La discussion à propos de la présence des médias dans les œuvres littéraires s’est très souvent arrêtée sur un texte emblématique : le chapitre intitulé « Ceci tuera cela » du cinquième livre de Notre-Dame de Paris. Dans ce texte, Victor Hugo attribue au personnage de Frollo une réflexion sur les places respectives de l’architecture et de l’imprimerie dans la situation historique qui est la sienne, la seconde moitié du quinzième siècle. Cette réflexion s’appuie sur une idée essentielle : « l’imprimerie tuera l’architecture », « le livre va tuer l’édifice » (Hugo 1975, 175 et 174). Le personnage décrit ainsi un jeu de substitution entre les supports qui assurent la circulation des informations dans l’espace social. L’architecture a été durant plusieurs siècles le « registre principal de l’humanité », c’est désormais le livre qui tiendra ce rôle : « la pensée humaine […] dépouille une forme et en revêt une autre » (Hugo 1975, 181 et 182). La substitution ainsi identifiée est énoncée à travers une série d’analogies qui lui donnent une forme imaginaire. C’est d’abord le lexique du meurtre, de l’assassinat, qui s’affiche dès le titre du chapitre. Mais cette analogie est rapidement doublée de plusieurs autres1, qui modifient à chaque fois la relation entre les deux médias. Parmi elles, on trouve celle de la liquidité et du déplacement des fluides vitaux : « l’architecture se dessèche peu à peu, s’atrophie et se dénude. Comme on sent que l’eau baisse, que la sève s’en va, que la pensée des temps et des peuples se retire d’elle ! » (Hugo 1975, 183). « Cependant, que devient l’imprimerie ? Toute cette vie qui s’en va de l’architecture vient chez elle. À mesure que l’architecture baisse, l’imprimerie s’enfle et grossit » (Hugo 1975, 185). Cette propagation de l’imprimé, présentée comme un mouvement de crue entamé au XVe siècle, n’est par ailleurs pas sans rapport avec le contexte même de rédaction du roman. Les premières années de la monarchie de Juillet voient en effet les sociétés européennes entrer peu à peu dans une nouvelle « ère médiatique2 », caractérisée par l’essor de la presse quotidienne et le développement de nouvelles techniques de reproduction des images3.
La réflexion proposée ici se donne pour tâche de comprendre comment, dans deux textes écrits au tournant des XIXe et XXe siècles, le discours de la substitution - « Ceci tuera cela » - a pu être réinvesti pour qualifier un contexte médiatique assez différent, contemporain des textes eux-mêmes. Il s’agira, en outre, d’observer ce qui, dans ce contexte, permet aux auteurs de renverser l’analogie établie par Hugo entre l’évolution des pratiques médiatiques et la variation des masses d’eau.
Le premier de ces textes est un conte intitulé « La Fin des livres », écrit par le journaliste et bibliophile Octave Uzanne, et publié d’abord dans le magazine américain Scribner’s en 1894 (Uzanne 1894, 221‑31), avant d’être repris en français l’année suivante, dans le recueil Contes pour bibliophiles (Uzanne 1895a, 123‑45). Les deux versions du texte sont accompagnées d’illustrations d’Albert Robida. Le second est une chronique de l’humoriste Alphonse Allais, parue dans Le Journal, un des principaux quotidiens de l’époque, le 12 mars 1902. Elle a pour titre « L’Agonie du papier » (Allais 1990a, 692‑94).
Chacun de ces deux textes propose une situation fictive où apparaît un objet médiatique nouveau, destiné à remplacer le papier. Et dans chacun d’eux, la substitution envisagée fait intervenir un motif singulier : celui du déluge de publications imprimées.
Pour saisir la manière dont se nouent ces deux aspects, il faut revenir sur l’articulation entre les objets médiatiques et les discours qui les évoquent, les mettent en scène ou les représentent. Comme le souligne Jürgen E. Müller : « [l’histoire des médias] doit […] inclure l’imagination, les utopies et les pratiques médiatiques oubliées, ainsi que les représentations textuelles, picturales et pragmatiques des médias anciens, virtuels et nouveaux » (Müller 2006, 105). En un sens, comme cela a souvent été souligné4, les médias peuvent s’apparenter à ce que Michel Foucault nommait des « dispositifs », à savoir des « ensemble[s] résolument hétérogène[s], comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des énoncés […] bref : du dit, aussi bien que du non-dit » (Foucault 2001, 299). Ils apparaissent ainsi comme des réalités à la fois matérielles et discursives, ils mettent en jeu dans un même mouvement des objets techniques, des espaces délimités et des comportements réglés d’un côté ; des valeurs, des représentations et des significations de l’autre. La part discursive du dispositif médiatique, ce n’est pas seulement, et pas même d’abord, le discours que porte le média, mais surtout celui qui l’encadre, qui le situe socialement et l’articule à la fois à un imaginaire et à un ensemble de normes. C’est en cela que les textes littéraires peuvent participer à l’élaboration des dispositifs médiatiques : parce qu’ils apparaissent comme une voix dans le concert des discours sociaux5 qui conduisent à les instituer.
Institués, les dispositifs médiatiques le sont aussi à un niveau plus profond, dans la mesure où ils n’existent jamais en dehors de leurs actualisations concrètes, historiques, et sous cette forme toujours agencés à d’autres dispositifs : « Il n’est pas sûr qu’on puisse parler de médias distincts. Tout média fait inévitablement partie de réseaux complexes6 » affirme encore Jürgen E. Müller. Les éléments évoqués pour la situation de la fin du XIXe siècle illustrent d’une certaine manière cet état de fait : chaque objet technique qui participe d’une institution médiatique le fait en s’articulant à d’autres, et les évolutions historiques susceptibles d’être identifiées sont nécessairement multiples, variables pour chaque objet ou principe technique, pour chaque institution.
Quant aux discours, s’ils participent à instituer des dispositifs, formes stabilisés des réseaux complexes de médiations agencés, ils circulent eux-mêmes à travers d’autres dispositifs où ils ont toute liberté pour établir des liens entre les formes médiatiques instituées et celles qui émergent.
Pour ce qui concerne les textes à l’étude, ils élaborent des agencements spécifiques entre des objets techniques anciens ou récents – phonographe, lanterne magique, kinétographe, microphotographie – et le discours de la catastrophe que représenterait le déluge de papier. De plus, ils le font à une époque où ces objets techniques ne sont pas encore institués comme média ou médium, articulés à des espaces, des comportements, des imaginaires, des valeurs, à une époque enfin où ils ne s’appellent pas encore cinéma, microfiche ou « phono7 ».
Médias de substitution : histoire technique et réagencements fictionnels
« La Fin des livres » et « L’Agonie du papier » : les titres des deux textes indiquent déjà ce qu’ils ont en commun. Ils formulent la même hypothèse d’une mort prochaine du papier comme support de l’information, ils annoncent la fin de l’imprimerie, qui elle-même avait déjà condamné l’architecture dans le roman d’Hugo. Dans le conte d’Octave Uzanne, un narrateur fait le récit d’une soirée passée en compagnie de quelques amis intellectuels, soirée au cours de laquelle la conversation se serait portée sur les « destinées futures de l’humanité ». Les convives, l’un après l’autre, imaginent les modifications profondes qui s’apprêtent à survenir dans divers domaines. Lorsque c’est au tour du narrateur de prendre la parole, il affirme :
l’Imprimerie qui a changé le sort de l’Europe et qui, surtout depuis deux siècles, gouverne l’opinion par le livre, la brochure et le journal ; l’Imprimerie qui, à dater de 1436, régna si despotiquement sur nos esprits, me semble menacée de mort (Uzanne 1895b, 132).
Chez Alphonse Allais, le locuteur du texte, qui s’adresse directement au lecteur, fait une prédiction assez proche :
Les enorgueillis, qui, par stupide analogie, vaniteusement caractérisent notre époque l’âge du papier, sont d’effroyables niais, imbéciles à torpiller dans les vingt-quatre heures.
 N’en doutez pas, aux regards de nos rosses de petits-neveux, le papier apparaîtra plus brute encore que le paléontologique silex plus ou moins taillé (Allais 1990a, 693).
Si cet énonciateur tente aussi fermement de persuader le lecteur de la fin imminente du papier, c’est qu’il s’apprête à lancer « une brave petite affaire appelée à révolutionner le monde entier, tout bêtement ». Le texte lui-même, du reste, se présente comme un appel aux investisseurs, destiné à les convaincre de financer cette « nouvelle Société ». Cette dernière se propose de promouvoir la création d’un « journal sans papier », et bientôt de romans de même nature. La première publication de cette sorte, intitulée La Pellicule, s’apprête d’ailleurs à paraître. Les abonnées recevront, avec le premier numéro, « un appareil ressemblant fort à une lanterne magique » dans lequel ils devront glisser une « légère carte transparente, pas plus énorme qu’une carte à jouer ». Une fois la carte insérée, « sur la toile en face, vient se projeter la plus clairement lisible de nos gazettes françaises8 ».
Dans « La Fin des livres », à la mort annoncée de l’Imprimerie correspond aussi la naissance d’un nouveau régime médiatique, appuyé lui aussi sur une innovation technique. Selon le narrateur, ce seront les enregistrements sonores qui remplaceront les livres :
l’Imprimerie […] me semble menacée de mort, à mon avis, par les divers enregistreurs de son qui ont été récemment découverts et qui peu à peu vont largement se perfectionner (Uzanne 1895b, 132).
Sa prophétie est assez mal accueillie par les autres convives, ce qui le pousse à donner une explication plus détaillée et à envisager tous les prolongements de cette idée. Il imagine tour à tour la miniaturisation des dispositifs de diffusion sonore, les enregistrements de textes littéraires, la présence d’appareils parlants à l’intérieur du domicile, voire dans tous les lieux publics comme les restaurants ou les trains, et, enfin, pour satisfaire au goût du public pour les images, la projection d’images animées grâce à une autre technologie, le kinétographe.
Chez Octave Uzanne comme chez Alphonse Allais, on retrouve donc les deux éléments de la substitution telle qu’elle était formulée chez Hugo : un média s’apprête à mourir, un autre à le remplacer. « Ceci tuera cela9 ». Les médias de substitution envisagés apparaissent, au regard d’un lecteur d’aujourd’hui, étonnamment proches des différents dispositifs audio-visuels qui ont marqué le XXe siècle : le cinéma, l’enregistrement et la diffusion sonore, les microfiches, voire même la télévision10. Néanmoins, c’est bien à partir des innovations techniques qui voient le jour en cette fin de XIXe siècle que sont imaginés les appareils présents dans les deux fictions.
Le phonographe en effet, inventé par Thomas Edison en 1877, sert de point de départ à la prophétie du narrateur de « La Fin des livres ». « Il me paraît, affirme-t-il, que l’art [de l’imprimerie] a atteint son apogée de perfection, et que nos petits-neveux ne confieront plus leurs ouvrages à ce procédé […] en réalité assez facile à remplacer par la phonographie encore à ses débuts » (Uzanne 1895b, 133). L’intérêt de la fiction d’Uzanne repose donc moins sur l’appareillage technique qu’il imagine, que sur les fonctions qu’il lui assigne : pour lui, c’est avant tout comme substitut à l’imprimé littéraire que le phonographe a le plus grand avenir. Or cette perspective constitue une réduction importante des usages possibles de l’appareil qui, dans les discours qui l’ont entouré lors de son apparition, a d’abord été perçu dans la diversité de ses applications potentielles11. Edison lui-même, dans un article de 1878, avait proposé une liste de ce qui pouvait être envisagé avec le phonographe :
« L’écriture de lettres […], des livres phonographiques […], l’enseignement de l’élocution […], la musique […], l’archive familiale […], des horloges qui annoncent en parlant l’heure du jour […], la préservation de la langue […], des fins éducatives […], le perfectionnement ou le progrès de l’art du téléphone12 ».
Si, de toutes ces pratiques, c’est l’enregistrement de la musique qui est devenu l’actualisation sociale la plus importante du phonographe13, Octave Uzanne, dans son texte, insiste au contraire sur la seconde proposition de la liste formulée par Edison. Lorsque le narrateur tente d’identifier la nature des sons qui seront enregistrés par le nouveau média, la musique apparaît en effet comme un élément secondaire, bien moins central que les voix humaines : « les pièces les plus rares contiendront des cylindres ayant enregistrés […] la voix d’un maître du théâtre, de la poésie ou de la musique » (Uzanne 1895b, 137). De la même manière, si le phonographe enregistre les bruits du monde, ce n’est que pour accompagner la parole des hommes : « Les narrateurs […] diront le comique de la vie courante, s’appliqueront à rendre les bruits qui accompagnent et ironisent parfois, ainsi qu’en une orchestration de la nature, les échanges de conversations banales, les sursauts joyeux des foules assemblées, les dialectes étrangers » (Uzanne 1895b, 137). L’ensemble du texte est en fait organisé autour de l’opposition formulée initialement entre « enregistreurs du son » et « Imprimerie », les deux médias se livrant concurrence pour se faire les « interprète[s] de nos productions intellectuelles », pour donner forme à « l’art de se pénétrer de l’esprit, de la gaieté et des idées d’autrui » (Uzanne 1895b)14. Cette première réduction des usages possibles du phonographe – de l’enregistrement du son à l’enregistrement de la parole – se double d’une seconde, concernant cette fois la nature des propos qui seront enregistrés. Si le point de départ de la prophétie d’Uzanne concerne le destin des livres, très vite, le narrateur en vient à évoquer la presse. Or, pour chacune de ces deux formes de l’imprimé, c’est en tant qu’ils sont des supports du discours littéraire qu’il envisage surtout les conséquences de leurs substitutions par la phonographie. La presse est décrite comme dominée par le « mandarinisme littéraire » (Uzanne 1895b, 141)15, tandis que les livres évoqués par le texte sont pour l’essentiel des ouvrages de littérature, et particulièrement des romans16.
Cette double réduction, du son à la parole et de la parole au discours littéraire, peut être comprise, dans le contexte, par l’importance accordée au modèle de la conversation au sein du discours littéraire lui-même. Le texte d’Uzanne en effet, dans un ouvrage qui, par son titre, annonce à la fois son ancrage dans le domaine littéraire – Contes – et l’importance de son support – puisque destiné aux bibliophiles –, se présente comme le récit d’une « conversation17 ». Dans le même temps, le narrateur, participant de cette conversation, en fait le modèle d’une transmission efficace du discours et un argument en faveur du développement de la phonographie : « c’est ainsi que dans la conversation notre cerveau conserve plus d’élasticité, plus de netteté de perception, plus de béatitude et de repos que dans la lecture » (Uzanne 1895b, 134). Le texte établit ainsi une continuité entre la scène narrative d’énonciation, une conversation entre « bibliophiles et […] érudits » (Uzanne 1895b, 125), à l’intérieur de laquelle va se déployer le récit d’anticipation, et la nature des discours qui, dans ce même récit, passent d’un média à un autre, de l’imprimé au phonographe. Il faut noter en outre que le « mode conversationnel », comme le précise Marie-Ève Thérenty, est aussi une propriété du discours journalistique de l’époque18. L’anticipation d’Uzanne repose donc sur la pérennité d’une modalité singulière du discours, la conversation orale, qui donne forme tout à la fois aux énoncés journalistiques, au récit d’anticipation et aux discours enregistrés par le phonographe que ce récit met en scène.
Pour ce qui est du « kinétographe », mentionné par Uzanne à la fin du conte, il s’agit d’une autre invention d’Edison, beaucoup plus récente celle-ci, à la date de rédaction du texte. Les premiers essais de l’ingénieur américain pour réaliser des enregistrements photographiques du mouvement datent de 1888. Néanmoins ce n’est qu’en 1891 que l’appareil, ou plutôt les appareils, sont fonctionnels. Le kinétographe permet d’enregistrer sur des films celluloïds un grand nombre de photographies successives, suivant le principe de la chronophotographie19. Quant au kinétoscope, il permet d’observer, dans une grande caisse en bois munie d’une ouverture, le défilement des mêmes films, produisant une illusion presque parfaite du mouvement enregistré. Les premières démonstrations de l’appareil ont lieu en 1893, le 9 mai20. La veille paraissait dans Le Figaro un article d’Octave Uzanne, relatant sa rencontre avec Edison, quelques jours plus tôt, dans le laboratoire de ce dernier. Il y décrivait notamment avec une grande précision un kinétoscope et y transcrivait sa réaction, livrée à Edison ce jour-là : « Je lui fais signe que je suis sans voix, sans expression possible, presque sans croyance » (Uzanne 1893, 1). Le lendemain de la parution de l’article, Alphonse Allais, dans Le Journal, publie une parodie de ce texte. Il affirme avoir rencontré Uzanne aux États-Unis le soir même de sa visite chez Edison, et s’être rendu le lendemain, lui aussi, chez l’inventeur. Loin de s’étonner devant le « petit appareil » et ses « images-successives se remplaçant rapidement », il préfère décrire à ses lecteurs d’autres « merveilles » en passe de sortir de l’atelier d’Edison : la lampe à huile et le fil à couper le beurre. Il précise, d’ailleurs, pourquoi le kinétographe n’a à ses yeux rien de particulièrement inédit :
Encore sous le coup de son émotion, Uzanne me décrivit le fameux kinetograph, dont on a pu connaître les détails par le Figaro du 8 mai. Il me sembla bien que le kinetograph ne constituait pas une invention d’une fraîcheur éblouissante, et qu’il ressemblait furieusement à ce joujou qu’on appelle le zootrope, et qu’on peut se procurer pour 25 ou 30 sous dans tous les bazars français. Enregistrer le mouvement par des photographies instantanées successives, ne me parut point être le comble du génie. L’année dernière, à l’Exposition de Photographie […] il nous fut donné de contempler quelques projections de ce genre […]. Certains de ces mouvements duraient près d’une minute à raison de 60 clichés successifs à la seconde. […] C’était merveilleux, mais voilà : cela ne s’appelait pas le kinetographe, cela ne venait pas d’Amérique, vià Uzanne, et Edison n’était pas dans l’affaire21.
Ce qu’Alphonse Allais a vu, à l’Exposition de Photographie de 1892, c’est très probablement un autre appareil capable de recréer l’illusion du mouvement grâce à la photographie successive : le phonoscope de Demenÿ, qui y était présenté22. Quant au « zootrope », il s’agit d’une variante du phénakistiscope de Plateau, qui est en effet un des premiers objets à produire l’illusion du mouvement par la succession des images.
Si Allais évoque avec autant de mauvaises grâces l’invention d’Edison – qui comporte pourtant un nombre important d’améliorations par rapport au phonoscope de Demenÿ – c’est parce qu’il reproche à l’industriel américain de s’être approprié une quinzaine d’années plus tôt l’invention du phonographe, que son ami Charles Cros affirmait avoir mis au point, sous le nom de paléophone, dès le printemps 187723.
Cette passe d’armes entre les deux auteurs à propos du kinétographe et des appareils de diffusion de photographies animées permet d’apercevoir au moins deux éléments importants du contexte de la période. D’abord, que les informations circulent entre le monde littéraire et le champ des innovations techniques, notamment par le biais de la grande presse quotidienne – celle précisément dont la mort est annoncée par les fictions qui nous occupent. Ensuite, que l’essentiel des données techniques à l’origine de ce que nous appelons le « cinéma » sont en place dès le début des années 189024. Comme l’affirme Laurent Mannoni, en 1894, au moment de la première publication de « La Fin des livres », « tous les éléments sont réunis […] pour donner le jour au vrai spectacle chronophotographique, sur grand écran : les films de fiction sont déjà tournés […] et divers systèmes d’entraînement de la pellicule ont donné satisfaction (par exemple celui du kinetograph Edison) » (Mannoni 1994, 385). Pour les chercheurs qui travaillent sur cette question l’enjeu, à ce moment-là, est d’intégrer le défilement des films chronophotographiques à un système de projection similaire à celui d’une lanterne magique, ce que feront les frères Lumière l’année suivante. Or, dans son récit, c’est ce point qu’anticipe Uzanne :
Le Kinétographe enregistrera le mouvement de l’homme et le reproduira exactement comme le phonographe enregistre et reproduit sa voix. D’ici cinq ou six ans, vous apprécierez cette merveille basée sur la composition des gestes par la photographie instantanée ; le kinétographe sera donc l’illustrateur de la vie quotidienne. Non seulement nous le  verrons fonctionner dans sa boîte, mais, par un système de glaces et de réflecteurs, toutes les figures actives qu’il représentera […] pourront être projetées dans nos demeures sur de grands tableaux blancs (Uzanne 1895b, 143).
Lors de ses premiers travaux sur le kinétoscope, en 1888-1889, Edison avait envisagé, comme d’autres avant lui, de recourir à un système de microphotographies. Cette technique est finalement avantageusement remplacée par des systèmes à bandes, et notamment par le film celluloïd, dans la plupart des appareils de photographie animée des années 1890. Toutefois, la microphotographie trouvera bientôt une application dans un autre domaine : celui de la conservation des documents.
Dans « L’Agonie du papier », la chronique d’Alphonse Allais, c’est d’ailleurs la microphotographie qui permet le fonctionnement de l’appareil destiné à remplacer le papier :
Le miracle s’est simplement accompli par microphotographie des huit ou douze pages d’un immense journal sur la mignonne et susindiquée pellicule (Allais 1990a, 693).
Le dispositif décrit par Allais correspond en fait, dans son principe, à ce qu’on nommera au XXe siècle les « microformes ». Qu’il s’agisse de microfiches ou de microfilms, ces objets sont des supports pour des reproductions photographiques miniatures. Pour être consultés, ils nécessitent l’usage d’un terminal de lecture, « lecteur » ou « projecteur », qui fonctionne sur le modèle d’une lanterne magique. La microphotographie, la technique qui permet de réaliser de telles reproductions, est parfois appelée aussi « micrographie ».
La réalisation de microphotographies a été envisagée dès les débuts de l’histoire de la photographie, et elle est techniquement au point depuis les travaux de René Dagron à la fin des années 1850. Mais les microphotographies de Dagron, qui sont prises à des échelles de réduction extrêmement élevées, s’observent au microscope : elles ne sont pas destinées à être projetées. De plus, le support sur lequel elles sont reproduites est d’une grande fragilité. Ce n’est que dans les années 1930 que le recours à la microphotographie de documents, combiné à l’usage d’un projecteur pour leur consultation, se développe dans les bibliothèques et les centres de documentation. C’est dans ce contexte qu’on verra apparaître microfiches, microfilms, et leurs « lecteurs » respectifs.
La nécessité, pour des besoins de conservation, de reproduire des documents a commencé à apparaître pour les bibliothécaires au tournant des XIXe et XXe siècles. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, le papier était majoritairement produit à partir de chiffons de toile, mais le développement de la pâte à papier mécanique, élaborée à partir de rondins de bois, a eu deux conséquences importantes : l’augmentation des capacités de production et la baisse de la qualité des produits. L’essentiel des papiers mis en circulation à partir de 1880 sont bien plus fragiles que les documents plus anciens, et ont une durée de vie bien inférieure. Devant la double nécessité de conserver des quantités de plus en plus importantes de documents et de prendre en considération la fragilité de leurs supports, les bibliothécaires et professionnels de la documentation ont envisagé la reproduction par microphotographie25. Autour de 1900 les premières inquiétudes se font jour26, et le procédé commence à être envisagé.
En 1907, par exemple, Paul Otlet, le père de la documentation moderne, publie avec Robert Goldschmidt un article intitulé « Une forme nouvelle du livre : le livre microphotographique ». Dans ce texte, les deux auteurs envisagent la micrographie comme une solution aux problèmes de conservation des documents entraînés par la mauvaise qualité du papier. Ils affirment notamment que « la fabrication de diapositives pelliculaires pour les projections animées de la cinématographie indique les voies à suivre27 ». Le cinéma, en effet, apparu depuis lors, a apporté à des problèmes similaires un certain nombre de solutions innovantes : l’usage d’un support stable, le film celluloïd ; ainsi que le recours à la projection pour la « consultation » des photographies miniatures. Ce n’est que dans les années 1930 pourtant, lorsque la nécessité devient pressante et les conditions techniques suffisantes, que s’élaborent dans les bibliothèques les premières politiques de conservation par micrographie. Il aura fallu attendre notamment la mise au point de supports moins sensibles au feu que le film celluloïd.
La chronique humoristique d’Alphonse Allais, parue trois ans avant le texte programmatique d’Otlet et Goldschmidt, se comprend dans ce contexte à la fois technique, documentaire et médiatique. Mais encore une fois, l’intérêt du texte d’Allais réside dans le fait qu’il opère lui aussi un déplacement par rapport aux fonctions qu’on peut attribuer aux microphotographies projetées. Le texte de la chronique commence ainsi :
Vous pensez bien, mes petits amis, que ce n’est pas uniquement à titre de prunes, ni sans les plus sérieux motifs que je viens de me livrer à d’intarissables jérémiades sur l’imminente disparition des arbres, causée par la de plus en plus folle consommation de papier imprimé (Allais 1990a, 692).
Dès les premières lignes, Allais renvoie donc son lecteur à une précédente chronique, en l’occurrence celle publiée le 2 mars. Dans ce texte était formulée la démonstration suivante :
Au temps jadis, - ça ne nous rajeunit pas ! - les déchets textiles, autrement dit chiffons, suffisaient largement à l’exigence manufacturière du papier. […] Aujourd’hui, nous fabriquons notre papier avec de la pulpe de bois […]. Or, un travail des plus sérieux, récemment publié, établit ce fait angoissant : la production industrielle du papier dépasse actuellement la production naturelle de bois. Autrement dit, l’Usine, chaque jour, dévore plus de bois que n’en crée la Végétation […]. Bref, déduction mathématique, l’arbre est à la veille de disparaître, bouffé – je maintiens le mot – bouffé par le journal. Par le journal, surtout, mais aussi par le livre, l’affiche, etc., etc (Allais 1990b, 689).
Ainsi, le même constat, la fabrication du papier à partir de la matière végétale, conduit Allais à s’alarmer de la déforestation et les bibliothécaires de l’époque à s’inquiéter de la durée de vie des documents imprimés. Et à ces deux problèmes une même technique, la micrographie, apparaît comme la solution unique. Néanmoins, la réduction photographique n’a pas du tout les mêmes fonctions dans la fiction humoristique et dans les politiques de conservation des bibliothèques. Chez Allais, il s’agit de réduire la masse de matière première prélevée sur la nature, et non pas d’augmenter la durée de vie des documents ou la capacité de stockage des établissements documentaires. Évidemment, Allais n’explique pas à partir de quelle matière première est produite la « légère carte transparente », et, si ce mode de reproduction des documents venait à se répandre, dans quelle mesure la réduction opérée pourrait suffire à ne plus mettre en danger le renouvellement naturel des matériaux. Ce qui motive la substitution du média, c’est moins une préoccupation écologique proprement dite, qu’un principe de parcimonie dans le recours aux matériaux qui supportent l’information.
Or, ce principe de parcimonie rentre en contradiction avec les modalités mêmes qui conditionnent le discours d’Allais : la chronique qu’il tient dans Le Journal occupe une véritable « rubrique » au sein du périodique quotidien, c’est-à-dire une surface de papier matériellement délimitée, mais reproduite à intervalles réguliers pour assurer la continuité du discours28. Les opérations de renvois que l’humoriste met en place signalent au lecteur cette continuité : l’étude des conséquences de la surproduction de papier est ironiquement menée dans un format qui impose de l’interrompre et de la reprendre indéfiniment, en un processus sans fin de consommation de papier29.
Apparaît ainsi assez clairement ce qui distingue les différents textes évoqués jusqu’ici : chez Uzanne, l’anticipation de la substitution repose sur l’approfondissement d’un des usages potentiels de l’enregistrement sonore, le « livre phonographique », et elle est rendue possible par le modèle de la conversation, qui est commun au discours littéraire et au discours de presse ; chez Allais, elle apparaît comme une solution radicale à un faux problème – la déforestation – déduit logiquement d’une véritable évolution des modes de production – le changement de la matière première qui entre dans la composition du papier. Ce faux problème donne l’occasion à l’humoriste d’imaginer une littérature et une presse indépendantes de leurs supports de papier, et ce dans un environnement médiatique qui repose entièrement sur le principe d’une presse littéraire imprimée30. Chez Hugo enfin, le discours de la substitution, rétrospectif, permet d’appréhender le développement historique qui conduit à la situation où se trouve le romancier. Il formule, par la fiction d’un récit des origines, une cohérence entre un support médiatique dominant, l’architecture puis l’imprimerie, et un ordre de valeurs, dominée par la foi et la croyance, puis par l’intelligence et l’opinion31.
Les trois textes ont en commun d’essayer de penser le contexte médiatique de leurs temps à travers une fiction de la substitution, originelle chez Victor Hugo, à venir pour Octave Uzanne et Alphonse Allais. Ils s’énoncent au sein de cette « civilisation du journal », dont Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant ont étudié les caractéristiques (Kalifa et al. 2011). À l’aube de cette civilisation, au moment où se développent les techniques de reproduction mécanique des images et la presse quotidienne d’information, Victor Hugo en établit la genèse en mettant en scène l’appareillage technique qui la rend possible : l’Imprimerie. Au moment où s’amplifie le phénomène, à partir des années 1880, du fait notamment de la modification de la matière première à l’origine du papier et d’un nouveau cadre juridique, la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, Octave Uzanne et Alphonse Allais en imaginent le dénouement : ils voient dans l’émergence de ce qu’on nommera bientôt les « médias audio-visuels » un signe de la fin de l’ « âge du papier » (Allais 1990a, 693).
Ces récits d’anticipation se distinguent assez nettement du roman de Victor Hugo, parce qu’ils s’énoncent à un moment où la cohérence entre un support médiatique et un ordre de valeur n’est pas encore instituée : les techniques n’ont pas toutes trouvé leurs usages, ni les usages leurs techniques définitives. C’est en un sens ce qui rend ces textes intéressants pour un lecteur du XXIe siècle : ils imaginent des pratiques médiatiques qui, en réalité, ont été minoritaires ou marginales avec ces appareils, mais qui seront amenées à se renouveler, articulées à d’autres évolutions techniques. C’est ainsi que ce que l’on appelle aujourd’hui le « livre audio », entendu dans une acception littéraire, a existé comme pratique minoritaire tout au long du XXe siècle32. Mais ce n’est qu’à partir des années 1980, avec les appareils baladeurs et surtout, quelques années plus tard, avec la généralisation de la numérisation des sons enregistrés, que cette pratique s’est vue relancée. De la même manière, la « lecture sur écran », dont on sait l’importance aujourd’hui, a existé durant des décennies dans les centres documentaires, devant les lecteurs de microformes.
On le voit néanmoins, interroger rétrospectivement les textes d’anticipation à l’aune de l’histoire technique telle qu’elle nous apparaît, c’est remettre en cause la successivité des médias formulée par le « Ceci tuera cela » – car la substitution imaginaire met en jeu le lien complexe qui se noue entre les objets techniques et les fonctions qui peuvent leur être attribuées.
Conclusion
Dans Notre-Dame de Paris, Victor Hugo formulait de la manière la plus explicite une proposition sur le devenir des dispositifs médiatiques : « Ceci tuera cela », un média se substitue à un autre, et cette substitution modifie les valeurs qui fondent l’ordre social. Ce discours de la substitution lui permettait d’appréhender, par une fiction du retour aux origines, les mutations médiatiques qui allaient donner naissance à la « civilisation du journal ». L’image du déluge, dans une telle fiction, recelait une première ambiguïté : elle donnait une forme imaginaire à une idée simple, à savoir que les productions humaines, et particulièrement les œuvres de l’esprit, courent toujours le danger de disparaître sous les assauts du temps. Mais dans le même temps, c’était la même analogie, celle de la liquidité, qui permettait au romancier de rendre sensible la capacité de résistance des objets médiatiques et l’énergie investie dans les productions de l’intelligence.
Au tournant des XIXe et XXe siècles, au moment où sont publiés les textes d’Octave Uzanne et d’Alphonse Allais, ces deux formes de l’épanchement liquide n’en font plus qu’une : c’est le déluge de productions imprimées qui met en danger le développement de la civilisation. Une nouvelle substitution est alors envisagée, dans les fictions des deux auteurs, pour répondre à ce constat. Ce que peut montrer la lecture de ces deux textes, c’est que les fictions qui se proposent d’imaginer de telles substitutions à venir peuvent être envisagées comme des discours constitutifs des dispositifs médiatiques eux-mêmes. Des discours qui n’en sont pas à l’origine directe, mais qui ont participé à l’élaboration de leur part imaginaire, à ce qui lie l’institution médiatique à un ensemble de représentations et de valeurs. Les débats sur la liberté d’expression, ré-ouverts depuis le vote de la loi de 1881, ont fait circuler le discours social de la catastrophe du déluge de papier. Et c’est pour penser ce déluge que les fictions envisagent des « médias de substitution », renversant ainsi l’analogie formulée par Hugo qui faisait de la substitution la conséquence d’un assèchement.
Les médias qui se sont institués au cours du XXe siècle : cinéma, « phono », livre audio, emplacements réservés à l’affichage électoral, microformes, puisque ce sont eux qui sont imaginés ici avec plus ou moins de précision, portent en eux la question que posent Allais et Uzanne : que faire du déluge de papier ? Le reconduire sous une autre forme, déluge de sons enregistrés et d’images projetées, pour maintenir un terrain de jeu au bibliophile, explorateur et chercheur de raretés ? Ou le réguler, créer des surfaces lisses où les inscriptions ne seront plus que provisoires, détachables de leurs supports et recyclables ? Aucune de ces deux propositions ne se réalisera pleinement dans les dispositifs médiatiques institués depuis lors, mais elles seront apparues, au cours même de la période qui les a vu naître, comme des potentialités, souhaitables ou effrayantes, qui auront contribué à établir notre imaginaire des médias.
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Le changement de peau du serpent (p. 182) ; le démembrement de l’Empire (p. 184) ; ou encore le ver rongeur (p. 185).↩
Sur la notion d’ « ère médiatique » et le contexte des années 1830, voir Thérenty et Vaillant (2001).↩
Concernant les enjeux implicites de ce chapitre de Notre-Dame de Paris, et notamment la relation qu’entretient le texte avec l’univers des images reproductibles, voir Le Men (2014, 27‑51).↩
La notion de « discours social » a été proposée par Marc Angenot pour désigner « les systèmes génériques, les répertoires topiques, les règles d’enchaînement d’énoncés qui, dans une société donnée, organisent le dicible » (Angenot 1989, 13).↩
Voir « Vers l’intermédialité » (Müller 2006, 105).↩
Sophie Maisonneuve évoque « l’usage du “phono” comme médium musical », où le terme est entendu dans un sens plus large que l’appareil précis d’Edison (Maisonneuve 2006, 19).↩
Pour toutes les citations précédentes : voir « L’Agonie du papier » (Allais 1990a, 692‑93).↩
Dans un autre conte du même recueil, Uzanne fait explicitement référence à la formule d’Hugo en la modifiant légèrement : « ceci tuerait cela » (Uzanne 1895c, 178). Quant à Allais il emploie aussi la formule dans un autre texte : « Une affaire de tout premier ordre » (Allais 1989, 680).↩
Sur la place qu’occupe le texte d’Uzanne dans l’histoire de la télévision, voir André Lange (2000, 153‑72).↩
Sur cette question voir notamment Sophie Maisonneuve (2006, 17‑31).↩
C’est notamment ce qu’indique Sophie Maisonneuve (2006).↩
Respectivement les pages 132 et 134.↩
Il est à noter que le narrateur prophétise la disparition de cette mainmise de la littérature sur la presse lors de la transition qui mènera du journal sur papier aux « rouleaux de celluloïd ».↩
En témoigne surtout le passage où le narrateur, dans la même phrase, par l’intermédiaire du terme anglais novel, déplace la question du support au discours : « Pour le livre, ou disons mieux, car alors les livres auront vécu, pour le novel » (Uzanne 1895b, 136).↩
L’un des convives change par exemple « le cours de la conversation en […] apostrophant brusquement [le narrateur] ». Voir « La Fin des livres » (Uzanne 1895a, 132).↩
Voir le chapitre consacré au « Mode conversationnel » (Thérenty 2007, 174‑84). Cette propriété du discours journalistique, qui ne cesse de se présenter sous l’apparence d’une conversation, se retrouve chez Uzanne lui-même lorsqu’il écrit dans la presse. Voir par exemple la « Causerie de nouvelle année » qu’il publie dans Le Livre (Uzanne 1886, 2). On trouve ce modèle, de la même manière, dans les textes d’Alphonse Allais, qui qualifie lui-même sa chronique pour Le Journal de « scintillante causerie » (Allais 1990c, 689).↩
Sur l’histoire de la chronophotographie, voir Laurent Mannoni (1994, 299‑337).↩
Sur le kinétographe d’Edison, voir Laurent Mannoni (1994, 359‑83).↩
Toutes les citations proviennent de Alphonse Allais (1893, 1).↩
C’est ce qu’indique par exemple Laurent Mannoni (1994, 330).↩
Edison, quant à lui, a rendu public le phonographe en novembre de cette même année, et le brevet date du mois de décembre. Le texte d’Allais sur l’affaire Cros-Edison est paru dans Le Chat noir le 14 septembre 1889. Voir « Charles Cros et M. Edison » (Allais 1990c, 208‑11).↩
C’est en ce sens qu’il faut relativiser l’idée d’une quelconque « naissance du cinéma » en 1895. D’une part parce que les objets techniques qui rendent possible la photographie animée ne cessent d’évoluer, avant comme après 1895. D’autre part parce que le cinéma est essentiellement une Institution, qui s’est construite socialement et sur un temps relativement long. Sur le cinéma comme Institution, voir André Gaudreault (2008).↩
Sur le microfilm et les microformes, voir Philippe Rouyer (1999).↩
On voit ces inquiétudes apparaître par exemple lors du Congrès international des bibliothécaires qui s’est tenu à Paris en août 1900. Pierre Dauze, rédacteur en chef de la Revue biblio-iconographique – à laquelle participent d’ailleurs Uzanne et Otlet – y intervient sur ce thème (Dauze 1901, 227‑31).↩
Cité d’après Philippe Rouyer (1999, 54‑61). L’auteur met d’ailleurs en relation les deux textes d’Otlet et d’Allais.↩
Comme le souligne Marie-Ève Thérenty : « Les rubriques constituent l’invariant du journal […] elles s’opposent par leur permanence à une information forcément labile. […] Le journal est une somme éclatée de fragments d’actualité, opération qui ne se résout jamais et qui nécessite sa reproduction jour après jour » (Thérenty 2007, 78‑79).↩
Allais consacrera en tout cinq chroniques à cette question de la surproduction de papier, dans les numéros du 21 février, du 2, 7, 12 et 27 mars 1902.↩
La manchette du Journal fait apparaître explicitement ces trois aspects : presse quotidienne, inspiration littéraire et support papier. Le sous-titre du périodique est en effet : « Quotidien littéraire, artistique et politique ». Quant à l’encart publicitaire, il précise : « Le seul journal français paraissant tous les jours sur six pages au moins ».↩
« Ceci tuera cela […] [c]’était le cri […] qui voit dans l’avenir l’intelligence saper la foi, l’opinion détrôner la croyance » (Hugo 1975, 174).↩
À destination notamment des personnes souffrant de cécité (Rubery 2011, 1‑24).↩
Voir la page 13 et les suivantes.↩
Marc Angenot décèle, dans les discours qui suivent l’adoption de la loi de 1881, une image proche : la « marée montante » (Angenot 1986, 53‑54).↩
Le motif du déluge chez Hugo se trouve très souvent pris entre ces deux pôles. D’un côté, il peut apparaître comme une catastrophe imprévisible, extérieure par son origine aux actions humaines. C’est le cas par exemple de la prosopopée du Déluge dans La Fin de Satan ; voir « L’Entrée dans l’ombre » (Hugo 1950, 777‑78). D’un autre côté, il figure la puissance vitale du corps social, notamment dans sa dimension révolutionnaire, comme dans l’épilogue de L’Année terrible; voir « Dans l’ombre » (Hugo 1974, 471‑72).↩
Respectivement les pages 141 et 136.↩
Comme l’indique Philippe Ortel, la scène, en tant que disposition d’éléments dans un espace, fût-il diégétique, est un objet singulier, susceptible de « passer » d’un média à un autre, ici de l’image au texte. En outre elle favorise la « fixation visuelle » des faits, « qui relève de l’imaginaire » (Ortel 2001). Voir notamment les pages 303-305 et 317-318.↩
On trouve des remarques de cette nature dans de nombreux autres textes d’Uzanne parus dans Le Livre. Voir par exemple « Causerie de nouvelle année » (Uzanne 1886, 2), ou encore, « Les Écrivains, le public et la réclame » (Uzanne 1887, 225‑31).↩
Dans le même texte, Uzanne évoque explicitement « le déluge de nouvelles éditions illustrées » (p. 200).↩
Ainsi que la citation précédente.↩
Respectivement les pages 151 et 168.↩
La disposition, en vigueur à l’heure actuelle, sera finalement adoptée une dizaine d’années plus tard, avec la loi du 20 mars 1914. Sur la lente régulation de l’affichage électoral entre 1881 et 1914, voir notamment Jacques-Olivier Barthes (1993). L’auteur précise notamment l’enjeu des différents projets de lois relatifs à cette question entre 1900 et 1910 : « L’espace public n’est plus fondé sur une liberté positive d’afficher mais sur une liberté négative subordonnée à la notion de respect de l’ordre public » (p. 99).↩
En réalité Allais se trompe ici, et semble confondre les deux textes : celui de 1900, finalement rejeté, et celui adopté en 1902, qui ne prévoit pas d’emplacements réservés mais interdit seulement l’affichage sur les monuments ayant un caractère artistique.↩