Ce texte a d’abord fait l’objet d’une publication en italien, sous le titre « Twitter e la filosofia » (ed. ETS, 2015). Nous remercions chaleureusement les éditions ETS, et en particulier Sandra Borghini, d’en avoir autorisé la traduction.
Prémisse
Pour éviter toute équivoque, je dois d’abord spécifier que le présent article est un texte de philosophie. Il s’agit d’un texte, et cela, bien au-delà du support, papier ou électronique, employé pour sa diffusion. On verra plus tard pourquoi je souligne cet aspect. De plus, il s’agit d’un texte de philosophie. Certes, cette philosophie se confronte à la communication — et à ses formes les plus récentes et les plus à la mode —, mais elle convoque aussi d’anciennes thématiques débattues pendant des siècles avec plus ou moins de succès. Désolé pour celui qui, attiré peut-être par le titre, s’attendait à autre chose.
Le titre de cet article renvoie à un réseau social dont l’usage est aujourd’hui très répandu : Twitter. Il nous intéresse plus précisément ici en tant que produit culturel particulier formé par l’ensemble des tweets et autres interactions courtes ayant lieu sur cette plateforme. Si nous nous y intéressons, ce n’est nullement pour nous plier à la tendance du moment, mais bien parce que Twitter constitue une forme d’expression à travers laquelle on peut faire, et l’on fait effectivement, de la philosophie — parmi d’autres expériences interactives, sociales, politiques et de marketing. L’enjeu, ici, est d’observer quel genre de philosophie se construit au sein de cette forme, et quelles opportunités ultérieures ce réseau social pourrait ouvrir à une activité philosophique.
Le présent texte constitue le point d’arrivée et l’approfondissement d’une expérience en deux temps que j’ai conduite en ligne, ainsi que le résultat d’une confrontation avec les réflexions — peu nombreuses, en réalité — qui ont été développées autour de Twitter ces dernières années. Twitter est un phénomène récent, et comme d’autres réseaux sociaux plus populaires, nous ne savons pas combien de temps il va encore exister. Le risque d’une obsolescence rapide des plateformes est toujours présent — pensons notamment à la croissance rapide, puis au déclin de MySpace et de Second Life. Nous pouvons aussi penser à la vitesse avec laquelle Facebook s’est propagé à travers le monde, « cannibalisant » les réseaux sociaux préexistants. Tout cela n’empêche cependant pas de réfléchir à certaines idées que la structure actuelle de Twitter en tant que telle, comparée à la volonté de faire de la philosophie à travers elle, permet de mettre en lumière. C’est justement l’objet des pages suivantes1.
Le but n’est pas seulement de faire émerger les potentialités et les limites, en partie déjà connues, de Twitter, mais aussi de vérifier la possibilité de conduire une investigation philosophique à la hauteur de l’époque dans laquelle elle est amorcée et des outils à travers lesquels elle peut s’exprimer. Ce qui nous intéresse est de comprendre cette époque et ces outils, de sortir de l’acquiescement au sens commun et à ses catégories, d’exercer ce droit de critique que la philosophie s’est toujours réservé, en particulier face à ce qui peut sembler inévitable. En outre, ce qui nous intéresse aussi, en retour, est de comprendre ce que la philosophie peut être aujourd’hui, à l’époque des nouvelles technologies, de se demander ce que philosopher peut vouloir dire par rapport et à travers elles, et surtout d’expliquer comment il est possible de philosopher vraiment, d’une façon juste et bonne.
En somme, cette petite recherche fait partie, en tant qu’explication et application, de mon projet visant l’élaboration d’une philosophie de la relation. Le Web est aujourd’hui un lieu privilégié de relations et de construction active de relations. La question est de déterminer si, oui ou non, la façon dont ces relations sont vécues dans cet environnement numérique est réductrice ou créatrice : le Web des réseaux sociaux est-il à même de favoriser nos capacités expressives ou, au contraire, finit-il par nous contraindre à des comportements « unidimensionnels » ?
Pour approfondir ces différents aspects, il est nécessaire de développer une philosophie de la relation, ce à quoi je me suis consacré ces dernières années, notamment à travers des études plus ou moins centrées sur la communication et son l’éthique. Il ne s’agit pas du tout d’une philosophie ayant la relation comme thème, soit d’une forme de théorisation. Au contraire, mon projet implique et met en œuvre une philosophie pratiquant la relation, réfléchissant à la relation même et qui, de cette façon, se découvre comme étant, avant tout, une philosophie en relation2, comme celle qui peut être expérimentée dans les réseaux sociaux.
Mes remerciements chaleureux vont à Flavia Monceri, Giovanni Manetti et Vincenzo Letta pour les idées et les suggestions qu’ils m’ont données. Merci aussi à Marcello Vitali-Rosati pour son intelligente contribution à mon expérience numérique.
I. Forme et contenu
1. Les liens ambigus entre forme et contenu en philosophie
Les rapports entre forme et contenu en philosophie m’ont toujours interpellé. J’ai toujours été convaincu par ce que disait Hegel : le contenu à exprimer demande une forme adaptée, qui n’est pas forcément la forme habituelle, expérimentée dans le passé. Il est dommage que même Hegel ne soit pas arrivé à mettre en œuvre jusqu’au bout ce qu’il proposait en continuant essentiellement à écrire des traités dans une forme assertive. Ainsi, on attend encore aujourd’hui un hégélien qui ne nous oblige pas simplement à rechercher dans le discours apophantique, dans les affirmations faites, les traces de la proposition spéculative, mais qui écrive explicitement sa philosophie dans une forme qui soit justement, elle aussi, à son tour, spéculative.
De son côté, Heidegger a attribué à la forme de son exposé — la forme du traité — la responsabilité de ne pas avoir été capable de développer jusqu’au bout le contenu de la pensée de l’être qu’il se proposait d’élaborer dans son investigation sur L’Être et le temps. Peut-être cela était-il vrai, bien que, comme pour toute affirmation heideggérienne, celle-ci doive être lue au prisme de l’ambiguïté caractérisant la différence entre la pensée et le comportement de ce penseur3.
Il s’agit, très certainement, d’une ambiguïté que Heidegger lui-même thématise dans sa réflexion ultérieure, où il parle d’une oscillation, de Verwindung, d’un arrêt sur la ligne entre passé et futur, métaphysique et pensée nouvelle, continuité et nouveau début. Cela signifie, par ailleurs, que malgré toutes nos tentatives, nous n’arrivons pas encore à nous évader de la forme transmise en philosophie par Heidegger. Cela signifie aussi que le fait de rester enfermés dans cette « tanière » — pour le dire avec Hannah Arendt qui, en récupérant une image de Kafka, décrit ainsi, dans une des pages de ses cahiers, la situation du « renard » Heidegger — est notre destin inévitable. Chaque « évasion », ainsi que l’appellerait le premier Lévinas, semble alors niée.
En partant exactement de l’argument heideggérien, Gadamer lui-même a fini par affirmer dans la troisième partie de Vérité et méthode que l’être qui peut être compris (c’est-à-dire dans la mesure où il peut être compris), c’est le langage. En d’autres termes, l’être s’annonce dans la tradition et à travers notre façon de nous exprimer, dont nous ne pouvons pas nous passer. Mais même Gadamer a été mal compris lorsqu’on lui a fait dire que chaque contenu exprimable — c’est-à-dire ce qui peut être défini en tant qu’« être » — est voué à se dissoudre dans les formes mouvantes que, d’une fois à l’autre, le contenu peut assumer. Au contraire, selon Gadamer, l’être en tant que tel transcende toute forme qui pourrait être employée pour son expression.
En somme, la philosophie même, chez ce penseur, est une expérience ambiguë, en raison de la façon dont sont traitées ses thématiques et dont la philosophie même est pratiquée. Elle est ambiguë précisément à cause de la disproportion entre la forme et le contenu qui, comme c’est le cas dans les autres activités humaines, la traverse.
Cette ambiguïté génère des équivoques ultérieures. Peut-être est-ce vraiment inévitable, structurel même, dans l’histoire de la pensée : ce qui en elle se repropose constamment, c’est notamment ce jeu d’équivoques. Mais nous trouvons ici, encore une fois de façon ambiguë, les bases de cette vitalité et de cette possibilité d’un éternel renouvellement qui sont propres au fait de même de philosopher.
2. Forme et contenu à l’époque des nouvelles technologies
Aujourd’hui, il semblerait que ces questions de forme et de contenu n’intéressent guère personne. Toutefois, nous vivons dans une époque privilégiée où les modalités de communication, même en philosophie, peuvent être réellement considérées comme nouvelles. Elles le sont, non seulement à cause de la forme attribuée et combinée à la pensée à chaque fois — par exemple celle du dialogue, du traité, de la narration, de l’aphorisme, de l’article de journal, de la présentation PowerPoint —, mais surtout à cause du médium utilisé, et de la façon dont ce médium à son tour produit ou détourne la forme même dans laquelle le message s’exprime, d’une manière inconnue jusqu’ici. Aujourd’hui, on fait effectivement de la philosophie selon plusieurs modalités : par l’intermédiaire des conférences et des cours, des livres, des vidéos, Internet. Les réseaux sociaux en particulier permettent de nouvelles expériences d’élaboration, de diffusion et de partage du savoir : ils favorisent ce que l’on peut vouloir dire de philosophique et l’expérimentation de nouvelles formes d’écriture4.
De cette façon, la philosophie, telle que nous la connaissons, change. Elle est en train de changer — et, en un certain sens, elle a déjà changé —, mais on n’y prête pas assez attention. La plupart du temps, nous subissons — ou, du moins, nous sous-exploitons — les potentialités offertes par les nouveaux outils de communication, puisqu’elles ne sont pas thématisées. Ces outils finissent par être utilisés d’une façon banale, soit comme une espèce de mégaphone, dans le but d’étendre l’impact de la transmission du message que nous voulons diffuser, soit comme une occasion de plus de donner un spectacle de mots et d’images.
Existent en revanche d’autres possibilités ouvertes par l’emploi de nouveaux moyens de communication et de nouvelles modalités communicationnelles qu’ils favorisent. Ces possibilités offrent des manières différentes de nous exprimer et, à travers elles, d’autres perspectives d’où voir le monde, possibilités que, justement, les technologies de l’information — devenues désormais sociales et prêtes à dialoguer entre elles, même sans interaction avec l’humain — sont capables d’activer. Tout cela doit être pris au sérieux et pensé. Il faut bien sûr avoir quelque chose à dire, mais il faut aussi chercher à le mettre en pratique d’une manière philosophique, par l’expérimentation directe des possibilités et des limites de ces technologies.
Mais l’enjeu, à bien y penser, est encore plus important. Car il y a une autre possibilité : que l’on assiste tôt ou tard au dépassement même du Web 2.0 et, avec lui, à la fin des récits que la Toile amasse aujourd’hui. On ne peut prédire ce qu’il en sera. L’histoire de la communication procède d’habitude par accumulation et non par substitution. Et donc, bien que les voix de ceux qui commencent à parler de la fin de l’idée même d’« Histoire » soient déjà nombreuses, en raison de l’excès d’« histoires » que l’on trouve sur la Toile, la possibilité demeure que la Toile elle-même, ou plus généralement le développement des procédés communicationnels, puisse se configurer selon une structure dynamique et lisible par tout le monde. Il est possible que la Toile elle-même devienne « Histoire ». C’est l’idée sur laquelle nous pouvons parier, bien que sa réalisation ne dépende pas seulement de nous.
En effet, nous vivons depuis un moment déjà à une époque où le réel n’est plus un réel pensé ou à penser, mais le milieu dans lequel sont mises à l’œuvre des pensées qui vont au-delà de ce que nous sommes capables de concevoir : des pensées pas encore pensées, qui, peut-être, ne le seront jamais pleinement, mais qui, néanmoins, sont déjà incorporées, présentes dans la logique des choses, et que nous pouvons alors essayer de décoder. Il s’agit du point d’arrivée — auquel nous faisons face, mais aussi dans lequel nous sommes immergés — du processus d’artificialisation de tout ce qui existe. Mais cette évidence, à bien y penser, n’est pas tant une confirmation de l’aphorisme hégélien, énoncé dans la « Préface » aux Principes de la philosophie du droit, selon lequel tout ce qui est réel est rationnel, et tout ce qui est rationnel est réel. Il ne s’agit pas non plus d’une identification à égalité, et réciproquement, de la pensée et de la réalité. Aujourd’hui, c’est le réel lui-même qui risque de disparaître, comme l’a théorisé Jean Baudrillard5.
Voilà pourquoi nous devons, d’abord, découper dans ce contexte un espace d’action, ou encore un milieu d’interaction. Il faut, ensuite, le faire depuis une perspective philosophique. Ce sont des démarches nécessaires pour essayer d’élaborer concrètement une philosophie à la hauteur des nouvelles technologies : deux coups complémentaires strictement liés entre eux.
En premier lieu, il faut vérifier si les nouvelles formes de communication peuvent nous aider à mieux exprimer ce que nous voulons dire, aujourd’hui, encore et toujours avec un langage philosophique. Nous pouvons considérer les nouveaux outils de la communication comme un véhicule pour rendre plus puissantes nos capacités expressives. Nous pouvons expérimenter de nouvelles formes, non pour affirmer de vieux concepts — verser du vieux vin dans de nouvelles barriques, pour inverser la métaphore évangélique (Luc 5, 37), n’en améliore certainement pas la qualité —, mais pour exprimer ce qui, dans le sillage d’une tradition à ne pas abandonner, doit s’adapter aux possibilités d’innovation toujours croissantes. L’alternative est l’obsolescence, voire la fin de la philosophie.
Apparemment, l’approche à laquelle nous sommes amenés par le sens commun est la plus évidente, mais c’est la plus dangereuse, dans la mesure où celui qui l’adopte croit pouvoir utiliser la forme comme un simple moyen en vue d’un objectif — comme un banal instrument, neutre et impartial. Le danger consiste en l’oubli de la médiation offerte et du pouvoir effectif du moyen ; en tant que tel celui-ci n’est jamais anodin, car il oblige l’usager à s’y adapter. En revanche, une occasion se présente lorsque l’emploi d’un instrument pousse l’être humain à faire face, dans sa relation au monde, à la nécessité d’une médiation — à condition, je le répète, que cette médiation soit prise au sérieux.
Il s’agit d’un aspect important sur lequel, à mon avis, on ne réfléchit pas assez. La thèse de Marshall McLuhan, selon laquelle « the medium is the message6 », est souvent idéologisée, interprétée d’une façon unilatérale et poussée à ses conséquences extrêmes, au sens d’une absorption complète du contenu, de sa réduction à la forme qui l’exprime. Mais c’est exactement cette lecture qu’il faut repenser, surtout si nous voulons continuer à faire de la philosophie.
Il est vrai par ailleurs que le contenu d’un médium est souvent un autre médium, et que son message consiste dans le changement de proportions, de rythme ou de schémas qu’il introduit dans les rapports humains. Et il est aussi vrai qu’il faut repenser le modèle aristotélicien, maintenu jusqu’à Husserl, selon lequel le contenu mental et son expression demeurent distincts. Si nous ne voulons pas renoncer à une des façons de concevoir la notion de « vérité » parmi les plus influentes dans l’histoire de la pensée, il ne faut pas soutenir que ce qui communique une communication n’est que sa structure même. Autrement, la seule façon de faire de la philosophie, la seule possibilité de son exercice, demeure celle expérimentée par Derrida : la mise à l’œuvre d’une déconstruction de la structure qui ne peut dire rien d’autre, à la fin, sauf le fait de se disséminer dans la structure même — voire le fait de se dissoudre dans cette dissémination.
En revanche, il faudra revenir à une autre conception de la forme et du moyen. En fait, probablement en raison de notre tendance à tenir pour acquises certaines thèses de McLuhan et de Derrida, nous ne réfléchissons pas assez à de tels outils, et à la médiation qu’ils impliquent. Aujourd’hui, nous nous bornons à les utiliser, tout simplement, sans chercher à en connaître les mécanismes, c’est-à-dire leur activité et leur signification. Nous devenons ainsi nous-mêmes parties prenantes de ces procédures. Nous oublions l’influence réelle de la médiation. Ce qui nous échappe est précisément sa puissance formatrice, malgré les effets que nous ressentons.
Cette perspective est extraordinairement myope. Aujourd’hui, à bien y penser, avec les nouvelles technologies, cette médiation s’est autonomisée et est en mesure d’englober même le sujet agissant — dans ce cas, le sujet philosophant. Il faut alors que cette médiation soit repensée, dans tous ses aspects, et au sein de toutes ses formes. Pour ce faire, il faut récupérer ses contenus — ou mieux : récupérer cette médiation même comme étant un contenu spécifique.
En second lieu, il faudra alors essayer d’analyser en détail ce qui change dans notre style philosophique quand la philosophie est médiée à travers les nouvelles formes technologiques. Autrement dit, les moyens par l’intermédiaire desquels nous communiquons n’étant ni impartiaux ni simples instruments, influent sur ce que nous voulons dire et le transforment. Les moyens changent, et nous changent, pendant que nous sommes en train de nous exprimer. La philosophie de la relation communicationnelle s’accomplit toujours en tant que philosophie dans cette relation. Elle comporte la nécessité de transformer l’action en interaction.
Ici comme ailleurs, nous risquons de nous faire orienter, dans l’élaboration du contenu, par ce que la forme nous offre, jusqu’à accepter de nous égarer en elle. C’est ce qu’a expérimenté Heidegger, comme on l’a vu plus tôt. C’est ce que Hegel semble, à l’opposé, négliger. Nous risquons, en somme, de subir le puissant contrecoup de cette forme que nous pensions pouvoir contrôler et exploiter sans conséquence aucune, comme un pur et simple instrument. Au contraire, l’emploi d’un moyen, et surtout quand il se fait d’une façon inconsciente, est en réalité toujours capable d’aplanir, de banaliser et de dissoudre tout contenu que nous essaierions d’exprimer à travers lui, jusqu’à nous faire croire, en cette époque où le médium est banalement message, que la distinction entre forme et contenu n’a plus de sens. Mais il n’en est rien7.
3. Expérimenter avec Twitter
Une première fois pour un public italien et une seconde fois pour un public francophone, j’ai essayé de faire un test regroupant tous ces aspects : la réflexion sur la forme et la nécessité de sa mise en œuvre en tant qu’expression d’un contenu ; la conscience que la forme modifie le contenu même, tout comme sa relation à elle en tant qu’instrument de médiation ; les nouvelles possibilités offertes par les technologies de la communication et leur usage souvent unilatéral. Les deux fois, il s’agissait d’un test court mais suffisant pour atteindre le but que je m’étais fixé. J’ai moi-même servi de cobaye, avec tous ceux qui m’ont suivi et qui ont interagi avec moi sur le Web.
Cette expérience de communication philosophique par l’intermédiaire de Twitter a donc aussi été la recherche d’un nouvel équilibre entre forme et contenu, une tentative de trouver de nouveaux contenus à travers une forme différente, dont l’emploi comportait l’acceptation d’une limite de 140 caractères. Cela a permis d’expérimenter directement, à la première personne, la façon dont la forme peut modifier le contenu, jusqu’au risque de l’éclipser, mais aussi jusqu’à la possibilité de l’exalter — tout cela a façonné mes actes communicationnels.
Il vaut peut-être la peine de me suivre dans cette aventure, ne serait-ce que pour mieux comprendre quelle est la forme de Twitter et quel peut être le contenu de la philosophie à l’ère du Web 2.0.
II. Philosophie par tweets
J’ai réalisé deux expériences de tweets philosophiques. La première s’est déroulée du 27 novembre au 27 décembre 2014 ; la seconde du 17 novembre au 15 décembre 2016. Elles ont toutes les deux consisté en la publication d’au moins un tweet par jour, parfois divisé en deux ou plusieurs parties liées les unes aux autres. L’esprit déclaré dès le début était celui de bouteilles lancées à la mer ou de post-it collés sur des ballons que l’on abandonne au souffle du vent. L’objectif reposait en tout cas, autant que possible, sur l’idée de faire de la philosophie — de la philosophie par Twitter.
Lors de la première expérience, les tweets étaient écrits en italien. Quelques tweets étaient aussi proposés en espagnol, puisqu’un certain nombre de mes abonnés sont hispanophones. Mon compte, @exaiphnes, a vu son nombre d’abonnés augmenter durant l’expérience. Il en compte plus de 400 à l’heure actuelle.
J’ai laissé beaucoup d’espace à la possibilité d’établir une interaction spontanée entre toutes les personnes intéressées par les thématiques philosophiques de mes tweets — parmi lesquelles la vérité, la liberté, le rôle de la philosophie à l’ère des nouvelles technologies, et la pensée comme développement des relations. Bien que plusieurs comptes Twitter italiens consacrés à la philosophie aient été mentionnés, la diffusion de mes tweets a été laissée surtout au hasard des dynamiques d’interaction propres à ce réseau social. Au bout du compte, mon expérience a donc remis en question le fonctionnement et l’efficacité de la structure de Twitter, mettant en évidence ses possibilités et ses limites.
La seconde expérience s’est déroulée différemment : j’ai collaboré avec la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques, portée par Marcello Vitali-Rosati et son équipe de l’Université de Montréal. La Chaire de recherche a été une caisse de résonance de mes tweets, dont elle a favorisé la diffusion. À quelques occasions, les tweets se rattachaient aux activités et aux séminaires de la Chaire de recherche.
Les tweets de cette seconde expérience ont été publiés en français grâce à la précieuse collaboration de E. Agostini-Marchese et de S. Monjour, que je voudrais remercier ici. Cela a entraîné, naturellement, une diminution de l’intérêt de la part des abonnés italiens, mais une implication bien plus importante des abonnés francophones — surtout ceux faisant partie des milieux universitaires canadien et français. Les tweets publiés quotidiennement et leurs commentaires ont donné lieu à des débats. Certains abonnés ont été au rendez-vous pour participer aux interactions chaque jour, devenant de véritables interlocuteurs. Même ceux qui se sont ajoutés à la fin de l’expérience, comme Pierre Lévy, y ont participé pleinement, commentant ou retwittant les publications des jours précédents.
La première expérience, en italien, s’est déroulée surtout selon un modèle descendant (top-down). Chaque jour, un élément de réflexion était proposé sur mon compte Twitter. J’ai d’abord introduit des thèmes généraux : comme je le disais plus haut, ces thèmes portaient sur le rôle de la philosophie et ses concepts fondamentaux. Ensuite, j’ai abordé des thèmes reliés à des événements de l’actualité, dont on parlait beaucoup à l’époque dans les médias. Enfin, le contexte et la période où les tweets étaient publiés — les fêtes de Noël — ont été l’occasion de réflexions spécifiques.
L’expérience en français a été partiellement différente. Bien évidemment, la structure descendante qui est le propre de Twitter n’a pas été démentie, étant donné qu’il y avait toujours quelqu’un (moi) qui, le premier, publiait un tweet sur un sujet choisi. Toutefois, la participation du groupe de la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques a favorisé beaucoup plus d’interactions en cours de route : les thématiques proposées étaient alors liées à ce qui émergeait de ces discussions. Il en est allé de même pour les tweets inspirés par les interventions effectuées lors de quelques séminaires organisés par la Chaire, mes tweets interagissant avec elles.
Il n’est pas nécessaire de reproduire ici la liste des tweets publiés quotidiennement durant ces deux expériences — comme je l’ai fait dans l’édition italienne de Twitter e la filosofia pour ceux du premier test. Les personnes intéressées peuvent aller les lire sur mon compte Twitter, @exaiphnes. Nous allons plutôt souligner brièvement les différences entre les deux expériences.
Dans le cas des tweets philosophiques en langue italienne, il était quasiment inévitable de maintenir une orientation unilatérale par rapport à la publication : dans la communauté italienne, Twitter est encore perçu comme un outil pour donner des informations ou exprimer son individualité propre. Dans ce contexte, Twitter n’est pas un milieu où l’on peut échanger des opinions. Le modèle communicationnel prédominant est celui de la transmission de messages d’un émetteur à un destinataire — qui ne peut rien faire d’autre que recevoir ou retransmettre, s’il le veut.
La possibilité de faire de Twitter un véritable espace d’échange, pour les tweets en français, a été facilitée par le recours à un centre de recherche où l’interaction entre les participants était déjà bien développée, et aussi par leurs compétences technologiques. Voilà pourquoi certains sujets abordés dans les tweets — comme la possibilité de distinguer réel et virtuel, ou encore les transformations subies par la forme livre à l’ère du numérique — ont été repris et développés par la communauté durant plusieurs jours. Tout cela démontre que la structure de Twitter contient des potentialités qui peuvent être mises en œuvre dans une plus ou moins grande mesure selon les pratiques des usagers. Mais, en remarquant cela — et en soulignant les différentes possibilités communicationnelles offertes selon les réseaux sociaux —, nous sommes déjà en train d’évaluer mon expérience, c’est-à-dire de discuter des possibilités et des limites de la communication philosophique par le truchement de Twitter.
III. Le gazouillement de la chouette : limites et possibilités
1. Les limites
Mais au fait, la chouette est-elle vraiment capable de gazouiller ? Peut-on faire de la philosophie par l’intermédiaire de Twitter ? Peut-on faire de la philosophie avec les nouvelles technologies ? C’est ce que j’ai voulu tester.
Dans le cas de Twitter, j’ai cru au départ rencontrer un certain type de difficultés, en raison du petit nombre de caractères disponibles, de la nécessité de définir des hashtags partagés et du fait de commencer avec un nombre limité d’abonnés, étant donné qu’un fil philosophique n’est certainement pas des plus attirant. Au contraire, ces problèmes ont été dépassés pendant l’expérience, tandis que d’autres sont apparus comme les vraies questions à aborder, et pas toujours avec des possibilités de réponses satisfaisantes. Mais procédons par ordre.
La limitation du texte à 140 caractères n’a pas représenté un problème. Certes, il est vrai que cela empêche d’argumenter ses thèses et d’approfondir les questions abordées. Mais cela favorise en même temps la vocation à l’essentialité propre au discours philosophique, son trajet au cœur des choses, son devoir de dire seulement ce qui est déterminant. Et pour ce faire, nul besoin de longs discours.
C’est également vrai, ensuite, que les mots-clés d’un tweet philosophique ne peuvent pas être les plus partagés par le sens commun et dans le débat public. Comme je l’ai déjà dit, j’ai essayé à un certain moment de lier ma réflexion à certaines thématiques de l’actualité ou de l’expérience quotidienne. Je ne l’ai pas fait en quête d’une popularité trop facile, mais pour montrer que la philosophie permet d’apporter un éclairage différent sur le présent. Le problème est que la philosophie ne peut y parvenir qu’en gardant son style et qu’en faisant en sorte que le public adopte sa perspective.
Toutefois, la voie habituellement suivie est autre : on dit au public d’une façon plus ou moins spectaculaire ce qu’il veut entendre. Pour se faire suivre par le plus grand nombre de personnes possible, il faudrait en effet leur dire, avec le ton conventionnel dérivant d’une autorité présumée, ce qu’ils savent déjà.
Il y a une vocation critique de la philosophie, invariable, qui dépasse même la volonté de se faire comprendre de celui qui la pratique. Cela oblige souvent les philosophes à aller à contre-courant, au risque de l’impopularité et de l’incompréhension. Nous débouchons ici sur une ambiguïté propre au discours philosophique. D’un côté, il s’agit d’un discours que tout le monde, ou du moins beaucoup de monde, peut pratiquer. De l’autre côté, ce discours doit être mis en application avec une certaine compétence. La capacité d’assumer un regard philosophique ne signifie pas, en somme, la certitude de regarder de la bonne manière.
Certes, aujourd’hui, on remarque un grand intérêt pour ce que disent les philosophes. Face au rétrécissement des grands récits de sens fournis par les religions, d’un côté, et par les idéologies en tant que succédanés de ces religions, de l’autre, on demande maintenant à la philosophie de nous fournir des orientations pour vivre notre vie. On n’y échappe pas ; souvent, il s’agit d’une philosophie qui, d’une part, a perdu son potentiel, ayant renoncé aux grands récits de la Modernité, mais qui, d’autre part, se croit capable de dispenser quelques recettes de sagesse pour conduire sa vie. Ceux qui côtoient les festivals et les cafés philosophiques, qui lisent les commentaires du philosophe à la mode dans les journaux, ne demandent que cela, le plus souvent : non pas à apprendre à penser par eux-mêmes, à rechercher une vérité consensuelle, à argumenter leurs propres convictions, mais à être touchés par les commentaires de l’expert du jour, à les enregistrer tout de suite comme un avis partagé ou non.
Voilà pourquoi les hashtags philosophiques ne sont pas très diffusés sur Twitter. J’ai essayé d’en faire circuler certains — vérité, douleur, amour, Platon, Hegel, Nietzsche, et d’autres encore —, mais, évidemment, ils ont obtenu peu en retour. J’ai alors essayé, surtout durant l’expérience en italien, de faire voir selon un autre point de vue les thématiques présentes dans l’actualité. J’ai mis en relation entre eux des faits de l’actualité ou des expériences quotidiennes avec des questions philosophiques majeures afin de montrer que la philosophie va à la rencontre du présent, bien qu’elle ne se réduise pas à n’être que la citation du présent. De nouveau, tout de même, un sain réalisme a revendiqué ses droits face à l’espoir innocent.
Le fait de commencer avec peu d’abonnés n’a pas posé problème. Leur nombre a vite augmenté sans qu’il ait été nécessaire de suivre les instructions — quoique surabondantes dans une certaine littérature — sur la façon d’augmenter ses abonnés, surtout dans l’optique d’un emploi de Twitter comme instrument de marketing8. Le problème s’est révélé autre. Je voulais constituer un public qui ne partageait pas seulement les tweets — en les retwittant ou en les marquant en tant que favoris —, mais aussi et surtout les mêmes emplois de Twitter que les miens : l’expérience d’une nouvelle forme philosophique, d’une écriture menée avec les abonnés et au moyen de leur participation.
J’en demandais peut-être trop. Ou, comme quelqu’un l’a gentiment suggéré, mon expérience a peut-être trop peu duré. Peut-être allais-je contre la structure de Twitter, ou contre l’emploi qui en est fait dans la société du spectacle. Il n’en demeure pas moins que les personnalités qui servent de modèles ou qui font autorité pour la majorité des gens ne sont pas les mêmes dans ce réseau social. Ce qui caractérise le flux des tweets, la plupart du temps, c’est la tendance au simple partage, c’est-à-dire au fait de suivre quelqu’un d’une façon plus ou moins impliquée ou plus ou moins variable — et non la tendance à une vraie participation, à l’engagement à la première personne. L’usager se persuade d’assister à un spectacle ; ce faisant, il en crée l’attente et s’empêche de développer ultérieurement un approfondissement en commun. La philosophie, d’habitude, a un autre style.
2. Les possibilités
Tout cela ne doit pas être pris comme l’habituel jugement négatif d’un philosophe élitiste. De fait, Twitter offre précisément beaucoup d’opportunités au discours philosophique. Comme tout phénomène, dans la mesure où il ouvre plusieurs possibilités relationnelles, Twitter est ambigu, voire source d’équivoque, au point d’induire des actions dont la valeur est également ambiguë et source d’équivoque. J’en ai déjà fait mention plus haut. C’est la raison pour laquelle dans ce milieu en particulier — fondé sur le partage du flux de tweets et la relation hiérarchique — il n’y a pas seulement des orientations précises, mais aussi des occasions spécifiques.
La plus évidente d’entre elles consiste en la possibilité de manifester et d’exposer notre moi, tout comme dans les autres réseaux sociaux, de Facebook à LinkedIn. Le protagoniste de Twitter c’est le sujet, le je, qui parle de soi. Aujourd’hui, la question sollicitant de nouveaux tweets est : quoi de neuf ? Auparavant, c’était : qu’es-tu en train de faire ? En somme, il y a toujours dans Twitter un ancrage dans l’expérience individuelle, qui peut être communiquée aux autres — en supposant que ce que je suis en train de faire ou ce qui m’arrive intéresse les autres.
Bien qu’en twittant, on emploie des assertions à la troisième personne pour parler de soi, et en dépit de l’idée que la philosophie puisse prendre seulement la forme d’un traité, Twitter représente une occasion favorable : celle de ne plus concevoir la philosophie comme un discours aseptisé et impersonnel, mais comme une posture qu’on assume et expérimente enfin à la première personne, et dont chacun se charge directement.
Le style de l’autobiographie, de la confession et même de l’aphorisme, comme chez Marc Aurèle, saint Augustin, Descartes, Rousseau et Nietzsche, a déjà montré une façon différente de faire de la philosophie. Le philosophe, ici, s’exprime en se dévoilant, et ses affirmations acquièrent un goût particulier — voire une valeur en plus — parce que, justement, il les énonce à la première personne. Ici, c’est le je, parlant de soi, qui façonne le discours philosophique. Ici, la philosophie prend la forme du récit d’un parcours vécu, de la réflexion et de la narration d’une série d’expériences individuelles, du résultat d’une difficile conquête cédant parfois la place à l’image de l’Ecce Homo. La philosophie pratiquée sur Twitter peut alors se situer correctement au sein de cette tradition9.
Cependant, comme le démontrent les exemples philosophiques mentionnés plus haut, dans ces cas-là, la forme expressive change, même à l’intérieur d’un même style autobiographique, parce que l’idée du je qui s’exprime philosophiquement change, tout comme la façon dont ce je est conçu. Ainsi, le je de Marc Aurèle, qui part à la recherche de soi pour pouvoir saisir sa position dans le cadre du tout, ne saurait être pris pour le je de saint Augustin qui, dans son intériorité, trouve la référence à une altérité divine capable de l’apaiser. De même, le je de Descartes, bien au chaud, protégé par sa petite chambre, tendu vers la certitude d’être soi afin que l’acquisition de cette certitude devienne fondement de la connaissance, n’est pas le je de Rousseau, qui cherche expiation et salut dans l’exhibition impitoyable de son âme. Le je de Nietzsche est encore différent, lui qui enveloppe explicitement de « soi » chaque assertion faite dans la forme aphoristique, et la charge d’exaltation et de douleur. Enfin, il y a le je narcissique de celui qui sourit à l’occasion d’un selfie philosophique, comme beaucoup peuvent le faire aujourd’hui.
Même sous cet angle, Twitter constitue à la fois un danger et une occasion favorable. Le danger est de faire éclater dans l’espace virtuel des débris d’autoaffirmation ; l’occasion, d’avoir un contact avec les autres grâce à cet emploi spécifique de la Toile. La limite consiste en l’exhibition sur le Web d’un cloisonnement, la possibilité consiste en l’instauration d’une vraie relation à partir de soi. Il nous est possible de choisir entre ces deux éventualités. La décision doit être motivée par une perspective éthique.
Enfin, l’opportunité la plus importante, mais la moins soulignée dans la littérature, a comme fondement l’expérience des tweets pour ce qu’ils sont : un flux ininterrompu de messages, jalonné par mes préférences (ou par celles des autres, dans la mesure où ils s’enregistrent comme abonnés), dans lequel un tweet apparaît pour disparaître tout de suite après, substitué par d’autres et d’autres encore. En d’autres termes, l’opportunité de Twitter consiste exactement dans le fait d’accueillir la contingence extrême et fragile des expressions individuelles qui s’y manifestent, comme étant justement les expressions d’un moi aussi fragile que transitoire. Si l’on arrive à comprendre cela, on s’aperçoit, de fait, que le seul élément significatif dans cette expérience est le flux dans lequel elle s’épanouit, et non la contribution plus ou moins importante que l’on peut y apporter par le contenu même des tweets. Ainsi, on renverse la perspective égocentrée. La conversation possible à travers le flux de tweets devient fondamentale. Il s’agit d’une conversation infinie qui comprend toutes les contributions en ligne – autant celles de ceux que je suis ou qui me suivent, que celles de ceux que je ne connais pas, et qui représentent la majorité.
Effectivement, Twitter est une grande conversation aux contours indistincts, un gazouillement varié de petits oiseaux dans les bois, connectant tous le bois avec tous leurs gazouillements. J’essaie de m’y orienter et d’y distinguer des harmonies particulières, en tentant, en plus, d’y laisser ma trace — c’est-à-dire d’interagir en fonction de mon opinion, en proposant certaines thématiques, en en partageant d’autres, enfin en relayant ce qui m’intéresse. Quoi qu’il en soit, on expérimente, dans l’ensemble de ce flux, la faiblesse de sa propre voix et l’imperceptibilité du soi. Il est dommage que, le plus souvent, on ne s’en aperçoive pas. Il suffit d’un simple retweet pour s’exalter de nouveau.
3. Les résultats
C’est déjà un résultat pour un philosophe de comprendre ce qui est énoncé plus haut, mais il faut aussi l’appliquer concrètement. J’ai essayé de le faire avec mes tweets. Cependant, le résultat n’a pas été pleinement satisfaisant. Je ne suis pas arrivé, en fait, à édifier le réseau qui aurait pu me permettre de développer la continuité d’une conversation, d’un discours en commun, découpé dans le flux de la communication en ligne, grâce aux thématiques philosophiques que je proposais — surtout durant le premier test, en italien.
Dans ce cas, pour que cela puisse se produire, il aurait fallu s’adresser non seulement à des gens, mais aussi à des groupes intéressés par une conversation philosophique, à un niveau national et aussi international. Il semble surtout nécessaire de tenter un changement de mentalité. En Italie, les groupes philosophiques sur Twitter sont très actifs. Ils sont l’expression de communautés données et ils propagent régulièrement des nouvelles à propos d’activités spécifiques. Les principaux sont « TwitSofia » (@TwitSofia_it)10 et « Tweets philosophiques » (@twittfilosofici)11. Il en va de même dans le contexte anglophone, auquel correspond une bonne partie de la communication européenne sur Twitter, étant donné que les Allemands et les Européens du Nord twittent le plus souvent en anglais. Dans ce contexte également, on trouve des groupes d’intérêt philosophique, des activités de promotion de revues et de livres, des comptes voués à diffuser plusieurs fois par jour des citations plus ou moins philosophiques. Il y a aussi un emploi plus officiel de Twitter du côté des universités et d’autres institutions12. Toujours en anglais, mais aussi en d’autres langues, existent plusieurs groupes dédiés à un auteur en particulier13.
Les groupes philosophiques francophones ainsi que ceux en langue espagnole ou portugaise sont à la fois semblables et distincts. Les premiers sont surtout une extension des communautés se regroupant autour de centres de recherche, de revues ou de sujets d’étude14 — et donc, Twitter leur offre une caisse de résonance pour des questions abordées sous d’autres formes expressives. Enfin, les groupes hispanophones et lusophones, surtout d’origine latino-américaine, ont promu un usage plus spécifiquement philosophique de ce réseau social, en divulguant chaque jour plusieurs pensées originales à réfléchir et à partager15.
Ce n’est pas un hasard si j’ai même écrit en espagnol certains de mes tweets, puisque j’étais suivi par certaines des communautés parlant cette langue. Néanmoins, de façon générale, le problème rencontré concerne surtout le niveau — c’est-à-dire la qualité philosophique — inégal propre à ces messages. Twitter, en fait, risque d’aplanir la communication, en dégradant la valeur des contenus pour augmenter le nombre d’abonnés. Ainsi, souvent, les tweets philosophiques finissent par ressembler aux très courtes réflexions qu’on peut lire dans les billets des Baci Perugina16.17
En somme, dans ce contexte global, au sein de toutes ces communautés linguistiques, Twitter est employé surtout pour partager des nouvelles d’événements philosophiques – lectures, rencontres –, pour promouvoir des livres, pour diffuser des aphorismes d’auteurs classiques, pour faire circuler une pensée plus ou moins profonde, et non pour faire de la philosophie de façon systématique et à la première personne, ni pour construire cette expérience avec autrui. Il semblerait que l’aspect promotionnel du réseau social prenne le pas sur la possibilité de partager des contenus, et qu’ensuite ce partage se borne à une circulation d’informations et de pensées, au lieu de solliciter une réelle participation orientée vers le développement d’un discours en commun. Aurait-on renoncé, en fait, à concevoir le flux de Twitter comme un « texte », même s’il s’agit d’un texte d’un type particulier, à la structure ouverte et plurielle, ayant besoin d’une mise à jour constante ? L’idée de tissage, à la base du concept et de la pratique textuelle, me paraît ici définitivement abandonnée. À la place de la broderie faite de plusieurs fils, on n’a qu’un seul fil, direct, réalisant une idée de la communication comme transmission unilatérale de données.
Cependant, certains emploient tout de même Twitter pour s’exprimer et s’exposer. Leurs réflexions et leurs pensées demandent un discours à part. Dans leur cas, Twitter devient l’opportunité de tenir une sorte de cahier intellectuel. Il faut rappeler ici l’idée du microblogue à diffusion instantanée pour caractériser leur activité. Cela dit, ce qui manque dans la plupart des cas, c’est la possibilité d’une vraie interaction, l’expérience de réciprocité avec les abonnés. Pour y remédier, d’autres formes expressives sont employées, appelées à intégrer ce qui dans Twitter n’est pas encore suffisamment exploité18.
Tout cela me confirme en tout cas mon idée fondamentale : Twitter est, du moins partiellement, une occasion ratée. Or s’il en est ainsi, si c’est cela qui émerge de mon expérimentation, ce résultat peut en réalité devenir un point de départ : il souligne de nouvelles potentialités d’action sur ce média social.
Peut-être mon expérience a-t-elle trop peu duré : un mois de tweets est-il suffisant pour rassembler une communauté ? Il s’agit néanmoins d’un temps suffisamment long pour mener quelques réflexions sur les possibilités que la philosophie peut trouver dans Twitter et, plus généralement, dans les nouvelles formes de communication technologique — une forme supplémentaire d’expression, en plus des formes usuelles. Je voudrais parler à nouveau, d’une modalité d’expression qui serait adaptée aux attentes de la philosophie, à sa tradition, mais aussi et surtout à l’époque au sein de laquelle nous pensons aujourd’hui. Je fais référence aux modalités au moyen desquelles aujourd’hui doivent être reconceptualisés, mis en œuvre et articulés les termes clés avec lesquels nous disons notre expérience.
IV. Une tweetosophie ?
1. Que nous fait faire Twitter ?
Twitter peut-il nous aider dans cette entreprise, ou l’instrument utilisé dans ce cas n’est-il pas du tout adapté à la pratique de la philosophie ? L’investigation philosophique doit-elle être renvoyée, retournée à ses formes expressives traditionnelles — en particulier le traité, le dialogue, la démonstration, l’aphorisme ? Doit-elle se rendre à son caractère désuet, dépassé, « inactuel » ? Faut-il se résoudre au fait que la chouette est incapable de gazouiller ?
Car Twitter offre aussi, comme nous avons pu le voir, de nouvelles occasions de communication. Il est alors utilisé avec des finalités philosophiques, comme beaucoup d’autres plateformes numériques. Cela comporte toute une série de problèmes, que nous avons déjà partiellement mis en lumière. De plus, comme tout autre moyen de communication, Twitter oriente et, donc, limite les capacités d’expression. Ainsi, en l’employant, nous sommes obligés de devoir faire face à sa logique, voire à la tendance, propre à tout médium, à façonner et à assimiler le message.
Quelle est cette logique ? Pour la voir à l’œuvre, nous pouvons lister brièvement quelques caractéristiques de Twitter et repérer les schémas dans lesquels il nous contraint. Nous pouvons analyser certains de ces aspects parmi ceux qui, dans une perspective philosophique, ont des conséquences significatives. Nous ferons cela en gardant présents à l’esprit ses obstacles et ses ouvertures.
On l’a vu, Twitter permet d’exprimer ses idées et ses pensées facilement et instantanément, par l’intermédiaire des dispositifs mobiles, tels les téléphones portables intelligents, mais en ne dépassant pas 140 caractères. C’est un exemple de blogue en miniature, de microblogue — qui permet donc au sujet de s’exprimer à la première personne, facilitant par le fait même l’égocentrisme et le narcissisme. De plus, Twitter fait partie de l’environnement des réseaux sociaux, ce qui rend possible un partage de nouvelles, d’informations et d’idées d’un réseau social à l’autre. Il instaure par ailleurs une relation asymétrique entre follower et followed, ce qui empêche la naissance d’une réciprocité authentique. De cette façon, une opinion publique, au sens plutôt traditionnel du terme, peut-elle se former, même si sont éliminées la distance et la nécessité d’une médiation entre ceux qui twittent et ceux qui suivent leurs messages ? Enfin, ces messages ont souvent un caractère plus ou moins promotionnel. Dans ce cas, ils entrent dans un flux communicationnel ayant le caractère de la conversation, parfois du simple bavardage. Mais le problème est la façon dont ce flux peut être organisé et vécu.
En outre, jusqu’ici, Twitter a surtout été utilisé par certaines catégories de personnes, qui ont aussi conçu la forme, la fonction et le rôle de ceux qui peuvent devenir les abonnés. Nous trouvons d’abord un premier groupe, des élites politiques et médiatiques — dans ce cas-ci, les journalistes surtout —, c’est-à-dire une techno-élite, formant une minorité très active sur la Toile. Nous trouvons ensuite des personnes moins actives sur la Toile qui, à l’opposé des premières, revendiquent le rôle du spectateur, de celui qui préfère rester à la fenêtre pour regarder ce qui se passe. De là, Twitter contribue à façonner un espace public à la fois similaire et inédit par rapport au passé19. Si nous voulons répondre aux questions posées plus haut, nous devons approfondir certains des aspects que je viens de mentionner. Il faut le faire, encore une fois, à partir d’un point de vue philosophique, dans le but de voir ce que la philosophie peut espérer tirer de Twitter. Les aspects sur lesquels je veux m’arrêter sont la forme énonciative des tweets, l’autorité de ceux qui emploient cette forme d’expression, l’opinion publique qui se dessine et, plus généralement, le public qui les suit.
2. Le primat de l’assertion
Ce qui étonne, dans l’emploi de Twitter, tout comme celui des autres réseaux sociaux, c’est le fait qu’à travers eux, on retourne à des formes communicationnelles au caractère assertif, et cela après un XXe siècle pendant lequel, de toutes parts, le primat du discours apophantique en philosophie a été remis en question. Lorsque l’on s’exprime par tweets, il n’y a pas d’espace pour les questions — peu d’espace, au sens littéral, car peu de caractères —, pour exprimer des doutes et des nuances. Il faut exprimer de manière directe et déterminée ce que l’on veut dire.
À bien y penser, toutefois, il y a davantage : c’est le fait que l’assertion, par le tweet, risque de se transformer en un simple slogan, comme c’est le cas pour la communication publicitaire. Le slogan, en effet, est bien une modalité communicationnelle assertive. Il s’agit d’une assertion réduite à sa forme essentielle, reconduite à des dimensions adaptées pour atteindre leur cible. De fait, les tweets, tout comme les slogans, doivent savoir persuader efficacement.
Cela signifie, entre autres, une transformation précise de notre façon de concevoir la vérité par rapport à cette forme communicationnelle. Le slogan, à la différence de l’assertion, ne doit pas nécessairement se rapporter au réel, qui le mesurerait et auquel il devrait correspondre pour être qualifié de vrai. Au contraire, le slogan, précisément dans sa violence, en ce qu’il veut frapper sa cible, a pour ambition de façonner le réel, voire de l’annuler.
L’idée traditionnelle de vérité comme correspondance risque alors de disparaître, ou mieux, de rester comme la conception de référence, mais seulement en apparence. Nous vivons désormais dans l’âge de la post-vérité.
Dans Twitter aussi se configure la situation paradoxale propre au monde de la communication en général, que j’ai déjà abordée. À nouveau émerge le contexte dans lequel, semble-t-il, la télévision a tué depuis longtemps la réalité. D’une part, en fait, la modalité à travers laquelle est produit le discours télévisuel est, tout comme celui de Twitter, une modalité affirmative. Il s’agit d’assertions plus ou moins séquentielles, plus ou moins articulées, plus ou moins vouées à atteindre une cible. D’autre part, ces assertions n’ont pas vraiment besoin d’une réalité à laquelle se rapporter. En d’autres termes, elles sont capables de créer elles-mêmes leur propre réalité. Il s’agit d’une réalité dépendante du pouvoir de l’assertion — ou de l’autorité du sujet de l’assertion.
En somme, dans sa configuration de slogan, le tweet n’est pas seulement une assertion affirmative, mais plutôt une manière de forcer la réalité à s’uniformiser de façon tendancielle à ce qu’il propose. Il y a ici une ambition particulière à façonner les choses, et même, un sens d’utopie mal compris qui envahit cette intention. Cette ambition et cette utopie sont reliées à la possibilité de créer quelque chose de vrai. Ainsi, si elle veut réaliser ce qu’elle communique, l’assertion implicite dans le tweet doit imbriquer une certaine forme d’autorité — celle qui est en jeu dans la relation entre followers et followed.
3. L’autorité de Twitter
De quelle autorité s’agit-il alors ? Quelle est, en général, l’autorité implicite dans les assertions et transmise par elles ? Quelle est, en particulier, l’autorité des affirmations véhiculées par Twitter, et quelles sont ses relations internes — quels rapports à l’intérieur de l’autorité instaurent-ils ?
L’autorité de l’assertion, en philosophie, ne dépend pas de celui qui énonce celle-ci, ni de son pouvoir petit ou grand, mais plutôt — du moins dans une certaine tradition théorique — du fait que l’assertion, en tant que telle, est vraie. Nous rencontrons, encore une fois, le thème de la vérité. Il s’agit d’une vérité devant apparaître comme évidente, c’est-à-dire devant apparaître à tout le monde comme vraie. Cela peut se réaliser de certaines façons bien précises et liées entre elles. D’un côté, l’assertion est vraie quand elle est irréfutable dans sa structure ; de l’autre, elle est vraie dans sa correspondance à un élément qui, à son tour, est aussi évident. Les deux aspects doivent être reliés comme il faut à une troisième propriété, qui concerne spécifiquement le sujet de l’assertion. Essayons d’analyser ces critères plus en profondeur.
L’autorité du discours apophantique, avant tout, dépend d’une caractéristique de l’assertion en tant que telle, et non d’une qualité spécifique du sujet de l’énonciation — au sens d’un pouvoir plus ou moins grand. Pour cette raison, Héraclite, dans le fragment 50 D.K. de son Traité sur la nature, peut exhorter tout le monde à écouter le Logos plutôt que lui. On peut dire facilement que dans la Grèce antique, la démocratie s’est développée par rapport à cette idée de discours qui voulait mettre hors-jeu, grâce à sa structure, la violence du tyran et la persuasion du sophiste. Un lien émerge, encore une fois, entre un certain type de discours, évalué aussi dans ses effets, et une certaine idée de vérité. Plus précisément, une corrélation est établie entre une conception spécifique du vrai — dans l’optique de la correspondance et de l’irréfutabilité plutôt que de la révélation — et la démocratie vécue par les citoyens, capables de réfléchir et d’argumenter.
Toutefois, ce n’est pas toujours le cas. Dans l’histoire de la pensée occidentale, c’est même très rare. L’exemple de la condamnation de Socrate montre les limites et l’insuffisance d’un discours qui ambitionne d’être accepté iuxta propria principia20. Toutefois, c’est encore la voie choisie par Platon pour éviter que surviennent à nouveau des cas semblables à celui de son maître. En réalité, le problème est que sans la reconnaissance et la crédibilité de celui qui l’exprime, un discours ne peut pas appeler à une dimension commune. La raison de la condamnation de Socrate n’a d’ailleurs pas été la rhétorique exhibée par Anytos et Mélétos, mais plutôt le manque de crédibilité des arguments socratiques, trop théoriques et abstraits.
Aujourd’hui, le contexte est encore plus complexe. La réalité n’est plus un ancrage suffisant pour légitimer nos affirmations, malgré les repropositions fréquentes de certaines nostalgies de type réaliste ; en outre, la spécialisation des savoirs fait en sorte que seul un groupe restreint de spécialistes peut reconnaître l’irréfutabilité de certaines affirmations ; la cohérence, enfin, est chose très rare. La démocratie, au lieu de trouver les moyens d’étendre sa compétence à des milieux plus vastes, y renonce alors pour ne pas se priver du consensus des gens qui ne peuvent pas être des spécialistes. C’est pourquoi elle va se transformer, de plus en plus, en un jeu au sein duquel plusieurs abonnés suivent les mots d’ordre de leur leader.
Tout cela trouve en Twitter un miroir et une importante illustration. L’assertion énoncée en 140 caractères a pour but de frapper les esprits. Pour ce faire, elle doit se transformer en slogan. En tant que telle, l’assertion prétend à une certaine autorité en fonction de la réputation de l’émetteur. Elle renonce tout de même à la crédibilité21, étant donné que cette dernière, à la différence de l’autorité, demande la reconnaissance d’une compétence quelconque de la part de celui qui veut comprendre l’assertion et se l’approprier. Mais on a déjà vu que ce n’est pas ce qui arrive d’habitude dans les démocraties contemporaines. Et règle générale, les critères pour lesquels je deviens l’abonné de quelqu’un sur Twitter sont aussi différents : une amitié, un intérêt pour ce que cet ami peut me dire, la reconnaissance de son éventuel prestige, l’envie de nouvelles que seulement lui pourrait me procurer.
Que se passe-t-il alors ? Comment ce que l’on affirme sur Twitter peut-il se voir reconnaître une forme quelconque d’autorité ? Je ne parle pas ici de l’autorité de l’auteur, ni même de ce qu’il écrit, mais d’une autorité basée sur deux ordres de justification : d’une part, l’acceptation par le public de ce qui est affirmé, et d’autre part, la conformité à la pensée manifestée par la majorité à un moment donné sur le réseau social.
Le tweet, autrement dit, peut acquérir de l’autorité seulement dans la mesure où il accepte d’être soumis à l’évaluation de ce que désormais, empruntant la terminologie de Facebook, on appelle le « j’aime ». Ainsi, on substitue le simple partage à la vraie participation. Si ce que j’affirme plaît, cela peut être retwitté ou marqué comme favori. Si l’on veut, on peut même écrire directement à l’auteur des tweets, en laissant un commentaire aussi court que le tweet.
Ce qu’on laisse au dernier plan, ce dont on peut se passer, c’est la garantie de la vérité de mon affirmation, son lien avec une réalité quelconque dans des termes vérifiables intersubjectivement. De ce fait, l’évidence risque d’être prise pour la simple diffusion de hashtags. Manque aussi la validation de celui qui twitte ainsi que de celui qui lit et peut juger ces tweets. Autrement dit, Twitter, comme plusieurs autres moyens technologiques de communication, peut créer son monde virtuel de façon autonome.
4. La mutation de l’opinion publique
De tout cela, il s’ensuit que Twitter — comme les autres réseaux sociaux et, plus généralement, Internet — ne semble pas utile à la construction et au développement d’une démocratie de qualité par des citoyens capables de contribuer égalitairement à alimenter un discours commun et à prendre des décisions partagées, et ce, malgré plusieurs discours rhétoriques qui circulent à cet égard. Cela s’explique pour les raisons mentionnées plus haut : la mise entre parenthèses, nécessaire dans l’interaction numérique, des compétences spécifiques de ceux qui interagissent ; la pauvreté des formes d’interactions rendues possibles par la Toile ; la difficulté, propre au langage sur le Web, d’articuler des discours argumentés et nuancés ; la possibilité de faire circuler viralement des affirmations hors de tout contrôle ; l’opposition de la dimension virtuelle à une réalité qui a de plus en plus perdu son charme et sa fonction critique d’évaluation ainsi que de vérification des idées exprimées. Mais je ne peux m’attarder ici sur cet argument.
Voici un autre aspect correspondant davantage à ce dont nous sommes en train de parler : Twitter, tout comme Facebook, n’est pas utile à l’institution et à la croissance de ce que, au XVIIIe siècle, on appelait la « République des lettres » ou « des savants »22. Toutefois, malgré les apparences, ce réseau social n’est pas non plus utile à l’émergence et à la consolidation de groupes d’intérêts communs. La raison en est la même que celle que nous venons d’évoquer pour la démocratie en ligne. Ce qui constitue un obstacle est en fait la structure ouverte typique de Twitter et des autres réseaux sociaux, et encore plus, la façon de concevoir la participation des individus à ces milieux d’interactions.
Dans les réseaux sociaux, comme je viens de le dire, l’appartenance n’est pas contraignante. Des groupes d’intérêts se forment et se défont, prenant de l’importance puis disparaissant. Les possibilités d’échange en ligne vont dans des directions toujours différentes, renvoient à des opportunités toujours nouvelles, et font ainsi obstacle à la concentration de l’internaute en un seul lieu.
De plus, dans tous ces espaces, il n’est jamais demandé que la participation repose sur les qualifications. Il ne s’agit pas d’espaces de recherche dans lesquels chacun doit donner sa contribution sur la base de capacités et de compétences bien précises, en reconnaissant la crédibilité de celui qui ajoute au débat une thématique donnée. Ici, chacun est sur le même plan que tous les autres. Tout le monde a la même valeur, tout le monde a accès à la conversation et peut soutenir ce qui est proposé dans l’interaction. « Démocratiquement » — selon une conception simplement quantitative de la démocratie —, tout le monde, du colonel à la retraite au prix Nobel, est sur un pied d’égalité, sans égard à ce dont on parle. Et l’on peut aussi parler de tout et n’importe quoi.
Cela ne s’éloigne pas trop du concept de « masse » élaboré durant le XXe siècle. Toutefois, ce qui est nouveau avec les réseaux sociaux, c’est que cette masse qui fait l’opinion publique n’est pas seulement la cible d’une activité communicationnelle donnée, renforcée peut-être par l’emploi d’outils tels la radio ou la télévision. La masse, aujourd’hui, peut répondre, peut donner son opinion — chacun des individus qui la composent peut dire ce qu’il pense. Mais elle le fait tout en restant une masse23.
En résumé, ce qui change dans l’idée d’opinion publique, telle qu’elle a été conçue dans la culture bourgeoise de l’Occident des trois derniers siècles, c’est le fait qu’aujourd’hui, grâce au Web 2.0, il est possible d’interagir avec ce qui forme l’opinion publique. En revanche, ce qui demeure inchangé malgré les possibilités offertes par les nouveaux outils technologiques, c’est la façon dont la masse est conçue. Elle reste, cependant, un ensemble indifférencié de sujets mis sur le même plan, tous égaux — et donc, interchangeables.
C’est pourquoi, si nous voulons encore parler de la forme de l’expression sur Twitter, les assertions des tweets ne peuvent pas vraiment être considérées comme des aphorismes. Les aphorismes se voient attribuer encore la puissance expressive de leur auteur, conscient de lui-même et de sa propre valeur. Pensons de nouveau à Nietzsche et à la façon dont sa conscience de lui-même a influencé ses vicissitudes personnelles, sa philosophie et le pouvoir d’attraction de celle-ci.
Avec Twitter advient le contraire. Ici, il n’y a pas de conscience de soi non soumise à l’épreuve du public et non absorbée par le flux communicationnel. Tout se réalise à travers un geste instantané — sans le besoin de penser à ce qu’on est en train d’écrire —, lequel se réduit à une expérience de précarité et de contingence. Le temps des nouvelles technologies est, en fait, l’instant. Le vivre pleinement signifie être dans le coup, dire sans filtre aucun ce qui est en train de se passer.
Ne reste donc que l’ombre d’une subjectivité consciente : l’ombre de Narcisse, justement. Ne reste que ce qui est mis à l’épreuve du retweet, symptôme de ce qui est « tendance » pour le public. Ne reste qu’un présage labile causé par la curiosité qu’une assertion donnée, circulant dans le Web, peut susciter, et à l’efficacité qu’elle peut avoir. En un mot : les tweets, déjà graphiquement, ne sont que des fragments, des débris de discours, et non des aphorismes.
5. Le public de Twitter
Le problème, c’est que l’investigation philosophique a besoin d’être communiquée et qu’elle a besoin d’un public ; cependant, ce public ne doit pas être quelconque. Pour sa sélection, la philosophie ne peut pas non plus se conformer à l’intérêt particulier pour une certaine thématique, et donc à la simple envie de suivre ce que le philosophe peut dire, pour des raisons psychologiques ou personnelles. En fait, malgré notre bonne volonté, la parole d’un philosophe peut facilement être mal comprise.
Pour le philosophe, le problème réside dans l’exigence de ne pas renoncer à la communication, et cela sans trahir le contenu et le style de son discours, ni la tradition permettant de le pratiquer. Platon avait cherché à résoudre ce problème — et beaucoup d’autres, après lui, ont fait la même tentative — en réduisant la taille de son auditoire, ou mieux, en formant pour lui-même un public qualifié, celui de l’Académie. Les universités — en excluant les universités de masse d’aujourd’hui — sont les héritières de cette conception.
Dans ce but, l’interaction personnelle entre un étudiant et un maître était privilégiée, la conversation et le dialogue étant les formes d’expression favorites. Tout cela ne peut que changer alors que la philosophie est transmise à travers les médias et devient une pratique s’adressant à tout le monde. C’est ici, alors, qu’elle se doit d’interagir avec la masse, constituée par tout le monde et personne en particulier. Tout cela peut certes ne pas nous plaire, comme c’était déjà le cas pour Kierkegaard et Nietzsche, mais il faut jouer le jeu.
C’est la raison pour laquelle la philosophie, à cause du changement de ses finalités ainsi que de l’opinion publique, est obligée, elle aussi, de changer. Mais il ne lui est pas nécessaire de se limiter à faire de la vulgarisation ou à tenir salon24. Il ne lui suffit pas non plus d’utiliser la rhétorique, même la bonne, celle dans laquelle, comme nous l’enseigne Aristote, l’expression efficace, sachant aller vers le public, est au service de la vérité. Il lui faut surtout trouver un nouvel équilibre entre contenu et forme expressive, entre les anciennes et les nouvelles modalités communicationnelles, entre l’autorité de l’auteur et sa capacité à interagir de façon crédible25 avec son public. C’est exactement ce changement de paradigme, c’est-à-dire le passage d’une autorité intellectuelle imposée purement et simplement à la masse, à une crédibilité s’articulant de diverses façons et que le public peut reconnaître à certaines personnes qualifiées, qui peut rendre possible un usage adéquat des réseaux sociaux.
Malgré tout, le type de communication propre à Twitter peut nous aider dans cette entreprise plus que d’autres formes expressives : cette communication essaie d’offrir à un public plus ou moins vaste des contenus essentiels ; elle peut dire la vérité à travers une structure de diffusion spécifique. Elle nous permet de discuter et de partager des positions crédibles. Tout cela pourrait justement être assuré par le fait même que, sur Twitter, quelqu’un s’exprime à la première personne et s’expose aux effets du réseau social et à un certain public. Et ce quelqu’un demande à être suivi par des abonnés potentiels, qu’il invite à participer avec lui à la production d’un certain savoir.
Pour continuer en ce sens, nous pouvons encore tirer profit d’un dernier facteur, sur lequel je me pencherai un instant : la communauté. La communauté mise en jeu par Twitter est, à bien y songer, une communauté restreinte, et, sous certains aspects, élitiste. Non seulement parce qu’à la fin de 2016, il n’y avait dans le monde que 320 millions d’utilisateurs actifs sur ce réseau social, en comparaison de 1,8 milliard de Facebook (« Lo stato degli Utenti Attivi al Mese sui Social Media in Italia e nel Mondo 2017 » 2016). Mais surtout parce que sur Twitter, suivant une logique de succession d’éléments qui, mis bout à bout, formeront un flux, chacun doit se découper, parmi les nombreuses possibilités à sa disposition, un nombre précis d’interactions. C’est pourquoi nous constatons une spécialisation de la communauté de référence, qui diffère de ce qui se passe en général sur le Web, et en particulier dans d’autres réseaux sociaux. La mer de possibilités de connexions et d’accessibilité aux contenus devient en réalité sectorisée. Mais il faut comprendre quelle forme peut prendre cette communauté ramifiée en secteurs.
Dans le contexte des tweets philosophiques, comme on l’a vu, des communautés spécifiques se forment, dont la tendance est d’encourager le partage d’intérêts communs. Le risque, en revanche, est l’enfermement à l’intérieur du groupe choisi. De ce point de vue, la sectorisation produit des milieux d’interaction plutôt restreints, dont les membres se connaissent entre eux, présentent les uns aux autres leur propre image et se font peut-être de la promotion entre eux. Or ces issues divergent grandement des objectifs initialement poursuivis : c’est exactement le contraire de cette opportunité d’ouverture et de partage qui, structurellement, est propre au Web.
Sur Twitter, cet aspect peut être exacerbé dans la mesure où il se combine avec une structure asymétrique particulière. En effet, celui qui twitte prend une initiative ; or une réciprocité n’est pas spécifiquement nécessaire à l’interaction : il suffit d’avoir quelqu’un qui nous suit ou que nous pouvons suivre. C’est la raison pour laquelle Twitter est bien adapté à la communication politique, à l’information, à la diffusion de nouvelles (même dans des cas d’urgence) et au marketing. C’est d’ailleurs pourquoi Trump et le Pape sont sur Twitter, ainsi que des chanteurs, des footballeurs et des leaders de l’opinion publique. Le risque, encore une fois, est que Twitter puisse perdre son caractère de réseau social pour se réduire à un simple instrument de publicité pour un gourou.
6. Le médium n’est pas le message
Ce n’est toutefois pas là la seule nouveauté. Twitter offre beaucoup d’autres opportunités. Pour pouvoir fonctionner, il a besoin, comme toute interaction communicationnelle, d’intérêt commun et de confiance ; un intérêt pour ce qu’on lira, et la confiance que ce qu’on lit aura été écrit d’une manière adéquate et correcte. Mais Twitter a encore besoin de quelque chose en plus : l’intérêt et la confiance en l’interaction communicationnelle doivent se baser sur la reconnaissance de la crédibilité de celui qui propose son discours, par ceux qui le suivent. S’il n’y a pas cette crédibilité et cette reconnaissance, il n’y a pas de raison de suivre les tweets de qui que ce soit.
Il y a encore une dernière condition plus cruciale, à laquelle j’ai fait référence au début de cet ouvrage ; elle peut sembler banale, mais il n’en est rien. Cette condition est qu’il faut avoir quelque chose à dire. Or il ne faut pas que cette pensée coïncide avec le moyen par lequel on s’exprime. Nous avons besoin, en un mot, de distinguer à nouveau entre le médium et le message.
Faire cela aujourd’hui est certes difficile. La tendance à l’autoaffirmation, à l’autoalimentation et à l’autocroissance ne caractérise pas seulement la structure de tout instrument technologique, mais aussi, en parallèle, le comportement du soi égocentrique qui, au moyen des nouvelles technologies, trouve son expression ainsi que, surtout, la façon dont la masse des usagers se forme et se manifeste aujourd’hui. Nietzsche réfléchi à cette dynamique et à son manque de sens à partir de l’idée de volonté de puissance, conçue comme une volonté qui ne veut toujours et seulement que soi-même. Debord a mis en lumière la logique interne à ce processus, soit le pur et simple exhibitionnisme, à la fois dans la société du spectacle et en tant que société du spectacle. Mais tous les deux ont constaté et théorisé la situation où nous nous trouvons sans être capables d’envisager des possibilités alternatives.
Pour ce faire, il est préalablement nécessaire de récupérer la distinction entre forme et contenu, entre médium et message. Il est nécessaire que le médium devienne l’objet d’une réflexion critique. Il serait bien, et il est d’ailleurs possible, de trouver d’autres modalités expressives pour dire de telles pensées et bien d’autres encore.
En effet, le médium n’est pas le message. L’être ne se dissout pas dans le langage, bien que cela puisse arriver. Mais dans le fait de parler, il y a un supplément inexprimé, et toujours exprimable, qui ne coïncide pas avec la pure et simple structure de l’expression. Ce supplément constitue la condition de possibilité pour un choix qui reste ouvert aux différentes façons de transmettre et de partager un message.
Tout cela, en fait, est compris dans le sens commun façonné par les nouvelles technologies. Communiquer ne semble être qu’une transmission de données d’un émetteur à un destinataire ; or la structure de cette transmission non seulement influence les contenus transmis, mais semble aussi coïncider avec eux. Notre comportement communicationnel ne peut pas ne pas s’adapter à cette situation, et cela d’une façon plus ou moins désenchantée, plus ou moins résignée, plus ou moins servile. C’est ce dispositif conceptuel même — ce destin apparemment inéluctable — qu’il faut remettre en question.
Pour y parvenir, il nous faut commencer — ou mieux, recommencer — en distinguant le médium du message. C’est, en fin de compte, ce que j’ai essayé de faire à travers mon expérience sur Twitter, le sens ultime de ma tentative réalisée grâce à une approche philosophique.
J’ai essayé de voir s’il était possible de garder cette distinction entre forme et contenu. J’ai essayé d’expérimenter de nouvelles modalités expressives pour des pensées à la fois anciennes et nouvelles. J’ai essayé de vérifier si la tradition philosophique, le style de la philosophie, l’amour pour le savoir, la loyauté envers cet amour, donnaient enfin un élément de résistance empêchant que la philosophie ne produise un simple spectacle, se pulvérisant dans la structure d’une communication seulement capable de s’autoalimenter. Car ce qui est en jeu à l’époque actuelle, c’est la dignité et donc la survie de l’acte même de philosopher.
Conclusion
Twitter est un exemple de microblogue. Le blogue peut être une forme intéressante pour faire de la philosophie, à condition que l’on arrive à maîtriser le risque de prolixité et la tendance à l’exhibitionnisme. L’opportunité fournie par Twitter dépend de l’essentialité de l’expression à laquelle on est contraints, en raison de sa forme courte (les 140 caractères). Ce faisant, un risque réside dans la forme de l’assertion qui, limitée à 140 caractères, peut toujours se transformer en simple slogan. Un risque plus notable, en d’autres termes, consiste en ce que le tweet, au lieu d’être une contribution, une hypothèse, une phase à l’intérieur d’un discours à plusieurs voix, ne soit qu’un débris, un simple fragment, isolé et décousu, facile à oublier.
À l’opposé, l’un des aspects positifs de Twitter est qu’il offre la possibilité d’« être dans le coup », de suivre en temps réel ce qui se passe, de l’amener immédiatement à l’attention de tous, de l’exprimer et de le diffuser à grande vitesse26. C’est par ailleurs la raison pour laquelle Twitter facilite la diffusion de nouvelles — le cas par excellence est celui, déjà trop cité, du Printemps arabe — et fait l’objet d’un emploi très large dans le domaine de l’information. De ce point de vue, il influence, en bien comme en mal, les transformations en cours dans le travail du journaliste. Le problème, ici, est que sa forme expressive relève de la contingence, de ce qui subitement s’enfuit et doit être saisi dans l’instant.
À cet égard, l’emploi philosophique de Twitter pourrait presque aller contre la nature de la philosophie : depuis toujours, celle-ci vise à être un discours à la validité durable, puisqu’universellement reconnu ou répondant à une certaine constante du réel. Ce serait certainement le cas si le médium transformait le message. Cependant, si le message influence aussi la forme expressive du médium, alors les choses peuvent se passer différemment. Et Twitter peut alors, dans son usage, être transformé par le contenu qu’il exprime.
En effet, le monde du Web garde toujours un lien particulier avec l’éternité. Ce qui y est publié ne peut être effacé que très difficilement. Le monde du Web vit alors le paradoxe suivant : ce que l’on y exprime est contingent, tout en laissant des traces à jamais. On l’oublie souvent. Le risque est d’éterniser le bavardage — à moins que l’on accepte le défi de twitter des contenus dignes de ne pas être oubliés.
De ce point de vue, en définitive, Twitter exprime bien la modalité selon laquelle le temps est aujourd’hui vécu. Il s’agit, je l’ai déjà dit, d’un temps concentré dans l’instant — ou mieux, d’un temps où le passé et le futur s’écroulent dans l’instant.
On voit alors émerger un autre paradoxe. Twitter implique l’adhésion à la contingence — ce qui y est dit demeure éternellement —, mais cette éternité peut être reçue dans l’instant ; elle se concentre dans cet instant, pour ensuite quitter la scène de l’attention. De cette façon, le virtuel finit par reproduire la structure en deux mondes décrite par Platon : celle où l’éternité structurellement demeure, alors que l’accès à cette éternité ne peut qu’être contingente.
Pour cette raison aussi, comme on l’a vu, Twitter nous oblige à l’essentialité. Il s’agit là d’une autre vertu de la philosophie, qui met à l’épreuve la crédibilité du sujet à travers la comparaison entre ce qu’il exprime et cette essentialité. Twitter a besoin de cette crédibilité pour bien fonctionner. Sa structure, on l’a déjà dit, est hiérarchique, asymétrique.
Cette structure pourrait transformer Twitter en instrument idéal pour la diffusion de slogans politiques ou de marketing, faisant la promotion d’un produit ou d’un personnage. Le problème ici est d’abord de comprendre comment la crédibilité peut être reconnue aujourd’hui, de démontrer ensuite que l’auctorialité ne peut être dissociée de la crédibilité, et d’éviter enfin qu’elle produise des effets autoritaires. En définitive le problème est toujours celui de se mettre d’accord sur une idée de communauté.
La communauté de Twitter fonctionne souvent comme une masse, mais elle n’en est pas une. Cette communauté est le produit d’une sélection — de la décision de suivre quelqu’un et de la disponibilité à être suivi. Dans Twitter une spécialisation des relations des usagers est toujours à l’œuvre, sans effacer tout de même la possibilité d’un élargissement.
Le problème, cependant, est celui de la qualité de ces relations, qui sont le plus souvent des relations de partage et non de participation. Par exemple, dans le don, on partage ce que l’on a et ce que l’on reçoit : partager est la façon dont nous redonnons ce qui nous a été donné. Or dans les réseaux sociaux, ce processus se réduit souvent à un niveau minimal. Le partage se fait en un clic, manifestation d’un avis instantané, sans articulation ; il devient alors une manifestation ultérieure du caractère massificateur de ces formes communicationnelles.
En somme, si Twitter peut être utilisé par la philosophie d’une façon productive, il doit devenir le lieu où l’on fait des choix bien précis. Il s’agit d’un choix pour l’éternité dans l’instant, et non pour la contingence de l’emploi usuel de ce réseau social ; d’un choix pour le développement de relations capables d’engendrer, le plus possible, des formes de participation, et non de simples partages ; d’un choix pour l’expression d’une crédibilité responsable, vérifiée et évaluée par les abonnés, et non d’une autorité s’imposant simplement à travers des slogans ; d’un choix, enfin, pour une forme d’expression déterminée au sein d’autres formes d’expression possibles, pouvant communiquer adéquatement ce à quoi je tiens.
En un mot, Twitter peut donner lieu à la création d’un espace communicationnel commun, et non à une simple transmission d’informations ; dans cet espace, chacun pourrait contribuer au développement du discours et à la signification de sa narration. Twitter peut être conçu et utilisé, dans son ensemble, comme un texte. C’est seulement à ce moment que la chouette pourra commencer à gazouiller.
Bibliographie
Comptes Twitter consacrés à la philosophie
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Pour l’histoire de la structure de Twitter, voir, en français, les livres de Belmonte (s. d.) et de Le Guillouzic (2016); en anglais, celui de Fitton, Hussain, et Leaning (2015). La naissance et le développement de Twitter font l’objet du récit de Bilton (2013).↩
 À ce sujet, je me permets de renvoyer à mes livres TeorEtica. Filosofia della relazione, (Fabris 2010) et RelAzione. Una filosofia performativa, (Fabris 2016). J’ai ensuite approfondi les retombées éthiques du comportement technologique dans mon Etica delle nuove tecnologie, (Fabris 2012) et dans Etica della comunicazione, (Fabris 2015).↩
 Pour un approfondissement de cette question, en relation aussi à l’engagement politique heideggérien, voir les volumes de P. Trawny, Heidegger et l’antisémitisme. Sur les « Cahiers noirs », (Trawny 2014) et de M. Cohen-Halimi et F. Cohen, Les cas Trawny : à propos des Cahiers noirs de Heidegger, (Cohen-Halimi et Cohen 2015).↩
Voir Stephan Porombka (2014) et Meyer, Drees, et Porombka (2013).↩
Voir les textes Baudrillard (1981), Baudrillard (1991), Baudrillard (1997b) et Baudrillard (1997a).↩
Voir par exemple McLuhan et Gordon (2003), premier chapitre.↩
Mais si au contraire on le croit — ou on croit le croire —, alors vraiment, « l’être qui peut être compris est le langage », au sens où le seul et l’unique être des choses est absorbé dans le jeu d’une infinie exprimabilité. On comprend alors comment la lecture de Gadamer faite par Gianni Vattimo a eu un aussi large succès : elle n’était pas philologiquement correcte, mais, en revanche, bien adaptée à l’esprit du temps. (On verra, sur ce point, ce que dit Vattimo lui-même dans son article Vattimo (2000), p. 499-513.) Peu importe qu’il s’agisse d’une mésinterprétation. Peu importe qu’il s’agisse ici de la mise en scène d’une perspective de dissolution. Gadamer et McLuhan, interprétés de cette façon, finissent par s’accorder aimablement. Et la philosophie, déjà affaiblie dans le contenu à proposer, n’a rien d’autre à faire que de contempler le spectacle de son propre déclin.↩
Voir par exemple Silver (2015), Balagué, Fayon, et Serfaty (2016) et March (2016).↩
Pour en savoir plus sur les caractéristiques fondamentales de l’écriture autobiographique, voir Miraux (2009), Lejeune (2008) et, en italien, Poma (2013).↩
Le groupe se présente comme la « première expérience de philosophie sur Twitter, une idée de @Massarenti24 et @LunaOrlandoG et alimenté grâce à la communauté ».↩
Le groupe se présente à son tour comme « la #Philosophie en un tweet selon Gianluigi Coppola ».↩
Voir par exemple (bien que l’intérêt proprement philosophique soit variable) : Philosophy Now (@PhilosophyNow), Philosophy News (@philosophynws), Philosophy Muse (@philosophy_muse), PhiloQuotes (@philo_quotes), Philosophy Talk (@philtalkradio), Philosophy Tweets (@philosophytweet), New Philosophy Books (*@_philosophers*), et encore le compte Twitter des maisons d’édition spécialisées en philosophie et des revues philosophiques.↩
J’ai trouvé par exemple 5 groupes dédiés à Platon, 4 à Aristote, 2 à Descartes, 1 à Kant, 2 à Hegel et 4 à Heidegger. Souvent, cependant, la référence à un grand philosophe était un prétexte plus ou moins ironique. Et de toute façon, il s’agit de comptes se succédant très rapidement, même s’ils disparaissent très rarement. À l’égard du lien entre philosophie et mort, je signale le profil Philosophy Is Dead (@LivesOrDies). (N.d.T : en anglais dans le texte)↩
Je me réfère par exemple à Vox Philosophiae (@voxphilosophiae), à Philosophie News (@PhilosophieNews), à Philosophie magazine (@philomag), à Philosophie (@La_Philosophie), à Livres Philosophie (@LivresPhilosoph). À noter également, l’expérience de PhiloTravail (@Philotravail), qui est « un chantier de l’asso. Philolab. Son but : développer la pratique philosophique dans le monde du travail. » (N.d.T. : en français dans le texte)↩
C’est ce que font surtout Filosofia (@FILOSOFIA; @Filosofia; @Filosofias), Filosofo (@FilosofoDice) et Frases de Filósofos (@UmFilosofoCitu), suivis par des dizaines de milliers, voire même, dans le cas du dernier, un million d’abonnés. (N.d.T. : en espagnol et en portugais dans le texte)↩
Les Baci Perugina sont des friandises italiennes très populaires. Il s’agit de bouchées de chocolat aux noisettes enveloppées d’une pellicule dont l’envers comporte des citations d’auteurs renommés. (N.d.T.)↩
Un résultat analogue, à mon avis, est aussi celui produit par une autre belle tentative d’écriture en tweets et par la réflexion dans Twitter sur la pratique même de l’écriture : voir — quoiqu’influencé par un important changement de forme, du numérique au libre papier et à l’e-book — les tweets regroupés par K. Anske dans Blue Sparrow. Tweets on Writing, Reading and Other Creative Nonsense, (Anske 2015). Voir aussi, en français, E. Rensin, A. Aciman, La Twittérature : Les chefs-d’œuvre de la littérature revus par la Génération Twitter, 60 chefs-d’œuvre de la littérature en vingt tweets, (Rensin et al. 2010).↩
Comme dans le cas, pour donner un exemple, de Nigel Warburton (@philosophybites, qui se présente comme « philosophe freelancer, podcaster, écrivain »), auteur, avec David Edmonds, d’une courte histoire de la philosophie ayant eu un grand succès, composée par des entrevues en podcast de plusieurs intellectuels (une version papier existe aussi). Et comme dans le cas, pour donner un autre exemple, de Jan Kyrre Berg Friis (@JanKyrreFriis), qui fait des recherches sur la perception visuelle et qui diffuse des nouvelles et des contenus à caractère philosophique.↩
Selon ses propres principes. (N.d.T.)↩
On a choisi de traduire par « crédibilité » le terme intraduisible autorevolezza, qui indique une forme d’autorité basée sur une reconnaissance partagée du prestige, de l’estime ou de la considération de quelqu’un. En italien, le terme se différencie d’autorità, « autorité », en n’ayant pas de connotation officielle, institutionnelle. Dans la suite du texte, « crédibilité » renvoie à autorevolezza. (N.d.T.)↩
En français dans le texte. (N.d.T.)↩
Voilà pourquoi, en tenant compte du développement de cette question par rapport à l’emploi des nouveaux instruments de communication, les recherches de J. Habermas (Habermas et Buhot de Launay 2014).↩
« festival di filosofia »dans le texte italien (N.d.T).↩
On utilise « crédibles » pour assurer la cohérence de la traduction des termes liés à autorevolezza. (N.d.T.)↩
Voir à ce propos, maintenant, l’expérience de polemictweet.com↩