André Gorz (1923-2007) fut un « intellectuel influent » (Fourel 2012, 25). Ami et compagnon intellectuel de Jean-Paul Sartre, membre du comité de rédaction des Temps Modernes, fondateur du Nouvel Observateur, contributeur à de nombreux journaux tels que Le Sauvage, celui qui signa aussi sous le nom de Michel Bosquet et dont le nom d’état civil était Gerhard Host traversa le siècle en lui prêtant la plus extrême attention, en proposant à ses contemporains des analyses qui ne craignaient pas de sortir des catégories du moment. Il nous a quitté comme il avait vécu : fidèle à ses convictions, puisqu’il a choisi de suivre son épouse dans la mort. Son œuvre a rencontré un écho important, auprès de divers publics, principalement autour de l’écologie politique, de l’écosocialisme1 et de la critique du travail, chez les intermittents du spectacle ou les chômeurs.
Dans cet article nous revenons sur l’ensemble de son œuvre, que nous proposons d’articuler en quatre périodes, à la différence d’Arno Münster qui propose une périodisation en deux temps : la période de la formation jusqu’en 1970 puis la maturité (Münster 2008). Le débat continuera sans doute entre spécialistes, à ce sujet. Au-delà de cette difficulté, l’article vise aussi à exposer le cheminement d’un auteur et les articulations d’une pensée originale qui, comme telle, sera toujours difficile à catégoriser. Nous nous intéressons ici principalement aux écrits de Gorz, à sa pensée politique ; pour les aspects biographiques, d’autres textes sont disponibles et sont cités dans le corps de l’article. Nous ne cherchons pas non plus à savoir ce que Gorz doit à Sartre, bien qu’à notre sens toute son œuvre soit largement dépendante de l’auteur de la Critique de la Raison Dialectique, comme Gorz lui‑même l’a reconnu à plusieurs reprises.
I. Gorz existentialiste – 1946-1955
Le compagnonnage intellectuel auprès de Sartre s’annonce dès l’ouverture de Fondements pour une morale, quand Gorz affirme en introduction que le problème du fondement d’une axiologie demeurait alors ouvert et que L’Être et le néant vint combler ce manque (Gorz 1977, 13). Dans cet ouvrage écrit entre 1946 et 1955 mais publié tardivement (1977), Gorz défend des thèses extrêmement proches de celles de Sartre, jusque dans le mode d’exposition, à la fois très littéraire et structuré en une suite d’expériences différentes. Le thème général est celui d’une vie aliénée ou inauthentique, avec l’idée que le choix de la liberté est toujours ouvert. La vérité n’existe que sur le mode de l’authenticité (Gorz 1977, 68). À tout moment, nous pouvons choisir d’exister plutôt que d’être (Gorz 1977, 588). Nietzsche est dépeint en héros nazi, apologue de l’auto‑affirmation de la force, gratuite, jouissant de soi (Gorz 1977, 315), à l’opposé de l’authenticité sartrienne. Une vie aliénée se caractérise comme naturalisant le malheur (Gorz 1977, 165), sous la forme de l’épicurisme (cultiver son jardin), du stoïcisme (la liberté est intérieure) ou de la résignation religieuse (Gorz 1977, 203). Le choix de la liberté est une conversion morale (Gorz 1977, 433). Le marxisme est « reconquête totale de l’homme  » (Gorz 1977, 587), mais ses tâches sont devenues approximatives et doivent être reprises à nouveaux frais. Heidegger est peu cité, à la différence de l’Être et le Néant, mais l’influence est perceptible. Évoquant indirectement les controverses autour de Heidegger, Gorz estime qu’il fallait avoir une solide formation politique ou morale pour éviter de suivre le mouvement nazi, ne serait-ce que quelques trimestres (Gorz 1977, 242, note 1).
Gorz consacre aussi de longues pages aux « attitudes esthétiques » telles que la joie ou le beau. Il distingue trois catégories de figures incarnant ces attitudes : « l’instantanéiste », qui se pose en spectateur détaché (Gorz 1977, 293) ; l’aventurier et le joueur, qui incarnent ensemble la nécessité et l’impossibilité de l’Homme au travers de l’inutilité de leurs activités, conquête des montagnes, passion automobile ou du jeu ; enfin le révolté, le poète et le saint. Le révolté est un contre-existant, il se lève contre l’objectivité. Vaincu, il devient poète, l’objet de toute poésie authentique étant « d’élever un monument à cette totalité impossible de l’homme, de l’indiquer à travers l’insatisfaction, la souffrance, la défaite et la désagrégation poétique du langage glissant au silence et du monde glissant au néant, éclaté par l’innommable contingence de l’être » (Gorz 1977, 393). Le saint est quant à lui « la tentation du pour-soi pour coïncider avec l’exigence absolue de la subjectivité universelle et rejoindre, par-delà le déchirement de l’échec et de la révolte, une bonne conscience heureuse » (Gorz 1977, 405). Ces attitudes sont un échec, l’authenticité réside dans la liberté : « c’est dans son projet vers la valeur que ma liberté réside. Si je veux être libre, c’est d’être projet – c’est-à-dire précisément de ne pas être mais d’exister – que je dois choisir. […] La seule réussite possible, c’est de choisir d’être projet et de m’unifier comme tel avec moi-même, en renvoyant l’idéal de l’être-soi à l’infini de son évanescence pour toujours exister vers lui sans jamais prétendre être lui » (Gorz 1977, 445), sachant que je suis mon engagement dans le monde, et non un quelconque moi purement intérieur. La valeur subjective d’une fin n’est jamais suffisante, elle doit encore s’éprouver dans le monde (Gorz 1977, 474). Le « progrès absolu réside dans l’adéquation progressive des techniques au but, dans l’opération consciente par laquelle une exigence, s’éprouvant comme aliénée, entreprend d’égaler ses actes à son intention et de se donner, par approximations successives, les moyens de son effectuation » (Gorz 1977, 502).
Alors que Gorz passe à juste titre pour l’un des théoriciens de l’écologie politique, la question n’était pas, à cette époque, au centre de ses analyses. Fondements pour la morale fustige les « nostalgies naturistes » (Gorz 1977, 166) tout en exaltant la « puissance protéenne » (Gorz 1977, 182) qui est celle de l’humanité. Si la machine et la technique sont critiquées, c’est dans la mesure, socialiste et marxiste, où celles et ceux qui les font vivre sont les derniers à pouvoir décider de leur usage, tant sur le lieu de travail qu’en ce qui concerne les finalités de la production. C’est au nom de l’aliénation engendrée par le capitalisme qu’une telle critique est menée, en tant qu’il est un élément déconnectant l’humanité d’avec elle‑même, via la propriété privée. Le souci de Gorz, dans ses deux premiers ouvrages, est le même que celui de Reich, Marcuse et bien d’autres : combler l’écart existant entre la théorie marxiste – qui raisonne de manière structurelle et macroscopique, en termes de rapports de production, d’infrastructure et de superstructure – et ce que vit l’individu, dans sa chair, dans son être et dans ses aspirations authentiques. Mais l’individu, c’est d’abord « le producteur », la classe émancipatrice, le prolétariat ; il n’y a pas d’écart entre ce que Gorz soutient sur cette question et l’axiome de base du marxisme classique.
La critique gorzienne des besoins, qui va trouver un fort écho du côté écologiste, doit donc être replacée dans le contexte de l’état de la théorie politique de l’époque. Les années 1950 et 1960 signent en effet un certain « retour à Hegel » qui n’est pas propre à Gorz, ni à Sartre (Descombes 1979 ; Barot 2011). C’est avant tout le résultat d’une crise du marxisme que Postone appelle « traditionnel » et que Bidet appelle « classique ». Les explications sont nombreuses et nous ne pouvons que les évoquer très rapidement ici : redécouverte des écrits du jeune Marx, critique du socialisme réellement existant, redécouverte de Hegel au travers des cours donnés par Kojève (d’ailleurs cités par (Gorz 1967, 219)), mais aussi évolution de la situation économique des travailleurs, du fait de la différenciation des activités et des conditions d’une part (la situation étudiante est fort différente de celle des ouvriers, par exemple), et d’autre part de l’élévation du niveau de vie, qui ruine la thèse marxiste classique de la paupérisation progressive du prolétariat. Comment penser et faire la révolution quand la théorie qui prétend en être dépositaire s’écarte à ce point, et de plus en plus, de ce qui est son carburant le plus essentiel : l’aliénation telle qu’elle est vécue ? L’existentialisme est d’abord l’un des nombreux produits de cette nouvelle situation.
Le traître est considéré par Gorz comme une mise en œuvre des instruments contenus dans Fondements pour une morale (Gorz 2005). C’est un ouvrage d’autoanalyse ou de « psychologie existentielle » (Münster 2008, 22), dans lequel Jean-Paul Sartre apparaît sous le nom de Morel. « L’intelligence de Gorz frappe dès le premier coup d’œil : c’est une des plus agiles et des plus aiguës que je connaisse », écrit l’auteur de La Nausée dans la préface. « Le Traître ne prétend pas nous raconter l’histoire d’un converti ; il est la conversion elle-même », poursuit-il. Et cette conversion est conversion à la liberté. Le livre connaît le succès et c’est par lui que son auteur accède à la notoriété. Jean-Paul Sartre écrit encore, dans cette introduction, que « Gorz, en s’inventant, ne vous a pas déchargés du devoir de vous inventer. Mais, il vous a prouvé que l’invention totalisante était possible et nécessaire. En fermant le livre, chaque lecteur retrouve son propre maquis, les arbres vénéneux de sa jungle : à lui de frayer ses chemins, seul, de se défricher, de mettre en fuite les Vampires, de faire éclater les vieux corsets de fer, les vieilles actions éreintés où la résignation, la peur, le doute de soi l’ont enfermé. »
IV. L’espoir des TIC : retour à un marxisme plus classique ? 1983-2007
Reprenant la thèse marxiste d’une abolition du capitalisme au moyen de ses propres contradictions, Gorz scrute désormais l’évolution du domaine hétéronome, cherchant ce qui pourrait augurer un tel dépassement. Les Grundrisse reviennent au centre de son analyse. Comme beaucoup d’autres observateurs de son époque, il voit dans l’automatisation et l’informatisation grandissante la cause majeure du chômage de masse. Les heures travaillées baissent et la production augmente. C’est un problème, mais c’est aussi une chance, dit Gorz. Car « à la différence des mégatechnologies de la période industrialiste, qui faisaient obstacle à un développement décentralisé, enraciné dans les communautés de base, l’automatisation en effet, est en elle-même socialement ambivalente. Alors que les mégatechnologies étaient des technologies-verrou, la micro-électronique est une technologie-carrefour : elle n’interdit ni n’impose un type de développement » (Gorz 1983, 183). Gorz voit là une contradiction à l’œuvre11, un négatif producteur de positif : la lutte des classes, ayant poussé le capitalisme à l’avènement des technologies de l’information rend possible, du fait de sa quête de profit, un nouveau type de coordination. C’est donc un succès de la lutte des classes (Gorz 1983, 36), qu’il faut maintenant savoir saisir. Comme Antonio Negri et Michael Hardt à la même époque, Gorz relit les pages consacrées par Marx dans les Grundrisse à la description d’une époque à laquelle le temps de travail ne serait plus le déterminant de la production, étant remplacé par l’intelligence et la cognition12. Le capitalisme nous entraîne vers ces « sociétés programmées » décrites par Touraine – mais rien n’est encore perdu, car une possibilité est ouverte pour les contrôler.
Mais qui se saisira de cette possibilité ? Gorz n’a plus confiance dans le mouvement ouvrier. Il cherche alors à identifier d’autres catégories qui, étant dépouillées de la propriété des moyens de production, seraient donc porteuses d’une subjectivité émancipatrice, selon le critère mis en avant par Marx. Comme Negri et Hardt, dont il semble ignorer les travaux, Gorz identifie la masse des exclus ou des indifférents au travail comme étant disponibles pour forcer sa réorientation(Gorz 1983, 79). La voie de sortie du capitalisme passe donc par un revenu social, qui nous ferait sortir du salariat. Le travail rémunéré serait limité à 1000 heures par an (20 000 heures tout au long de la vie) et devrait être considéré comme une astreinte, un « service » de la mégamachine13. Cela permet d’ouvrir tout un champ pour des activités autonomes, dont Gorz aura toujours à cœur qu’elles ne se réduisent pas à des activités privées, car elles sont aussi pour partie l’expression de la société civile en tant que facteur structurant de l’espace public. Le risque de repli sur soi est d’ailleurs la raison principale de la longue opposition de Gorz à un « revenu universel ». Sortir du salariat, oui, mais le revenu doit rester conditionné au travail ; le contrôle de la sphère hétéronome doit demeurer collectif, et le travail reste un lieu permettant de lutter contre la dépolitisation capitaliste par la consommation. Une sortie du capitalisme n’est pas concevable sans une société civile (Gorz 2004, 78) et une activité syndicale fortes. Gorz estime que les nouveaux mouvements sociaux manquent de prise sur la base matérielle du capitalisme.
Gorz reste attentif à l’évolution de l’économie. Il souligne le risque de l’informatisation et la robotisation de nous conduire vers une société dualiste, avec d’un côté les bénéficiaires de l’économie et de l’autre leurs serviteurs, issus du chômage de masse produit par les nouvelles technologies. « L’utopie industrialiste nous promettait que le développement des forces productives et l’expansion de la sphère économique allaient libérer l’humanité de la rareté, de l’injustice et du mal-être ; qu’ils allaient lui donner, avec le pouvoir souverain de dominer la nature, le pouvoir souverain de se déterminer elle‑même ; et qu’ils allaient faire du travail l’activité à la fois démiurgique et auto-poiétique en laquelle l’accomplissement incomparablement singulier de chacun est reconnu – à la fois comme droit et devoir – comme servant à l’émancipation de tous. De cette utopie il ne reste rien. » Cela ne veut pas dire que tout est vain, mais qu’il faut changer d’utopie (Gorz 2004, 23). Marx voyait dans le travail un acte de socialisation. L’évolution a montré que le prolétariat a été fonctionnellement intégré puis socialement désintégré. L’idéologie du travail est donc entrée en crise. De plus en plus de richesses sont produites avec de moins en moins de travail, ce qui nous conduit à une possible libération du travail, qui est aussi une libération dans le travail. C’est une possibilité à saisir : nous devons forcer la technique à accoucher d’une telle utopie, et lutter notamment contre la tendance du capitalisme à coloniser toutes les sphères du monde vécu. La définition du socialisme doit désormais être trouvée chez Karl Polanyi, et consiste à subordonner les activités économiques à des fins et des valeurs sociétales : moins, mieux, et autrement (Gorz 2004, 238). En 1991, Gorz prend acte de l’effondrement du socialisme compris comme système de rechange et jette les bases d’un écosocialisme (Gorz 1991  ; Münster 2008) avant la lettre. Les urgences objectives sont la restauration écologique de la société, l’arrêt du renouvellement, le temps choisi mais aussi la décroissance de la production par autolimitation des besoins, se comprenant elle‑même comme reconquête de l’autonomie, y compris à l’échelle de l’Europe. La sphère du travail demeure hétéronome, mais elle peut passer sous un contrôle public, par l’intermédiaire d’un « plan‑cadre », qui permettrait d’organiser l’économie sans supprimer la concurrence ni la connaissance des coûts. Le travail n’est plus la principale force productive, le temps de travail n’est plus la mesure de la richesse : le revenu est devenu indépendant du travail. La politique du temps est donc devenue décisive, pour sortir du capitalisme.
L’évolution des technologies de l’information renforce Gorz dans sa conviction que la force de travail a cessé d’être la principale source de valeur, comme le prédisait Marx dans les Grundrisse. C’est la raison qui le conduit à défendre l’idée d’un revenu garanti (Gorz 1997, 134). La connaissance est désormais le moteur, ce qui met fin à « l’ère énergétique » (Gorz 1997, 17) du capitalisme. Ce « travail cognitif », n’étant pas appropriable, est un bien commun, d’essence sociale (Gorz 2003, 40). Dès lors, le capitalisme ne peut plus tirer de valeur qu’en cherchant à enclore ou à limiter la diffusion libre du savoir. Ne cherchant qu’à créer des positions de rente, cette activité détruit plus de valeur qu’elle n’en crée (Gorz 2008, 32). Le hacker est le héros qui lutte contre cette emprise. Dans le même temps, l’automation détruit massivement de l’emploi. La population productive au sens matériel du terme ne représente plus qu’une partie très réduite de la population active pendant que les autres se trouvent dans des emplois précaires de services, notamment de services à la personne. D’où la prolifération de super-riches d’un côté et de bulles financières de l’autre : c’est une crise classique de surproduction. Gorz répète que si le stade du communisme est celui du plein développement des forces productives, alors « nous avons virtuellement atteint ce stade » ; aussi la sortie du capitalisme a‑t‑elle déjà commencé14 (Gorz 2008, 25). L’alternative est dans l’expansion d’activités autoproduites connectées à l’échelle du globe, des « digital fabricators » et autres artisanat high tech (Gorz 2008, 41), explique un Gorz manifestement séduit par ce qui se passe dans le domaine du logiciel libre. Gorz n’a pas repris confiance dans le mouvement ouvrier, qu’il juge toujours subordonné au capitalisme[^15] (Gorz 2008, 137). Mais la lutte des classes a bien accompli son rôle : elle a fait émerger les forces nécessaires à son propre dépassement. Ce n’est qu’une possibilité à saisir, toutefois, et non une nécessité. C’est une « utopie concrète » (Gorz 2008, 119) qui implique la lutte car des forces contraires, incarnées par Lévy (2000), Kurzweil (2007) et d’autres partisans du « transhumanisme » célèbrent une utopie radicalement différente, dans laquelle chacun serait entrepreneur de soi-même et où l’humanité disparaîtrait dans le « post-humain » (Gorz 2003, 105 et p. 148), une utopie négative qui semble revenir pour Gorz à une sorte d’autosuppression de soi.
Conclusion
Parti de l’existentialisme, Gorz a évolué vers un marxisme soucieux des situations réellement vécues par les individus. Il a pris acte du pluralisme des mouvements sociaux, tout en maintenant une certaine fidélité à Marx et à l’idée que les besoins universels ne pouvaient être exprimés que par les plus démunis. La critique écologiste l’a conduit à engager une rupture avec le marxisme sur la question de l’évolution technique, à propos notamment du nucléaire. Les années 1980 à 2000 sont ensuite marquées par une marginalisation progressive de la critique proprement écologiste, avec le retour de l’idée marxiste classique que les technologies sont de l’information étant simplement susceptibles de différentes appropriations, sans que leur contenu énergétique et matériel ne soit jamais problématisé. À un journaliste qui lui fait la remarque, Gorz l’évacue : le silicium est abondant (Gorz et Gianinazzi 2015, 53‑54). « Penseur de l’écosocialisme », Gorz présente les ambiguïtés de ce courant, peu disert sur les moyens concrets qui permettraient de « s’approprier » la partie hétéronome de la structure productive, et incertain quant à ses engagements écologistes. Jean‑Pierre Dupuy soulignera à juste titre l’écart énorme qui existe entre Gorz et Illich, sur le plan des philosophies de l’histoire (Fourel et Caille 2013, 102). Attaché à la modernité, Gorz a toujours fustigé l’utopie « désindustrialiste » des Verts les plus radicaux (Gorz 1991, 28), qu’il appréhendait comme un retour au stade religieux15. Il est resté étranger à la critique du développement et aux théories postcoloniales, qui nous permettent en grande partie de sortir de la dichotomie entre moderne et prémoderne – enjeux auxquels Illich, au contraire, était sensible.
Bibliographie
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Thèse défendue notamment par Münster (2008) et Gollain (2014).↩
Sartre officialise son débat avec le marxisme en 1946, voir Barot (2011, 14).↩
Le débat est organisé par le Nouvel Observateur et a lieu à Paris le 13 juin 1972 ; il accueille Marcuse, Mansholt, Edmond Maire, Edgar Morin, Edward Goldsmith, Philippe Saint Marc et Gerhard Horst sous le nom de Michel Bosquet.↩
« L’idéologie sociale de la bagnole » est un article paru dans Le Sauvage en 1973 et repris dans Gorz (1978, 77).↩
Ainsi Guy Biolat, responsable de la commission environnement au PCF qui publie un livre très informé (Biolat 1973) ou Jacques Droz qui regroupe l’écologie et les événements de Mai 68 dans un article sur le « gauchisme », n’y voyant qu’un phénomène d’intellectuels (tome 4 de son Histoire du capitalisme, p. 625).↩
« De l’électronucléaire à l’électrofascisme », Le Sauvage, 1975, et repris dans Gorz (1978, 114).↩
« Leur écologie et la nôtre », Le Sauvage, 1974, et repris dans Gorz (1978, 9).↩
Commentaire sur CFDT, Les dégâts du progrès, Paris, Seuil, 1977, en annexe à Gorz (1980).↩
L’expression est de Mumford (1973)  ; reprise notamment par Latouche (1995).↩
Expression que Gorz renvoie notamment à Touraine (1969).↩
Comme le suggère aussi Patrick Viveret dans Fourel (2013, 54).↩
Dans Fourel (2012), Carlo Vercellone soutient une thèse similaire à propos de l’incompatibilité substantielle entre capitalisme cognitif et économie de la connaissance (p. 96) ; dans le même volume, Antonio Negri avoue être partagé entre deux attitudes : l’admiration pour le travail de Gorz et la proximité avec le sien, mais la difficulté de comprendre le reproche de théoricisme que Gorz emploie contre lui (p. 191). Les pages suivantes montrent en effet que des désaccords existent, sur fond de thèses proches.↩
La rémunération est constante mais les 20 000 heures sont comptabilisées. À ceux qui en questionnent la faisabilité, Gorz répond que ces heures sont déjà comptabilisées, par les caisses de retraite (Gorz 2004).↩
Le texte est de 2007.↩
Entretien paru en 1990 et publié tardivement dans Le fil rouge ; Gorz dit que la problématique de la réconciliation entre l’homme et la nature n’apparaît que tardivement. Si on la prend au sérieux et qu’on en fait la base d’une éthique, alors on aboutit au bouddhisme et à l’hindouisme, c’est‑à‑dire à une non‑intervention dans la nature et au travail fait par les parias. Sa vision de la nature est celle d’un terrain de lutte. La question qui se pose à l’humanité est celle de l’autolimitation ; vivre en harmonie avec la nature renvoie nécessairement à une conception organique du monde et conduit à l’écofascisme.↩