L’avenir est aux robots et aux algorithmes, cela nous est répété à l’envi. Mais simultanément, beaucoup s’inquiètent du devenir de personnes manquant de plus en plus d’échanges réels et dont l’insertion dans le monde dépend des médias. Les évolutions, sur ce plan, dépendent de la capacité des grandes entreprises du secteur à combiner la dimension relationnelle à la diffusion de programmes. L’interactivité accompagne aujourd’hui la diffusion unidirectionnelle des médias vers le public (sur catalogue comme en diffusion programmée), il nous faut comprendre comment les acteurs majeurs de ces médias espèrent la développer. La récente lettre ouverte de Mark Zuckerberg (Zuckerberg 2017) est à cet égard un jalon significatif. Après avoir offert à des millions de gens des pages pour interagir en privé et avoir mis en réseau la plupart des entreprises autour de la planète (ce qui les rapproche de leurs clients et de leurs contacts), Facebook et ses plateformes associées – principalement Messenger, Instagram et What’sApp – imaginent une nouvelle phase de leur développement. La taille critique atteinte par l’entreprise et les ressources immenses qu’elle peut mobiliser en bourse lui permettent d’engager des investissements considérables dans l’intelligence artificielle pour franchir une étape radicalement neuve.
Il ne s’agit de rien d’autre que de créer pour chacun un environnement cognitif et relationnel à la mesure de ses besoins et de ses capacités. Facebook procurerait alors à l’humanité une base pérenne dont l’efficacité irait croissant en fonction de l’activité déployée par chacun sur ces plateformes, afin de renforcer la fidélisation tout en ouvrant à des retours financiers gigantesques. Mais il s’agit là d’un défi colossal qu’aucune organisation ne s’était proposé jusqu’ici. Comment aborder les zones frictionnelles qui, fut-ce de manière estompée, retentissent au cœur des réseaux sociaux à partir de conflits politiques aux interprétations controversées ? Qu’il s’agisse de guerres ou d’idéologies, d’élections ou de la diffusion de documents faisant état de situations particulières, méconnues, marginales, éventuellement choquantes, comment la communication en réseau peut-elle éviter les surenchères, les schématismes et les simplifications outrancières, les propos intentionnellement falsifiés et autres manipulations qui verraient s’enflammer des discussions aussi stériles que porteuses d’exclusion ?
Quelles que soient les limites des hypothèses formulées par le patron de Facebook, un tel exercice est d’une redoutable complexité. L’avenir nous dira si les voies choisies par Mark Zuckerberg sont réellement porteuses de l’hybridation qu’il espère : modération des propos, diversité des points de vue et structuration d’une communauté mondiale focalisée sur ceux qui mènent des actions positives là où leur vie se déroule.
Un nouveau monde de données
Jusqu’à présent, Facebook avait axé son déploiement planétaire en greffant ses serveurs et ses réseaux dans un système technique et juridique créé indépendamment de lui. Les infrastructures de télécommunication et les machines professionnelles ou personnelles ainsi que les protocoles de connexion et de dialogue formaient un écosystème accueillant les innombrables pages dont Facebook assure la maintenance. Plateforme mondiale majeure, Facebook stimule la demande de matériels informatique et de télécommunication et a principalement besoin de bande passante et de réseaux fonctionnels. Opérateur de la maintenance et de l’accès à des milliards de pages, Facebook a créé un service universel dont la valeur est immense. L’entreprise est bénéficiaire grâce à la croissance très rapide de son chiffre d’affaire publicitaire, mais c’est sa valeur en bourse qui lui permet d’investir pour renforcer son hégémonie sur les services numériques.
Mark Zuckerberg envisage le futur comme une immense bibliothèque de liens sémantiques entrecroisés de multiples nœuds d’échanges venant instantanément seconder nos désirs. Le spectre d’une vie humaine asservie aux données propose à l’humanité un bonheur californien mêlant la promesse prométhéenne à un conformisme nourri de représentations écologiques et bien pensantes soutenues par d’immenses « fermes à données » déployées dans les contrées froides du globe où les mégaserveurs refroidissent à moindre coût. Au terme de cette vision, Mark Zuckerberg songe à réduire l’importance des États-nations dans nos vies à mesure qu’une communauté globale s’épanouira, faite de réseaux de liens associant ce que nous faisons là où se déroule notre vie territorialisée aux immenses ressources rendues disponibles à travers Facebook, promis au statut d’ange de l’histoire.
Cette utopie est contemporaine d’une dissolution des liens sociaux qu’un Peter Sloterdijk ou qu’un Zygmunt Bauman décrivent depuis la fin du siècle dernier, et dont les grands sociologues, de Tocqueville ou Marx à Durkheim et Elias ont détaillé les ressorts. Si les sciences sociales, en remontant à Hobbes par exemple, posent que les rapports humains articulent de nombreuses incertitudes qui rendent presque impossible de les représenter sous l’angle de la nature des choses, Facebook se présente comme capable de substituer des conversations en ligne aux rapports humains hors-ligne qui, « selon la recherche » (expression récurrente dans le texte de Mark Zuckerberg), se raréfient. Ce faisant, Facebook permettrait de soutenir les appartenances communautaires tenues pour une forme exemplaire de la « vie bonne ». Il y a là comme une référence implicite aux sources grecques de la morale classique (Aristote), dont Paul Ricoeur a donné une version actuelle. Loin de l’esthétique nietzschéenne de la vie comme du rigorisme kantien, deux des paradigmes qui décrivent le lien de l’individu aux valeurs, il s’agit ici de faire l’éloge des valeurs partagées, celles qui, en particulier, font de la « modération » et du « juste milieu » la position de base. Le rejet des extrêmes est ici une valeur en soi. Facebook se propose de retisser des liens sociaux en sélectionnant assez d’offres répondant aux intérêts proclamés de chacun pour renforcer des actions communes entre amis. Initialement centré sur les interactions personnelles, Facebook deviendrait ainsi l’institution de référence pour éditorialiser nos vies et accroître grandement la valeur ajoutée du réseau.
Construire la communauté globale [Building Global Community] (Zuckerberg 2017) évoque l’usage de Facebook par le gouvernement indien et celui de What’sApp par les communautés locales au Kenya. Facebook offre au monde les outils de son développement communicationnel et cognitif. C’est la reprise d’un stratagème éprouvé, le cheval de Troie. Servir de l’information à la demande à des groupes dont les leaders seront autant de prescripteurs pour leurs fidèles, c’est obtenir en retour tous les moyens d’un ciblage publicitaire bien plus efficace que s’il s’agissait d’individus isolés. Le traitement par paquets est au cœur de cette approche censément ouverte, mais intégralement contrôlée par un conglomérat d’entreprises de réseautage.
Segmentation publicitaire ou espace public ?
Derrière la palinodie de Zuckerberg contre la solitude, on distingue sans peine le projet d’un traitement algorithmique de micro-communautés. Ces services ne seront toutefois offerts qu’à ceux qui plieront leurs expressions dans le cadre du bon goût et des normes acceptables par Facebook, supposément au nom de la majorité de la population et des gouvernements. Cette clause est essentielle, tant elle recouvre de discussions potentielles dont la résolution algorithmique semble déboucher sur un retour à l’isolement de chacun dans le cadre des filtres mis en place. Selon les centres d’intérêt exprimés, les informations accessibles seront si différentes que le concept de communauté globale semble devenir un mirage au moment d’apparaître. La segmentation des publics en fonction de logiques publicitaires se renforce continûment en vue d’une monétisation directe qui valorise l’audience de Facebook à travers les leaders communautaires les plus représentatifs. De même que Google a fait de son moteur de recherche la base universelle de liens publicitaires – comment éviter de cliquer sur des liens associés à une redevance et trouver les liens directs des sites recherchés ? –, de même l’annonce par Facebook d’une action forte pour stimuler le visionnage de vidéos sur téléphones connectés, suivie de celle du lancement sur Instagram de fichiers non-pérennes (ce qui copie clairement Snapchat, qui fit une entrée en bourse remarquée en 2017 après avoir rejeté en 2013 une offre de rachat de Facebook1), contribue à monétiser les liens entre personnes. Nous assistons à la structuration d’une offre globale fondée sur la volonté de stimuler la participation sociale et la structuration de communautés. Cette stratégie promotionnelle vise le bonheur des actionnaires autant que celui des communautés. Celles-ci, dûment étiquetées, sont des cibles autant et plus que des organismes sociaux.
Nous avons grandement besoin d’une nouvelle pensée critique du numérique pour ne pas succomber aux pièges d’une rhétorique altruiste et apparemment désintéressée. Jaron Lanier s’y est essayé en pointant voici quelques années le « digital labor » et la nécessité pour les majors des réseaux de rétribuer d’une manière ou d’une autre le temps offert par leurs usagers à leurs centres de données2. Mais un consultant de Microsoft peut-il aller au terme d’une étude de fond ? Le débat n’a pas pris… et il est plutôt question de l’évitement fiscal dont profitent ces compagnies. Au lieu de prophétiser la fin de l’État-nation, Zuckerberg pourrait annoncer que Facebook va reverser une part significative de l’argent collecté aux groupes organisés dont il célèbre l’importance sociétale ainsi qu’aux services éducatifs de proximité dans le monde… La réalité, c’est que Facebook collecte des données personnelles et les monétise autant que possible. Les réseaux sociaux vivent en captant une ressource dont le prix de revient diminue et dont la valeur s’accroît à proportion de la masse et de la fidélisation du public. Une dialectique du numérique qui tente d’abolir l’histoire en proclamant que le monde selon Facebook succède naturellement à celui des États-nations ayant lui même émergé d’un monde de cités sorties d’une sauvagerie tribale (c’est le schéma explicitement revendiqué par Facebook…) : ce récit ne saurait nous satisfaire. Geert Lovink a tenté une telle critique depuis la création de l’Institute of Network Cultures. Sens Public a esquissé la notion d’éditorialisation pour caractériser les phénomènes collectifs relevant d’une logique du sens portée par les écrans électroniques aux pouvoirs disruptifs3. La logique algorithmique place la curation des données au cœur des protocoles sociaux : toute activité n’est-elle pas réductible à une arborescence où la décision et le jugement sont fonction de contextes bien définis ? Dans ce cadre, la production s’est adjointe la gestion des stocks et des données. Comme disait récemment Alain Touraine, « On fabrique davantage de programmes que de voitures » (Touraine 2016).
La société post-industrielle décrite par Alain Touraine aboutit à une transformation des cadres de pensée pour le progressisme, dit-il. Il faut donner la priorité aux jeunes et aux femmes, et changer les modes d’éducation. Ce sont des objectifs pour lesquels les discours ne suffisent pas, il faut disposer d’exemples et de stratégies à court-terme. Nous pouvons nous inspirer des approches proposées par Saskia Sassen sur les rapports entre mondialisation, numérique et démocratie et suivre un Jimmy Wales qui en appelle à l’esprit critique de chacun de nous pour répondre aux contre-vérités virales dont les réseaux sociaux sont les vecteurs passifs. Affectant de ne pas se mêler des contenus qui n’attentent pas à leurs règles de base, ils laissent naturellement passer nombre de discours cyniques et hypocrites qui abondent dans toute collectivité en même temps qu’ils filtrent comme inconvenantes des protestations moins démagogiques ou plus radicales. Au nom de la bienséance, c’est la critique qu’on assassine, et la désinformation qui fait le buzz4. Dans ces conditions, nous voyons mal comment Facebook, en soi-même porteur de transformations considérables des habitudes personnelles, pourrait effectivement « renforcer les institutions traditionnelles là où elles sont en déclin  »5, bien que Zuckerberg en fasse son premier objectif. Mais nous reviendrons sur ce traditionalisme revendiqué.
Jimmy Wales, promoteur de Wikipedia, en appelle à la collaboration désintéressée et n’imagine pas laisser les GAFAM6 se charger en notre nom de prescrire ce à quoi nous pouvons croire. Constatant que les réseaux sociaux et de téléphonie numériques sont les vecteurs principaux d’aujourd’hui, Wales est convaincu que la qualité des supports éditoriaux anciens est un patrimoine considérable, prêt à servir le libre débat. Mais il admet en même temps que les algorithmes des réseaux sociaux seront toujours plus indispensables. Simplement, il faudrait penser des limites à la privatisation commerciale des espaces éditoriaux et donner toute sa place aux logiques collaboratives issues des modèles du logiciel libre.
Ce qu’il nous faut, ce sont des solutions humaines qui ne reposent pas simplement sur des vérifications factuelles faites par des tiers, mais sur le pouvoir collaboratif. Il nous faut des gens issus de toutes les sensibilités politiques pour aider à identifier les sites suspects et signaler les intoxs. Les systèmes journalistiques doivent être développés pour renforcer [empower] les individus et les communautés – que ce soit en tant que bénévoles, salariés ou les deux7.
Wales tient que l’information libre est indissociable d’une contribution publique et ne peut être le seul fait d’algorithmes produits par une entreprise capitaliste. Pour preuve, c’est sous le coup d’actions civiques indépendantes que des objections sérieuses atteignent les plus grosses organisations, qui ne se remettent en question qu’à être directement pointées du doigt. L’attribution d’un Oscar en 2017 à un comédien noir musulman et le couronnement de Moonlight répondaient bien plus aux critiques de la précédente édition où l’absence de Noirs était patente qu’aux propos islamophobes de Donald Trump. Ce texte traitant des engagements civiques de Facebook et des efforts de la plate-forme pour promouvoir la diversité des points de vue répond de même aux critiques acerbes qui voient dans ce réseau social un agent puissant du simplisme extrême des idées, de la suppression du débat public et de l’enfermement de la plupart de ses utilisateurs dans une filter bubble8 où rien ne vient contrer des idées qui, ne souffrant aucune contradiction, deviennent autant de vérités ininterrogées, ravageuses lorsqu’elles font place à des préjugés sociaux et culturels. Zuckerberg le reconnaît lui-même :
Si tout cela continue et que nous perdons le sens commun, alors, même si nous avions éliminé toute la désinformation, les gens continueraient de souligner différentes séries de faits pour soutenir leurs opinions polémiques. C’est pourquoi le sensationnalisme des médias me préoccupe autant9.
De son côté, Jimmy Wales insiste sur la transparence du processus de discussion en ligne comme une garantie de qualité dans l’information :
N’importe qui peut ajouter de la matière aux articles  ; n’importe qui peut tester cette matière et ouvrir un débat. Cela veut dire plus d’yeux sur plus d’information et une fiabilité accrue. Quoi qu’il en soit de leurs penchants politiques, les éditeurs se doivent de jouer des mêmes règles pour créer, affiner et vérifier les contenus  : la vérifiabilté et la neutralité, non les interprétations singulières. […] Nous avons besoin d’espaces en réseau pour ouvrir des dialogues concernant diverses perspectives. Ces espaces doivent être largement ouverts par construction – les comportements toxiques, en y incluant le harcèlement sont malheureusement une réalité du Net. Nous avons besoin de règles de base, un engagement pour des vérifications scrupuleuses, des échanges respectueux et civils, et une participation active. Et nous devons appliquer ces règles à toute notre activité en ligne10.
Avec un certain optimisme Jimmy Wales nous appelle tous à tenir bon dans le chaos informationnel que nous avons créé. A nous, ensemble, de fournir la régulation qualitative dont il manque. Zuckerberg songe-t-il à ce même résultat à travers l’intelligence artificielle ?
Pour une communauté globale inclusive
Building Global Community se présente comme un texte ambitieux qui détaille les orientations d’un des acteurs majeurs de la mondialisation culturelle et sociale. Présentant l’objectif d’offrir un support numérique structuré à tous ceux qui déploient une activité significativement utile dans le monde, il affirme une stratégie de soutien, au travers de l’intelligence artificielle (AI), aux secteurs les plus variés de la société – de la santé au journalisme et à l’engagement civique. Ces thèmes pourraient constituer le cœur d’un discours de réception pour un Doctorat honoris causa. Cependant, en renvoyant à un avenir assez lointain les solutions pratiques, le fondateur de Facebook montre que sa plateforme évoluera lentement. Les standards conservateurs et familiaux resteront la norme de publication même s’il proclame son soutien aux personnalités engagées de la société civile. Facebook se dit prêt à accompagner les changements que ces militants induiront autour d’eux, mais se défend de reprendre à son compte une position quelconque. Les opinions les plus critiquables auront libre cours en même temps que les militants les combattront à l’aide de ressources assorties par Facebook à leur usage. Cette incohérence résulte de la règle de libre publication dans le respect des Community Standards ainsi que des lois et des usages en vigueur.
Comment ne pas voir un aveu d’impuissance dans cette rhétorique ? En s’interdisant de choquer quiconque, Facebook réduit forcément l’espace des points de vue critiques – et choquera une minorité d’acteurs éclairés. Le modèle économique et la course quantitative menée par Facebook a pour conséquence que l’entreprise associe des technologies aux effets révolutionnaires avec une ligne éditoriale qui conforte « par défaut » des représentations conservatrices. Nous allons cependant lire ce texte en acceptant de le tenir, comme l’ont fait les journalistes américains à sa sortie, pour un mission statement, un genre pratiqué par les grandes entreprises américaines. S’adressant aux employés et aux créanciers, aux actionnaires et aux utilisateurs qui veulent comprendre la dynamique de Facebook, il présente les perspectives de développement et les orientations de l’entreprise sans qu’il s’agisse d’engagements opposables à la direction. C’est le cadrage pragmatique et adaptable d’évolutions à venir qui justifient de futures décisions d’investissement coûteuses en les appuyant sur une vision de long terme. Building Global Community décrit un scénario pour la croissance de Facebook à une période de ralentissement inévitable de l’augmentation du nombre de comptes.
Nous pouvons tous commencer à travailler à long terme dès aujourd’hui. Dans des temps comme les nôtres, la chose la plus importante que nous puissions faire chez Facebook, c’est de développer l’infrastructure sociale pour donner aux gens le pouvoir de construire une communauté globale effective pour nous tous [that works for all of us]. Dans la dernière décennie, Facebook s’est employé à connecter des amis et des familles. Sur cette base fondatrice, notre prochain objectif sera de développer l’infrastructure sociale pour les communautés – pour nous soutenir, pour veiller à notre sécurité, pour nous informer, pour l’engagement civique et pour l’inclusion de tous 11.
La campagne de Donald Trump fit largement usage des réseaux sociaux, où la diffusion virale de contre-vérités est presque impossible à stopper. Facebook ne peut se laisser accuser sans réagir d’être instrumentalisé par des activistes aux convictions incompatibles avec les idéaux d’une connectivité universelle. De plus, comme les règles d’exclusion de documents sur Facebook aboutissent à censurer des messages engagés pour la liberté de pensée, comment éviter d’être accusé de renouer avec une forme de maccarthisme (voir ici) sous prétexte de protéger ses utilisateurs ? Nous reviendrons ainsi sur la censure en 2016 de la photo de Nick Ut datant de la Guerre du Vietnam, où se distingue le corps d’une fillette dénudée parmi d’autres enfants fuyant sur une route après un bombardement américain. Pétries de bonnes intentions et indiquant des voies sûrement prometteuses pour l’avenir, ces pages rédigées sous une forme très accessible paraissent souscrire aux principales attentes d’un public humaniste. Mais elles laisseront sur leur faim la plupart des analystes. Dans l’immédiat, il s’agit de mobiliser l’intelligence artificielle pour proposer des informations tenues pour consensuelles et modérées aux usagers. Cela aurait pour vertu de diluer la « bulle des filtres » qui favorise le monologue et ipso facto de contrarier les thèmes extrémistes. Parallèlement, des suggestions ciblées appuieront le leadership communautaire des utilisateurs qui rayonnent autour d’eux en déclinant les moyens de seconder les initiatives propres à « faire société ».
Communautés de soutien. Les communautés en ligne sont un point brillant, et nous pouvons renforcer les communautés existantes en aidant les gens à se réunir en ligne autant qu’hors ligne. De même que se connecter entre amis renforce les relations réelles, développer cette infrastructure renforcera ces communautés, et permettra aussi d’en créer de tout à fait nouvelles. […] Sur Facebook nous considérons que 100 millions de personnes appartiennent à ce que nous nommons des groupes « hautement significatifs » […] Si nous pouvons améliorer nos suggestions et aider à connecter un milliard de personnes avec ces communautés porteuses de sens, cela peut renforcer notre tissu social. Nous prévoyons de construire plus d’outils destinés à renforcer les responsables communautaires […] Nous pouvons concevoir ces expériences non pour un usage passif, mais pour renforcer les connexions sociales12.
A terme, il s’agit de renforcer les possibilités de reliance entre ceux qui sont centrés sur des thématiques comparables et de soutenir particulièrement les groupes engagés concrètement dans des actions communautaires et sociales de terrain – de la santé à l’éducation, par exemple. Ce serait faire de Facebook une base partagée qui assouplira les limitations imputables jusqu’ici aux frontières étatiques et aux rivalités territoriales. Rien de moins. Hormis ce partage de la base, toutefois, chaque groupe d’initiative resterait ce qu’il est, enrichi à la marge – ou parfois plus fondamentalement – par des connexions proposées par Facebook vers d’autres groupes porteurs de projets ou de valeurs analogues.
Bibliographie
Cardon, Dominique, et Antonio A. Casilli. 2015. Qu’est-ce que le digital labor? Études et controverses. Bry-sur-Marne: INA.
Casilli, Antonio A. 2017. « « Sur Internet, nous travaillons tous, et la pénibilité de ce travail est invisible » ». Le Monde.fr, mars. http://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/03/11/sur-internet-nous-travaillons-tous-et-la-penibilite-de-ce-travail-est-invisible_5093124_4408996.html.
Fourneret, Eric. 2016. « Existe-il une structure de servitude volontaire dans les technologies de l’information et de la communication ? » Sens Public, juin. /article1197.html.
Morozov, Evgeny. 2011. « Book Review - The Filter Bubble : What the internet is hiding from you - By Eli Pariser ». The New York Times, juin. http://www.nytimes.com/2011/06/12/books/review/book-review-the-filter-bubble-by-eli-pariser.html.
Pariser, Eli. 2011. Penguin.
Touraine, Alain. 2016. « François Hollande laisse la France dans un état de délabrement inouı̈ ». Le Monde.fr, décembre. http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/12/02/alain-touraine-la-gauche-et-les-pays-doivent-renaitre-ensemble_5042163_3232.html.
Wales, Jimmy. 2017. « With the power of online transparency, together we can beat fake news ». The Guardian. https://www.theguardian.com/commentisfree/2017/feb/03/online-transparency-fake-news-internet.
Zuckerberg, Mark. 2017. « Building Global Community ». Facebook. https://www.facebook.com/notes/mark-zuckerberg/building-global-community/10103508221158471/?pnref=story.
Concernant le digital labor, on se reportera à l’ouvrage de Dominique Cardon et Antonio Casilli (Cardon et Casilli 2015) et à l’entretien donné par Casilli sur le sujet (Casilli 2017).↩
On se reportera par exemple à l’article d’Eric Fourneret (Fourneret 2016).↩
Jérôme Marin faisait la synthèse du débat sur son blog du Monde en novembre 2016.↩
“to strengthen traditional institutions in a world where membership in these institutions is declining” (Zuckerberg 2017).↩
GAFAM : acronyme de « Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft ».↩
“What’s needed is human solutions that rely not just on third-party fact-checking bots but on the power of collaboration. We need people from across the political spectrum to help identify bogus websites and point out fake news. New systems must be developed to empower individuals and communities – whether as volunteers, paid staff or both” (Wales 2017). Jimmy Wales ajoute : “Si les fausses infos n’ont rien de nouveau, les moyens de leur diffusion ont évolué. Les fils d’info des réseaux sociaux, les vidéos recommandées et les messages instantanés ont notoirement remplacés les courriels comme vecteurs principaux des infos mensongères. L’internet actuel est bien plus vaste et davantage fait de liens, et se transforme bien plus constamment qu’il ne le faisait au tournant du siècle. L’an dernier, en Inde, lorsqu’un nouveau billet de 2000 roupies a été introduit, une intox disait que le billet comportait une puce de surveillance. Dénoncée peu après, cette « info » circula comme un feu de broussaille sur la plate-forme de messagerie What’sApp, utilisée par 50 millions de personnes en Inde. La question est bien de savoir comment nous pouvons répondre, nous les consommateurs et les institutions » (Wales 2017). S’il appuie le journalisme sérieux, première source crédible, et crédite les réseaux sociaux de leurs efforts pour éviter d’être eux-mêmes submergés, il n’en considère pas moins que l’engagement personnel et collaboratif reste la meilleure garantie d’une conscience civique durable.↩
Il s’agit là des effets d’autopersuasion et de la fermeture à toute contradiction qui résulte de notre enfermement référentiel : nous multiplions en effet les requêtes dont les moteurs de recherche se servent pour nous proposer les contenus et les offres corrélés à notre navigation. Dès lors, notre espace numérique devient un espace redondant en matière d’information et nous n’accédons plus aux signaux qui pourraient diverger de nos croyances et renforcer nos interrogations et nos doutes. En développant cette thèse en 2011 dans l’ouvrage The filter bubble : What the internet is hiding from you (Pariser 2011), Eli Pariser a ouvert un vaste débat centré sur l’éditorialisation numérique. Evgueny Morozov a rédigé la recension de l’ouvrage pour le New York Times (Morozov 2011). On peut aussi consulter ici un ensemble de transparents issus d’une conférence de l’auteur à la London School of Economics :. On se reportera enfin à cet article de Pariser (pariser_did_2015).↩
“If this continues and we lose common understanding then even if we eliminated all misinformation, people would just emphasize different sets of facts to fit their polarized opinions. That’s why I’m so worried about sensationalism in media” (Zuckerberg 2017).↩
“Anyone in the world can add material to articles ; anyone can challenge that material and start a discussion. This means more eyeballs on more information and more accountability. No matter what their political leanings, editors have to play by the same rules in creating, refining and fact-checking content : verifiability, neutrality, and no original research. […] We need online spaces for open dialogue across a variety of viewpoints. These spaces must be inclusive by design – toxic behaviour, including harassment, is unfortunately a fact of the internet. We need ground rules : commitment to verification, civil dialogue and active participation. And we need to apply these principles to all our online activity.. commitment to verification, civil dialogue and active participation. And we need to apply these principles to all our online activity” (Wales 2017).↩
“We can all start working on the long term today. In times like these, the most important thing we at Facebook can do is develop the social infrastructure to give people the power to build a global community that works for all of us.For the past decade, Facebook has focused on connecting friends and families. With that foundation, our next focus will be developing the social infrastructure for community – for supporting us, for keeping us safe, for informing us, for civic engagement, and for inclusion of all” (Zuckerberg 2017).↩
" Supportive community " Online communities are a bright spot, and we can strengthen existing physical communities by helping people come together online as well as offline. In the same way connecting with friends online strengthens real relationships, developing this infrastructure will strengthen these communities, as well as enable completely new ones to form. […] 100 million people on Facebook are members of what we call “very meaningful” groups. […] If we can improve our suggestions and help connect one billion people with meaningful communities, that can strengthen our social fabric. We plan to build more tools to empower community leaders […] We can design these experiences not for passive consumption but for strengthening social connections" (Zuckerberg 2017).↩