Avec l’emprisonnement de Lula, une boîte de Pandore s’ouvre au Brésil d’où émergeront des haines rancies que les médias attisent. Qu’une série à succès illustre les aspects triviaux de la situation et se transforme en document à charge, cela démontre le primat de l’idéologie sur les faits dans un pays où le discrédit des institutions et de leurs représentants bloque tout débat sur l’avenir du pays. Ce texte de Jessé Souza inaugure une collaboration durable de notre revue avec un intellectuel et sociologue brésilien dont le travail porte sur la question capitale du déni de l’histoire dont cet immense pays vit quotidiennement les effets. L’ancien président avait parié sur une dynamique de citoyenneté pour tous les Brésiliens. Il sera désormais le symbole de l’instrumentalisation du droit au service des classes dominantes, et a déclaré lire en prison le livre de Souza L’élite du retard ! (Gérard Wormser)
Ce texte a été traduit du portuguais par Gérard Wormser.
La manipulation du public mise en œuvre par la nouvelle série controversée de Netflix, Le Mécanisme, réalisée par José Padilha, n’est ni simplement ni principalement liée aux évidents mensonges, ni au découpage historique sélectif induisant la croyance selon laquelle les schémas de « Lavage-express » ont commencé par le PT (Parti des Travailleurs) en 2003. Le point essentiel pour fonder sa critique tient à sa conception naïve et superficielle de la corruption et à l’infantilisation du public qu’elle induit.
En ce sens, Le Mécanisme reprend exactement là où le film Troupe d’élite 2 s’achevait. L’hélicoptère survolant le Congrès national à Brasília, à la fin du film Troupe d’élite 2, a pour signification d’expliquer au spectateur qu’il ne sert à rien de vouloir en finir avec le crime et la violence des rues sans en finir d’abord avec le « crime majeur », la corruption politique de ce qu’il désignait alors comme le « système ». Dans Le Mécanisme, simple changement de nom pour « système », la continuité parfaite avec le film précédent se vérifie par le premier aparté de la série, le personnage interprété par Selton Melo, disant :
Ce qui fout en l’air notre pays, ce n’est pas la violence des favelas, ni le manque d’éducation, ni la faillite du système de santé, ni le déficit public, et pas plus les taux d’intérêt, ce qui fout notre pays en l’air, c’est la cause de tout ça.
Et la cause de tout cela, selon le film et la série, c’est la corruption politique. En bon manipulateur, José Padilha ajoute que la corruption politique est un « cancer ». Autrement dit, ce point se passe de clarification ou d’explication sophistiquée sur son fonctionnement, il suffit de l’associer à la peur et à l’imprévisibilité fatidique d’une maladie mortelle. Du reste, pour combattre un cancer, tout est bon, même l’extraction de l’État de droit, l’amputation de la constitution et la tolérance à des actes invasifs comme l’élimination des garanties et des droits individuels. Tel est, condensé, le message de « l’œuvre » de Padilha.
Comme la série de Padilha porte sur l’opération « Lavage-express » comme le grand traitement oncologique brésilien, qui a déjà dépassé sa phase utile en devenant une farce qui continue à présent sur sa lancée, le mensonge sur la corruption des seuls politiques peut maintenant être déconstruit avec la clarté du soleil à midi. Après cinq années de « Lavage-express » opérant comme agent de l’état d’exception et par-dessus la constitution, avec l’appui sans restriction de tous les médias vénaux, et se tournant en pouvoir arbitraire faisant ce qui lui plaît, qu’avons-nous comme résultats ? Un milliard de réais (360 millions d’euros) rentrés dans les coffres publics, trente fois moins que ce qui fut versé aux Américains avant même le lancement d’un procès en bonne et due forme, des rapports intimes avec le Département d’État américain dont tout indique qu’ils furent illégaux et la criminalisation des plus grandes entreprises brésiliennes comme Petrobrás et Odebrecht qui ont perdu des sommes astronomiques en capitaux et en capacité d’investissement, ce qui a signifié la perte de millions d’emplois. Selon des recherches de l’IPEA (Institut de recherches économiques appliquées) effectuées alors que je présidais cette institution, l’impact direct de l’opération « Lavage-express » se chiffrait déjà en 2015 à la perte d’un million et demi d’emplois. L’actuel chômage de masse est donc directement lié au secteur « lavage-emplois » de l’opération « Lavage-express ». Beau traitement anticancéreux ! S’il ne tue pas le cancer, il tue le patient.
Mais la moralité de façade sert toujours à masquer un crime réel. La domination actuelle directe du marché et des intermédiaires financiers sur l’État et la politique a conduit à la vente de nos richesses, à des taux d’intérêt réels usuraires répercutés dans tous les prix et une dette publique jamais auditée qui a coûté 392 milliards (110 milliards d’euros) d’intérêts l’an dernier, soit quasiment 400 « lavages-express ». Et ceci sans compter les exemptions fiscales – selon l’adage fameux : à moi le bénéfice, à vous autres idiots les pertes – qui montent à des centaines de milliards pour les banques et les grands propriétaires agricoles. Et ceci sans parler du billion cinq cents milliards de dispenses fiscales aux plus riches. Mais comme le dit Padilha, tout cela est de la fumée. Le « système » ou le « mécanisme » est purement politique, le marché ne s’occupe que de négoce, n’est-ce pas ?
Voici donc le brillant « mécanisme » du « génie » Padilha : situer la maladie simplement dans le médiateur, chez qui transporte et reçoit une « valise » et ne jamais s’interroger sur ceux qui paient et sur la nature de leurs intérêts. Se le demanderait-il, il saurait que le manque d’éducation et le système de santé failli ont tout à voir avec une dette publique dont l’explosion est le fruit de la fraude et du secret, qui absorbe la moitié du budget public, que c’est pareil pour les taux usuraires qui la frappent comme ils frappent tout ce qui se produit et se consomme ici. Que le véritable cancer est le marché de prédation et d’extorsion sans la moindre régulation qui agresse littéralement la population, associé aux médias qu’il a acheté, lesquels mentent et inversent le sens du monde tout comme Padilha dans ses productions. Que Padilha soit juste un imbécile qui parle de ce qu’il ne comprend pas, ou qu’il trompe le public en sachant ce qu’il fait ne change finalement rien. Une seule certitude : le cancer, c‘est lui.