord, s’assurer que les négociateurs sont bien désignés par leur pays : il s’en est connu qui ont, tour à tour, représenté des pays d’Asie, d’Afrique puis d’Amérique du Sud, nomades éhontés dont le but semblait être l’obstructionnisme pur et simple, sans même que les pays « représentés » n’en soient vraiment au courant – du moins en haut lieu. D’autres opèrent dans cette instance tout en offrant en parallèle leur expertise technique à des pays désireux de collecter des bénéfices du système. Là comme ailleurs, lutter contre ces potentiels conflits d’intérêts est crucial. La CCNUCC pourrait y remédier en mettant en place une base de données pour que l’on sache d’un simple clic qui représente quoi, et qui a nominé qui. Les journalistes pourraient y puiser pour leurs besoins. Ensuite, la tentation de créer des comités nouveaux, d’organiser toujours plus de conférences ou de faire des sessions de négociations toujours plus longues est certainement motivée par un système de défraiements journaliers supérieurs, dans bien des cas, à des salaires mensuels perçus dans certains pays. Le système fait parfois penser à un distributeur de billets, beaucoup ayant intérêt à ce que les négociations durent le plus longtemps possible. Amer, un haut fonctionnaire européen regrettait à ce sujet : « C’est le prix du multilatéralisme ». Or là encore, une base de données devrait pouvoir indiquer en toute transparence qui touche combien sur ces deniers qui viennent des contribuables mondiaux. En ayant à rendre des comptes sur ces ressources, y compris dans leurs pays, cela mettrait un peu plus de pression pour que les bénéficiaires du système abrègent les longs discours et passent à l’action. Ce sont là des pratiques courantes dans les démocraties. Alors, à gouvernance mondiale, démocratie mondiale !
Quel chemin après l’élection de Donald Trump ?
À l’heure d’aujourd’hui, et en dépit de tous les efforts réalisés jusqu’ici, nous sommes toujours, d’après de nombreuses analyses, sur une trajectoire qui nous conduira à un réchauffement de près de 3 degrés, loin du 1.5 fixé dans l’accord. Mais les choses évoluent. Ainsi, Peabody, la plus grosse compagnie de charbon aux États-Unis, a déclaré faillite au printemps, expliquant que le prix du charbon et des pressions extraordinaires sur l’industrie condamnaient l’entreprise à la banqueroute. Pourtant, les centrales à charbon, très polluantes, ont coulé de beaux jours ces dernières décennies aux États-Unis, en Chine, en Inde, ou ailleurs. Mais la tendance pourrait s’inverser si les énergies renouvelables deviennent vraiment compétitives.
Or, dans le même temps, et même selon des estimations conservatrices du gouvernement américain, le solaire, l’éolien et le gaz naturel devraient connaître aux États-Unis, et de loin, leur meilleure année en 2016, constituant la majorité des installations nouvelles de capacité électrique. Le solaire, en particulier, devrait dominer dans cette compétition.
Cela, c’était bien sûr sous la présidence de Barack Obama. Une grande inconnue a émergé ce mois de novembre avec l’élection de Donald Trump, qui a promis d’extraire l’Amérique des engagements climatiques. Même si l’ancien négociateur américain Todd Stern a juré le contraire, Donald Trump peut bien endommager l’architecture de l’accord de Paris. Or, sans la participation des États-Unis à cette lutte, nous pouvons nous attendre à ce que le monde soit chaud, bien plus chaud sur les prochaines décennies.
Bibliographie
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