A la lumière des récentes réflexions du linguiste et sémioticien François Rastier, notamment dans Créer : Image, langage, virtuel (2016), nous nous proposons dans cet article de voir en quoi une pensée de la virtualité sémiotique et de la virtualisation de la culture permise par l’approche développée par Saussure et Cassirer au début du XXe siècle peut, voire doit, être distinguée de la notion de « réalité virtuelle », et en quoi la matière paradoxale des œuvres définie par ce point de vue sémiotique suppose un rapport critique à l’égard de la supposée « dématérialisation » des corpus numériques.
L’intitulé de ce numéro propose de penser le numérique et les nouvelles pratiques qu’il induit dans leurs rapports avec une « virtualisation du réel » qui serait dans un premier temps comprise comme un processus de déréalisation où les frontières entre imagination et réalité seraient brouillées, « l’adjectif virtuel ayant alors pour fonction d’affirmer une progressive perte de la matérialité du rapport avec l’espace dit réel » (Serres 1994, Virilio 1996, Koepsell 2000). Cette vision quelque peu catastrophiste, où la « virtualité » ne serait plus pensée que sur le mode d’une immersion sensorielle totale dans des espaces imaginaires projetés au moyen des nouvelles techonologies informatiques – espaces le plus souvent violents – a sa part de vérité, comme ne manque pas de le souligner F. Rastier :
En utilisant des degrés croissants de l’interactivité, le « spectacteur » de certaines œuvres peut modifier le décor, s’emparer d’objets fétiches, prendre le contrôle de personnages qui deviennent ses avatars, régir enfin l’intrigue pour la plier à ses désirs. À chacune de ces étapes cependant, et à mesure qu’il exerce sa puissance croissante, le spectateur-démiurge va perdre successivement l’admiration, la fascination, la surprise, le sentiment d’un destin. Confondant en lui-même le spectateur, le chœur, le chorège, les protagonistes et le dramaturge, il met fin, avec la séparation des rôles, au principe de réalité dans la fiction, la ravalant, par simple application du principe de plaisir, à une rêverie éveillée. N’obéissant plus qu’à celui qui la regarde, la fiction ne ménage alors plus d’autre surprise que le visage indéfini de Narcisse, en vertu d’un principe de plaisir où le sujet se résorbe, en s’y voyant agir, dans sa toute-puissance hallucinatoire. Or la toute-puissance, régression au premier état infantile, conduit caractéristiquement à la psychose, par la perte du principe de réalité – comme on l’a hélas vérifié chez certains otaku japonais ou nerds américains. La perte du sentiment de l’altérité que susciterait un monde obéissant à nos désirs le viderait de sens : comme le sens s’établit sur des différences perçues comme irréductibles, cette perte conduirait inéluctablement à une noyade dans l’insignifiance. (Rastier 2016, 156)
Autant de « caricatures aliénantes » d’un processus de virtualisation de la culture qui ne peut pourtant nullement s’y réduire – ce que Pierre Lévy rappelle à juste titre dans son article « Sur les Chemins du virtuel » (Lévy s. d.). Nous voudrions souligner le fait que l’approche sémiotique du début du siècle dernier permet non seulement de maintenir la pertinence des notions de « matérialité » ou encore de « vérité », y compris au sein du monde numérique, mais d’en repenser les rapports avec les notions de « virtuel » et de « virtualisation », façon de se prémunir aussi bien d’une fascination quasi hypnotique pour les nouveaux moyens techniques que de développer une déontologie pratique à leur égard et éventuellement d’ouvrir de manière critique sur de nouveaux processus de création.
« Virtualisation du réel » : la formule est d’une grande labilité, sa polysémie offrant de multiples potentialités sémantiques selon les parcours interprétatifs retenus. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut l’entendre aussi bien comme désignant les nouvelles formes de réalités virtuelles (systèmes de simulation et techniques d’immersion utilisées par les jeux vidéo, ou casques de réalité virtuelle) ou de réalités augmentées (qui font apparaître en tous lieux via lunettes, écran ou encore smartphone divers simulacres, comme les monstres Pokémon), que comme désignant les œuvres conçues sur supports numériques, voire – autre tendance de l’art contemporain – des œuvres supposément sans expression matérielle, qu’il faut distinguer encore de ce qui est souvent perçu comme une dématérialisation des œuvres par leur numérisation. Ce qui manque toutefois dans ces définitions, c’est la possibilité de penser le lien entre les « matérialités » sémiotiques des œuvres, à chaque fois réinventées, et leur capacité à virtualiser la culture, au sens où elles déplacent continûment les manières de voir, d’entendre, de dire, de sentir, et construisent l’historicité du vu, de l’entendu, du dit, du senti, tout en maintenant le principe de réalité qui permet de ne pas se « noyer dans l’insignifiance » d’une immersion non critique dans des mondes simulés. Pierre Lévy a mis en valeur la définition de la virtualisation comme mouvement de « devenir autre » ou « hétérogenèse » de l’humain, mouvement qui n’a rien de spécifique au monde numérique et correspond à un mouvement propre à l’hominisation, dont une des caractéristiques anthropologiques fondamentales est l’exceptionnelle diversification de ses pratiques et des objets qui en résultent. Nous aimerions insister sur la définition paradoxale de la « matérialité » par la sémiotique des cultures proposée par F. Rastier, qui se fait l’héritier des conceptions cassirériennes et saussuriennes, invitant au passage à reconsidérer les apports du structuralisme naissant au début du XXe siècle, avant qu’il soit réduit à des postures simplistes par un « post-structuralisme » parfois peu soucieux de rigueur philologique.
Le terme « virtuel » (ainsi que ses dérivés substantivés, « le virtuel » et « la virtualisation ») entre historiquement dans un réseau synonymique et antonymique complexe, où il fait couple (sans nécessairement s’opposer) tantôt avec « actuel » quand il signifie « potentiel » (selon l’antique définition aristotélicienne, reprise en particulier par G. Deleuze), tantôt avec « réel » quand il veut dire « artificiel » ou « simulé », tantôt à « matériel » quand il se réfère à la supposée dématérialisation numérique, selon des définitions qui ne sont apparues que dans les années 1980. Qui plus est, le substantif « virtualisation » invite à prendre en compte des processus de transformation. C’est le passage des emplois philosophiques du terme « virtuel » à ses emplois techniques à la fin du XXe siècle qui nous semble avoir induit de nombreuses confusions, comme le souligne Marcello Vitali-Rosati dans son article « La virtualité d’Internet : une tentative d’éclaircissement terminologique » (2009) : en quoi la sémiotique peut-elle être un opérateur de pensée fécond non seulement pour clarifier ces rapports complexes sur le plan terminologique, mais aussi pour orienter la pensée en réinscrivant ces termes et les réalités qu’ils désignent dans la problématique des sciences de la culture ?
I. La révolution sémiotique du début du XXe siècle : une virtualisation de la culture
Le dernier livre de F. Rastier paru aux éditions Casimiro et intitulé Créer : Image, Langage, Virtuel – qui conjoint donc dans son titre quelques éléments centraux qu’il s’agit d’articuler —, offre des analyses permettant une approche originale des questions suscitées par les nouveaux supports de transmission, et ce, en les rapportant à des questions plus anciennes, dont l’auteur propose de repenser l’héritage. Nous nous intéresserons plus particulièrement ici à son approche des pratiques artistiques et à son projet de réhabilitation de la notion d’« œuvre ».
Le livre propose un décentrement intéressant, voire salutaire en montrant que, paradoxalement, l’image de l’art qui semble la mieux à même de renouveler la question de la « virtualisation du réel » dans la création artistique (numérique ou non) – « image de l’art » au sens d’une définition de la création, qui concerne d’ailleurs aussi bien les arts de l’image que les autres, arts langagiers compris – ne vient pas de la tradition esthétique, mais d’un point de vue, celui de la sémiologie, selon les modalités qu’elle prit au début du siècle dernier avec Saussure et Cassirer, point de vue qui fut d’ailleurs ensuite intégré à l’histoire de l’art (voir par exemple Van Vliet 2010). Ce point de vue sémiologique gagnerait à entrer, selon F. Rastier, dans un complexe de questionnements à la fois sur la possibilité d’une objectivation des œuvres d’art, sur la responsabilité de la science (prolongeant la question, posée par Saussure, de la légitimité de ce que fait le chercheur en ces débuts d’expression de la philosophie des sciences1), et sur la définition d’une praxéologie interprétative qui l’engage, dans une tradition philologique, historiciste et comparatiste, sans oublier les enjeux anthropologiques et éthico-politiques d’une réflexion sur l’art. Le tournant anthropologique en esthétique suscité par l’avènement de l’ethnologie et de sa méthodologie structurale (Lévi-Strauss) ouvrit en effet une nouvelle manière de lire l’art comme expérience collective symbolique, comme en témoignent les travaux de Cassirer aussi bien que ceux de Warburg par exemple. Le monde de la culture s’y redéfinissait comme un monde de médiation, un Zwischenwelt permettant le couplage des individus avec leur entour. Une telle approche invite à se défaire de l’idée que la virtualisation du réel dans les formes symboliques serait une invention du numérique : Cassirer montrait avec force que les formes symboliques (au titre desquels les mythes, les sciences et, selon une approche extensive, les arts) ont toujours été le seul mode possible de couplage de l’individu humain avec le « réel ». Cependant, les « réalités virtuelles/augmentées » apparues dans le monde numérique ont tendance à faire perdre la conscience d’un « comme si » propre à cet univers de médiation :
L’interactivité pose ici des problèmes éthologiques délicats. En effet, la phylogenèse de l’art semble bien avoir enté un trait fondamental archaïque, la sensibilité aux leurres, et un trait fondamental plus récent, propre aux mammifères, la pratique du jeu. Le leurre est un comme si passif, un stimulus prégnant sans substrat propre, le jeu un comme si actif, qui instaure un régime modal particulier modifiant le couplage avec l’environnement. Alors que l’illusion reste consciente, perçue comme un artéfact sinon une œuvre, le leurre est perçu comme un stimulus naturel saillant et reçoit une réponse compulsive, car il crée un effet de réel total. Il suscite une émotion, non des sentiments. Plus l’effet de réel est intense, et l’immersion multimédia y participe, plus l’œuvre se confond avec un leurre. Le specta(c)teur doit donc trouver un équilibre entre le conscient du jeu et l’inconscient du leurre, entre la pulsion détournée par le leurre et le plaisir stylisé par le jeu. Il peut parvenir à une fascination maîtrisée ; mais quand le leurre prédomine, on crée de la dépendance ; quand le jeu prédomine, si l’on crée une maîtrise, ou du moins une liberté réglée, on perd en fascination.
En littérature, la distance critique du lecteur a été excellemment décrite par la formule de Stevenson, suspension of disbelief, suspension du doute, qui évoque une concession de croyance plus qu’une croyance par concession : on peut se prendre au jeu sans oublier qu’il en est un. Le plaisir esthétique reste ainsi distinct de l’adhésion pathétique, car le suspens de l’incrédulité n’équivaut pas à une croyance. Alors que l’illusion affecte la perception de la zone proximale (le monde empirique), la distance critique requiert un point de vue externe, qui n’est donc plus celui de la zone identitaire. Or ce décentrement met en jeu la zone distale de l’entour [la zone des absents], celle précisément à laquelle donnent accès les arts, les sciences, les lois morales et religieuses. En art, il est favorisé et entretenu par la connaissance d’autres œuvres, bref une culture personnelle. (Rastier 2016, 157‑58)
La virtualisation de la culture est donc ici entendue dans un premier temps comme prise en compte de la relative autonomie du monde sémiotique conçu comme Zwischenwelt, comme lieu de médiation entre les individus et leur entour. Lorsqu’Auerbach publiait Mimesis : la représentation de la réalité dans la littérature occidentale (1946), c’est dans le même champ des sciences de la culture qu’il s’inscrivait : ainsi, rien de vériste dans son approche, qui montrait au contraire tout le travail d’élaboration complexe du mode de couplage des individus avec le « réel » que supposent les formes symboliques artistiques.
L’ouvrage de F. Rastier dont le titre inclut la notion de « virtuel » se réfère ainsi à ce même point de vue épistémologique, qui invite à considérer qu’une approche problématique de la création et plus généralement des pratiques culturelles par le thème du virtuel suppose une réflexion sur la qualité d’élaboration des productions artistiques et des pratiques interprétatives – qualité qui permet précisément un rapport critique au réel environnant –, réflexion qui suppose elle-même une déontologie critique que les paradigmes communicationnels et cognitifs dominants aujourd’hui en sciences humaines ne semblent pas vouloir penser, ou pensent le plus souvent sans se préoccuper de la révolution silencieuse qui a eu lieu avec l’élaboration du nouveau paradigme sémiotique au sein du structuralisme naissant. Ce nouveau paradigme représente de fait une sorte d’hapax dans l’histoire des idées en sciences humaines et sociales, hapax dont il s’agit de garder la mémoire et de développer les potentialités. Pour la première fois en effet, la « virtualité » y était paradoxalement pensée comme le thème central à la fois d’une pensée de la matière – corrélation qui n’est paradoxale qu’au regard d’une pensée chosiste et substantialiste – et d’une pensée de la responsabilité, responsabilité des œuvres et responsabilité de la science (herméneutique) à l’égard des objets culturels, de leur compréhension et de leur transmission.
Cette approche sémiotique, inscrite dans le champ des sciences de la culture, se distingue nettement d’autres approches sémiotiques comme la typologie peircéenne ou encore le générativisme greimassien (avec la supposition de relations constantes et universelles sous-tendant les significations). Elle revendique pour sa part son statut d’« herméneutique matérielle » qui est aussi bien une sémiotique des singularités :
La méthodologie de l’esthétique philologique, ou matérielle, entendue ici comme connaissance des œuvres artistiques, s’accorde avec celle des autres sciences de la culture : elle est historique et comparative, comme on le voit chez Warburg, Cassirer, Panofsky, Wind, Seznec, Gombrich, Chastel, Perniola, Stoichita. Les courants déconstructionnistes ont éludé ces deux dimensions. (Rastier 2016, 218)
La très nette inflexion que F. Rastier donne à ce paradigme sémiotique, sans en dénaturer les principes, est la définition d’une « esthétique fondamentale », bien distincte des différents courants de l’esthétique académique ; pour penser la responsabilité des œuvres, elle prend en compte l’ensemble des valeurs (esthétique, éthique, politique, etc.) investies dans leur élaboration, bien loin de l’autonomisation esthétique d’un romantisme de l’« Art pour l’Art », aussi bien que d’une autonomisation des « réalités virtuelles » à l’égard d’une réflexion humaniste sur le vivre en commun :
Ressuscitant de nos jours l’optimisme de Pangloss, l’idéologie Internet se réclame aussi de la paix universelle : dans les publicités, tout le monde s’accueille et se retrouve, Internet relie les hommes, etc. Ce langage lénifiant semble un leurre : dès que vous entrez dans un jeu vidéo en réseau sur le Web, vous rencontrez les avatars de centaines d’inconnus, de tous pays : ils n’ont qu’un but, tirer dans le tas et sniper (c’est le terme des hard-gamers) tout ce qui bouge avec divers bazookas laser ; avec le retour d’effort, ils sentent même le recul, par leur joystick. Bref, à l’étage noble s’épanouissent les sourires vendeurs, mais au sous-sol tout le monde s’étripe. Cette duplicité montre bien qu’en l’occurrence le virtuel se réduit hélas à une stylisation à peine caricaturale de l’actuel. (Rastier 2016, 156)
La prise en compte par ailleurs des strates de normativité qui conditionnent la production des œuvres (comme les genres, les styles, etc.) modifient ainsi les questions esthétiques par leur insertion dans une anthropologie des formes symboliques tout en donnant en retour un accès à l’anthropologie par l’esthétique (aller-retour très cassirérien).2 Selon une approche similaire aux propositions de Pierre Lévy, la sphère culturelle reconçue comme « sémiosphère » est le lieu de virtualisations constantes qui en assurent la dynamique transformationnelle, en particulier à travers ce que F. Rastier appelle une « énergétique » des œuvres, fondée sur les processus de transmission, traductions, transductions (d’un art à un autre).
II. Les formes symboliques artistiques : où « virtualité » rime avec « matérialité »
En quoi « virtualité » et « matérialité » trouvent-elles la possibilité de leur réunion dans cette approche sémiotique des œuvres d’art ? La « virtualité » n’est pas a priori spécifique aux pratiques artistiques, puisqu’elle désigne la phénoménalité sémiotique des œuvres offertes à l’interprétation : cette phénoménalité sémiotique est partagée par tous les objets culturels, qu’ils soient ou non numériques, qu’ils soient ou non artistiques. C’est une « virtualité » en tant qu’elle suppose un parcours constructif au sein de la perception et ne se résume pas à une substance perceptive déjà là, parfois trop vite assimilée à la matérialité du canal sensoriel de transmission (l’œil ou l’oreille) : Saussure et Cassirer à la suite de Goethe, suivis entre autres par Lévi-Strauss ou encore certains phénoménologues comme Merleau-Ponty, mettront en valeur l’économie structurale de la sensibilité et les dynamiques de structuration de la perception qui reposent sur cette virtualité culturelle contenue dans la substance perceptive, structuration qui transforme les odeurs incertaines en senteurs ou parfums, les goûts en cuisine, les bruits en sons, les sons en sons du langage ou en sons de la musique, les émotions en sentiments, etc. De son côté, la « matière » artistique soumise à cette culturalisation de la perception relève elle-même d’une définition non substantielle : elle est définie comme un rapport. Un rapport entre le plan des signifiants et le plan des signifiés pour le verbal, rapport lui-même conditionné (mais non déterminé) par les différentes strates de normativité héritées de la tradition (genres, styles, tonalités, etc.) ; pour les œuvres non verbales, cette matérialité est, elle aussi, celle d’un rapport, rapport entre différents paramètres ou dimensions de la sémiose impliquée (par exemple, pour la musique, la texture instrumentale, les dynamiques, les rythmes, etc.). C’est ce que Saussure appelait la « forme » en linguistique, qu’il reliait au thème de la vie des langues : « la forme du langage n’est que les rapports, les arrangements, les différences qui font que nous comprenons une suite sonore en tant que langage » (Utaker 2002, 269)3; « [l]a forme, c’est véritablement la voie royale à une compréhension théorique du langage » (Utaker 2002, 269).
La matérialité d’une œuvre est donc conçue comme une forme de solution provisoire à un « problème esthétique » (A. Warburg) où sont venues s’agréger toutes sortes de contraintes, contraintes empiriques (les pigments, les huiles, les outils à disposition, les pierres, la qualité du bronze, les instruments d’époque, etc. – et pour le numérique, contraintes de programmation par exemple), mais aussi contraintes imposées par les différents matériaux formels à disposition (genres, styles, etc.) qui forment le socle préindividuel d’où viendra s’extraire la légalité propre de l’œuvre, les enjeux qu’elle dessine, la portée qu’elle s’impose. Mais comme la « matérialité » des objets culturels conditionne les capacités perceptives (leur « virtualité » culturelle), la « matière » des œuvres a un rôle culturel très particulier, puisqu’elle renouvelle lesdites capacités en inventant constamment de nouvelles manières de voir, de dire, d’entendre, de sentir, selon une sorte de « dialectologie perceptive » (Kurts-Wöste 2017).
Cette « virtualité » particulière pensée par la sémiotique saussurienne et cassirérienne autorise donc à concevoir une « matière » elle aussi particulière, une matière sémiotisée, culturalisée, qui se défait de tout substantialisme4, et qui se trouve mise au contact des matériaux formels qui conditionnent aussi bien son traitement au niveau de la production que sa compréhension et son appréciation au niveau de la réception. « Virtualité » et « matière » ainsi reconçues ont cela d’intéressant pour aborder la question de la « virtualisation du réel » dans le monde numérique qu’elles permettent tout à la fois une approche fédérative qui ne la coupe pas des formes de création antérieures à l’avènement du numérique, tout en autorisant à penser les spécificités de ce dernier, selon une approche à la fois fédérative et différentielle : si la « matière » est un rapport entre différents paramètres de constitution, ces paramètres peuvent ainsi tout à fait changer (par exemple, intégrer les processus de pixellisation ou d’encodage informatique) sans modifier la définition générale. Il faut toutefois noter que la numérisation suppose une radicale homogénéisation des paramètres sous forme de codes informatiques – le rapport définissant cette nouvelle matière étant alors un rapport entre les différents éléments de ce même code, et non le rapport entre des paramètres hétérogènes –, ce qui induit, nous le verrons, une autre spécificité, pratique cette fois : l’extrême malléabilité de cette matière, pour autant que l’on ait les capacités techniques de s’en servir. Un autre aspect de la définition d’une telle « matière » nous paraît intéressant pour prolonger la réflexion sur la spécificité du numérique dans le cadre d’une approche qui se veut tout à la fois fédérative (sur le plan de l’approche théorique) et différentielle (sur le plan des objets à décrire) : cette « matière » artistique a en effet pour particularité remarquable, pour ce qui concerne l’acte créateur, de se situer dans une temporalité spécifique, celle de la tradition (temps de la tradition que Saussure avait déjà mis en valeur), et ainsi d’engager la responsabilité de celui qui la façonne, la transforme, la réélabore, dans la mesure où elle engage une mémoire, y compris une mémoire du geste, mémoire qui suppose de penser ce geste, sa confrontation à la matière et aux matériaux formels comme étant pris dans un réseau de contraintes qui ne le déterminent jamais, mais stimulent son énergie créatrice. Côté réception, cette « matière » suppose une déontologie interprétative que F. Rastier définit comme une « praxéologie » et qu’il inscrit dans la tradition des « herméneutiques matérielles »5, critiques, dont R. Thouard a fait l’histoire : celles de Shleiermacher et Szondi en particulier.
Une telle inscription dans une mémoire culturelle dont l’œuvre tente de renouveler les enjeux permet de ne pas céder 1. à la fascination que peuvent susciter les techniques immersives qui remplacent la plongée dans la mémoire culturelle par l’immersion dans des virtualités non critiques (que lesdites « réalités virtuelles » – qui sont en fait des mondes imaginaires interactifs –, induisent massivement); 2. à la tentation de confondre les œuvres numériques, actuelles et à venir, avec l’industrie de l’entertainment ou du gadget. En un sens, c’est permettre aussi aux œuvres numériques – celles qui font la preuve d’un puissant travail d’individuation, de subjectivation et de stylisation caractéristique de toute œuvre « classique » – de prétendre au même pouvoir critique, donc au même statut d’« œuvres » que les œuvres du passé, selon un programme exigeant de réintégration de ces pratiques dans le champ d’une réflexion sur les implications éthiques et politiques des pratiques artistiques telles que les sciences de la culture permettent de les (re)penser.
Les œuvres construisent des mondes et des vérités, à l’égard desquels la logique dite « vériconditionnelle » (de mise en philosophie du langage) ne peut constituer un critère d’évaluation – même si toute œuvre construit une manière singulière de voir, d’entendre, de dire qui engage un certain degré de rapport avec la réalité historique. F. Rastier rappelle ainsi que les témoignages des rescapés des camps comme ceux de Primo Levi peuvent à bon droit être considérés comme des œuvres et n’ont rien d’une « littérature conditionnelle » (selon la formule de G. Genette) puisque le critère d’évaluation d’une œuvre n’est pas d’abord celui de son rapport plus ou moins immédiat au réel, mais tout simplement celui de sa qualité – qualité dans l’évaluation de laquelle
la question de la technique, loin d’être secondaire voire superfétatoire, reste cruciale : comme tout objet, un objet culturel ne devient une œuvre que par un processus d’individuation, dans lequel comptent évidemment la qualité d’exécution, le degré d’élaboration, la qualité et l’exploitation du matériau, etc. (Rastier 2016, 27)
Pour le dire simplement, et peut-être d’une manière qui paraîtra provocante tant la question de l’évaluation de la qualité semble devenue anachronique aujourd’hui : F. Rastier prend le risque de rappeler qu’il y a des « virtualisations du réel » qui sont de qualité et d’autres qui le sont moins – et cela vaut aussi bien pour les créations numériques que pour les créations non numériques. La nette inflexion prise par les nouvelles pratiques liées au monde numérique étant d’« incliner au ludique » (Rastier 2016, 143), ce qui n’est pas en soi une dévaluation qualitative, mais a tout de même pour effet de fragiliser la conscience qu’ont le public et les décideurs du pouvoir critique des œuvres au sein des cultures.
À l’inverse de l’emballement un peu naïf à l’égard des prouesses permises par les nouvelles technologies, mais sans les dénigrer a priori, l’auteur invite ainsi à prêter attention aux médias pauvres, comme la gravure au burin, dont la maîtrise témoigne de traditions et de pratiques d’une grande exigence, valorisation qui permet de résister aux sirènes des hautes technologies du numérique dont il faut se rappeler qu’elles n’apportent en soi aucune élaboration complexe de ce genre, même si elles ne les interdisent pas bien sûr – aux artistes du numérique de relever le défi.
III. Dégagements, engagements
Cette matière sémiotisée, si elle aboutit à des « mondes à l’envers » (cf.  Rastier 2018c)  qui imposent par leur fonction critique une dynamique de dégagement des formes idéologiques réifiées, engage dans le même temps le créateur, car se constitue au cours de son élaboration un complexe de valeurs, aussi bien esthétiques qu’éthiques, politiques ou philosophiques, dont l’œuvre a à répondre, dont elle est le garant du fait qu’elle en assume la responsabilité.
La vérité advenant dans les œuvres se définit alors comme un « effet de vérité » qui correspond à la qualité d’un rapport entre faits (inventés ou non) et valeurs : « par la fusion des valeurs individuelles […] et sociales […], [la] conciliation [de la sémiosis et de l’éthésis] induit un effet de vérité. » (Rastier 2018b, 123)
Côté réception, la description de ces effets de vérité par l’herméneute suppose de considérer que
la connaissance n’est pas une représentation d’un réel déjà donné sous la forme providentielle d’une évidence, mais résulte d’une objectivation, c’est-à-dire la constitution d’une vérité - certes soumise à critique et révisable : elle produit des observables et détruit ainsi des apparences et des préjugés. (Rastier 2018b, 18)
Ainsi la capacité à penser ces « vérités » – non évaluables selon une logique vériconditionnelle , vérités qui ont en fait toujours eu cours et qui ne sont nullement propres au monde numérique, est-elle une invention conceptuelle des humanités du début du XXe siècle, laquelle, pour la première fois, permet de penser la « sémiosphère » culturelle (Lotman 1999) en termes de médiation et de couplage de l’individu avec son entour. Ces vérités paradoxales ont ceci d’intéressant qu’elles sont en deçà de la distinction entre fiction et non-fiction, puisqu’elles peuvent aussi bien advenir au sein d’une œuvre de fiction que d’une œuvre de témoignage par exemple. Ce qui compte pour les définir, c’est la « qualité de l’élaboration » des œuvres, leur capacité à donner du sens (non pas un sens, mais du sens) aux expériences en les rattachant à des enjeux, enjeux de tous ordres, esthétiques, éthiques, politiques, philosophiques, etc. C’est leur engagement à l’égard des enjeux qu’elles définissent qui permet de les rendre évaluables, au terme de parcours interprétatifs qu’il s’agit de critériser pour permettre de rencontrer leur singularité. La définition de ces enjeux suppose un rapport critique des individus à l’égard de leur entour, rapport critique qui est bien souvent ce que les environnements simulés des « réalités virtuelles » ou des « réalités augmentées » cherchent précisément à éliminer en proposant des expériences tout à la fois cinesthésiques et kinesthésiques saturant l’espace perceptif, comme nous l’avons déjà souligné.
Il faut noter que cet héritage conceptuel de la sémiotique naissante a pour caractéristique d’avoir été doublement confisqué dans la mesure où 1. Cassirer s’est vu mettre à l’index sur le plan académique pour des raisons indépendantes de ses travaux (puisqu’il a dû s’exiler pour échapper au nazisme); 2. Saussure a pâti d’une lecture partiale de la part de ses premiers éditeurs (Bally et Séchehaye), qui ont induit de nombreux contresens et ont occulté en particulier ce qui fait le fond du présent article (la définition de la « matière » sémiotique comme rapport [entre les deux plans des signifiants et des signifies]). Ainsi, une telle tradition reste-t-elle encore marginale au sein des sciences humaines et sociales, même si un « scénario alternatif »6 semble commencer à se profiler avec la revalorisation de ce patrimoine théorique en partie occulté.
IV. Résistances
L’ouvrage de F. Rastier présente ainsi une nette portée délibérative, ainsi qu’un point de vue transsémiotique à la fois fédératif et différentiel, comme on l’a rappelé ci-dessus : s’il n’existe pas de critères définitifs, ni d’axiomes définitoires pour juger de la qualité des objets culturels – des œuvres en premier lieu —, il rappelle qu’il s’agit de ne pas ignorer la nécessité d’une telle question régulatrice, de façon à garder la distance nécessaire au travail de « tri » qu’impose le déluge de « données » lié aux pratiques numériques. Les œuvres supposent un processus d’individuation à chaque fois singulier, la découverte de lignes de force qui articulent la complexité sans la réduire, l’inscription dans le temps de la tradition (même si c’est pour la subvertir). Une telle définition générale permet ainsi d’éviter au moins deux écueils. Premièrement, celui qui consisterait à considérer les œuvres (verbales et non verbales, numériques et non numériques) comme de simples produits – confusion propre au ready-made ou au pop art, mais aussi à certaines formes de simulations massivement liées à l’univers des jeux et à leurs produits dérivés, assimilation qui menace la notion d’« œuvre » d’insignifiance en annulant sa spécificité. Deuxièmement, celui qui consiste à verser dans une « exaltation obscurément religieuse » (p. 176) de cette même notion, position qui, de Schelling à Heidegger, constitue encore le fond romantique et postromantique sur lequel nous vivons et qui prend parfois la forme, pour le numérique, d’une fascination excessive pour tous ces produits.
Il montre comment l’effort d’objectivation des œuvres d’art implique plus largement encore une reconception du statut de l’art qui ait pour ambition de permettre de repenser ensemble non seulement humanisme, humanité et humanités – qu’elles soient classiques ou numériques – mais aussi hominisation et humanisation, selon l’orientation de ce « scénario alternatif » des sciences de la culture appuyées sur une sémiotique des cultures héritée du paradigme sémiotique propre au structuralisme naissant. Une des voies pour repenser cette sorte d’« humanisme interminable » (selon la belle formule de Muriel Van Vliet reprise à Maniglier dans son article « L’humanisme interminable de Claude Lévi-Strauss ») est bien cette « virtualité » perceptive au contact de la « matière » des œuvres engageant la responsabilité du créateur aussi bien que celle de l’interprète, tous deux engagés dans le processus continu de virtualisation de la culture.
V. Humanités numériques
L’expression « Humanités numériques » est désormais entrée dans l’usage : l’adjectif « numérique » s’y voit le plus souvent crédité d’une fonction salvatrice, dans la mesure où la numérisation massive permettrait de sauver les collections et les monuments de la destruction (que cette destruction soit le fait de la dégradation naturelle des matériaux utilisés, des catastrophes naturelles ou de la violence humaine). Cet argument en faveur de la numérisation du patrimoine artistique mondial (littératures, arts non verbaux, monuments), massivement avancé pour obtenir des fonds, nous paraît tout à la fois fort et faible. Argument fort dans la mesure où il serait en effet vain et stérile de le réfuter en soi, tant il est vrai que la numérisation peut servir à préserver la mémoire du patrimoine culture mondial et à le valoriser, mais argument faible dans le même temps dans la mesure où il permet le plus souvent d’éviter la question, autrement plus difficile, de sa responsabilité dans la manière dont les humanités numériques donnent accès à ce patrimoine.
Or, comme le rappelle F. Rastier,
[e]n nous résistant, nos œuvres cependant nous rappellent à notre réalité et nous enseignent à créer, non à détruire : espérons que dans la formule « Humanités numériques », l’adjectif que l’on croit salvateur ne l’emporte jamais sur le nom. (Rastier 2016, 227)
Les œuvres nous enseigneraient donc « à créer, non à détruire » du fait de leur « résistance », et par ailleurs la définition du pouvoir salvateur des œuvres serait permise non par le « numérique » (l’adjectif), mais par les « Humanités » (le nom) – où l’on retrouve les dimensions anthropologiques et éthico-politiques déjà mentionnées. Les projets actuels de numérisation comme ceux du Google Art Project ou ceux du Traitement Automatique des Langues (TAL) peuvent être relus à cette aune : et si les œuvres étaient offertes, sans précaution, à toutes les manipulations ludiques ou à une lecture désengagée, ignorante de ses enjeux (comme c’est souvent le cas en TAL, qui considère que l’ignorance des informateurs est même la garantie de leur impartialité) ? Et si, via leur exploitation par le numérique, elles ne résistaient plus ? Et si, en mettant à l’index les chercheurs en « sciences molles » pour valoriser les métiers liés à l’informatique, on se privait des gens capables de les lire et de les interpréter ? En se fondant sur l’évidence des « données » ou encore en permettant au spectateur de manipuler numériquement les œuvres sans les connaître, se donne-t-on encore l’occasion de rencontrer leur altérité, qui fait aussi leur force collective ? Sans aucunement verser dans la technophobie7 (on sait par exemple tout le bénéfice que l’on peut tirer du traitement automatique de larges corpus pour mettre en valeur de nouveaux observables jusqu’alors inaccessibles par un traitement manuel), il s’agit donc, avec la numérisation du patrimoine artistique, de ne pas non plus verser dans une confiance sans distance pour les nouvelles technologies, comme telles dépourvues de point de vue et ne pouvant de ce fait aucunement prétendre ni à un quelconque statut scientifique, ni à un potentiel artistique a priori – n’en déplaise aux partisans du Google Art Project qui mettent en avant la puissance de leurs « outils scientifiques » pour scruter les œuvres au plus près grâce à des images en très haute résolution qui permettent par exemple de zoomer sur n’importe quel détail et ainsi de se « plonger dans la matière » par un simple geste du doigt sur la tablette, en un « regard manuel » (Amato et Weissberg 2003)8 qui modifie les échelles à sa guise, « regard manuel » que l’on peut, si l’on veut un peu persifler, entendre comme un « regard aveugle », aveugle aux enjeux et à la portée que manifeste ce détail matériel. Au-delà du plaisir immédiat qu’il peut y avoir à des expériences d’immersion permises par la numérisation des œuvres, l’enjeu est de taille : on risquerait d’oublier qu’elles ont été soumises à un champ de résistances et offrent elles-mêmes une résistance par leur caractère incomparable, qui oblige à apprendre d’elles à chaque fois comment les lire, les voir, les entendre. On risquerait d’oublier qu’elles réinventent à chaque fois la lecture, le regard, l’écoute, ce qui suppose un cadre épistémologique qui soit capable de penser une sémiotique des singularités et qui se donne pour impératif de valoriser la dynamique transformationnelle et critique qu’elles induisent, leur force d’altérisation ne devant aucunement être confondue avec une altération ludique et complaisante de leurs enjeux, dans une inversion inquiétante, car disqualifiante. Il est de la responsabilité des chercheurs en sciences humaines d’élaborer un point de vue épistémologique qui permette de conserver leurs singularités, comme autant de résistances aux crispations identitaires, aux compulsions narcissiques ou encore à l’irruption du mythe dans la réalité, qui, Cassirer le rappelait déjà, est le plus souvent synonyme de violence. À ce titre, les humanités numériques se posent-elles suffisamment la question de la manière dont elles donnent accès à ce pouvoir de résistance ?
À propos du fantasme de toute-puissance que peuvent induire les nouvelles possibilités techniques offertes par le numérique, F. Rastier en propose une relecture historique intéressante, en situant son origine dans les systèmes postkantiens. En effet, le sujet transcendantal kantien donne lieu aux systèmes postkantiens sur lesquels est fondée une part décisive de la tradition romantique et postromantique, celle qui nous conditionne encore, celle de la « Volonté » (avec le tournant décisif amorcé par Schelling, qui publie les Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine), celle de la « Liberté » de l’« âme » pensée – selon l’analyse de Cassirer – comme autonome et indépendante et non celle, plus marginale, même si présente, d’une esthétique critique comme chez Schlegel ou Benjamin : « Apparent dès la Renaissance […], le thème du démiurge peut alors trouver son fondement métaphysique dans l’exaltation de la Volonté. » (p. 172) Ces mouvements de pensée aboutissent à une regrettable disjonction des créateurs et des œuvres au profit des premiers, ce qui induit inévitablement une dévaluation de la technique, du « métier », de la forme, de l’action critique et finalement de la notion même de culture, puisqu’elle se rattache fondamentalement à tous ces thèmes. Ce serait donc paradoxalement via la philosophie de celui par qui l’on sort de la tradition du « pourquoi » métaphysique pour accéder à la tradition du « comment » scientifique que la volonté de toute-puissance ferait retour, en radicalisant une « forme de religiosité diffuse ». Ce serait donc par ce chemin d’une radicalisation du caractère inconditionné/conditionnant du sujet transcendantal que la notion de culture viendrait regrettablement à être dévalorisée. Ces analyses historiques ont le mérite de nous permettre, dans la distance critique, de nous faire anthropologues de nous-mêmes.
L’apologie de la Liberté et de la Volonté dans l’esthétique moderne (Hegel, Schelling) conduit à comprendre les résistances de la matière comme des aliénations auxquelles il faudrait à tout prix échapper, à l’inverse donc du point de vue culturaliste qui lui succède et que nous adoptons. Le moi, devenu à la fois sujet et prédicat, en vient à la tautologie, donc à la perte du sens critique, et l’on peut ainsi opposer le « démiurge occasionnel » (Rastier 2016, 170) qu’est souvent le surfeur sur la toile aux « humanistes interminables » que sont, dans leur plus haute acception, le créateur, l’herméneute et l’amateur d’art.
VI. Virtualisation de la culture : virtu ou vertu des dynamiques transformationnelles
Il reste difficile de comprendre pourquoi nous sommes invités par la création et par l’étude de l’art à rester « humanistes », et pourquoi création et étude de l’art sont des chapitres clés de l’anthropologie. Si la diversité culturelle est bien l’une des caractéristiques de l’hominisation, la résistance des œuvres du fait de leur matière paradoxale, de leur densité, oblige à repenser cette hominisation au sein d’un processus plus large d’humanisation. Un des éléments de réponse à ces difficiles questions consiste à considérer que « c’est la possibilité de voir jaillir des manières de voir en dehors de notre existence actuelle, qui est expérimentée comme un instant vivifiant. L’art oppose “aux formes du vivre ensemble historiquement actualisées tout le domaine des formes de vie ‘possibles’”, et il ne les pose pas seulement face à nous, il nous les rend sensibles » (Lauschke 2010, 40). C’est bien cette virtualisation de l’entour comme dynamique transformationnelle continue qui est ici en jeu. Et l’herméneute a en charge de nous faire rencontrer ces esthésies singulières, qui « désenkystent le monde de la naïveté de son existence » (Dessons 2004). Si les Pokémons dispersés sur un campus universitaire peuvent avoir le même effet de défamiliarisation, ont-ils le même pouvoir d’orientation?
C’est donc en prenant pour fil conducteur ce double thème de la résistance et de la qualité qu’il peut être intéressant d’inscrire l’expression « virtualisation du réel » sur une ligne axiologique : cette ligne axiologique concevrait, d’un côté, la « virtualisation du réel », repensée comme la potentialisation du monde sémiotique (conçu comme le réel de l’humain en tant qu’animal symbolique) selon une dynamique de transformations, potentialisation tout à fait salutaire et vertueuse où les œuvres sont conçues comme des moteurs essentiels de cette dynamique de résistance aux crispations identitaires aussi bien qu’aux fantasmes de toute-puissance ou encore au présentisme d’une hypersubjectivité égotiste envahissante et anhistorique, dont l’autotélisme présente un potentiel mortifère. Cette « virtualisation du réel » comme potentialisation du champ culturel repose sur une philosophie de la technique comme acte engageant en amont son auteur et relevant, en aval, d’une praxéologie herméneutique. Ce qui permet de réentendre le potentiel sémantique de l’étymon du terme « virtuel », construit sur le nom virtu, vertu ou courage moral (même si la sexualisation de cette vertu conçue comme valeur virile [dérivé de vir] n’a plus lieu d’être). C’est le même étymon que l’on retrouve d’ailleurs dans le terme « virtuose » par exemple, celui qui maîtrise si bien la technique qu’il la fait oublier — ce que l’on peut rapprocher d’une autre notion latine, celle d’habitus, qui n’a rien de commun avec l’habitude au sens d’une simple disposition prise par répétition, mais qui s’entend comme une paradoxale « aisance conquise » au terme d’un parcours qualifiant exigeant. De l’autre côté, cette même « virtualisation du réel » désignerait au contraire une idéologie dérégulatrice, autorisant toutes les adhésions immersives sans autre forme d’enjeu que leur autoengendrement compulsif.
Une telle ligne axiologique pourrait faire croire que l’on oppose d’un côté principe de réalité et de l’autre principe de plaisir, mais ce que l’herméneutique matérielle a le grand mérite de rappeler est qu’avec la vie des formes, avec la vie des matières sémiotisées dans le geste créateur, principe de réalité et principe de plaisir ne s’opposent pas : le courage politique peut prendre la forme minimale et en même temps radicale d’un désir de comprendre, au sens fort d’expérimenter de l’altérité critique, à même les cinq sens, dans lequel le plaisir joue un rôle indéniable. Le projet reste « fragile », car il est complexe et le complexe n’a pas bonne presse. Pour le verbal, il prend la forme, selon F. Rastier, d’une « sémantique linguistique » :
Aussi le programme d’une sémantique linguistique reste-t-il tout à la fois récent et fragile : s’y engager résolument serait admettre que le sens est un phénomène linguistique, donc qu’il varie avec les langues, voire avec les pratiques sociales. Cela serait contraire aux deux dogmes anciens de l’universalité de l’âme et de la raison, comme aux deux dogmes modernes de l’uniformité du monde physique et de l’identité génétique. Nous aurons donc à distinguer le problème scientifique de la diversité culturelle et linguistique et le postulat métaphysique de l’unité (théologique, génétique). (Rastier 2018b, 50‑51)te
VII. Numérisation : une rematérialisation
F. Rastier rappelle enfin que la numérisation ne gagne rien à être pensée comme une dématérialisation puisqu’« un pixel affiche un signal physique tout à fait matériel » :
Le numérique ne se confond pas avec le virtuel – il est bien actuel et un pixel affiche un signal physique tout à fait matériel. On peut distinguer quatre niveaux : (i) le substrat matériel de l’affichage par pixels (les « nombres » qui donnent son nom au numérique sont des signaux physiques binaires interprétés comme des nombres) ; (ii) le document numérique tel qu’il s’affiche et s’échange par fichiers ; (iii) la teneur du document (comme la dépêche d’agence ou le courriel) ; (iv) l’œuvre (comme le morceau de musique ou le roman) qui se distingue tant par sa teneur que par sa portée. (Rastier 2016, 132)
La numérisation est donc plutôt une rematérialisation, mais dont la spécificité tient à ce qu’elle suppose un type de rapport nouveau aux objets, du fait de l’uniformisation des paramètres matériels dans un même support numérique : la représentation numérique transforme le médium en données informatiques, la rendant ainsi programmable, ce qui en change radicalement la nature. Google Art Project met ainsi en avant quatre valeurs qui conduisent l’effort de numérisation et qui construisent une conception implicite du « virtuel » qui se passe en fait de définir le terme lui-même pour s’intéresser aux valeurs associées aux fonctionnalités qu’on lui alloue : performance, accessibilité, appropriabilité, vision scientifique (voir Catoir-Brisson 2013).
Point n’est besoin de revenir sur cette supposée « vision scientifique » qui n’est en soi rien d’autre qu’une technologie, certes de pointe, mais sans point de vue ni garantie. La question du point de vue et de la garantie est pourtant centrale, même si pour l’instant sans solution : elle se pose 1. dans le problème du tri des œuvres données à voir – selon quels critères sont-elles choisies ou jetées dans l’oubli ? –, et 2. dans le problème des interfaces d’accès : toute arborescence d’entrée, toute indexation, tout empaquetage par des métadonnées ferme d’autres parcours possibles et rend le projet d’un archivage de la « densité de l’image » (et de la densité des textes) à la fois « inutile et désespérée »9.
La copie numérique d’une œuvre d’art ne porte certes pas en soi atteinte à son intégrité si elle se sait être une copie ; elle est la représentation d’une présentation, c’est-à-dire une copie au 4e degré si l’on adopte le point de vue platonicien (la présentation étant elle-même l’image d’une image). Mais cette insistance sur la possibilité, grâce aux technologies numériques, de « plonger dans la matière », construit une forme d’appropriabilité qui tend à la fois à faire oublier son statut de copie, et à favoriser une manipulation sans résistance ni conscience d’une responsabilité. Grâce à l’interactivité, le spectateur immergé devient acteur, mais un acteur non redevable de ses choix : « sur la toile, tout semble allographique et plus rien ne fait autorité, puisque l’autographie suppose l’inscription dans la résistance d’une matière » (Rastier 2016, 151) :
Un texte, inscrit sur un support, et l’image d’un texte, affichée sur un écran sont des choses bien différentes : la stabilité de l’objet mobilier introduit une permanence, une résistance, un retour d’effort, un rapport avec un environnement commun, tout ce qui concourt à l’objectivation et au respect d’un principe de réalité. (Rastier 2016, 131)
C’est ainsi que « l’art numérique, par son retrait instrumental, incline au ludique » (Rastier 2016, 153), ce qui peut être conçu comme une forme d’atonie communicationnelle sans enjeu autre que l’entertainment – tendance que les artistes du numérique ont à conscientiser pour mieux lui échapper ou pour mieux en jouer dans l’invention de nouveaux « comme si ».
VIII. Virtualités : typologie critique
Il est ainsi possible de définir les différents niveaux où la définition de cette « virtualité » sémiotique peut trouver son application dans la définition des objets culturels, et plus particulièrement des œuvres d’art :
Toute matière sémiotisée, et a fortiori celle des œuvres d’art, suppose ce que F. Rastier appelle une « culturalisation de la perception », à rebours du cognitivisme orthodoxe fondé sur la supposition de données universellement partagées, culturalisation de la perception qui désigne cette capacité à reconnaître des zones de pertinence et de prégnance dans le flux des stimuli sensibles, à faire de la perception une « vie dans le sens » (Cassirer), à rendre significatifs certains phénomènes, ce qui permet de les sauver de l’insignifiance : on voit combien cette « virtualité » perceptive (virtualité du phonème dans le flux phonétique, virtualité de la couleur dans le continu du stimulus visuel, etc.) – consiste en une activité bien actuelle et effective des réseaux neuronaux, qu’elle contribue à modifier en profondeur, les œuvres apprenant à voir, à entendre, à sentir de manière toujours renouvelée.
F. Rastier propose par ailleurs de penser l’œuvre comme résultat d’un processus de création conçu comme une découverte : découverte de « germes structurels » au sein d’un corpus génétique ou d’un corpus d’élaboration que le créateur se choisit pour se mesurer à lui et en renouveler les enjeux : c’est à l’interprète/herméneute de reconstituer la virtualité de ce monde des œuvres absentes qui en conditionnent la compréhension. Pris dans une tradition qu’elle institue (et qui peut très bien combiner une dette symbolique à l’égard des anciens et des modernes, des proches et des lointains, l’œuvre ayant toujours un potentiel cosmopolite et multilingue – le monde globalisé du numérique ne faisant que confirmer ce constat), le traitement du matériel (matériel pictural, plastique, sonore, numérique, etc.) est conditionné par ces virtualités normatives, dont l’action dans le geste créateur est pourtant bien effective et reconstituable. Ces virtualités normatives (genres, styles, formes : virtualités « normales » et non normalisatrices, conditionnantes et non déterminantes) sont les matériaux formels, au sens adornien, dont l’œuvre hérite et qu’elle transforme.
En tant que résultat d’un processus de prise de forme fondé sur la découverte au fil de ce processus d’un certain nombre de « lignes de force » qui permettent d’articuler la complexité, l’œuvre reste tendue et recèle souvent un certain nombre de contradictions ou de tensions non résolues qui constituent autant de virtualités, au sens cette fois de potentialités, qui pourront être exploitées dans d’autres œuvres, du même créateur ou d’autres.
Ainsi l’œuvre est-elle finalement prise dans un champ « métastable » (Rastier 2016, 201) – notion qui contredit au passage le principe d’immanence qui a pu régir une certaine sémiotique structuraliste (celle de Hjelmslev par exemple, avec sa définition de la structure comme « entité autonome de dépendances internes »), qui n’est pas celle qui nous intéresse ici.
La virtualisation de la culture est donc ici entendue dans un premier temps comme prise en compte de la relative autonomie du monde sémiotique conçu comme Zwischenwelt, comme lieu de médiation entre les individus et leur entour.
Enfin, c’est par la prise en compte de cette médiation qu’est pensable une autre définition de la « virtualisation de la culture », au sens d’un mouvement continu d’actualisation de nouvelles formes grâce aux processus de transmission, traductions, transductions partout à l’œuvre.
Nous partageons en revanche la position de Marcello Vitali-Rosati selon laquelle la « définition du virtuel en tant que représentation ou création d’espaces imaginaires [n’est pas] acceptable », ou en tout cas doit être discutée : d’une part parce que ces espaces imaginaires simulés sont bien réels (et stimulent de manière tout à fait actuelle les tissus neuronaux) – et que leur assimilation au « virtuel » au sens technique fait perdre leur rapport à la puissance de potentialisation de l’imagination (au sens philosophique) : saturé d’informations polysensorielles, le « specta(c)teur » n’a d’ailleurs souvent plus de capacités imaginatives propres dans le « temps réel » du jeu, ce qui est très différent d’une œuvre classique, qui ménage toujours, par son « comme si », un espace d’imagination au spectateur). D’autre part, parce que ce virtuel conçu comme « irréel » est lui-même fondé sur la supposition d’une « immatérialité » du numérique — selon une forme de paralogisme que M. Vitali-Rosati nous semble avoir raison de stigmatiser :
La définition de virtuel en tant que représentation ou création d’espaces imaginaires ne nous semble donc pas acceptable. Bien qu’internet présente des aspects – qui, d’ailleurs, ne sont pas omniprésents – liés à la simulation (les jeux vidéos électroniques en témoignent), ce ne sont pas ceux-là dont on parle quand on évoque la virtualité. Il est peut-être opportun, en conclusion, de revenir sur les raisons de cette erreur qui consiste à approcher le concept de virtuel avec l’idée de quelque chose d’abstrait, voire d’irréel. La source de cette mésinterprétation remonte, probablement au fait que l’on croit identifier dans l’espace d’internet, un élément d’immatérialité : après coup s’institue le lien entre immatérialité et irréalité. La cause de cette sensation d’immatérialité dépend probablement de trois éléments : la « déterritorialisation » opérée par internet, le fait que les objets d’internet ne semblent pas avoir de matière, et, enfin, le fait que le corps semble être complètement exclu de l’espace des nouveaux médias. (Vitali-Rosati 2009)
- Nous partageons donc également son point de vue lorsqu’il remarque que les objets numériques n’ont rien d’immatériel, puisqu’ils sont faits par « les câbles, les signaux électriques, les processeurs, etc. ». Si ce n’est pas la même matière que celle des objets antérieurs au numérique, elle n’est en rien immatérielle. Et il faut encore aller plus loin pour rapprocher cette « matière » – à la définition encore trop chosiste et trop atomiste —, de la définition sémiotique que nous en avons donnée précédemment : cette matière numérique au sein d’une œuvre numérique est celle d’un rapport entre ces différents paramètres. Ce qui induit un rapport au corps de l’utilisateur, certes spécifique, mais bien réel lui aussi :
celui-ci reste toujours présent et impliqué dans l’exploration de l’espace virtuel. C’est ce que démontre une recherche exposée dans Lire écrire récrire où, après l’observation des attitudes des utilisateurs, les chercheurs arrivent à affirmer que « le dispositif médiatique implique toujours un engagement physique fort de la part de son utilisateur »; des positions différentes du corps correspondent à différentes façons de chercher quelque chose dans un hypertexte ou à différents moments de la lecture et de l’esprit de l’utilisateur, exactement comme dans les attitudes corporelles que l’on a dans la réalité « actuelle ». (Vitali-Rosati 2009)
Ainsi la sémiotique des cultures permet-elle en bonne partie de se défaire des confusions liées à l’usage récent du terme « virtuel » apparu dans ce domaine (en particulier sur l’impulsion de Jaron Lanier) pour valoriser le potentiel descriptif lié à son ancienne définition philosophique comme « potentiel » : potentiel perceptif et potentiel de dynamisation de la sémiosphère, dont la force agissante se fait partout sentir, mais selon un mode toujours conscient de son caractère médié. On le voit, les acceptions du « virtuel » comme « irréel » et comme « immatériel » sont des inflexions sémantiques récentes qui suscitent plus de confusions qu’elles ne décrivent de nouveaux observables.
Conclusion
Si l’on repense la numérisation comme rematérialisation et non comme dématérialisation, rien n’interdit alors d’appliquer la définition régulatrice et humaniste de la « matérialité » au numérique, si ce dernier est conçu comme matière responsable et responsabilisante :
Deux questions nous retiendront : la première intéresse la possibilité d’automatiser la création artistique, conformément au programme général de l’Intelligence artificielle ; la seconde revêt un caractère éthique et intéresse la responsabilité du créateur devenu programmeur ou simple utilisateur de logiciel. Elle n’est pas complètement saugrenue, à l’époque des drones tueurs et autres robots létaux. (Rastier 2016, 133)
Gageons que la matière du numérique saura inventer ses traditions et ses résistances et qu’elle offrira de nouvelles exigences, de nouvelles traditions, donc aussi de nouvelles occasions d’application de l’herméneutique matérielle : la revalorisation actuelle des sciences de la culture comme paradigme novateur dans les sciences humaines constitue sans aucun doute un vecteur important de reconsidération du « virtuel » à cette aune.
C’est ce cadre épistémologique qui nous semble aujourd’hui le mieux à même de permettre de comprendre que l’adjectif « numérique » n’est en soi ni salvateur, ni modernisateur, ni créateur - la pointe de la modernité ne se définissant dans ce cadre que par la force de l’inactualité de la posture critique qui sait rappeler certaines des virtualités endormies de l’histoire de la pensée, comme ces paradoxales « virtualité » et « matérialité » que Saussure et Cassirer nous ont léguées en héritage, qui sont autant de vecteurs de compréhension de nos nouvelles réalités culturelles.
Bibliographie
Amato, E.A., et J.L. Weissberg. 2003. « Le corps à l’épreuve de l’interactivité: interface, narrativité, gestualité. » HYX Interfaces. Anomalie digital arts (n ∘3).
Auerbach. 1946. Mimesis: la représentation de la réalité dans la littérature occidentale. Gallimard.
Cassirer, Ernst. 1972a. Philosophie des formes symboliques. t. 1. Le langage. Minuit.
Cassirer, Ernst. 1972b. Philosophie des formes symboliques. t. 2. La pensée mythique. Minuit.
Cassirer, Ernst. 1972c. Philosophie des formes symboliques. t. 3. La phénoménologie de la connaissance. Minuit.
Catoir-Brisson, M.J. 2013. « De l’oeuvre d’art numérisée à l’image numérique circulante. Approches sémiotique et anthropologique de l’énonciation dans Google Art Project ». Interfaces numériques 2 (n ∘2).
Deleuze, Gilles. 1968. Différence et répétition. PUF.
Dessons, Gérard. 2004. L’art et la manière. Champion.
Kurts-Wöste, Lia. 2017. « Les formes symboliques artistiques au prisme de la musique : pour une approche trans-sémiotique ». Signata 8.
Lassègue, Jean. 2007. « Une réinterprétation de la notion de forme symbolique dans un scénario récent d’émergence de la culture ». Revue de Métaphysique et de morale 2 (54).
Lauschke, Marion. 2010. « Les fonctions de l’art chez E. Cassirer ». In Cassirer et l’art comme forme symbolique. PURennes.
Lévi-Strauss, Claude. 1958. Anthropologie structurale. Plon.
Lévy, Pierre. 1998. Qu’est-ce que le virtuel? La Découverte.
Lévy, Pierre. s. d. « "Sur les chemins du virtuel" ». Consulté le 2017. http://hypermedia.univ-paris8.fr/pierre/virtuel/virt0.htm.
Lotman, Youri. 1999. La sémiosphère. Limoges: Presses universitaires de Limoges.
Merleau-Ponty, Maurice. 1964. Le visible et l’invisible. Gallimard.
Rastier, François. 2016. Créer: Image, Langage, Virtuel. Casimiro.
Rastier, François. 2018a. « Cassirer et la création du structuralisme ». In Lo strutturalismo nella linguistica moderna. Rome: Luca Sosella.
Rastier, François. 2018b. Faire sens. De la cognition à la culture.
Rastier, François. 2018c. Mondes à l’envers. Garnier.
Saussure, Ferdinand (de). 1995. Cours de linguistique générale. Payot.
Saussure, Ferdinande (de). 2002. Ecrits de linguistique générale. Gallimard.
Serres, Michel. 1992. Eclaircissements. Entretiens avec B. Latour. F. Bourin.
Simondon, Gilbert. 1958. Du mode d’existence des objets techniques. Paris: Aubier.
Thouard, Denis. 2012. Herméneutique critique: Bollack, Szondi, Celan. Villeneuve d’Ascq: Presses Universitaires du septentrion.
Utaker, Arild. 2002. La philosophie du langage. Une archéologie saussurienne. PUF.
Van Vliet, muriel. 2010. Ernst Cassirer et l’art comme forme symbolique. PURennes.
Van Vliet, Muriel. 2013. La forme selon Cassirer: de la morphologie au structuralisme. Rennes: PURennes.
Vitali-Rosati, Marcello. 2009. « La virtualité d’internet: une tentative d’éclaircissement terminologique ». revue Sens Public.
Vitali-Rosati, Marcello. 2012. S’orienter dans le virtuel. Paris: Hermann.
Voir Saussure, 1995, De l’essence double du langage : 28 : « […] une forme ne signifie pas, mais vaut : là est le point cardinal. Elle vaut, par conséquent elle implique l’existence d’autres valeurs. », puis p. 31 : « Admettre la forme hors de son emploi c’est tomber dans la figure vocale qui relève de la physiologie et de l’acoustique. » Voir encore la section 6 c « [Forme] » (Saussure, 1995 : 35-36) et la section 6 e « [Forme-Figure vocale] » (Saussure, 1995 : 37-40).↩
Saussure peut ainsi écrire dans ses Ecrits de linguistique générale (2002) : « Il n’y a aucune terme définissable et valable hors d’un point de vue précis, par suite de l’absence totale d’êtres linguistiques donnés en soi. » (p. 81)↩
Pour une histoire des herméneutiques critiques, voir Thouard (2012).↩
Voir Jean Lassègue, « Le langage et le symbole » (Lassègue 2007).↩
Technophobie dont les travaux de G. Simondon invitent à se prémunir (Simondon 1958).↩
Voir également les nombreux travaux publiés par l’Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines.↩
P. Basso, communication orale pour la Journée d’étude tenue le 24 avril 2017 à la Fondation Maison des sciences de l’homme à Paris, « L’art et l’image de l’art. Création artistique et virtualisation du réel », Journée d’étude organisée par le Centre Universitaire de Norvège à Paris et l’Institut Ferdinand de Saussure.↩