La culture du Brésil est restée longtemps peu connue à l’extérieur. Stefan Zweig écrit, lors de son premier séjour au Brésil : « Du point de vue de la culture, le Brésil est terra incognita, autant qu’elle l’était du point de vue de la géographie pour les premiers navigateurs » (Zweig 1941). La situation a certes changé depuis. Il n’en demeure pas moins que l’on connaît encore mal les poètes brésiliens à l’étranger et que peu de leur travail poétique a été traduit et diffusé hors du pays. À l’intérieur même de l’Amérique latine, les échanges de la poésie brésilienne avec celle des pays voisins sont restés longtemps limités, en particulier en raison de la barrière de la langue. Il est notable qu’au cours des dernières décennies, de nombreux poètes brésiliens, cherchant à rompre cet isolement, aient fourni un considérable travail de traduction de leurs homologues étrangers.
La poésie du Brésil s’est d’abord construite en partant de l’imitation de l’Europe et en particulier du Portugal, berceau de sa langue d’adoption. Son histoire moderne commence au début du 20e siècle quand elle rompt avec l’académisme lié à la culture portugaise et établit un langage propre cherchant à intégrer les traditions indigènes, africaines, et européennes. Se développent alors divers courants opérant chacun un choix spécifique entre forme et contenu et entre recherche esthétique et protestation face à l’injustice sociale et la répression politique.
Entre 1922 et 1964 se succèdent plusieurs mouvements poétiques. En nous basant sur les classifications proposées par Affonso Romano de Sant’Anna (1977), Izacyl Guimarães Ferreira (2005) et José Carlos De Nóbrega (2010), nous avons ici distingué le modernisme, le postmodernisme, la génération 45, le concrétisme, le mouvement Tendência, le néoconcrétisme et la poésie praxis. De 1964 à 1985, la poésie manifeste sa résistance à la dictature militaire au sein de différents courants (poema/processo, poésie marginale et Catequese poética) et par l’intermédiaire de quelques poètes « indépendants ». Au lendemain de la dictature, la poésie s’exprime sous des formes et styles très divers. C’est à cette époque que se développe la poésie écrite par les femmes et que fait irruption sur la scène poétique la parole des minorités discriminées ou exploitées (noirs, indigènes, homosexuels, habitants des favelas). Au 21e siècle, les poètes ne se réclament plus d’une esthétique ou d’un mouvement, et on assiste à une véritable explosion de formes et styles différents.
Cet essai se devait enfin d’évoquer le repente et de la littérature de cordel, formes poétiques populaires étroitement liées à la culture du Brésil (en particulier du Nordeste) et toujours très vivantes aujourd’hui, ainsi que la poésie en langues indigènes, fruit de créations collectives ou individuelles.
L’article ne prétend pas être une étude de théorie poétique. Son objectif est principalement de constituer un inventaire des mouvements littéraires et de fournir des données biographiques et intellectuelles concernant les auteurs et des caractéristiques associées à leur travail poétique. Son ambition est de faire « œuvre utile » en offrant à tous ceux qui s’intéressent à la poésie de ce pays quelques repères et informations de base, les incitant ou les invitant ainsi à des recherches ultérieures concernant tel ou tel mouvement ou auteur.
Chaque mouvement est replacé dans son contexte historico-politique. Sans entrer ici dans le débat des relations entre poésie et politique, disons seulement que ce choix n’implique ni la croyance en un déterminisme absolu de l’histoire sur les créations de l’esprit ni le fait de considérer la poésie comme une simple arme de transformation sociale ou d’attribuer à celle-ci un rôle messianique. Il reconnaît simplement l’interaction dialectique entre la poésie, production de l’esprit, et son contexte historique. L’information historique succincte apportée nous apparaît par ailleurs utile dans la mesure ou nombre de poètes brésiliens des cent dernières années se sont voulus témoins de l’histoire, voire acteurs de celle-ci et impliqués dans des combats politiques.
La poésie moderniste
Le terme modernisme renvoie à des époques et contenus différents, s’agissant de la poésie hispano-américaine ou de la poésie brésilienne (Guimarães Ferreira 2005  ; Ivo 2004). Alors que le modernisme hispano-américain, inauguré par le poète nicaraguayen Ruben Darío, constitue une rénovation progressive inspirée des écoles parnassienne et symboliste françaises, le modernisme brésilien prône un rejet des poésies antérieures, fortement influencées par la culture portugaise. Il surgit dans le contexte d’une montée en puissance de la bourgeoisie qui conteste la légitimité du système politique dominé par l’oligarchie rurale, d’une crise économique profonde et de luttes populaires1, et s’inspire des mouvements d’avant-garde européens (cubisme, dadaïsme, et surtout futurisme) tout en revendiquant ses racines nationales et populaires.
Caractéristiques du modernisme brésilien
Historiquement, le modernisme brésilien est fondé par le « Groupe des Cinq », composé des poètes Mário de Andrade, Oswald de Andrade et Paulo Menotti del Picchia et des peintres Anita Malfatti et Tarsila do Amaral. Il s’affirme lors de la Semaine d’art moderne, festival de littérature, musique et arts plastiques qui a lieu en février 1922 au Théâtre municipal de São Paulo pour célébrer le premier siècle de l’indépendance politique du pays. Ses paradigmes s’expriment dans les revues Klaxon (1922), Estética (« Esthétique », 1924), A revista (« La revue », 1925), Terra roxa e outras terras (« Terres pourpres et autres terres », 1927) et Revista de antropofagia (« Revue d’anthropophagie », 1928) qui défendent une poésie naïve, non contaminée par une manière préétablie de penser et de faire de l’art, tout en prônant le retour aux structures élémentaires de la sensibilité brésilienne, ambition qui peut se résumer par le concept d’« anthropophagie ». Selon Paola Berenstein Jacques (2012), l’« anthropophagie » exaltée par les modernistes consiste à « manger l’art européen, le ruminer avec une sauce indigène et populaire et finalement vomir l’art anthropophagique, typiquement brésilien, avec toute son ironie et sa critique subversive ».
Les modernistes ne se considèrent pas comme faisant partie d’une école. Ce qui les rassemble est principalement la recherche des origines indigènes de la nation brésilienne et de leur force primitive, seule capable de libérer le pays de la domination culturelle extérieure. Ils revendiquent par ailleurs la libre expression de leurs émotions personnelles. Cette liberté se traduit dans les thèmes, la syntaxe et le vocabulaire, ainsi que dans un style conversationnel valorisant le prosaïque et la bonne humeur (Candido 2001). Une dernière caractéristique importante du modernisme brésilien est la pluridisciplinarité de la plupart des membres, qui sont souvent à la fois romanciers, poètes, théoriciens, critiques et polémistes (Duarte 2015).
Les principaux auteurs
José Oswald de Souza Andrade (São Paulo, SP, 1890-1954) est romancier et poète, mais aussi un des principaux théoriciens et penseurs du modernisme. Le philosophe et critique d’art Benedito Nunes (1968) dit de lui : « Derrière le théoricien, il y a le poète qui voit et le romancier qui synthétise, comme derrière le poète et le romancier il y a le théoricien qui pense ». Oswald de Andrade est l’auteur de deux manifestes essentiels pour le modernisme brésilien, le Manifesto da Poesia Pau Brasil, « Manifeste de poésie Pau Brasil2 » (publié dans le Correio da Manhã São Paulo, le 18 mars 1924), et le Manifesto Antropófago, « Manifeste anthropophage » (publié dans le premier numéro de la Revista de Antropofagia, « Revue d’anthropophagie », en 1928). Il est l’une des personnalités les plus en vue dans la communauté brésilienne de Paris, ville où il séjourne régulièrement dans les années 1920. C’est dans la capitale française qu’il fait la connaissance en 1923 de Blaise Cendrars, avant que celui-ci ne fasse son premier voyage au Brésil (Cendrars 1996). Son œuvre poétique la plus fameuse est le recueil Pau Brasil publié en 1925 aux Éditions du Sans Pareil et dédié à Cendrars. Son écriture poétique est sobre, syncopée, pleine d’images inattendues destinées à surprendre le lecteur (Candido 2001). Elle est souvent pleine d’humour et de bonne humeur (« Avant que les Portugais ne découvrent le Brésil, le Brésil avait déjà découvert le bonheur »). À partir de 1930, il assume une position militante antifasciste, en particulier comme rédacteur du journal O homem livre, « L’homme libre », et se consacre à la recherche sociologique (analyse du patriarcat, de la société bourgeoise de São Paulo, du rôle des utopies).
Paulo Menotti Del Picchia (São Paulo, SP, 1892-1988) est agriculteur et avocat, mais aussi peintre et sculpteur. Personnalité complexe et contradictoire, il mélange, dans sa poésie, modernisme et conservatisme politique et religieux (Dacorso 2011). Son travail poétique comporte Juca Mulato (1917), histoire en vers d’un amour obstiné et impossible, Máscaras (« Masques », 1920), poème lyrique et romantique écrit à la manière d’une pièce de théâtre, A angústia de D. João (« L’angoisse de D. João », 1922), et O Amor de Dulcinéia (« L’amour de Dulcinée », 1931).
Malgré le style futuriste de son ouvrage Paulicéia desvairada, « Paulicéia hallucinée », édité en 1922, Mário Raul Moraes de Andrade (São Paulo, SP, 1893-1945), en quête de « brésilianité », tient à se démarquer de Marinetti et inaugure avec cette œuvre une incorporation du langage populaire dans le poème. Il précise ensuite son projet poétique de réinterprétation de la culture de son pays avec les recueils A escrava que nao é Isaura (« L’esclave qui n’est pas Isaura », 1925) et Losango cáqui (« Losange kaki », 1926), caractérisés par la subversion de thèmes traditionnels, la valorisation du quotidien et l’écriture elliptique (Candido 2001). Ultérieurement, il prend ses distances avec le caractère provocateur du modernisme pour se livrer, dans Remate de males (« Comble de maux », 1930), à une réflexion plus existentielle.
Le mouvement moderniste est rejoint plus tard par Raul Bopp et Sérgio Milliet da Costa e Silva. Raul Bopp (Vila Pinhal, RS, 1898-Rio de Janeiro, RJ, 1984) écrit en 1931 Cobra norato3, œuvre moderniste majeure par la force lyrique de ses descriptions et l’incorporation de thèmes populaires. Avec Urucungo4 (1932), il évoque l’Afrique et son importance dans la formation historico-culturelle du Brésil. Son œuvre poétique inclut également Poesias (« Poésies », 1947) et Mironga e outros poemas5 (« Mironga et autres poèmes », 1978). Sérgio Milliet da Costa e Silva (São Paulo, SP, 1898-1966) est narrateur, essayiste, poète, peintre, critique d’art, sociologue et traducteur. Vivant en Suisse de 1912 à 1920, il y rencontre Romain Rolland, collabore à la revue poétique Le carmel, et publie en français les recueils d’inspiration symboliste Par le sentier (1917) et Le départ sous la pluie (1919). De 1920 à 1923, il est au Brésil et participe à la vie intellectuelle de São Paulo. De retour en Europe, il se met en contact avec les cubistes et futuristes et écrit en français une poésie caractérisée par la discontinuité des vers, la superposition d’idées et d’images, l’usage de l’analogie et de la simultanéité, et l’absence de ponctuation :
Long crépuscule impressionniste
La lumière ne tombe pas
elle glisse
sur les patins des nuages
La Seine s’enfuit
emportant le goût de la possession6
Il collabore avec les revues modernistes brésiliennes et traduit leurs textes pour la revue française Lumière. Il revient définitivement au Brésil en 1925 pour se consacrer à l’écriture poétique, la rédaction d’essais sur l’art et la littérature, et participer à la création du Musée d’Art Moderne (MAM) de São Paulo.
Parmi les poètes modernistes organisateurs de la Semaine d’art moderne, citons encore Rubens Borba de Moraes (Araraquara, SP, 1899-Bragança Paulista, SP, 1986), Antônio Carlos Couto de Barros (Campinas, SP, 1896-1966), cofondateur de la revue Klaxon, Luís Aranha Pereira (São Paulo, SP, 1901-Rio de Janeiro, RJ, 1987), collaborateur actif de cette même revue, Sérgio Buarque de Holanda (São Paulo, SP, 1902-1982), historien, critique littéraire et journaliste, et Prudente de Morais Neto (Rio de Janeiro, RJ, 1904-1977), ces deux derniers, fondateurs de la revue moderniste Estética.
Né à São Paulo, le modernisme s’étend rapidement à Rio grâce à Ronald de Carvalho, Ribeiro Couto et Guilherme de Almeida. Ronald de Carvalho (Rio de Janeiro, RJ, 1893-1935) est le fondateur de la revue Orpheu publiée à Lisbonne en 1915. Cette revue, qui compte parmi ses collaborateurs Fernando Pessoa, contribue à l’introduction du modernisme au Portugal. Rui Esteves Ribeiro de Almeida Couto (Santos, SP, 1898-Paris, 1963) est surtout connu pour son recueil Le jour est long, écrit en français. Guilherme de Andrade de Almeida (Campinas, SP, 1890-São Paulo, 1969), avocat, journaliste, pionnier de la critique cinématographique, poète et traducteur, est l’un des fondateurs de la revue Klaxon et participe à la Revista de Antropofagia. Sa poésie, principalement basée sur le rythme, explore les ressources de la langue, des onomatopées, des assonances et des allitérations. Il démontre, dans ses recueils Simplicidade (« Simplicité », 1929), Camoniana (1956) et Pequeno cancioneiro (« Petit recueil de chansons », 1957), une volonté de perfection formelle et de classicisme. Il est le premier à écrire des haïkus et à diffuser cette forme poétique au Brésil.
Le voyage d’un groupe d’artistes de São Paulo (intégré en particulier par Mário de Andrade, Oswald de Andrade et Tarsila do Amaral) dans plusieurs villes du Minas Gerais en 1924 provoque la création d’un groupe moderniste dans cet État, incluant les poètes Carlos Drummond de Andrade, Abgar Renault, João Alphonsus, Emílio Moura, Dantas Motta, Henriqueta Lisboa et Murilo Mendes, et les romanciers Murilo Rubião, Fernando Sabino, Otto Lara Resende et Pedro Nava. Le groupe moderniste du Minas Gerais maintient sa spécificité, marquée par une valorisation de la tradition (en particulier du baroque d’Aleijadinho7 et du symbolisme d’Alphonsus de Guimaraens8) qui s’exprime dans les revues A revista (« La revue », 1925), Verde (« Vert », 1927) et Leite criôlo (« Lait créole », 1929). Le groupe se dissout en 1929 et, à partir de cette date, chaque membre suit une voie qui lui est propre. Carlos Drummond de Andrade et Murilo Mendes s’inscrivent dans le postmodernisme naissant. Abgar de Castro Araújo Renault (Barbacena, MG, 1901-Rio de Janeiro, RJ, 1995) est influencé par le surréalisme. João Alphonsus de Guimaraens (Conceição do Mato Dentro, MG, 1901-Belo Horizonte, MG, 1944), fils d’Alphonsus de Guimaraens, développe un langage conversationnel et burlesque, riche en néologismes. Emílio Guimarães Moura (Dores do Indaiá, MG, 1902-Belo Horizonte, MG, 1971) écrit dans un style fait de discrétion et de mystère. José Franklin Massena de Dantas Motta (Carvalhos, MG, 1913-Rio de Janeiro, RJ, 1974) exprime sa révolte sur un ton cérémonial et prophétique. Henriqueta Lisboa (Lambari, MG, 1901-Belo Horizonte, MG, 1985) évolue vers un style mystique et abstrait et vers une forme concise, voire minimaliste.
La poésie postmoderniste
Le postmodernisme se développe dans le contexte de la crise de 1929 et du coup d’État de 1930 installant au pouvoir Getúlio Vargas, qui sera successivement président du Gouvernement provisoire (1930–1934), du Gouvernement constitutionnel (1934–1937) et de l’Estado Novo (« État nouveau », 1937-1945). Au cours de la période de Gouvernement constitutionnel, on assiste à une restriction progressive des libertés publiques, avec en particulier la Loi de Sécurité nationale du 4 avril 1935, les amendements à la Constitution du 8 décembre 1935 et la création du Tribunal de Sécurité nationale le 11 septembre 1936. Le 30 septembre 1937, Getúlio Vargas dénonce l’existence d’un prétendu complot communiste, le « Plan Cohen » (monté en réalité de toutes pièces par le capitaine Olímpio Mourão Filho, le même homme qui fomentera le coup d’État de 1964). Le 10 novembre 1937, il institue par un coup d’État l’Estado Novo, nom repris du dictateur portugais António de Oliveira Salazar. Il dissout le Congrès national et promulgue une nouvelle Constitution qui lui donne un contrôle total du pouvoir exécutif. La Constitution de 1937 prévoit un nouveau pouvoir législatif qui ne sera jamais mis en place, et l’organisation d’un plébiscite qui n’aura jamais lieu.
Caractéristiques de la poésie postmoderniste
Le postmodernisme, parfois dénommé « modernisme de seconde génération », est un terme de périodisation artistique et littéraire, c’est « ce qui vient après le modernisme ». Antonio Candido et José Aderaldo Castello (2001) considèrent que le postmodernisme débute en 1930, année de la publication d’œuvres majeures de ce mouvement. Certaines caractéristiques du modernisme se maintiennent, d’autres se modifient, il n’y a pas de véritable rupture. La poésie postmoderniste abandonne toutefois la provocation et le narcissisme du modernisme et s’inspire fortement du quotidien. Elle accorde une place majeure à l’utilisation du langage conversationnel et du vers libre, et subit l’influence du réalisme et du romantisme.
Principaux poètes postmodernistes
Les poètes postmodernistes incluent principalement Manuel Bandeira, Jorge Mateus de Lima, Cecília Meireles, Murilo Mendes, Carlos Drummond de Andrade, Mário Quintana, Heitor Saldanha, Manoel Wenceslau Leite de Barros et Vinicius de Moraes.
Manuel Carneiro de Sousa Bandeira Filho (Recife, PE, 1886-Rio de Janeiro, RJ, 1968), « le plus brésilien des poètes » selon Mara Jardim (2015), étudie l’architecture à Rio de Janeiro. En 1913, atteint de tuberculose, il part se soigner dans le sanatorium de Clavadel, en Suisse, où il se lie d’amitié avec Eugène Grindel, le futur Paul Éluard, également en traitement. En 1914, il retourne au Brésil et collabore avec plusieurs revues comme critique littéraire, musical et de cinéma. En 1917, il publie A cinza das horas, « La cendre des heures », œuvre d’inspiration encore symboliste et parnassienne. Dans Carnaval (1919) s’affirment des rythmes nouveaux et s’expriment le sentiment de la mort et l’anxiété de jouir intensément de la vie. En 1922, Manuel Bandeira s’abstient de participer aux manifestations de la Semaine d’art moderne, mais son texte Os sapos, « Les crapauds », une satire du symbolisme, lu par Ronald de Carvalho, remporte un grand succès. Sa collaboration à la revue Klaxon et la publication de son livre O ritmo dissoluto (« Le rythme dissolu », 1924) marquent le début de sa contribution au mouvement moderniste. Dans Poética (« Poétique », 1925), Bandeira dépasse définitivement le sentimentalisme de ses premiers textes. Avec Libertinagem (« Libertinage », 1930), considéré comme un des ouvrages fondateurs du postmodernisme (Jardim 2015), sa poésie se distancie de la réalité pour se projeter dans des mondes idéaux (« Je ne veux plus entendre parler d’un lyrisme qui ne soit pas libération »). Dans Estrela de manhã (« Étoile du matin », 1936), il enrichit ses sources d’inspiration en incorporant la culture afro-brésilienne. Les thèmes prévalant dans les recueils suivants sont ceux de la mort, de la solitude, de la nostalgie et de la mémoire. Manuel Bandeira est aussi traducteur (de Schiller, Shakespeare, Juana Inés de la Cruz et Omar Khayyam), critique et auteur d’essais, de biographies, de contes et de pièces de théâtre.
Jorge Mateus de Lima (União dos Palmares, AL, 1893-Rio de Janeiro, RJ, 1953) écrit de 1914 à 1932 des textes poétiques centrés sur la réalité culturelle et historique du Nordeste et qui mêlent tradition et nouveauté, quotidien et sublime. L’auteur explore également la culture noire dans ses rites et coutumes. En 1952, il publie le poème épique Invenção de Orfeu, « Invention d’Orphée », qui combine catholicisme et éléments oniriques et surréalistes.
Cecília Benevides de Carvalho Meireles (Rio de Janeiro, RJ, 1901-1964) est l’une des premières poètes du Brésil. Sa poésie, intime et sobre, n’est ni pessimiste ni exaltée. Comme elle l’écrit dans son recueil Viagem (« Voyage », 1937) :
Je ne suis ni gaie ni triste :
je suis poète.
Sœur des choses fugitives,
je ne sens ni plaisir ni tourment.
Son écriture est dominée par une forte suggestivité sensorielle et par un caractère réflexif et philosophique. La fréquente apparition d’éléments comme le vent, la mer, le temps, l’espace et la musique confère à sa poésie un caractère fluide et éthéré et une certaine « rationalité magique » (Carpinejar 2008).
Murilo Monteiro Mendes (Juiz de Fora, MG, 1901-Lisbonne, Portugal, 1975) participe de plusieurs mouvements poétiques, dont le postmodernisme. Il offre, dans ses premiers textes, une vision humoristique de la réalité brésilienne. Son livre Tempo e eternidade (« Temps et éternité », 1935), écrit en collaboration avec Jorge de Lima, marque sa conversion au catholicisme. Ses volumes parus de 1938 à 1945 dénotent une influence cubiste, et sont caractérisés par un chevauchement des images et par la prédominance du plastique sur le discursif. Poesia liberdade (« Poésie liberté », 1947), écrite sous l’impact de la Seconde Guerre mondiale, reflétera plus tard ses inquiétudes face à la situation du monde. En 1954, dans Contemplação de Ouro Preto, « Contemplation d’Ouro Preto9 », il évoquera l’atmosphère des vieilles cités minières. En 1970, il publiera Convergência, « Convergence », un livre influencé par le concrétisme. Son œuvre poétique, à la fois cosmique, sociale et mystique, et centrée sur le songe et le délire, ne perd toutefois jamais le sens du réel (Ribeiro 1997) et se caractérise par une grande liberté créative et lyrique (Medeiros de Araújo 2008).
Carlos Drummond de Andrade (Itabira do Mato Dentro, MG, 1902-Rio de Janeiro, RJ, 1978) participe, après l’établissement de sa famille à Belo Horizonte en 1920, aux milieux littéraires et journalistiques de cette ville et publie ses premiers textes, marqués par une verve sarcastique d’où se dégage un lyrisme très pur :
Une fleur encore sans éclat
trompe la police, crève l’asphalte.
Faites silence, arrêtez les affaires.
Je vous assure qu’une fleur est née.
Son œuvre, l’une des plus importantes de la poésie brésilienne du 20e siècle, est marquée par une volonté d’atteindre à une expression authentiquement nationale. Elle est à la fois ironique, sociale et métaphysique (Botelho 2012). Dense et angoissée, délaissant le pittoresque et le folklore, elle naît d’une recherche pénétrante et solitaire de la vie quotidienne : « Le temps est ma matière, le temps présent, les hommes présents, la vie présente » (Drummond de Andrade 2013). Il est un témoin lucide et critique de son époque. Ses poèmes circulent clandestinement pendant la période de l’Estado Novo. Il se rapproche à cette même époque du Parti communiste, pour s’en éloigner toutefois en 1945. Drummond est également traducteur de Molière, Balzac, Choderlos de Laclos, Proust et Mauriac.
Mário Quintana (Alegrete, RS, 1906-Porto Alegre, RS, 1994), connu comme « le poète des choses simples », a écrit une vaste œuvre poétique dont se détache le livre de sonnets intitulé A Rua dos cataventos, « La rue des girouettes », publié en 1940. Son style est marqué par le stoïcisme, l’ironie, la simplicité (« Les poèmes sont des oiseaux qui arrivent, personne ne sait d’où ils viennent ») et par une volonté de perfection technique. Il a également travaillé comme journaliste et traducteur de Marcel Proust, Virginia Woolf et Giovanni Papini.
Heitor Saldanha (Cruz Alta, RS, 1910-Porto Alegre, RS, 1986) est considéré comme un des meilleurs poètes du Rio Grande do Sul. Ses poèmes manifestent une préoccupation pour les classes opprimées. Il est en particulier fasciné par la vie des mineurs de charbon. Il participera plus tard au groupe Quixote, très actif au cours de la décennie 1950 à Porto Alegre, puis au mouvement d’avant-garde Violão de Rua, « Guitare de rue ».
Manoel Wenceslau Leite de Barros (Cuiabá, MA, 1916-Campo Grande, MS, 2014) écrit dans un style qui se rapproche de celui des avant-gardes européennes de l’époque et du primitivisme des mouvements Pau Brasil et Antropofagia. Fortement inspiré par la lecture de Rimbaud, il publie en 1937 Poemas concebidos sem pecado, « Poèmes conçus sans péché ». Militant communiste, il rompt avec le Parti en 1945 lors de l’appui de son secrétaire général Luís Carlos Prestes à Getúlio Vargas. Il séjourne alors en Bolivie, au Pérou et aux États-Unis. Son œuvre est restée méconnue jusqu’à être révélée par Millôr Fernandes, au cours de la décennie de 1980.
Marcus Vinicius da Cruz de Melo Moraes ou Vinicius de Moraes (Rio de Janeiro, RJ, 1913-1980), souvent appelé poetinha, « petit poète », mais aussi « poète de la passion » (1993), a fortement contribué à la popularisation de la poésie au Brésil. Ses œuvres précoces, Caminho para a distância (« Chemin pour la distance », 1932) et Forma e Exegese (« Forme et Exégèse », 1935) sont empreintes de mysticisme. Sa syntaxe devient ensuite plus populaire et son style plus sensuel, avec Cinco elegias (« Cinq élégies », 1938) et Poemas, sonetos e baladas (« Poèmes, sonnets et balades », 1948). Ultérieurement enfin, sa poésie s’enrichira de thèmes sociaux. Il écrira les paroles de nombre de chansons et en composera parfois les mélodies. Il collaborera avec les musiciens Tom Jobim, Elizeth Cardoso, Carlos Lyra, Pixinguinha, Baden Powell, Ary Barroso, Edu Lobo, Francis Hime et surtout Toquinho (son partenaire le plus durable et son meilleur ami). Vinicius de Moraes est l’auteur, avec Luiz Bonfá et Antônio Carlos (Tom) Jobim, de la bande originale du film franco-italo-brésilien Orfeu Negro, de Marcel Camus (1959).
Modernisme et postmodernisme dans le Nordeste
Les courants du modernisme et du postmodernisme, très actifs comme on l’a vu dans les grandes métropoles du sud, ne vont se diffuser que progressivement dans le reste du pays, ce qui n’exclut pas l’existence dans certains États d’une grande effervescence culturelle marquée par les spécificités régionales. C’est le cas dans le Nordeste.
À Bahia, un groupe de poètes10 rassemblés autour de Carlos Chiacchio (Januária, MG, 1884-Salvador, BA, 1947) crée en 1928 la revue Arco e flecha, « Arc et flèche », qui défend le principe du « traditionalisme dynamique » (Alves 1978), renouvellement de la langue et du style à travers un dialogue avec le passé et une synthèse entre culture régionale et modernisme. L’Academia dos Rebeldes, « Académie des Rebelles », en opposition à ce groupe, développe à la même époque une conception de la poésie plus proche du peuple et ouverte aux revendications sociales et politiques, poésie publiée dans les revues Meridiano (1929) et O Momento (1931-1932). Elle se déclare « moderne », mais non « moderniste » (Santana 1986). Elle regroupe de jeunes romanciers comme Jorge Amado et des poètes comme João Amaro Pinheiro Viegas, fondateur du groupe, Aydano Pereira do Couto Ferraz, José Alves Ribeiro, José Bastos et Sosigenes Marinho da Costa (Belmonte, BA, 1901-Rio de Janeiro, RJ, 1968). La poésie de ce dernier reste encore influencée par le symbolisme, mais son évocation de la culture populaire régionale en fait un auteur original (Santos 2001). Il est l’auteur d’Iararana (1934), poème narratif qui évoque la formation ethnico-culturelle métisse du sud de Bahia. Contribue également aux revues Meridiano et O Momento Camillo de Jesus Lima (Caetité, BA, 1912-Itapetinga, BA, 1975), rédacteur de O Jornal de Conquista, qui est l’auteur d’une œuvre poétique extensive, caractérisée par une grande sensibilité à la douleur humaine, un engagement politique affirmé et par un grand souci de la forme, de la précision du mot, du sens et de la proportion :
Mes vers, je les tire au hasard, de la face des malfaisants.
Ce sont des blocs de pierre que j’ai extraits de l’âme, à coups de marteau
Pour construire, avec le mortier du sang et des larmes,
Le grand monument, difforme et grossier, à la souffrance universelle.
Parmi ses recueils de poésie, citons Poemas (« Poèmes », 1942), As trevas da noite estão passando (« Les ténèbres de la nuit passent », 1941), Viola quebrada (« Guitare brisée », 1945), Novos poemas (« Nouveaux poèmes », 1945). Après 1945, il écrira encore Cantigas da tarde nevoenta (« Cantiques de l’après-midi brumeux », 1955), A mão nevada e fria da saudade (« La main neigeuse et froide de nostalgie », 1971) et O livro de Miriam (« Le livre de Miriam », 1973). En 1964, il sera arrêté par les militaires et emprisonné. Libéré, il mourra dans des circonstances suspectes, probablement assassiné par le régime.
Après la Seconde Guerre mondiale, Wilson Rocha Claudio est l’un des fondateurs du mouvement et la revue Cadernos da Bahia, « Cahiers de Bahia ». Le mouvement, qui s’insère dans le contexte de la démocratisation qui fait suite à la dictature de l’Estado Novo, marque un « tournant moderniste » dans la poésie de Bahia (Groba 2012). Wilson Rocha (Cochabamba, Bolivie, 1921 – Salvador, BA, 2005) publie ses premiers poèmes en 1946. Un séjour à Buenos Aires en 1957 lui fait connaître de nombreux artistes. À son retour au Brésil, il publiera Livro de canções (« Livre de chansons », 1960), De tempo soluto (« Du temps sans rythme », 1963) et Carmina convivalia11 (1980), qui évoquent les mystères de la vie et de la mort.
D’autres poètes bahianais seront, plus tard encore, influencés par le modernisme et le postmodernisme. Firmino Rocha (Itabuna, BA, 1910-Ilhéus, BA, 1971) est un poète lyrique et mystique, auteur de O canto do dia novo (« Le chant du jour nouveau », 1968) et de diverses œuvres de littérature de cordel. Walker Luna (Itabuna, BA, 1925-Jundiaí, SP, 2007) est l’auteur d’une poésie amère et angoissée. Valdelice Soares Pinheiro (Itabuna, BA, 1929-1993), poète sensible et intimiste, révèle dans ses textes une préoccupation pour la nature humaine. Helena Parente Cunha (Salvador, BA, 1930) traite avec profondeur et sobriété les thèmes liés à la condition féminine. Telmo Padilha (Ferradas, BA, 1930-1977), dont les poèmes sont remplis de symboles et d’images, évoque dans un style lyrique les mystères de la vie et de la mort. Jéhovah de Carvalho (Santa Maria da Vitória, BA, 1930-Salvador, BA, 1980), chroniqueur de la vie urbaine et grand connaisseur de la culture afro-brésilienne, se réfère, dans son livre de poèmes Um passo na noite (« Un pas dans la nuit », 1969), préfacé par Jorge Amado, à la vie des marginaux et des prostituées.
À João Pessoa, capitale du Paraíba, on retrouvera encore des échos du modernisme et du postmodernisme chez le groupe Geração 59, « Génération 59 », créé par de jeunes écrivains sous la direction de Vanildo Brito (Monteiro, PB, 1937-2008), qui publiera une anthologie poétique du même nom. Le travail du groupe, également diffusé par le supplément culturel du journal A União, va également influencer de jeunes cinéastes, artistes plastiques et auteurs de théâtre.
Poésie 1930-1945 en marge du postmodernisme
Quelques poètes de la période 1930-1945 restent en marge du mouvement postmoderniste. Augusto Frederico Schmidt (Rio de Janeiro, RJ, 1906-1965) s’oppose au pittoresque du modernisme et recherche une expression plus spiritualiste. Il évoque dans ses œuvres, en particulier dans Canto do Brasileiro (« Chant du Brésilien », 1928) et Estrela solitária (« Étoile solitaire », 1940), la mort et la perte de l’amour, dans un style sentimentaliste (Santos 2007). Il utilise un vers libre, ample, marqué par de fréquentes répétitions, qui confère à sa poésie une rhétorique néo-romantique (Candido 2001) :
La poésie a fui le monde.
L’amour a fui le monde -
Seuls les hommes restent,
Petits, pressés, égoïstes et inutiles.
Reste la vie qui doit être vécue.
Reste le désir qui doit être tué.
Reste le besoin de poésie, qui doit être satisfait.
Solano Trindade (Recife, PE, 1908-Rio de Janeiro, RJ, 1974), poète, peintre, acteur, auteur de théâtre et cinéaste, est considéré comme le précurseur du mouvement culturel afro-brésilien. En 1944, il publie Poemas de uma vida simples, « Poèmes d’une vie simple ». En raison du titre de l’un des poèmes du recueil, Tem gente com fome, « Il y en a qui ont faim », il est emprisonné, et le livre est saisi. Il publiera ensuite Seis tempos de poesia (« Six temps de poésie », 1958) et Cantares ao meu povo (« Chants à mon peuple », 1961).
José Guilherme de Araújo Jorge (Vila de Tarauacá, AC, 1914-Rio de Janeiro, RJ, 1978), connu comme « le poète du peuple et de la jeunesse », est l’auteur de textes écrits dans un style romantique et souvent dramatique, qui ont su traduire les désirs, angoisses et espérances de nombreux lecteurs :
J’ai un cœur – le pauvre !
qui un jour enfin se devra de comprendre le monde…
un poète, un rêveur, un pauvre espoir
qui habite dans mon sein et remplit mon être de sa musique.
La génération 45
La génération 45, parfois appelée « troisième génération moderniste », naît dans le contexte de l’après-guerre et de la « Quatrième république », également connue comme République populiste ou République nouvelle, qui inclut les gouvernements « démocratiques » de Eurico Gaspar Dutra (1946-1951), Getúlio Vargas (1951-1954), Juscelino Kubitschek (1956-1961), Jânio Quadros (1961), Ranieri Mazzili (1961) et João Goulart (1961-1964). Une nouvelle constitution est promulguée en 1946 qui restaure les droits individuels et les partis.
Caractéristiques de la génération 45
Conscients de la situation d’exploitation du peuple brésilien, les poètes de cette génération se définissent en réaction au modernisme, critiquant « son culte du paysagisme et du folklorisme, et son formalisme superficiel et péremptoire » (Ivo 2004), et prônant une écriture moins conversationnelle, à la fois plus culte et plus ouverte aux cultures populaires et régionales. La génération 45, sans se considérer comme un nouveau mouvement poétique, se caractérise par une volonté de recherche et d’expérimentation esthétiques à travers des formes classiques. Ses principes s’expriment dans la revue Orfeo, créée en 1947.
Principaux poètes de la génération 45
Les deux poètes phares de la génération 45 sont sans conteste João Cabral de Melo Neto et Lêdo Ivo, que la culture du Nordeste marque tous deux.
João Cabral de Melo Neto (Recife, PE, 1920-Rio de Janeiro, RJ, 1999), connu comme le « poète ingénieur », apparaît comme le théoricien du mouvement, en particulier avec Psicologia da composição com a fábula de Anfion e Antiode (« Psychologie de la composition avec une fable d’Amphion et Antiode », 1947). Il travaille d’abord comme ingénieur dans l’industrie de la canne à sucre, puis entre en 1945 dans la carrière diplomatique. Son œuvre représente un tournant pour la poésie brésilienne. Comme l’écrit le critique Fábio Lucas (1976) : « Le grand événement dans l’histoire de la poésie brésilienne, après la Seconde Guerre mondiale, fut l’apparition et l’évolution de la poésie de João Cabral de Melo Neto ». Son premier livre de poèmes, Pedra do sono (« Pierre de songe », 1942), est fortement influencé par le surréalisme. Il voyage dans de nombreux pays, mais ressent une affinité particulière pour l’Espagne (Del Barco 1996), ainsi que pour son sertão12 natal :
… Le sertanejo13 parle peu :
les paroles de pierre ulcèrent la bouche
et dans la langue de pierre on parle avec douleur
Sa poésie se caractérise par une remarquable économie et une grande discipline formelle dans la sélection du vocabulaire et l’ordre de la construction, et par un équilibre entre objet et interprétation personnelle.
Lêdo Ivo (Maceió, AL, 1924-Séville, Espagne, 2012) publie en 1944 le recueil de poèmes As imaginações, « Les imaginations », et l’année suivante Ode e elegia, « Ode et élégie ». Il revient à certaines formes fixes comme le sonnet, tout en conservant un style libre et très personnel. Son œuvre poétique s’enrichit au cours des années suivantes d’une douzaine de recueils, qui seront regroupés en 1974 sous le titre O sinal semafórico, « Le signal sémaphorique ». Lêdo Ivo a également une activité de traducteur, traduisant en portugais Albrecht Goes, Jane Austen, Maupassant, Rimbaud et Dostoïevski.
Dante Milano (Rio de Janeiro, RJ, 1899-Petrópolis, RJ, 1991), traducteur reconnu de Dante Alighieri, Baudelaire et Mallarmé, publie en 1948 le recueil Poesias, « Poésies », influencé par Manuel Bandeira et Cecília Meireles et marqué par une sensualité désenchantée et un style méditatif, mesuré, anti-lyrique (Campos 1972) :
Comme dans une mer en folie, tout est naufrage.
La lumière du monde est comme celle d’un phare
Dans la brume. Et la vie ainsi est une chose vague.
Le temps se défait en cendre froide
Et du sablier millénaire du soleil
S’écoule en poussière la lumière d’un autre jour.
Ramos da Mota e Albuquerque (Nazaré da Mata, PE, 1911-Recife, PE, 1984) évoque les drames du quotidien en utilisant un langage à la fois naturel et symbolique. Dans son poème Boletim sentimental da guerra do Recife, « Bulletin sentimental de la guerre de Recife », il évoque le développement de la prostitution infantile avec la présence, au cours de la Seconde Guerre mondiale, de soldats des États-Unis dans cette ville :
Filles, tristes filles,
vous allez de main en main.
Vous êtes d’authentiques héroïnes
de guerre, sans rivales.
Vous avez combattu sur le front intérieur
avec bravoure et courage.
Odorico Bueno de Rivera Filho, plus connu comme Bueno de Rivera (Santo Antônio do Monte, MG, 1911-Belo Horizonte, MG, 1982), est fortement influencé par le surréalisme. Jamil Almansur Haddad (São Paulo, SP, 1914-1988), critique, historien, traducteur et auteur de pièces de théâtre, anthologies et essais, est l’auteur des Odes anacreônticas (« Odes anacréontiques », 1952), qui évoquent d’une manière sensible les misères humaines. Domingos Carvalho da Silva (Leiroz, Portugal, 1915-São Paulo, SP, 2003) publie en 1946 la première traduction en portugais de « 20 poèmes d’amour et une chanson désespérée » de Pablo Neruda, commanditée par son auteur. Sa poésie présente une grande variété de formes, thèmes et styles. Péricles Eugênio da Silva Ramos (Lorena, SP, 1919-São Paulo, SP, 1992) est traducteur, essayiste, critique littéraire et professeur. Il publie en 1946 son premier livre de poésie, Lamentação floral, « Lamentation florale », et fonde en 1947 la Revista Brasileira de Poesia. Il traduit en portugais Virgile, Shakespeare, Góngora et Mallarmé. Clarice Lispector (Tchéchelnik, Ukraine, 1920-Rio de Janeiro, RJ, 1977), reconnue internationalement pour ses romans novateurs, est aussi l’auteure de poésies à caractère lyrique et intimiste. Geraldo de Camargo Vidigal (São Paulo, SP, 1921-Campinas, SP, 2010), qui fut un des dirigeants du mouvement étudiant d’opposition à la dictature de Getúlio Vargas, fait ses débuts en poésie avec le livre Predestinação (« Prédestination », 1945), préfacé par Mário de Andrade, encore marqué par des accents parnassiens et néo-romantiques. Ses poèmes plus tardifs, réunis dans Cantares de amor e solidão (« Chants d’amour et de solitude », 1971), dénotent l’influence de la génération 45. Lygia Fagundes Telles (São Paulo, SP, 1923), principalement romancière, est aussi l’auteure de poèmes caractérisés par une profonde exploration psychologique. Geir Campos (São José do Calçado, ES, 1924-Niterói, RJ, 1999), éditeur, professeur et traducteur, publie Rosa dos rumos, « Rose des vents », en 1950, et Arquipélago, « Archipel », en 1952, recueils qui associent qualité esthétique et contenu politique et social. Wilson Figueiredo (Castelo, ES, 1924) dont les premiers ouvrages de poésie, A mecânica do azul (« La mécanique du bleu », 1946) et Poemas narrativos (« Poèmes narratifs », 1947), sont vantés par Mário de Andrade, se consacre ultérieurement au journalisme. Dans l’État de Paraíba, Ariano Vilar Suassuna (João Pessoa, PB, 1927-Recife, 2014), idéologue du mouvement Armorial, construit des œuvres érudites à partir de la culture populaire. Son œuvre s’inscrit dans le mouvement génération 45, mais subit les influences du symbolisme, du baroque et de la littérature de cordel. Laís Corrêa de Araújo Ávila (Campo Belo, MG, 1928-Belo Horizonte, MG, 2006) publie Caderno de Poesia, « Cahier de poésie », en 1951, et O Signo e Outros Poemas, « Le Signe et autres poèmes » en 1955. Selon Fábio Lucas (1976), « Le style vif et même audacieux de Laís Corrêa est doté d’une force d’expression impulsive ; ses sonnets reflètent les grands moments du genre, et communiquent la sensation parfaite des sonnets les mieux structurés, même quand la poète n’est pas capable de suivre les moules classiques et abolit, par exemple, la rime ou la métrique rigide ». En 1992, elle fera paraître son livre Caderno de Traduções, « Cahier de traductions », incluant entre autres des poèmes et proses d’André Breton. Gilberto Mendonça Teles (Caxias, MA, 1953), connu pour ses études critiques renommées sur le modernisme, se rattache lui aussi à la génération 45. Il publie Alvorada, « Aube » en 1955, et Estrela-d’Alva, « Étoile du matin » en 1952. Walmir Ayala (Porto Alegre, RS, 1933-Rio de Janeiro, RJ, 1991) écrit principalement des pièces de théâtre et des livres pour enfants et de fiction. Sa poésie est marquée par un style incantatoire et une grande richesse de rythmes et de formes.
Les mouvements d’avant-garde et de poésie populaire (1952-1964)
La période 1952-1964 voit se développer plusieurs mouvements poétiques aux ambitions diverses. Certains d’entre eux cherchent à amplifier le champ de perception de la poésie, en explorant en particulier ses aspects visuels ou phoniques. D’autres visent à élargir l’audience de la poésie, en faisant appel à des formes nouvelles de diffusion.
Le concrétisme
Le concept de poésie concrète apparaît dans les années 1950 en Europe avec le poète et critique suisse d’origine bolivienne Eugen Gomringer, et au Brésil avec Augusto de Campos. Ce dernier fonde en 1952 avec son frère Haroldo de Campos et avec Décio Pignatari le groupe et la revue Noigandres14. En 1962, le groupe de Noigandres crée également la revue Invenção, dirigée par Décio Pignatari, Pedro Xisto et Edgard Braga et à laquelle participent de nombreux artistes brésiliens et étrangers. Notons aussi le rôle important joué par Mário Xavier de Andrade Pedrosa (Timbaúba, PE, 1900-1981), militant politique et critique d’art, dans le développement de ce mouvement15.
D’après João Bosco da Silva (2007), la poésie concrète est la dénomination d’une pratique poétique qui a comme caractéristiques de base l’abolition du vers, une présentation « verbi-voco-visuelle » (organisation du texte selon des critères qui soulignent les valeurs relationnelles graphiques et phoniques des mots), et l’élimination ou la raréfaction des liens de syntaxe logique discursive en faveur d’une connexion directe entre mots, orientée principalement par des associations paronomyques. La poésie concrète est donc une forme de poésie expérimentale qui considère le texte comme un objet sensible, indépendamment de son sens. Elle s’inspire de Mallarmé (avec « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard »), d’Apollinaire (les Calligrammes), d’Ezra Pound, d’E. E. Cummings, de James Joyce ainsi que du dadaïsme et du futurisme. Ses principes sont exprimés dans la Teoria da Poesia Concreta (« Théorie de la poésie concrète », 1965), élaborée par Décio Pignatari et Augusto et Haroldo de Campos.
Après avoir publié en 1946 Lâmpada sobre o alqueire, « La lampe sous le boisseau », recueil dans lequel il explore déjà la spatialité de la page, Edgard Braga (Maceió, AL, 1897-São Paulo, SP, 1985) rejoint en 1960 le groupe de Noigandres et commence à écrire des poèmes qui unissent calligraphie et dessin. En 1963, il publie le livre Soma, et développe une œuvre graphique qui intègre graffiti (ou « murogrammes ») et tatouages (ou « tatoèmes ») et collabore avec des artistes plasticiens tels que Geraldo de Barros et Lygia Pape. Pedro Xisto Pereira de Carvalho, ou Pedro Xisto (Limoeiro, PE, 1901-São Paulo, SP, 1987), publie en 1957, pour le journal Folha da Manhã de São Paulo, quatre textes sur « la théorie, l’histoire et la raison d’être de la poésie concrète dans la société moderne brésilienne », qui seront réédités en 1960 sous forme de livre par le groupe concrétiste Ceará. Sa poésie explore principalement les éléments de la poésie japonaise traditionnelle (tankas et haïkus). Ses poèmes visuels, qu’il appelle « logogrammes », recherchent une structure proche de celle des idéogrammes japonais. José Paulo Paes (Taquaritinga, SP, 1926-São Paulo, SP, 1998), après avoir publié en 1947 O aluno, « L’étudiant », en 1947, une œuvre fortement marquée par la poésie de Carlos Drummond de Andrade, écrit en 1967 Anatomias, « Anatomies », livre influencé par le concrétisme et préfacé par Augusto de Campos. Il se consacre à partir de 1981 à l’édition et à la traduction (Éluard, Hölderlin, Kaváfis, Rilke, Seféris, William Carlos Williams). Décio Pignatari (Jundiaí, SP, 1927-São Paulo, SP, 2012), auteur de théâtre, poète, essayiste, spécialiste de la communication et traducteur de Dante, Goethe et Shakespeare, commence dans les années 1950 à mener des expériences sur le langage poétique, en intégrant éléments visuels et fragmentation des mots. Son œuvre poétique sera rassemblée dans Poesia pois é poesia (« Poésie parce que c’est la poésie », 1977), œuvre dans laquelle il dénonce, de manière satyrique et à travers des anagrammes, l’influence de la publicité sur les masses :
Haroldo Eurico Browne de Campos (São Paulo, SP, 1929-2003), cofondateur du groupe et de la revue Noigandres, est aussi éditeur, traducteur (Homère, Dante, Mallarmé, Goethe, Maïakovski) et auteur d’essais de théorie littéraire et de pièces de théâtre. Il participe au concrétisme jusqu’en 1963, date à laquelle il inaugure un projet personnel, avec le livre-poème Galáxias, « Galaxies » (2009). La première collection de son œuvre poétique, Xadrez de estrelas-Percurso textual (« Jeu d’échecs d’étoiles-Parcours textuel », 1949-1974), publiée en 1976, contient sa production concrète. Ses derniers livres de poésie, Signância : quase céu (« Signature : presque le ciel », 1979) et l’œuvre posthume Entremilênios (« Entre-millénaires », 2009) révèlent une écriture de grande densité intertextuelle et d’un haut degré d’élaboration poétique. Mário Faustino dos Santos e Silva (Teresina, PI, 1930-Lima, Pérou, 1962) publie Homem e sua hora (« L’homme et son heure », 1955), œuvre caractérisée par une grande complexité de rythmes, formes poétiques et symboles. L’année 1952 marque un virage dans sa conception de la poésie, qui va être dès lors marquée par l’expérimentation linguistique des concrétistes de São Paulo. Entre 1952 et 1959 il est chargé d’une page du Jornal do Brasil consacrée à la théorie et la pratique poétique, dans laquelle il se fait l’écho des propositions du concrétisme (disposition spatiale des mots, exploration de leur potentiel sonore sémantique). Augusto Luís Browne de Campos (São Paulo, SP, 1931), poète, traducteur, critique musical et artiste visuel, est l’un des pionniers de la poésie concrète au Brésil. En 1955, il publie dans le second numéro de la revue Noigandres une série de poèmes intitulée Poetamenos, « Poètemoins ». Le vers et la syntaxe conventionnels sont abandonnés et les mots réarrangés en structures graphico-spatiales, parfois imprimées de couleurs différentes en s’inspirant de la Klangfarbenmelodie16. La majorité de ses poèmes seront réunis ultérieurement dans Viva Vaia (« Salut la huée », 1979), Despoesia (« Dépoésie », 1994) et Não (« Non », 2003). Il est aussi l’auteur, en collaboration avec Julio Plaza17, de poèmes-objets comme Poemóbiles (« Poèmobiles », 1974) et Caixa preta (« Boîte noire », 1975). Avec son frère Haroldo de Campos, il participe également au spatialisme de Pierre Garnier18.
Parmi les poètes concrétistes, on citera encore José Lino Fabião Grünewald, Ronaldo Pinto de Azeredo, Márcio Almeida, Claudius Portugal et Arnaldo Antunes. José Lino Fabião Grünewald (Rio de Janeiro, RJ, 1931-2000), connu comme Zelino, traducteur de Mallarmé et d’Ezra Pound, critique de cinéma et de littérature, spécialiste de la musique populaire brésilienne et journaliste, membre de Noigandres à partir de 1957, est l’auteur d’une œuvre poétique expressive et créative rassemblée dans Um e dois (« Un et deux », 1958) et Escreviver (« Écrivivre », 1983). Ronaldo Pinto de Azeredo (Rio de Janeiro, RJ, 1937-São Paulo, SP, 2006), mieux connu comme Ronaldo Azeredo, produit des poèmes fabriqués en tissu, des poèmes-cartes-dessins et des poèmes-puzzles. Márcio Almeida (Oliveira, MG, 1947) introduit dans son écriture une conscience sociale forte, exprimée dans un répertoire lexical collecté dans la vie quotidienne (« Le peuple c’est l’homme qui crie sa faim, son rêve et ses promesses, c’est le bœuf le plus libre sur la terre, chargeant douleur et question »). Claudius Portugal (Salvador, BA, 1951) produit une poésie visuelle et ludique, inspirée à la fois par le modernisme de Oswald de Andrade et le concrétisme. Arnaldo Antunes (São Paulo, SP, 1960), poète, musicien, vocaliste et compositeur de musiques et paroles pour le groupe de rock Titãs (un des plus connus du Brésil), est l’auteur jusqu’à nos jours de nombreuses performances d’inspiration concrétiste.
Dans le Ceará, José Alcides Pinto (Santana do Acaraú, CE, 1923-Fortaleza, CE, 2008), fils d’un tzigane et d’une indigène Tremembés19, est l’auteur de romans, nouvelles, contes et pièces de théâtre. Dans ses premières œuvres, qui alternent poésie et prose, sont récurrentes les thématiques de la mort et de la fragilité de la vie. Leur langage métaphorique et onirique les rapproche du surréalisme. En 1956, il publie Estrutura visual-gráfica, « Structure visuelle-graphique », œuvre dans laquelle il exploite l’aspect visuel des poèmes et l’utilisation de l’espace, et crée une succursale du mouvement concrétiste. Sa dernière œuvre poétique, As águas novas (« Les eaux neuves », 1975), qui évolue vers une forme plus sobre et moins discursive, apparaît comme une sorte de synthèse entre modernisme et concrétisme (Freitas Damasceno 2013). Parmi les poètes concrétistes du Ceará, on peut encore citer Antônio Girão Barroso, Horácio Dídimo et Pedro Henrique Saraiva Leão.
Le groupe Tendência
Alors même que le mouvement concrétiste se développe à São Paulo, un groupe d’intellectuels, avec à sa tête le poète Affonso Celso Ávila et le romancier et critique Rui Mourão, se rassemble à Minas Gerais entre 1957 et 1962 autour du magazine Tendência. Son objectif principal est de renouveler la littérature brésilienne dans la perspective d’un nationalisme critique. En 1963, le groupe réaffirme ses principes lors de la semaine nationale de la poésie de l’avant-garde qui se tient à Minas Gerais. Après le coup d’État, il se rapprochera de la revue concrétiste Invenção, dirigée par Décio Pignatari, Pedro Xisto et Edgard Braga.
Le groupe de Tendência met en avant la préoccupation sociale du poète, la désaliénation de l’écrivain et de son travail, la révision des valeurs nationales et l’implantation de nouvelles normes critiques (Cyntrão 2000). Il prône la fidélité au livre, à la parole poétique et au vers. Il vise une poésie d’une plus grande ouverture sémantique et un processus communicatif plus immédiat, pouvant être obtenus par un langage bref et persuasif et par la valorisation des moyens de communication visuelle disponibles (Mourão 2013).
Affonso Celso Ávila (Belo Horizonte, MG, 1928-2012) écrit en 1953 son premier livre de poésie, O açude. Sonetos da descoberta, « Le barrage. Sonnets de la découverte ». Il ressent rapidement la nécessité de rejeter l’influence de la génération 45. Ce tournant de sa poésie se traduit principalement par l’abandon du contenu lyrique-subjectif et l’appropriation d’un vers objectivé, anti-discursif et dépouillé (Mourão 2013). Carta do solo (« Lettre du sol », 1961) et Frases-feitas (« Phrases-faites », 1963) illustrent cette évolution. Le recours à des vers toujours interrompus, et à la répétitivité de certains termes permettent de briser la discursivité (« La pierre, avec ses absences. La fleur, avec ses absences. Le fruit, avec ses absences »). En 1990, il publiera O Visto e o imaginado (« Le vu et l’imaginé », 1990), œuvre caracterisée par l’expérimentation linguistique et par une forte présence d’érotisme et d’engagement idéologique.
Le néoconcrétisme
Le 23 mars 1959, le supplément dominical du Jornal do Brasil publie le manifeste néoconcret, signé par les poètes Ferreira Gullar, Reynaldo Jardim, Theon Spanudis, et les artistes plastiques Lygia Clark, Lygia Pape, Amílcar de Castro et Franz Weissmann (Gullar 1959). Le même jour a lieu au Musée d’art moderne de Rio de Janeiro la première exposition néoconcrète. Deux autres expositions nationales auront lieu, en 1960 au ministère de l’Éducation à Rio de Janeiro et en 1961 au Musée d’art moderne (MAM) de São Paulo, date à partir de laquelle le mouvement se décompose.
Le néoconcrétisme s’abstrait progressivement du concrétisme, qui se veut universel et rationnel, pour évoluer vers un art qui baigne dans l’individualité et la subjectivité. Il remet en cause les règles rigides de celui-ci pour évoluer vers un art plus participatif. Il ne prône pas l’abandon de l’abstraction géométrique, mais plutôt l’adoption d’une approche intuitive et expérimentale de ses éléments constitutifs (l’espace, le plan, la ligne et la couleur). Il défend la dimension existentielle, émotive et affective de l’art en s’appuyant sur la critique apportée par la phénoménologie de Maurice Merleau-Ponty à la théorie de la Gestalt20. Pour les néoconcrétistes, qui s’opposent au dogmatisme et à la vision positiviste des concrétistes de São Paulo et prônent la récupération des possibilités créatives de l’artiste, l’œuvre n’est donc pas un simple objet, elle possède une sensibilité, une expressivité, une subjectivité. Le mouvement néoconcret vise enfin une fusion des différentes formes d’expression artistiques (Azevedo Corrêa 2013). Il ne réussira toutefois jamais à s’imposer vraiment hors de Rio de Janeiro.
Reynaldo Jardim (São Paulo, SP, 1926-Brasilia, DF, 2011) fait du Suplemento dominical do jornal do Brasil, « Supplément dominical du journal du Brésil » (SDJB), une plate-forme de la poésie néoconcrète. Obligé de démissionner en 1964, il se lance dans le téléjournalisme. Il est l’auteur d’une douzaine de livres de poésie. Theon Spanudis (Smyrne, Turquie, 1915-São Paulo, 1986) est psychanalyste, poète, collectionneur et critique d’art. À partir de 1957, il se consacre à l’écriture poétique en allemand, grec et portugais. Il participe activement au néoconcrétisme, puis plus tard à la poésie cinétique21. Le mouvement néoconcret trouve enfin un renfort de taille avec le ralliement d’Hélio Oiticica (Rio de Janeiro, RJ, 1937-1980), disciple d’Ivan Serpa22. En 1963, Hélio Oiticica organise avec les habitants des favelas des happenings associant expressions culturelles et politiques. En 1967 il créera, en pleine dictature, le mouvement Tropicália, qui intègre musique (avec Caetano Veloso et Gilberto Gil), cinéma, théâtre et arts plastiques.
La poésie praxis
Le mouvement praxis émerge en 1961 en rupture avec le formalisme et le culte du mot-objet pratiqués par les concrétistes. Les documents théoriques du mouvement sont le Manifesto didático (« Manifeste didactique », 1961) et le livre de poèmes Lavra-Lavra23 de Mário Chamie (1962).
Contrairement au formalisme concrétiste, la poésie praxis est considérée comme une matière première susceptible d’être transformée, possédant un aspect dynamique. Comme l’écrit Chamie (1962), « Les paroles sont des corps vivants. Non des victimes passives du contexte ». Si, dans le concrétisme, le « mot-objet » est mis en avant, dans la poésie praxis, c’est le « mot-énergie » qui est valorisé, dans son contexte extralinguistique, et en lien avec la réalité sociale. La poésie praxis n’est pas « close », elle permet au contraire l’interférence du lecteur grâce à des interprétations multiples. Alors que dans la poésie concrète, la communication se faisait à travers le visuel, dans la poésie praxis elle se fait à travers le rythme, le mot et le vers. Le poème praxis est conditionné par trois actions : l’acte de composer, l’action d’enquête sur la zone de composition et l’acte de consommation. L’acte de composer consiste en une prise de conscience, de la part du poète, de la réalité et du sens de la vie et le sens de l’homme. L’action d’enquête sur la zone de composition consiste à rechercher les contradictions internes entre réalité et objet poétique, et à les transformer en problèmes, en virtualisant leurs significations possibles. L’acte de consommer vise une reformulation de la relation traditionnelle entre lecteur passif et auteur isolé et aliéné de la réalité sociale, en vue d’une intégration de l’auteur à la collectivité des lecteurs, permettant de créer une « expectative socialisée en relation à la composition » (Sá 1978).
Cassiano Ricardo Leite (São José dos Campos, SP, 1894-Rio de Janeiro, RJ, 1974), poète et journaliste, participe activement aux mouvements poétiques des années 50 et 60, avec des poèmes visuels comme Jeremias sem-chorar (« Jérémie sans-pleurer », 1964). Selon lui, « tout art parle, et la poésie est l’unique art qui parle le langage des mots ». Mário Chamie (Cajobi, SP, 1933-São Paulo, SP, 2011), professeur, avocat, critique et poète, est considéré comme le précurseur de la poésie praxis. Selon lui, la poésie praxis, c’est « faire et refaire constamment les choses, les signes, les gens, les émotions, les sentiments, les mots, à la recherche de significations nouvelles, surprenantes et contradictoires ». Contribuent également au mouvement Mauro Gama avec Corpo verbal (« Corps verbal », 1964), Armando Freitas Filho avec Palavra (« Parole », 1963), Antônio Carlos Cabral avec Diadiário cotidiano : textopoema-praxis (« Jour-journal quotidien : textepoème-praxis », 1964), Ivone Geanetti Fonseca avec A fala e a forma (« La parole et la forme », 1964) et Camargo Meier avec Cartilha (« Abécédaire », 1964).
Violão de Rua
Un projet de manifeste des Centres populaires de la culture, Violão de Rua, « Guitare de rue », rédigé en mars 1962, prône la recherche d’un art populaire révolutionnaire visant à lutter contre l’aliénation des masses. Une poésie humaniste visant la participation active du poète au processus historique se développe dans le cadre de ce mouvement (Martins 1979). Violão de Rua est donc un mouvement directement lié au militantisme politique, dont l’objectif principal est de se constituer en position d’avant-garde culturelle.
Pour atteindre leurs objectifs, les participants du mouvement utilisent toutes les formes poétiques, principalement folkloriques et populaires. Ils explorent l’aspect sonore des vers pour que le message reste en mémoire lors des présentations publiques de poèmes. Certains participants effectuent des lectures dans les bidonvilles, les quartiers ouvriers, les ateliers et les syndicats (Barata 1969). Parmi eux, Moacyr Félix de Oliveira (Rio de Janeiro, RJ, 1926-2005) est l’auteur de vers discursifs et combatifs. Éditeur, il inaugure en 1962 la section Violão de Rua des Cadernos do Povo Brasileiro, « Cahiers du peuple brésilien », qui publie des poèmes de Affonso Romano de Sant’Anna, Ferreira Gullar, Geir Campos, José Paulo Paes, Reynaldo Jardim et Vinicius de Moraes. La revue est interdite en 1964 par les militaires.
La décennie 60 dans le Nordeste
Le développement de la poésie dans le Nordeste, initié par la génération 45, se poursuit au cours de la décennie 60, en particulier avec le groupe Geração 65, « Génération 65 », dans l’État de Pernambouc, et le groupe rassemblé autour de la Revista da Bahia.
Le groupe Génération 6524 est formé par les écrivains et poètes comme Ângelo Monteiro, Marcus Accioly, Terêza Tenório et Lucila Nogueira. Ângelo Monteiro (Penedo, AL, 1942) est philosophe, auteur d’essais et d’une poésie singulière et énigmatique, en révolte contre « l’énorme exploit de notre temps, qui est de maintenir en vie des villes d’hommes morts ». L’œuvre de Marcus Accioly (Aliança, PE, 1943) aborde des domaines aussi divers que la poésie dramatique, la littérature de cordel, la poésie mythologique, la poésie satirique, la poésie érotique et la poésie épique. Francisca Terêza Tenório de Albuquerque (Recife, PE, 1949), considérée comme la muse du mouvement Geração 65, est l’auteure de huit livres de poésie parmi lesquels Poemaceso (1985). Son langage à la fois intimiste et expressif incite à la réflexion existentielle. Lucila Nogueira (Rio de Janeiro, RJ, 1950) écrit des monologues dramatiques se faisant l’écho de l’inconscient collectif féminin des mythologies ibères dans Ilaiana (1997), Imilce (2000) et Amaya (2001), celtes dans A quarta forma do delírio (« La quatrième forme du délire », 2003) et scandinaves dans Estocolmo (« Stockholm », 2004). Deborah Brennand (Nazaré da Mata, PE, 1927-Recife, PE, 2015) a vécu la plus grande partie de sa vie dans l’exploitation São Francisco, se consacrant à des activités rurales, élevant du bétail et écrivant des poèmes. En 1965 elle publie Punhal tingido ou o livro das horas de doña Rosa de Aragão, « Poignard teint ou le livre d’heures de madame Rosa de Aragão ». Elle publiera par la suite O cadeado negro (« Le cadenas noir », 1971), Pomar de sombras («Verger d’ombres », 1995), Claridade (« Clarté », 1996), Maçãs negras (« Pommes noires », 2001), Letras verdes (« Lettres vertes », 2002) et Tantas e tantas carta (« Tant et tant de lettres », 2003). Sa poésie, riche en métaphores, est dense et douloureuse. Les autres membres du groupe Génération 65 sont José Maria Rodrigues, Janice Japiassu, Maximiano Accioly Campos, José Carlos Targino, José Rodrigues de Paiva, Sérgio Moacir de Albuquerque et Almir Castro Barros.
Dans l’État de Bahia, la poésie de la décennie 60 est marquée par la parution de la revue Mapa, « Carte », dirigée par Glauber de Andrade Rocha (Vitória da Conquista, BA, 1939-Rio de Janeiro, RJ, 1981). Les principaux poètes bahianais de cette génération sont Valdelice Soares Pinheiro (Itabuna, BA, 1929-1993), auteure d’une poésie élaborée mais d’un lyrisme simple, Affonso Manta (Salvador, BA, 1939-2003) dont la poésie forte, simple et conversationnel reflète le rythme de vie de la province. Cette activité prépare la naissance d’un mouvement qui s’organisera quelques années plus tard autour de la Revista da Bahia, « Revue de Bahia ». Les principaux membres de ce mouvement sont Cyro de Mattos (Itabuna, BA, 1939), dont les textes évoquent les paysages de l’État de Bahia, lldásio Tavares (Gongogi, BA, 1940-Salvador, BA, 2010), auteur d’une poésie dramatique et critique, au lyrisme contenu, parfois prosaïque et insolent, José Carlos Capinam (Esplanada, BA, 1941), poète et musicien, et Ruy Espinheira Filho (Salvador, BA, 1942) dont la poésie fait appel simultanément, comme source de lyrisme, à la mémoire et aux expériences quotidiennes.
Les années de dictature
Le 31 mars 1964, l’armée prend le pouvoir et forme une junte autour des maréchaux Humberto de Alencar Castelo Branco e Artur da Costa e Silva. Le 11 avril 1964, après avoir épuré le Congrès et les forces armées de leurs membres jugés subversifs, Castelo Branco devient président du Brésil. En 1967, da Costa e Silva le remplace à la présidence ; malade, il sera remplacé, à son tour, par le général Garrastazu Médici en 1969. L’acte institutionnel AI-5 du 13 décembre 1968 marque le début des « années de plomb » (1968-1973). Des dizaines de milliers de personnes sont détenues et 10 000 sont obligées de s’exiler. Le pouvoir passe aux mains du général Ernesto Geisel en 1974, puis à celles de João Batista Figueiredo en 1979. Une alliance entre l’aile conservatrice de l’opposition et l’aile libérale du gouvernement met fin, en 1985, à 21 ans d’une dictature qui pèse encore aujourd’hui sur la vie politique brésilienne25. La musique, avec la Música Popular Brasileira26, et la littérature jouent un rôle important dans la résistance à la dictature. Dans le cas de la poésie, cette résistance va s’exprimer sous des formes très diverses.
Poema/processo
Le mouvement poema/processo, antilittéraire, contestataire et libertaire, fondé en 1967 par Wlademir Dias-Pino, Álvaro de Sá et Cirne, actif jusqu’en 1972, se veut une réponse culturelle à la dictature militaire. Il est le fruit d’un long processus de développement qui trouve ses origines dans l’intensivisme27 et dans la tendance mathématique et spatiale du concrétisme. Au-delà du langage verbal et fonctionnant à partir de symboles, le poème processo est conçu pour être vu, à l’opposé de la poésie concrète, faite pour être lue. Cirne (2007) écrit que « toute la poésie concrète est terminée, fermée, monolithique ; le poema/processo, pour être effectivement un poema/processo, implique des transformations ». Il inaugure en effet une nouvelle sorte d’œuvre intersémiotique qui va au-delà des simples limites de la littérature.
Les objectifs du mouvement poema/processo sont de briser le blocus critique et éditorial subi depuis les premières tentatives de diffusion et de publication de poèmes non exclusivement verbaux, et d’interroger le vers comme seul élément de la force créatrice poétique, étant donné la réalité technique, informationnelle, scientifique et culturelle de l’époque. Le mouvement suppose enfin une action politique dans le contexte des années difficiles de la dictature. En 1968 ont lieu les actions les plus importantes du mouvement, en particulier le rasga-rasga, « déchire-déchire », destruction de livres de poètes discursifs sur les marches du Théâtre municipal de Rio. En 1971 apparaissent le premier numéro de la revue Ponto, « Point », le manifeste Proposiçao, « Proposition » de Wlademir Dias-Pino et le livre 12 x 9 d’Alvaro de Sá.
Wlademir Dias-Pino (Rio de Janeiro, RJ, 1927) considérait déjà l’élément visuel comme un agent structurel du poème dans A ave, « L’oiseau », paru en 1956. Il est le premier à élaborer le concept de livre-poème, pour lequel les caractéristiques physiques du livre sont partie intégrante du texte. Ses poèmes visuels, basés sur le symbole et la métaphore, incluent graphiques, perforations et figures. Álvaro de Sá (Rio de Janeiro, RJ, 1935-2001), ingénieur chimiste, poète, critique et linguiste, rencontre Wlademir Dias-Pino, et développe des liens avec les poètes étrangers comme Edgardo Antonio Vigo (artiste argentin, auteur de poésie visuelle et mathématique, de poèmes-objets, d’actions poétiques et de xylographies) et Clemente Padín (poète, graphiste et vidéoartiste uruguayen). Moacy da Costa Cirne (São José do Seridó, RN, 1943-Natal, RN, 2014), poète et artiste visuel, est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages théoriques sur le mouvement poema/processo et de nombreuses commémorations appelées balaiadas.
Le mouvement se développe non seulement à Rio de Janeiro (avec Dias-Pino, Álvaro de Sá, Neide Dias de Sá, Anselmo Santos, George Smith et Moacy Cirne) mais aussi à Brasilia et dans les États d’Espirito Santo, du Minas Gerais, de Mato Grosso, de Paraíba, de Pernambouc, du Rio Grande do Norte et de Santa Catarina.
On peut considérer comme proche du poema/processo la poésie visuelle, « produit littéraire qui utilise des ressources graphiques et/ou purement visuelles, avec une tendance calligrammatique, idéogrammatique, géométrique ou abstraite, dont l’accent graphique-visuel n’exclut pas d’autres possibilités littéraires (verbales, sonores, etc.) » (Sá 1978) La poésie visuelle est principalement représentée au Brésil par Hugo Pontes (Três Corações, MG, 1945). D’abord membre-créateur, avec le poète concrétiste Márcio Almeida, du groupe éphémère Vix (1963-1965), il participe à la fin des années 60 au mouvement poema/processo avant de créer en 1970 ses premiers poèmes visuels.
Poésie marginale
La poésie marginale est un mouvement poétique des années 70 connu également comme mouvement Alissara ou encore geração mimeógrafo, « génération Ronéo », du fait que de nombreux poètes recourent à la Ronéo pour distribuer leurs poèmes, sans lien avec les éditeurs. La poésie marginale est influencée par le modernisme, le tropicalisme28 et les mouvements de contre-culture. Elle cherche à représenter le quotidien urbain de manière à la fois parodique, humoristique et tragique, et dans un style conversationnel, spontané, mais aussi avec « une esthétique de rigueur » (Siscar 2010). De diffusion limitée à son époque, la poésie marginale est mieux connue aujourd’hui grâce à l’anthologie publiée en 1975 26 Poetas hoje, « 26 Poètes d’aujourd’hui », de Heloísa Buarque de Hollanda, réunissant ses principaux auteurs.
Roberto Piva (São Paulo, SP, 1937 – 2010), poète phare de cette génération, est classé comme un « poète maudit ». Sa poésie, influencée par le surréalisme, se réfère fréquemment à Álvares de Azevedo29, Antonin Artaud, Arthur Rimbaud, Sade, Pier Paolo Pasolini et Jorge de Lima. En 1963 il publie Paranóia, œuvre basée, selon son auteur, sur la méthode paranoïaque-critique de Salvador Dalí. En est un exemple le célèbre poème Praça da República dos meus sonhos (« Place de la République de mes rêves ») : « Place de la République de mes rêves, où tout devient fièvre et colombes crucifiées, où béatifiées viennent s’agiter les masses, où García Lorca attend son dentiste, où l’on conquiert l’immense désolation des jours les plus doux ».
Francisco Soares Alvim Neto ou Chico Alvim (Araxá, MG, 1938) publie en 1968 Sol dos cegos, « Soleil des aveugles ». Entre 1969 et 1971, il vit à Paris, où il écrit une partie de son recueil Passatempo, (« Passe-temps », 1974). De retour au Brésil, il publie Dia sim dia não (« Un jour oui, un jour non », 1978), Festa e lago (« Fête et lac », 1981) et O metro nenhum (« Sans aucun mètre », 2011). Sa poésie, qui dénonce les infamies quotidiennes de notre monde, se caractérise par une ironie sombre et souvent pathétique. José Carlos Capinan (Esplanada, BA, 1941) est connu pour sa poésie pamphlétaire qui prône une transformation radicale de la société au nom de la justice sociale. Paulo Leminski Filho (Curitiba, PR, 1944-1989) est poète, critique littéraire, parolier (de Caetano Veloso) et traducteur (entre autres d’Alfred Jarry, de James Joyce et de Samuel Beckett). Sa poésie, influencée par celle d’Augusto de Campos, de Décio Pignatari et de Haroldo de Campos, se situe dans la mouvance du tropicalisme. Antônio Carlos de Brito, connu comme Cacaso (Uberaba, MG, 1944-Rio de Janeiro, RJ, 1987), est le principal théoricien du mouvement marginal. Ses essais sont réunis dans Não quero prosa (« Je n’aime pas la prose », 1997). Ses poèmes, rassemblés dans l’anthologie Outros poemas (« Autres poèmes », 1985), révèlent une voix parmi les plus créatives et combatives des années de la dictature. Torquato Pereira de Araújo Neto (Teresina, PI, 1948-Rio de Janeiro, RJ, 1972), membre essentiel du mouvement tropicaliste, défend et diffuse le travail des artistes d’avant-garde. Il compose des textes pour Gilberto Gil, Caetano Veloso et Jards Macalé. Pendant la dictature, il part pendant plusieurs années en Europe et aux États-Unis, puis revient au Brésil. Il traverse une grave crise psychologique et met fin à ses jours en 1972. Charles Peixoto, de son vrai nom Carlos Ronald de Carvalho (Rio de Janeiro, RJ, 1948), est l’un des poètes les plus représentatifs du mouvement marginal. Il est le fondateur du groupe Nuvem cigana, « Nuage tzigane », formé à Rio de Janeiro par des poètes, des architectes, des artistes visuels, des musiciens et des journalistes. Le groupe organise, au début des années 70, dans les espaces publics, de nombreux spectacles destinés à diffuser l’art. Chacal, pseudonyme de Ricardo de Carvalho Duarte (Rio de Janeiro, RJ, 1951), l’un des premiers poètes de la décennie 1970 à avoir utilisé la Ronéo pour diffuser ses ouvrages, écrit également des pièces de théâtre et des textes qui seront plus tard mis en musique par le groupe de rock Blitz, fondé à Rio de Janeiro en 1980. Geraldo Eduardo Carneiro, ou Geraldinho Carneiro (Belo Horizonte, MG, 1952), se considère marginal au sein du mouvement marginal. Il est connu pour sa collaboration avec le compositeur Eduardo Souto Neto, qui donne naissance à des œuvres interprétées par Toquinho en 1975, et Antônio Carlos Jobim et Miúcha en 1978. Ana Cristina Cruz César (Rio de Janeiro, RJ, 1952-1983) écrit des textes qui se situent à la limite entre l’autobiographie et la fiction. À trente ans, elle se suicide en se jetant de la fenêtre de l’appartement de ses parents à Copacabana. Nicolas Behr, de son vrai nom Nikolaus Hubertus Josef Maria von Behr (Cuiabá, MT, 1958), lance son premier recueil ronéotypé, Iogurte com farinha, « Yaourt avec farine », qu’il vend à 8000 exemplaires dans les lieux publics de la capitale fédérale. En août 1978, après avoir écrit Grande circular, « Grande circulaire », Caroço de goiaba, « Pépin de goyave », et Chá com porrada, « Thé avec tabassage », il est arrêté et jugé pour « transport de matériel pornographique ».
Parmi les autres membres du mouvement marginal on peut encore nommer Zuca Sardan, alias Carlos Felipe Alves Saldanha (poète et dessinateur), Waly Dias Salomão (poète et parolier pour Maria Bethânia, Caetano Veloso et Gal Costa), Rodrigo Lisboa, Roberto Schwarz, Zulmira Ribeiro Tavares, Afonso Henriques Neto, Vera Pedrosa, Antônio Carlos Secchin, Flávio Aguiar, João Carlos Pádua, Luiz Olavo Fontes, Eudoro Augusto, Ricardo G. Ramos, Leomar Fróes, Isabel Câmara, Bernardo Vilhena, Leila Miccolis et Adauto de Souza Santos.
Mouvement Catequese poética
Le mouvement Catequese Poética, créé en 1964 par Lindolf Bell (Timbó, SC, 1938-Blumenau, SC, 1998), est un mouvement de revitalisation et de popularisation de la poésie qui cherche à élargir l’intervention sociale de jeunes écrivains et à remettre la poésie au centre de la vie et du quotidien. À travers récitals et chansons, le mouvement mène la poésie dans les rues, les écoles et les universités, et fait appel à une participation du public non seulement phonique et visuelle, mais également thématique. Comme l’écrit Lindolf Bell dans Incorporação (« Incorporation », 1974), « Nous sommes forts quand nous sommes en groupe. Seuls, nous restons désolés. Déplacés. Être plus seuls, c’est être moins entiers ». Parmi les œuvres de Lindolf Bell, citons Os ciclos (« Les cycles », 1964), Convocação (« Convocation », 1965), Curta Primavera (« Court printemps », 1966), As Annamárias (« Les Annemaries », 1971) et As vivências elementares (« Les vécus élémentaires », 1980). Ses textes sont une revendication permanente de liberté : « Laissez-moi tranquille dans la douleur et dans l’amour, laissez en paix mon désordre, mon chant rauque, ma vie intérieure, mon délire, mon monde souterrain, les eaux de ma constante incertitude constante ». Pour mieux diffuser la poésie, Lindolf Bell crée des corpoemas (impression de poèmes sur chemises) et des poèmes-objets, en collaboration avec la photographe Lair Leoni Bernardoni et la peintre Lygia Helena R. Neves. Il est connu à l’époque de la dictature comme « le meilleur interprète du cœur et des angoisses de la jeunesse30 ».
Ce mouvement va rassembler sans conflit esthétique des poètes de diverses tendances comme Rubens Eduardo Ferreira Jardim, Luiz Carlos Mattos, Iracy Gentilli, Reni Cardoso, Érico Max Muller, Marli Medalha, et Milton Eric Nepomuceno.
Poètes indépendants
Quelques poètes indépendants incarnent également, et sous différentes formes, un esprit de résistance à la dictature. Parmi eux, on peut citer Millôr Viola Fernandes, Hélio Pellegrino, Amadeu Thiago de Mello, José de Adelmo Oliveira, Affonso Romano de Sant’Anna et Álvaro Alves de Faria.
Millôr Viola Fernandes (Rio de Janeiro, RJ, 1923-2012), plus connu comme Millôr Fernandes, est à la fois dessinateur, dramaturge, narrateur, poète, traducteur et journaliste. Considéré comme le « maître de l’humour brésilien », il se caractérise par sa liberté de pensée, sa critique acerbe du pouvoir et son scepticisme. Il est l’auteur des recueils de poésie Papaverum Millôr (1967), Hai-kais (1968) et Poemas (1984).
Hélio Pellegrino (Belo Horizonte, MG, 1924-Rio de Janeiro, RJ, 1988), connu principalement comme psychanalyste et militant politique, commence à écrire en 1939. En 1942, alors étudiant en psychiatrie, il fait la connaissance de Mário de Andrade, avec qui il aura une intense correspondance. En 1944, il participe à la rédaction du journal clandestin Liberdade. En 1946, il fonde le parti Esquerda Democrática (« Gauche démocratique »). Le 26 juin 1968, il participe à la Passeata dos cem mil (« Marche des cent mille »), manifestation populaire organisée à Rio contre la dictature. Il est emprisonné pendant deux mois en 1969. En 1973, il inaugure la Clinique sociale de psychanalyse, institution pionnière en matière de soins gratuits. En 1980, il adhère au manifeste de fondation du Partido dos Trabalhadores (PT). L’année suivante il crée avec Carlos Alberto Barreto, une cellule antibureaucratique du PT, ou Club Mário Pedrosa. Ses textes poétiques seront rassemblés, cinq ans après sa mort, par le journaliste et écrivain Humberto Werneck sous le titre Minérios domados, « Minerais apprivoisés ». On peut y lire une détermination jamais perdue :
Une chose demeure : un geste
dans les tendons de notre main rabougrie.
Une effusion inachevée
dans la rouille de notre peau.
Quelque chose qui est de la race
des minéraux, incorruptible
au-delà de l’amer et de l’aimable
de ce qui dure - et de ce qui passe.
Amadeu Thiago de Mello (Barreirinha, MA, 1926), emprisonné pendant la dictature, s’exile en Argentine, au Chili, au Portugal, en France et en Allemagne. Au Chili, il rencontre en Pablo Neruda un ami et collaborateur et écrit un essai sur l’œuvre de ce dernier. Les traits marquants de sa poésie sont l’attachement aux valeurs simples de la nature humaine, le lyrisme, la joie de vivre et la lutte contre l’oppression. Ses œuvres sont traduites en trente langues. Son poème le plus connu s’intitule Os estatutos do homem, « Les statuts de l’humanité » :
Il est interdit d’utiliser le mot liberté,
lequel sera supprimé des dictionnaires
et du marais trompeur des bouches.
À partir de cet instant,
la liberté sera quelque chose de vivant et transparent
comme un feu ou un ruisseau,
et sa demeure sera toujours
le cœur de l’homme.
José de Adelmo Oliveira (Itabuna, BA, 1934) participe activement au mouvement culturel de Bahia en écrivant essais et poèmes pour les principales revues de Salvador de Bahia. Ces derniers sont inclus dans des anthologies publiées au Brésil et à l’étranger. Il milite contre la dictature et est emprisonné à deux reprises. Il se distingue par le lyrisme de sa réflexion sur les faits et situations qu’il recueille au fil de ses expériences. Son poème O som dos cavalos selvagens, « Le son des chevaux sauvages », est un réquisitoire contre la dictature :
Temps de guerre
C’est cela mon temps
Chevaux de haine
Dans la pensée.
Affonso Romano de Sant’Anna (Belo Horizonte, MG, 1937) participe aux mouvements d’avant-garde poétique des années 50 et 60. Il exprime dans son essai O desemprego da poesia, « Le chômage de la poésie », publié en 1962, son non-conformisme à la poésie de son temps. Il publie son premier livre de poésie, Canto e Palavra, « Chant et parole ». En 1976, il lance son livre Poesia sobre poesia, « Poésie sur poésie ». Le Jornal do Brasil publie, en 1980, son poème « Que país é este? » (« Quel pays est-ce donc ? »). À l’instar de « A Implosão da mentira », « L’implosion du mensonge », et « Sobre a atual vergonha de ser brasileiro », « Sur la honte actuelle d’être brésilien », ce texte est lu dans les maisons et sur les plages, transformé en affiches et placé sur les murs des bureaux et des syndicats.
Álvaro Alves de Faria (São Paulo, SP, 1942) est l’auteur de poésies, nouvelles, romans, essais et chroniques. En 1965, il déclame dans les rues et sur les places de São Paulo des extraits de son dernier livre, O sermão do Viaduto31, « Le sermon du Viaduc », lequel est rapidement interdit. Ses poèmes sont lyriques, philosophiques et socialement engagés, marqués par une fine ironie et, en même temps, par une grave mélancolie existentielle.
Au nom de ces poètes indépendants, on pourrait rajouter celui de Ferreira Gullar Ferreira Gullar (São Luís, MA, 1930-Rio de Janeiro, RJ, 2016), de son vrai nom José Ribamar Ferreira. Proche au départ de la poésie concrétiste, il s’en éloigne au début des années 60 pour développer une poésie plus engagée politiquement. Avec le coup d’État militaire de 1964, il est arrêté et exilé. Il séjourne alors à Moscou, à Santiago, à Lima et à Buenos Aires, ne revenant au Brésil qu’en 1977. Durant son exil en Argentine, il écrit Poema Sujo, « Poème sale ». Conçu comme un « témoignage final » par un auteur qui craignait de disparaître comme tant de gens disparaissaient alors en Amérique latine, ce poème d’une centaine de pages a provoqué un mouvement pour le retour de Gullar au Brésil. En 1980, il publiera Na Vertigem do Dia, « Dans le vertige du jour », et Toda Poesia, « Toute la poésie », qui réunit l’ensemble de sa production poétique.
La « nouvelle poésie » de la fin du 20e siècle
À partir de 1985, année de la fin de la dictature, la poésie du Brésil entre dans une nouvelle phase que l’on appelle souvent « nouvelle poésie », du nom de l’anthologie publiée par Olga Savary (1992)32. Haroldo de Campos (1984) préfère qualifier cette poésie de « post-avant-gardiste ». Marcos Siscar (2010) considère quant à lui que la poésie devient pendant cette période « quelque chose d’autre prenant une direction spécifique dans un nouveau moment historique », et qu’elle est marquée par une volonté d’échapper à la société de consommation et à la mondialisation. À la différence des mouvements précédents, caractérisés par une certaine unité idéologique ou esthétique, la nouvelle poésie devient plurielle, s’ouvre à de nouvelles catégories d’auteurs et donne la parole aux minorités discriminées ou exploitées (Noirs, indigènes, homosexuels, habitants des favelas). Sa diffusion s’élargit, grâce à son interprétation par des chanteuses ou chanteurs de renom comme Maria Bethânia ou Chico Buarque, et à la diffusion numérique, qui lui ouvre des espaces culturels nouveaux et plus populaires. On note toutefois l’absence d’un projet transformateur ou novateur, voire critique, cette dernière caractéristique pouvant même conduire, chez certains auteurs, à des attitudes de repliement sur soi, désabusées ou cyniques.
Diversité des styles et des contenus
Plusieurs poètes maintiennent un engagement social et politique fort. Ivan Junqueira (Rio de Janeiro, RJ, 1934-2014), surnommé « le poète de la pensée », est aussi critique littéraire et traducteur de Baudelaire, Marcel Proust, T.S. Eliot, Marguerite Yourcenar et Dylan Thomas. Son œuvre poétique extensive, depuis Os mortos (« Les morts », 1964) jusqu’à Poemas reunidos (« Poèmes réunis », 1999), est inspirée par les questions politiques et métaphysiques. Vicente de Paula Assunção, alias Paulinho Assunção (São Gotardo, MG, 1951), après avoir vécu à Cordoba (Argentine) en 1973 et à Lima (Pérou) en 1975, entre en 1976 à la rédaction du journal Movimiento, l’un des principaux foyers de résistance à la dictature. Il publie entre autres Diário do mudo (« Journal du muet », 1984), Escreventes (« Scribes », 1998), Saberes (« Savoirs », 1999) et Namor-Imaginações para namorados (« Namor-Imaginations pour les amants », 2000). Son œuvre poétique est dominée par la provocation et l’ironie. Il se consacre aussi au journalisme (à partir de 1987), avant de se consacrer à partir de 1998 à l’écriture de contes et, après 2003, à l’édition de livres artisanaux.
La revendication de l’identité occupe une place croissante dans la poésie de cette période. Les origines africaines du peuple brésilien sont principalement revendiquées dans les œuvres d’Eduardo de Oliveira et d’Oswaldo de Camargo. Eduardo de Oliveira (São Paulo, SP, 1926-2012), défenseur actif des droits de l’homme, est l’auteur de poèmes dédiés à la négritude. Son langage poétique est cru, parfois cruel, mais jamais dépourvu de générosité ni d’espérance :
Dans ma robe africaine
il y a un cœur que la douleur elle-même englobe,
et qui oscille, comme un pendule qui marque
toute cette angoisse de la tragédie humaine.
Oswaldo de Camargo (Bragança Paulista, SP, 1936), journaliste, est l’un des fondateurs du groupe Quilombhoje, collectif d’auteurs se dédiant à la publication, à la discussion et à la diffusion de la littérature noire au Brésil. Il est l’auteur du recueil de poèmes O Estranho (« L’étranger », 1984) ainsi que de nombreux essais et romans. La culture afro-brésilienne est aussi présente dans les textes d’Adam Ventura Ferreira Reis (Santo Antônio do Itambé, MG, 1946-Belo Horizonte, MG, 2004), Salgado Maranhão (Caxias, MA, 1953) et Ricardo José Aleixo de Brito (Belo Horizonte, MG, 1960).
Moacyr Amâncio (São Paulo, SP, 1949) et Nelson Ronny Ascher (São Paulo, SP, 1958) développent une poésie érudite souvent inspirée par leur culture juive. Le premier est l’auteur de Do objeto útil (« De l’objet utile », 1993), Figuras na sala (« Figures dans la pièce », 1995), O olho do canário (« L’œil du canari », 1998), Colores siguientes (« Couleurs suivantes  », 1999), Contar a romã (« Dire la grenade », 2001) et Óbvio (« Évident », 2004). Son écriture est concentrée, voire laconique, métaphorique et philosophique. Le second, auteur de Ponta da língua (« Pointe de la langue », 1985), Sonho da razão (« Rêve de raison  », 1993), Algo de sol (« Quelque chose de soleil », 1996) et Parte alguma (« Aucune partie », 2005), explore avec ironie les ambiguïtés de notre temps.
Les femmes occupent une place croissante dans la poésie brésilienne de la fin du 20e siècle, avec Cora Coralina, Hilda Hilst, Orides de Lourdes Teixeira Fontela, Claudia Roquette-Pinto et Lu Menezes. Cora Coralina, de son vrai nom Anna Lins Guimarães Peixoto Bretas (Cidade de Goiás, GO, 1889-Goiânia, GO, 1985), femme simple, pâtissière de profession ayant vécu loin des grands centres urbains et des milieux littéraires, décrit et questionne le monde et cherche des réponses dans la vie quotidienne. Elle ne publie son premier livre, Poemas dos becos de Goiás e estórias mais, « Poèmes des ruelles de Goiás et autres histoires », qu’en 1965. Elle publie ensuite Meu livro de cordel, « Mon livre de cordel », en 1976 et Vintém de cobre - Meias confissões de Aninha, « Pièce de cuivre - Semi-confessions d’Aninha » en 1983. Hilda Hilst (Jaú, SP, 1930-Campinas, SP, 2004), narratrice, dramaturge et journaliste est l’auteure d’une œuvre poétique à la fois irrévérencieuse et hantée par la mort. Orides de Lourdes Teixeira Fontela (São João da Boa Vista, SP, 1940-Campos do Jordão, SP, 1998) écrit, sur un ton intime, des textes emplis d’un sentiment permanent d’insatisfaction, de déception et de peur. Claudia Roquette-Pinto (Rio de Janeiro, RJ, 1963) est une poète préoccupée par la forme, la musicalité et la construction précise de métaphores. Lu Menezes (São Luís do Maranhão, MA, 1948) conçoit la poésie comme méditation. Parmi les femmes poètes de cette génération, on citera également Mirella Márcia Longo Vieira Lima, Anne Cerqueira, Neyde Archanjo, Orides Fontela, Dora Ferreira da Silva, Angela Melim, Helena Kolody, Lupe Cotrim Garaudy, Josely Vianna Baptista, Kogut et Janice Caiafa.
La poésie gay se fait connaître principalement grâce à Glauco Mattoso, pseudonyme de Pedro José Ferreira da Silva (São Paulo, SP, 1951), considéré comme un héritier de la poésie « fescénine33 » de l’Antiquité latine, des chants de mépris et de malédiction des troubadours portugais, de Gregório de Matos et du Bocage. Ses textes explorent des thèmes polémiques comme la violence sociale et la discrimination, sur un ton provocateur et souvent scatologique.
La poésie expérimentale, héritière du concrétisme et de la poésie visuelle, reste vivante avec en particulier le travail de Jorge Tufic et Marcelo Gomes Dolabela. Jorge Tufic (Sena Madureira, AC, 1930) concilie poésie expérimentale, contenu existentiel et identification avec l’univers amazonien, ses mythes et ses espoirs. Marcelo Gomes Dolabela (Lajinha, MG, 1957), qui s’attribue le nom de Dadamídia, est artiste multimédia, poète, scénariste et musicien. Il a plus de trente livres de poésie publiés et dirige le groupe poético-musical Caveira, My Friend. La transculturalité s’exprime également dans les œuvres de Nuno Álvares Pessoa de Almeida Ramos, plus connu sous le nom de Nuno Ramos (São Paulo, SP, 1960), peintre, photographe, sculpteur, scénariste et écrivain, membre du groupe de rock Titãs, éditeur des revues Almanaque 80 et Kataloki, et auteur de plusieurs livres-objets et œuvres plastiques tridimensionnelles.
La poésie s’ouvre au cours de cette période à l’ésotérisme, avec en particulier le travail de Waldo Motta, nom artistique d’Edivaldo Motta (São Mateus, ES, 1959), poète, acteur et animateur culturel, inspiré par la cabale et la numérologie. En 1996, celui-ci publie l’essai Bundo e outros poemas, « Bundo et autres poèmes », qui obtient un succès national et international, et en 2002, le livre de poèmes anagrammatiques Poema das 7 Letras, « Poème des 7 lettres ». En 2009, il mettra en scène et dirigera le spectacle Terra sem mal, « Terre sans mal », et en 2011, il participera à la création du réseau Caranguejo, « Crabe », pour la valorisation de l’art auprès des pouvoirs politiques.
Quelques poètes incarnent le retour à la tradition, en s’opposant aux avant-gardes et en maintenant un attachement aux traditions poétiques, tant du point de vue de la forme que du fond. Gerardo Majella Mello Mourão (Ipueiras, CE, 1917-Rio de Janeiro, RJ, 2007) est poète, romancier, journaliste, traducteur, essayiste et biographe. Dans sa jeunesse, influencé par Tristão de Athayde (journaliste, écrivain et fondateur de la démocratie chrétienne brésilienne), il rejoint l’intégralisme34. En 1942, accusé de collaborer avec les nazis, il est condamné à mort, puis gracié. Il est ensuite élu à deux reprises député fédéral pour l’État d’Alagoas. En 1968, il est arrêté à nouveau. Il publie Invenção do Mar, « Invention de la mer », en 1999 et O bêbado de Deus, « L’ivre de Dieu » en 2001. Sa poésie, érudite, riche en magie et en symboles, atteint une très haute qualité d’expression. Armindo Trevisan (Santa Maria, RN, 1933), théologien, critique d’art et essayiste, est l’auteur d’une poésie classique concise, utilisant un vocabulaire culte maîtrisant les sonorités. Ses textes soulignent le drame de la condition humaine, évoquent la lutte entre l’âme et le corps et glorifient la figure de Dieu, tout en avouant une inquiétude existentielle et un certain désespoir. Adélia Prado Luzia de Freitas, connue comme Adélia Prado (Divinópolis, MG, 1935), est professeure, philosophe et auteure d’histoires courtes liées au modernisme brésilien. Ses textes poétiques, marqués par la foi chrétienne, dépeignent la vie quotidienne avec étonnement et plaisir. Bruno Lúcio de Carvalho Tolentino (Rio de Janeiro, RJ, 1940-São Paulo, SP, 2007), connu pour son opposition à la culture populaire et au concrétisme, publie en 1963 son premier livre, Anulação e outros reparos, « Annulation et autres observations ». Avec l’avènement du coup d’État militaire de 1964, il part en Europe à l’invitation du poète italien Giuseppe Ungaretti, où il séjourne pendant trente ans (en Angleterre, en Belgique, en Italie et en France). En 1993, il retourne au Brésil et publie en 2002 et en 2006, respectivement, les livres considérés comme les points culminants de son œuvre poétique : O mundo como ideia, « Le monde comme idée », et A imitação do amanhecer, « L’imitation de l’aube », qui conte, en sonnets alexandrins, les obsessions qui l’ont poursuivi toute sa vie. Osvaldo André de Mello (Divinópolis, MG, 1950) est l’auteur de Revelação do acontecimento (« Révélation de l’événement », 1974), Cantos para flauta e pássaro (« Chants pour flûte et oiseau », 1983), Ilustrações (« Illustrations », 1998) et Meditação da carne (« Méditations de la chair », 2002), qui contient un hommage à Dante Milano. À la fois simple et dense, sa poésie se caractérise par une grande richesse des citations et références culturelles, et un retour à la tradition symboliste (souci de rigueur, création d’impressions par le rythme et l’harmonie musicale). Dans certains de ses poèmes, on trouve aussi des éléments liés à des rites d’initiation et à la recherche de l’essence et des mécanismes de la perception.
De nombreux poètes enfin restent en marge de ces différentes tendances et demeurent, de ce fait, difficiles à classer. Ivo do Nascimento Barroso (Ervália, MG, 1929) est principalement connu pour ses traductions en portugais de nombreux auteurs anglais, italiens ou français (parmi ces derniers, Rimbaud, Romain Rolland, André Breton, André Gide, André Malraux et Marguerite Yourcenar). Son recueil A caça virtual e outros poemas (« La chasse virtuelle et autres poèmes », 2001), écrit dans un style classique, mais pittoresque, apparaît comme une réflexion philosophique sur la mémoire et la culpabilité, l’amour et les relations humaines. Joanyr de Oliveira (Aimorés, MG, 1933-Brasilia, DF, 2009), sensible aux thèmes sociaux et religieux, transcende dans sa poésie ses expériences et épreuves personnelles (Simões Franco 2011). Il est aussi l’auteur de plusieurs anthologies et de contes. Anderson Braga Horta (Carangola, MG, 1934) est l’auteur d’œuvres les plus diverses, depuis des sonnets classiques jusqu’aux poèmes d’inspiration moderniste écrits en vers libres, et il est traducteur de plusieurs poètes d’expression française ou espagnole (Baudelaire, Victor Hugo, Luis de Góngora, entre autres). Cláudio Murilo Leal (Rio de Janeiro, RJ, 1937) est un poète dont les textes s’appuient sur la tradition érudite des lettres latino-américaines et révèlent une grande puissance suggestive. Eunice Arruda (Santa Rita do Passa Quatro, SP, 1939-São Paulo, SP, 2017) est une poète à l’écriture intimiste. Son œuvre complète, éditée en 2012, fait le bilan des cinq décennies de sa carrière littéraire. Luís Carlos Verzoni Nejar, connu comme Carlos Nejar (Porto Alegre, RS, 1939), surnommé « le poète de la pampa brésilienne », est l’auteur d’une œuvre poétique originale, caractérisée par la richesse du vocabulaire et la musicalité des vers. Ses ouvrages expriment l’angoisse de l’homme et dénoncent l’injustice avec des accents qui rappellent ceux de Carlos Drummond de Andrade. Antônio Lisboa Carvalho de Miranda (Bacabal, MA, 1940), chercheur en bibliothéconomie de renom international, auteur de « féeries théâtrales » écrites en espagnol comme Tu país está feliz, « Ton pays est heureux » et Jesucristo astronauta, « Jésus-Christ l’astronaute » est aussi romancier et poète. La poésie de Leonardo Fróes (Itaperuna, RJ, 1941), traducteur (William Faulkner, Malcolm Lowry, D. H. Lawrence, et Tagore), journaliste, naturaliste et critique littéraire, est dotée d’une sobriété qui sait toujours éviter le prosaïque. Antonio Cicero Correia Lima (Rio de Janeiro, RJ, 1945) est à la fois compositeur, poète, critique littéraire et philosophe. Obligé de s’exiler en 1969, il vit à Londres, puis aux États-Unis, avant de revenir au Brésil. Ses poèmes sont mis en musique et interprétés par sa sœur Marina Lima. Carlos Lima, de son vrai nom Luiz Carlos do Rego Lima (Rio de Janeiro, RJ, 1945), joue un rôle important dans la diffusion de la poésie brésilienne et latino-américaine et dans la traduction d’auteurs comme Friedrich Hölderlin et Novalis. Alice Ruiz (Curitiba, PR, 1946) publie principalement dans des revues des poèmes et haïkus sobres et intimistes. Eustáquio Gorgone de Oliveira (Caxambu, MG, 1949-São Paulo, SP, 2012) a publié une dizaine de livres d’une poésie introspective et métaphorique, inspirée par la nature. Rodrigo Garcia Lopes (Londrina, PR, 1965), journaliste, compositeur et chanteur, a rassemblé ses poésies dans Solarium (1994) et Visibilia (1997). Il est aussi traducteur de Rimbaud, Ezra Pound, Sylvia Plath, William Carlos Williams, Charles Bukowski et Samuel Beckett. Sa poésie, érudite et parfois hermétique, évoque la fugacité des choses.
La poésie à la fin du 20e siècle hors des grandes métropoles
On assiste, à la fin du 20e siècle, au renforcement d’une tendance apparue dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à savoir le développement de la poésie dans les petites villes de l’intérieur et du nord du pays.
À Juiz de Fora, une ville de l’intérieur de l’État du Minas Gerais, apparaissent dans les années 80 le bulletin de poésie Abre Alas et la revue D’Lira, créés par les poètes Fernando Fábio Fiorese Furtado, Iacyr Anderson Freitas et Edimilson de Almeida Pereira. Les textes des trois amis, qui écrivent en commun Dançar o nome (« Danser le nom », 2000), présentent certaines similitudes : incorporation d’une grande diversité de personnages de l’intérieur du Minas Gerais, importance des souvenirs et de la mémoire, réflexion sur le monde présent.
Dans le Ceara, Artur Eduardo Benevides (Pacatuba, CE, 1923-Fortaleza, CE, 2014) est l’auteur d’une poésie fondée sur l’image et la métaphore. Francisco César Leal (Saboeiro, CE, 1924-2013), journaliste, critique littéraire, et Adriano Espínola (Fortaleza, CE, 1952) trouvent un espace de divulgation de leur poésie dans la revue Sempre, publiée par la Bibliothèque nationale.
À Bahia, Antônio Brasileiro Borges (Matas do Orobó, BA, 1944), écrivain et artiste plastique, produit une poésie de nature philosophique et spéculative, écrite dans un style à la fois sobre et solennel et marquée par un lyrisme retenu, introspectif et interrogateur de la condition humaine :
Pour que les jours ne soient pas seulement brefs,
Parce que vivre est vraiment nécessaire
Et ce que nous faisons n’est qu’un passage entre la beauté et l’ennui
Il faut reconnaître nos faiblesses.
Ce qui est vraiment nécessaire c’est de vivre,
Le reste n’est qu’invention de poètes.
Il contribue à la publication, à Feira de Santana, des revues Serial et Hera. Maria da Conceição Paranhos (Salvador, BA, 1944) entame son œuvre par une poésie faite d’invention formelle et de métalangage. Celle-ci est ensuite transformée en un chant des circonstances, des idées et des expériences urbaines, sur un ton critique et ironique. Cid Seixas (Maragogipe, BA, 1948) est un auteur au lyrisme concentré, préoccupé par le renouveau des significations et la réhabilitation poétique des mots usés par le quotidien. Roberval Pereyr (Antonio Cardoso, BA, 1953) écrit des poèmes existentiels, dans lesquels les effets poétiques du mot et de la pensée s’amalgament en des sensations métaphoriques, révélatrices de la condition humaine dans le monde d’aujourd’hui. Citons également les poètes liés à la Coleção dos Novos (« Collection des Nouveaux ») et à la revue Iararana, aux textes souvent sceptiques, sarcastiques et ironiques. Parmi eux figurent Washington Queiroz, Luís Antonio Cajazeira Ramos, Marcos A. P. Ribeiro, Mirella Márcia, Elieser César, Ivan Brandi et Anne Cerqueira.
Poètes du 21e siècle
On observe, au 21e siècle, une juxtaposition de poésies expérimentale, engagée, conversationnelle, existentielle, et dans certains cas, un retour à des formes anciennes. Parmi les caractéristiques dominantes de la poésie de ce début de siècle, on note toutefois l’intertextualité, l’accent mis sur du quotidien, l’intensification du ludique, l’ironie et le questionnement du rationalisme.
La revue Inimigo Rumor
Un des rares foyers de rassemblement de poésie au 21e siècle est la revue Inimigo Rumor, intitulée ainsi en hommage à l’un des recueils poétiques du poète cubain José Lezama Lima, et dirigée à partir de 1997 par Carlito Azevedo, en collaboration d’abord avec Júlio Castañon Guimarães, puis avec Augusto Massi. Carlito Azevedo, de son vrai nom Carlos Eduardo Barbosa de Azevedo (Rio de Janeiro, RJ, 1961), est traducteur de poésie française et auteur de poésies inspirées à la fois par la poésie marginale, la poésie concrète et les textes de João Cabral de Melo Neto. En 2001, il rassemble ses poèmes dans l’anthologie Sublunar (1991-2001). Júlio Castañon Guimarães (Juiz de Fora, MG, 1951), critique et traducteur, publie Vertentes, « Versants », en 1975, et 17 Peças, « 17 Pièces » en 1983, deux livres de poésie marqués par le concrétisme et la poésie visuelle. Dans ses œuvres ultérieures, influencées par le constructivisme et réunies dans le volume Poemas 1975-2005, le poème est utilisé comme méthode d’observation des choses, des personnes et des faits. Augusto Massi (São Paulo, SP, 1959) publie en 1991 son premier livre de poésie, Negativo.
La revue Inimigo Rumor compte sur la participation de nombreux écrivains, et de poètes comme Paula Glenadel, Heitor Ferraz, Leonardo Martinelli et Marília Garcia Valeska de Aguirre. Paula Glenadel (Rio de Janeiro, RJ, 1964), traductrice de Michel Deguy et Jacques Roubaud, montre dans ses textes une évidente volonté de contrôler son émotion. Heitor Ferraz Mello (Puteaux, France, 1964) évoque la vie quotidienne de l’homme du commun dans sa maison ou dans la ville, dans une prose qui fait peu appel à la métaphore, la rime ou l’assonance. Leonardo Martinelli (Rio de Janeiro, RJ, 1971), musicien et critique littéraire, est l’auteur d’un seul livre de poésie, Dedo no ventilador (« Le doigt dans le ventilateur », 2005), œuvre anti-conventionnelle et incisive. Marília Garcia Valeska de Aguirre (Rio de Janeiro, RJ, 1979), très active dans le monde de l’édition, est l’auteur de 20 poemas para o seu walkman (« 20 poèmes pour son walkman », 2007), Engano geográfico (« Tromperie géographique », 2012) et Um teste de resistores (« Un test de résistance », 2014).
Indépendance et diversité
Le 21e siècle est toutefois marqué par la prédominance d’auteurs indépendants de tout mouvement poétique. Micheliny Verunschk (Recife, PE, 1972) est l’une des poètes les plus originales de la poésie contemporaine. Son livre Geografia íntima do deserto (« Géographie intime du désert », 2003), bâti à partir d’éléments personnels et historiques, fait fréquemment référence à l’abandon dans lequel se trouve la ville de Arcoverde, dans le sertão de Pernambouc, dans laquelle elle vit :
Ton nom
est mon désert
et je peux le sentir
incrusté
dans mon propre territoire
comme une perle
ou un geste dans le vide
comme le bleu amer
et ce qui n’est qu’illusoire
Sa poésie, influencée par le modernisme, mais aussi par la poésie allemande (Rilke, Trakl et Celan), souvent expressionniste et brutale, fait parfois place au merveilleux, à l’hallucination, mais aussi à la sensualité et à l’humour. On y note le retour quasi obsessif de thèmes comme la mémoire, l’enfance et le silence, et de métaphores liées aux insectes, aux fleurs, au sang, aux animaux et aux livres. Micheliny Verunschk a également publié dans des revues en France, au Portugal, en Espagne, au Canada et aux États-Unis.
Malgré une tendance générale, en ce début de siècle, à la dépolitisation, quelques poètes maintiennent un engagement social fort. Fabio Weintraub (São Paulo, SP, 1967), membre du groupe de poésie Calamus de São Paulo, participe à des actions en faveur des sans-abri, pour la défense des droits des indigènes, et organise des ateliers culturels englobant diverses formes d’art. Sa poésie joint intensité lyrique et réflexion sociale.
La revendication des origines africaines de la population brésilienne s’affirme avec plus de force au 21e siècle. Ruy do Carmo Póvoas (Ilheus, BA, 1943), fondateur en 1975 du Ilê Axé Ijexá, terreiro35 d’Itabuna, coordinateur de la revue d’études afrobahianaises Kàwé et auteur d’essais sur le candomblé36, fait fréquemment référence, dans ses recueils poétiques comme versoREverso (2003) et Matéria acidentada (2017), par ailleurs imprégnés d’une profonde réflexion philosophique et existentielle, aux cultures d’origine africaine. Edimilson de Almeida Pereira (Juiz de Fora, MG, 1963), anthropologue et poète, intègre le parler populaire des descendants d’origine africaine du Minas Gerais ainsi que des termes yoruba, pour évoquer la vie, ses rires et ses pleurs. Anelito de Oliveira (Bocaiuva, MG, 1970), critique, éditeur et organisateur de nombreux événements sur l’africanité au Brésil, est le fondateur du journal Não (1994-1995) et de la revue Orobó (1997-1999), et l’auteur des ouvrages Lama (2000) et Três festas: a love song as Monk (« Trois fêtes : une chanson d’amour comme Monk », 2004).
La poésie féministe est principalement représentée par Angélica Freitas (Pelotas, RS, 1973), révélée par la publication en 2006 de ses poèmes dans une anthologie de poésie brésilienne contemporaine publiée par le critique argentin Cristian De Nápoli. Elle publie ensuite Rilke shake (2007) et Um útero é do tamanho de um punho (« Un utérus est de la taille d’un poing », 2012). Ses textes paraissent aussi en revues, au Chili, en Argentine, au Portugal, en Allemagne et aux États-Unis. Elle a traduit de nombreuses poètes hispano-américaines. Son écriture est ironique et désenchantée.
La poésie expérimentale garde ses adeptes. Vera Lúcia de Carvalho Casa Nova (Rio de Janeiro, RJ, 1944), spécialiste de littérature, de sémiotique et d’anthropologie, a publié de nombreuses études sur la poésie ainsi que des poèmes visuels. Paulo de Tarso Aquarone (São Paulo, SP, 1956), poète multimédia, est considéré comme l’un des précurseurs de la poésie numérique, genre poétique assisté par ordinateur englobant la poésie générative, la poésie multimédia ou cinétique et la vidéopoésie. Amarildo Anzolin (Curitiba, PR, 1970) utilise depuis 2004 diverses techniques (ordinateur, vidéo et instruments de musique) et formes d’expression (musique, performance, arts plastiques, photographie) pour produire des œuvres influencées par la poésie concrète et la poésie marginale. Dans son dernier ouvrage, Evite permanecer nesta área (« Évitez de rester dans cette zone », 2012), il poursuit et élargit ce champ de recherche, avec des poèmes et de la prose ayant recours à des sujets prosaïques et à un vocabulaire familier contemporain. Frederico Barbosa (Recife, PE, 1961) est l’auteur d’une poésie minimaliste et baroque, ludique et insoumise, réunie dans Nalata, poesia reunida (2013). Wilmar Silva (Rio Paranaíba, MG, 1965), comédien, dramaturge, est l’auteur de poésies musicales et de performances impliquant un langage physique. Augusto Meneghin (Curitiba, PR, 1970) réalise des collages, dessins, peintures, vidéos et performances d’une grande créativité. Delmo Montenegro (Recife, PE, 1974) est poète, traducteur et essayiste, auteur d’expositions de poésie visuelle et des ouvrages Os jogadores de cartas (« Les joueurs de cartes », 2003) et Ciao cadáver (« Ciao cadavre », 2005), dans lesquels il mêle humour, désenchantement, érudition et mythologie classique.
La tendance dominante en ce début de siècle est toutefois au développement d’une poésie conversationnelle, principalement urbaine, trouvant son inspiration dans le quotidien. Helena Ortiz (Pelotas, RS, 1946), poète, romancière et journaliste, conduit entre 1999 et 2002 à Rio le projet Panorama da palavra, « Panorama de la parole », et crée une revue et maison d’édition du même nom. Sa poésie évoque le quotidien sans rhétorique par l’intermédiaire de vers courts (« La défaite n’admet pas de réplique/ni de rhétorique »). La poésie de Donizete Galvão (Borda da Mata, MG, 1955-São Paulo, SP, 2014), inspirée par Ponge, trouve sa source dans les objets de tous les jours, la mémoire et la fuite du temps. Paulo Ferraz (Rondonópolis, MT, 1974) publie en 1999 son premier recueil de poèmes, Constatação do óbvio, « Constatation de l’évidence ». Il participe à l’édition de la revue Sebastian à laquelle collaborent Armando Freitas Filho, Paulo Henriques Britto, Nelson Ascher, Régis Bonvicino, Frederico Barbosa, Donizete Galvão et Fabio Weintraub, entre autres. En 2007, il publie De novo nada, « De nouveau rien », un poème de 600 vers, et Evidências pedestres, « Évidences pédestres ». Sa poésie tend à fixer des moments insignifiants dans un style impressionniste. Tarso de Melo (Santo André, SP, 1976), éditeur des revues Monturo et Cactus, est l’auteur de plusieurs ouvrages dans lesquels il traite, avec un langage sobre, des misères banales et des contradictions entre le lyrisme et la réalité, entre l’image du poème et le chaos de la métropole. Le langage de Mariana Ianelli (São Paulo, SP, 1979), essayiste et critique littéraire, est marqué par des préoccupations existentielles et se caractérise à la fois par une grande économie de moyens et une forte charge métaphorique.
Comme au cours de la décennie 90, quelques auteurs préfèrent se rattacher à la tradition. C’est le cas d’Alexei Bueno (Rio de Janeiro, RJ, 1963), qui critique les avant-gardes, et dont la poésie cultive des formes traditionnelles comme le sonnet. Le ton est souvent celui de l’humour, du sarcasme, de l’indignation, et peut passer de la violence à la douceur. Comme éditeur, il fait connaître l’œuvre de nombreux auteurs brésiliens. Il est aussi l’auteur de traductions de Gérard de Nerval, Poe, Longfellow, Mallarmé, Tasso et Leopardi.
De nombreux poètes restent en marge de ces différentes tendances. Tanussi Cardoso (Rio de Janeiro, RJ, 1946), critique littéraire, auteur de contes et parolier, publie de nombreux poèmes en revues en Argentine, au Chili, en Colombie, aux États-Unis, en Italie, au Portugal et en Uruguay. Paulo Henriques Britto (Rio de Janeiro, RJ, 1951) est l’auteur d’une poésie qui se caractérise par sa construction, son ironie, et le jeu entre langage quotidien et références érudites. Il est aussi connu pour ses traductions de William Faulkner, John Updike et Charles Dickens. Luiz Contador Borges (São Paulo, SP, 1954), traducteur et admirateur de Sade et René Char, est l’auteur de textes poétiques comme O reino da pele (« Le royaume de la peau », 2002) et A morte dos olhos (« La mort des yeux », 2007). Sa poésie, fébrile et angoissée, tourne autour des thèmes de l’érotisme et de la mort. Antonio de Pádua Barreto Carvalho (Passos, MG, 1954) est l’auteur de poésies, de contes, de romans et de littérature pour la jeunesse. Régis Bonvicino (São Paulo, SP, 1955) est un poète prolixe dont l’œuvre est réunie dans Até agora (« Jusqu’à maintenant », 2010). Il est aussi éditeur, critique et traducteur (d’Oliverio Girondo et de Jules Laforgue, entre autres). Leopoldo Comiti (Rio Negro, PR, 1956) est l’auteur d’une poésie réflexive, pleine de références à la mythologie grecque et à Dante. Denise Emmer Dias Gomes Gerhardt (Rio de Janeiro, RJ, 1958), connue comme Denise Emmer, poète mais aussi compositrice, écrit des musiques sur ses textes ainsi que sur ceux de Pedro Lyra, d’Ivan Junqueira et de Moacyr Félix. Age de Carvalho (Belém do Pará, PR, 1958), inspiré par Ezra Pound, Paul Celan, Drummond et Gullar, est le poète des rues de Belém. Aleilton Fonseca (Itamirim, MG, 1959), conteur régionaliste de talent, a également publié des ouvrages poétiques, dont le récent Um rio nos olhos (« Une rivière dans les yeux », 2012). Sa poésie, qui évoque souvent l’incertitude de l’avenir, est d’un style sobre, allégorique et lyrique. La poésie d’Eucanaã Ferraz (Rio de Janeiro, RJ, 1961) combine violence et douceur, silence et tumulte, tendresse et lyrisme, mais aussi ironie et humour. Martha Medeiros (Porto Alegre, RS, 1961), journaliste, a publié de nombreuses chroniques, des romans et des ouvrages de poésie, dont certains ont obtenu un grand succès populaire. Ronald Polito (Juiz de Fora, MG, 1961) est l’auteur d’une poésie évoquant les thèmes du temps, de la finitude et de la communication avec l’autre (« Je recompose la fragilité de ces minimes/événements, essayant de faire avec eux/un seul corps, un corps, dans lequel tu es »). L’écriture de Claudio Daniel (São Paulo, 1962) est influencée par l’esthétique néobaroque cubaine, mais aussi par Oliverio Girondo, Vicente Huidobro, César Vallejo et João Cabral de Melo Neto. Marco Lucchesi (Rio de Janeiro, RJ, 1963) est poète, romancier, essayiste et traducteur. Grâce à sa connaissance de plus de vingt langues étrangères, il est un traducteur réputé des œuvres de Juan de la Cruz, Hölderlin, Rilke, Trakl et Khlebnikov. Ses Poemas reunidos, « Poèmes réunis », d’un style dépouillé et empreint d’une grande sensibilité, ont été publiés en 2003. Esio Macedo Ribeiro (Frutal, MG, 1963) est l’auteur d’une poésie limpide, faite de phrases courtes et péremptoires qui expriment doute et ambiguïté, et qui évoquent l’obscur. Herbert Emanuel (Macapá, AP, 1963) publie en 2005 le livre de haïkus Del crepúsculo al otro día, « Du crépuscule à l’autre jour ». Jovino Machado (Formiga, MG, 1963) a recours à un langage vindicatif, désordonné, expressionniste, riche en métaphores et exclamations (« le poète volait sur les toits/rêvant de la capitale de la solitude/le printemps assassinait l’hiver/dans le ciel apparut un morceau de lune sale »). Iacyr Anderson Freitas (Patrocínio do Muriaé, MG, 1963) exprime, dans comme Primeiras letras (« Premières lettres », 2007) et Quaradouro (2007), des sentiments profonds de désespoir et une volonté nostalgique de s’accrocher à la mémoire. Marcos Antônio Siscar (Borborema, SP, 1964), traducteur de Tristan Corbière, Michel Deguy et Jacques Roubaud, et auteur d’essais (en particulier sur Derrida), fait ses études de doctorat à l’École des Hautes Études de Paris. Professeur à l’Université d’État de São Paulo, il publie Não se diz (« Ça ne se dit pas », 1999), Tome seu café e saia (« Prenez votre café et sortez », 2001), Metade da arte (« La moitié de l’art », 2003) et O roubo do silêncio (« Le vol du silence », 2006). Ses textes ont été publiés en anthologies au Brésil, en Argentine, en Espagne et en France. Heitor Brasileiro Filho (Jacobina, BA, 1964), romancier, publie O chão & a nuvem (« Le sol & le nuage », 2013), ouvrage qui combine, sur un ton ludique, parfois ironique et provocateur, des dialogues imaginaires avec des poètes et l’évocation de l’histoire traditionnelle de Bahia. Marcelo Montenegro (São Caetano do Sul, SP, 1971), écrivain de fiction pour la télévision, est l’auteur de De soslaio («De travers », 1997), Orfanato portátil (« Orphelinat portable », 2003) et Garagem lírica (« Garage lyrique », 2012). Depuis 2004, il présente le spectacle Tranqueiras líricas, « Bazars lyriques », dans lequel il mêle poésie, rock, blues et jazz. Fabrício Carpi Nejar (Caxias do Sul, RS, 1972), qui signe ses œuvres sous le nom de Fabrício Carpinejar à partir de 1998, est connu pour ses recueils As solas do sol (« Les semelles du soleil », 1998) et Caixa de sapatos (« Boîte de chaussures », 2003). Ismar Tirelli Neto (Rio de Janeiro, RJ, 1985) mêle dans Synchronoscopio (2008) les styles lyrique et narratif. Dans son deuxième livre, Ramerrão (« Routine », 2011), il évoque, entre prose et poésie, la quotidienneté d’une vie luttant pour survivre dans le monde capitaliste de la sélection sociale, tout en s’imprégnant d’illusions et de rêves. Citons également les noms de Arruda Mendonça (Londrina, PR, 1964), dramaturge, traducteur et musicien, Sérgio Nazar David (Além Paraíba, 1964), auteur de nombreux essais, Virna Teixeira (Fortaleza, CE, 1971), romancière, poète et traductrice vivant à Londres, Leonardo Gandolfi (Rio de Janeiro, RJ, 1981), poète et critique littéraire.
On notera pour terminer le dynamisme particulier, au cours de ces dernières années, de la poésie du Nordeste. À Bahia, parmi les jeunes poètes qui ont déjà commencé à attirer l’attention des critiques, on peut citer Goulart Gomes, José Inácio Vieira de Melo, Kátia Borges, Narlan Matos et Henrique Wagner. Enfin, plus récemment, se sont fait connaître, autour de la maison d’édition Mondrongo, de jeunes poètes comme Marcus Vinícius Rodrigues et Ribeiro Pedreira.
Repente et poésie de cordel
Il est impossible, lorsqu’on parle de poésie brésilienne, de ne pas faire référence au repente (ou cantaria) et à la littérature de cordel. Le repente est une forme de poésie orale improvisée, traditionnellement en strophes de dix vers, similaire à la payada d’Argentine et d’Uruguay et à la paya du Chili. Cette tradition, introduite par les colons européens, remonterait aux romances et aux quatrains du Moyen-Âge et de la Renaissance. Au 17e siècle, Lope de Vega pratique et propage la décima espinela, strophe de dix versets octosyllabiques et en général aux rimes parfaites, et lui donne le nom de spinelle en l’honneur de Vicente Espinel (1550-1624), poète, écrivain et musicien du Siècle d’or espagnol. La littérature de cordel désigne, au Brésil, un mode d’autoédition de poésie populaire sous forme de fascicules. Née au Portugal au 17e siècle, elle est introduite au 19e siècle au Brésil, où elle se développe sur un fond de traditions narratives orales, vivantes tant chez les Amérindiens que chez les Africains amenés par la traite négrière. Le terme littérature de cordel renvoie au fait que les fascicules sont traditionnellement vendus sur les marchés, épinglés sur des cordes. De huit, seize ou trente-deux pages, ils sont constitués de petits feuillets de papier bon marché de format 11 x 16 cm (soit une feuille format A4 pliée en quatre) avec une couverture un peu plus épaisse, illustrée par le procédé de la xylogravure. La littérature de cordel inclut aussi les manifestations poétiques orales avec versification improvisée. Dans tous les cas, les thèmes sont principalement des faits de la vie quotidienne et des épisodes historiques ou religieux. Aujourd’hui, ils concernent également des revendications sociales et politiques.
Les repentistes brésiliens
Dans le sud du Brésil, le repente est chanté sous forme de décima espinela, avec accompagnement musical, normalement de milonga. Les repentistes brésiliens les plus réputés sont Zé Limeira, Lourival Batista, Jayme Caetano Braun, Vítor Mateus Teixeira, Apolônio Cardoso et Paulo de Freitas Mendonça. Zé Limeira (Teixeira, PB, 1886-1954) est l’auteur d’improvisations variées, incluant des distorsions historiques, des non-sens, des néologismes et des emprunts à d’autres repentistes. Lourival Batista Patriota, également connu comme Louro do Pajeú (Itapetim, PE, 1915-São José do Egito, PE, 1992) est considéré comme le roi du trocadilho, « calembour », et un des meilleurs poètes populaires du Nordeste. Jayme Guilherme Caetano Braun (Timbaúva, RS, 1924-Porto Alegre, RS, 1999), connu également sous les noms de El Payador, Piraj, Martín Fierro, Chimango et Andarengo, publie d’abord dans les journaux Trabalhou o interior et A notícia. Il commence sa carrière de repentiste lors du premier congrès traditionaliste du Rio Grande do Sul, qui a lieu à Santa Maria en 1954. Il est aussi l’auteur de divers livres de poésie. Vítor Mateus Teixeira (Rolante, RS, 1927-Porto Alegre, RS, 1985), mieux connu sous le nom de Teixeirinha, orphelin très jeune, parcourt le pays pour faire différents travaux et apprend la musique en animant des fêtes. Il est réputé pour la simplicité et la spontanéité de ses textes ainsi que le caractère communicatif de ses accompagnements musicaux. Il a produit de nombreux disques et participé à des films musicaux. Apolônio Cardoso (Campina Grande, PB, 1938-2014), le « poète des fleurs », est considéré comme un des grands repentistes du Nordeste. Il commence à gagner sa vie comme cireur de chaussures et en jouant dans les bars et à la radio. À 18 ans, il retourne à Campina Grande pour reprendre des études et obtient un diplôme de droit en 1974. Devenu avocat, il lui arrive fréquemment de présenter ses réquisitoires en vers. Il fut aussi professeur d’histoire, journaliste, présentateur de radio. Il est l’auteur de chansons très populaires comme Flor do Mocambo e Flor do Cascalho, reprise comme musique du film Romance (2008) de Guel Arraes. Paulo de Freitas Mendonça (São Pedro do Sul, RS, 1957) est poète, compositeur, journaliste et repentiste connu dans toute l’Amérique latine. Il est aussi l’auteur d’ouvrages sur la culture régionale et sur la poésie improvisée. Parmi les autres repentistes contemporains on citera Everaldo Nóbrega, Francisco Carvalho, João Furiba, Jó Patriota, José Alves Sobrinho, Manoel Galdino Bandeira, Otacílio Batista, Pinto de Monteiro, Adão Duarte, Eliseu Ventania, Oliveira de Panelas et plus récemment Maviael Melo, Pereira da Viola, Aiace Félix, Claudia Cunha ainsi que le duo Pardal e Verde Lins et le trio Em Canto & Poesia.
La littérature de cordel
La littérature de cordel, qui joue un rôle important dans le maintien et la diffusion des cultures locales et des traditions littéraires régionales, est particulièrement développée à Recife et dans les États de Bahia, de Paraíba, du Ceará et du Rio Grande do Norte. Leandro Gomes de Barros (Pombal, PB, 1865 - Recife, PE, 1918), auteur d’environ 240 œuvres, est considéré comme le premier écrivain brésilien de littérature de cordel. Il est, selon Carlos Drummond, « le roi de la poésie du sertão et du Brésil ». João Martins de Athayde (Ingá, PB, 1880-Recife, PE, 1959), poète et éditeur est, quant à lui, le premier à utiliser la photographie (principalement d’artistes de cinéma) pour l’illustration des fascicules. Ses textes critiquent, dans un style ironique, les habitudes modernes. Cuica de Santo Amaro, nom artistique de José Gomes (Salvador, BA, 1907-1964), surnommé par Jorge Amado « le troubadour de Bahia », écrit principalement sur le sexe, la mort et la politique. Rodolfo Coelho Cavalcante (Rio Largo, AL, 1919-Salvador, BA, 1987) parcourt, à partir de l’âge de 13 ans, tout le Nordeste comme clown et camelot. En 1945, il s’installe à Salvador et écrit, tout en militant pour organiser chanteurs et poètes. Raimundo Luiz do Nascimento (Santa Helena, PR, 1926), connu comme Raimundo Santa Helena ou Santa Helena, part pour Fortaleza à la mort de son père, tué par le cangaceiro37 Lampião. Il participe à la Seconde Guerre mondiale et étudie aux États-Unis, ce qui lui permet plus tard de composer des fascicules bilingues. Les thèmes qu’il aborde sont variés, incluant la biographie de personnes célèbres, l’éducation sexuelle et la santé. Franklin Maxado (Feira de Santana, BA, 1943), connu comme Franklin Machado Nordestino, travaille d’abord à Bahia, puis part pour São Paulo, où il travaille pendant quinze ans. De retour à Feira de Santana, il se consacre intégralement à la xylogravure et à la poésie de cordel. Ses textes abordent des thèmes à caractère social et politique, sur un ton souvent satirique. Antônio Gonçalves da Silva, plus connu comme Patativa do Assaré (Assaré, CE, 1909-2002), est poète, compositeur, chanteur et improvisateur. Aveugle d’un œil à la suite d’une maladie, il ne fréquente l’école que quelques mois, avant de partir travailler à la campagne pour aider sa famille. Vers vingt ans, il commence à chanter dans les fêtes populaires du Ceará. C’est à partir de ce moment qu’il reçoit le surnom de Patativa, nom d’un petit oiseau vivant dans la région38. C’est en 1956, à la fête de Feira do Crato, qu’il rencontre José Arraes de Alencar, qui l’aide à publier son premier livre, Inspiração Nordestina. Antonio Carlos da Silva ou Rouxinol do Rinaré (Quixadá, CE, 1966) se déplace, dans les années 1990, à Pajuçara (Maracanaú) et fonde les magazines culturels Sociarte, A Porta Cultural dos Aletófilos et O Benemérito. Parmi les cordelistes contemporains, on citera encore Klévisson Viana, Queiroz de França, Serra Azul, Francisco Bento, Cláudio Magalhães, Antonio Carlos de Oliveira Barreto et Janete Lainha Coelho. On peut enfin rattacher à la littérature de cordel l’ouvrage Canudos : a luta (1991) de José Guilherme da Cunha (Juremal, BA, 1937), poème épique de sept mille vers organisés en sextilhas (strophes de six vers de sept syllabes dont le second, le quatrième et le sixième sont rimés), évoquant la guerre des Canudos39.
Quelle place pour la poésie en langues indigènes ?
Selon les diverses estimations, entre 5 et 15 millions d’habitants peuplaient le territoire de l’actuel Brésil avant l’arrivée des Européens. En 1970, il ne restait plus que 100 000 indigènes. Aujourd’hui, 215 peuples indigènes sont identifiés, majoritairement localisés dans l’ouest et le nord amazoniens. Une partie de la population indigène a fusionné avec les immigrants et adopté le mode de vie européen. Une politique gouvernementale protège les « non-assimilés » depuis une cinquantaine d’années. La population indigène « non assimilée » est, selon le recensement de 2002, de 700 000 personnes, qui occupent 594 territoires indigènes sur un total de 100 millions d’hectares (12 % du territoire brésilien). Au total, 215 ethnies sont répertoriées. On a enfin identifié 45 groupes indigènes n’étant pas encore entrés en contact avec le reste du monde. Une des tâches de la FUNAI (Fondation nationale de l’Indien) est de tenter de les approcher afin que ce contact soit le moins traumatisant possible. Le « Statut de l’Indien » datant de 1973 (loi 6001), toujours appliqué bien qu’il ne soit plus en conformité avec la Constitution en vigueur, considère les indigènes comme des mineurs protégés, dépourvus de droits civiques. Un projet de loi, déposé en 1991 au Congrès, est toujours en discussion. Il suscite de vives réactions, notamment au sein des groupes de pression économiques, qui protestent contre la « sanctuarisation » d’une part importante du territoire national. Les conflits de délimitation, souvent violents, sont fréquents entre les communautés indigènes et les grands propriétaires terriens.
Le nombre de personnes parlant une langue indigène est d’environ 155 000. Le nombre de langues distinctes identifiées par les ethnologues est de 235 (regroupées en quatre troncs linguistiques [Tupi, Macro-Jê, Aruak et Karib]), dont 188 sont toujours vivantes. Toutefois, parmi celles-ci, seulement vingt-six seraient parlées par plus de 5 000 personnes.
Réinclure la production poétique indigène dans une histoire de la poésie du Brésil implique un refus de limiter la littérature brésilienne à des textes en portugais et conduit à reconnaître pleinement une valeur culturelle qui existe depuis longtemps, avant même l’arrivée de l’écriture sur le territoire brésilien. Cette reconnaissance passe toutefois aujourd’hui par la transcription écrite et la traduction éventuelle en portugais ou en d’autres langues, seules à même d’assurer la diffusion. Au sein de la poésie indigène contemporaine, on peut distinguer des œuvres écrites collectivement et des œuvres individuelles.
Un des premiers auteurs à avoir joué un rôle important dans la récupération de la poésie indigène collective et de tradition orale, en particulier mbyá-guarani40, est Josely Vianna Baptista (Curitiba, PR, 1957), également active dans le domaine de la littérature infantile et de la traduction (d’Alejo Carpentier, de Lezama Lima, de Jorge Luis Borges, de Julio Cortázar, de Guillermo Cabrera Infante et de Néstor Perlongher, entre autres). La littérature collective est produite aujourd’hui dans des écoles mises en place dans les territoires indigènes protégés. Le tirage et la diffusion, limités, de ces ouvrages signés collectivement par la communauté, sont réalisés par des organisations non gouvernementales, souvent en partenariat avec le Ministère de l’Éducation.
Les auteurs individuels sont plus souvent des descendants d’indigènes qui vivent aujourd’hui en ville, isolés de leur communauté d’origine. Leurs écrits cherchent principalement la consécration d’une mémoire à portée universelle. Ces écrivains, regroupés dans le NEARIN (Núcleo de escritores e artistas indigenas, « Groupe d’écrivains et artistes indigènes », de l’Instituto Indígena Brasileiro para Propriedade Intelectual, l’« Institut indigène brésilien pour la propriété intellectuelle », ou INBRAPI, organisme créé en 2001 dans le but de protéger les connaissances traditionnelles contre le biopiratage et l’exploitation), sont les descendants d’ethnies très diverses. Leur écriture, politique, revendique l’existence de la communauté dans la nation, devenue un État multiculturel. Eliane Potiguara, de son vrai nom Eliane Lima dos Santos (Rio de Janeiro, RJ, 1950), écrivaine, professeure et militante des droits des indigénes, a été élevée dans une favela de la ville de Rio de Janeiro, mais sa grand-mère maternelle, Maria Lourdes, est potiguara41. Son pseudonyme est constitué d’un prénom lusophone et du nom de l’ethnie, remémorant le procédé utilisé au sein des communautés indigènes. Elle a créé GRUMIN, un réseau de femmes indigènes et un blog sur lequel elle attire l’attention sur les épreuves qu’elles ont subies. Elle est l’auteure de Metade cara, metade máscara, « Moitié visage, moitié masque », récit poétique publié à São Paulo en 2004. Sa filiation indigène et la mémoire de ses ancêtres y sont constamment évoquées. Elle y exprime des sentiments mitigés sur le lien qui unit les indigènes au reste du peuple brésilien et à la nation brésilienne. On retrouve l’idée dans la métaphore du ventre dans son poème nommé « Brasil », qui suggère les nombreux viols à l’origine du peuple brésilien :
Ventre brésilien
Ventre sacré
Peuple brésilien
Ventre qui a créé
Le peuple brésilien.
Si le poème est autobiographique, la communauté est toutefois omniprésente (« Mais je ne suis pas seule/Nous ne sommes pas dix, cent ou mille/À briller sur la scène de l’Histoire/Nous serons des millions, unis comme la foule »). Maria das Graças Ferreira ou Graça Graúna, indigène potiguara, née à São José do Campestre, RN, est la créatrice d’un blog sur la littérature autochtone et sa poésie. Elle est l’auteure de Canto Mestizo (« Chant métis », 1999), Tessituras da Terra (« Tessiture de la Terre », 2001) et Tear da Palavra (« Le Métier à tisser de la Parole », 2007). Sandra Santos (São Luiz Gonzaga, RS, Brasil Rio Grande do Sul, 1964), animatrice culturelle à l’origine de plusieurs initiatives visant à faire connaître les jeunes poètes et la peinture primitive, écrit de la poésie dans un ancien dialecte tupi. Daniel Munduruku (Belém, PA, 1964), écrivain amazonien de l’ethnie mundurucu42, habitant São Paulo, est l’auteur de plus de 30 livres et il est directeur de l’INBRAPI. Douglas Diegues (Rio de Janeiro, RJ, 1965) publie une anthologie de poésie guarani, Kosmofonia Guarani Mbya, en collaboration avec l’anthropologue et musicologue Guillermo Sequera. En 2007, il fonde à Asunción la maison d’édition Yiyi Jambo, qui publie des poètes indigènes du Brésil et du Paraguay. Il est enfin l’auteur d’une œuvre poétique, écrite dans une interlangue mêlant le portugais, l’espagnol et le guarani, qu’il appelle « portunhol sauvage », et qui mêle sonnets, mythes guaranis et écriture d’inspiration dadaïste. Carlos Tiago Hakiy est né à Barreirinha, AM, et appartient à l’ethnie saterê mawê43. Il est l’auteur du livre de poésie Águas do Andirá, « Eaux du fleuve Andirá », mais aussi d’un livre d’histoires indigènes pour enfants et d’une anthologie de poésie indigène. Il est fondateur du CLAM, le Club littéraire d’Amazonie. Olívio Jekupé (Novo Itacolomi, PR, 1965), poète, conteur et auteur de livres pour enfants met quant à lui en avant la question de ses origines métisses (une réalité partagée par de nombreux indigènes du Brésil).
Conclusions
Une des caractéristiques principales de la poésie brésilienne est, comme nous l’avons vu, d’avoir un acte de naissance très précis, qui coïncide avec le centenaire de l’indépendance politique du pays. Cette naissance est le fait d’un mouvement d’avant-garde qui se qualifie lui-même de moderniste et affirme fortement son identité nationale ainsi que des ambitions culturelles précises se traduisant par la publication de manifestes. C’est en référence au modernisme (par la critique de son côté provocateur, l’accent mis une plus grande simplicité et une certaine récupération de l’héritage du réalisme et du romantisme) que se construit le postmodernisme, mouvement qui compte probablement les plus grands noms de la poésie brésilienne (Manuel Bandeira, Carlos Drummond de Andrade et Vinicius de Moraes, pour ne citer qu’eux). Se succèdent ensuite de nombreux mouvements qui se définissent presque tous en réaction aux antérieurs, cet exclusivisme provoquant parfois, par réaction, un retour à des formes plus classiques (Gerardo Majella Mello Mourão, Armindo Trevisan, Adélia Luzia Prado de Freitas, Bruno Lúcio de Carvalho Tolentino, Osvaldo André de Mello, Alexei Bueno).
La poésie brésilienne connaît, au cours du dernier siècle, une progressive « régionalisation ». Le modernisme se développé principalement à São Paulo (son développement tardif dans le Minas Gerais étant lui-même le fait du groupe de São Paulo). Le postmodernisme reste essentiellement un mouvement des grandes villes du Sud. La plupart des postmodernistes vivent en effet principalement à Rio (Manuel Bandeira, Jorge Mateus de Lima, Cecília Meireles, Carlos Drummond de Andrade, Vinicius de Moraes) ou à Porto Alegre (Mário Quintana, Heitor Saldanha), même si le postmodernisme se diffuse à la fin de la décennie 50 dans le Nordeste, avec le groupe Geração 59 et l’Académie des Rebelles. C’est surtout au sein du mouvement Génération 45 que l’on assiste à un développement spectaculaire de la création poétique dans le Nordeste, avec João Cabral de Melo Neto, Ramos da Mota e Albuquerque, Ariano Vilar Suassuna, Lêdo Ivo, Camillo de Jesus Lima et Jacinta Passos.
Des secteurs marginalisés ou exclus jusque-là de la société participent progressivement à l’écriture poétique. Dans le cadre du mouvement postmoderniste se fait entendre pour la première fois, avec force, la voix des femmes, avec Cecília Meireles. La place des femmes dans l’écriture poétique se renforce au cours de la génération 45 avec Clarice Lispector, Lygia Fagundes Telles et Laís Corrêa de Araújo Ávila. Mais il faut attendre la décennie 60 avec Lucila Nogueira, et surtout la génération de la dernière décennie du 20e siècle (avec Hilda Hilst, Orides de Lourdes Teixeira Fontela, Claudia Roquette-Pinto et Lu Menezes) et le début du 21e siècle (avec Angélica Freitas) pour voir apparaître l’évocation de thèmes proprement féministes. C’est à cette même époque qu’apparaît la poésie gay. On assiste enfin, à la fin du dernier siècle et au début de celui-ci, à une revendication des identités, principalement africaine (Ruy do Carmo Póvoas, Eduardo de Oliveira, Oswaldo de Camargo, Adão Ventura, Salgado Maranhão, Ricardo Aleixo et Antonio Risério), mais aussi indigène (Josely Vianna Baptista, Eliane Potiguara, Graça Graúna, Daniel Munduruku, Douglas Diegues, Carlos Tiago Hakiy, Olívio Jekupé) ou juive (Moacyr Amâncio, Nelson Ascher).
La poésie brésilienne attache, dans son ensemble, une grande importance à l’expérimentation esthétique. Ceci est explicite dans la poésie de la génération 45, marquée par une volonté de recherche et de discipline dans la sélection du vocabulaire et la construction, particulièrement notable avec João Cabral de Melo Neto. Cette recherche esthétique prend des formes très différentes par la suite : expérimentation formelle avec le concrétisme et le néoconcrétisme, mais aussi attachement aux formes classiques jusque dans la poésie nouvelle et la poésie du 21e siècle (Gerardo Majella Mello Mourão, Adélia Luzia Prado de Freitas, Bruno Lúcio de Carvalho Tolentino, Osvaldo André de Mello, Alexei Bueno).
L’importance du style conversationnel, spontané, mélangeant des expressions cultes aux mots simples du langage populaire, proche parfois du langage parlé, est une autre caractéristique importante de la poésie brésilienne. Il est revendiqué par Oswald de Andrade dans le manifeste Pau Brasil (« Une langue sans archaïsmes, sans érudition. Naturelle et néologique. La contribution millionnaire de toutes les erreurs. Tels nous parlons. Tels nous sommes. »). La seconde génération du modernisme offre également des exemples de cette tendance, avec en particulier Manuel Bandeira, qui admet explicitement la contribution du langage populaire à sa poésie. Le langage conversationnel est à nouveau mis en avant par la poésie marginale et reste une référence dominante pour les poètes contemporains.
À toutes ces particularités de la poésie brésilienne, on pourrait finalement ajouter l’influence réduite des mouvements d’avant-garde européens, qui se limite à la référence que constitue le futurisme pour le mouvement moderniste et à une certaine influence du surréalisme sur des auteurs comme Jorge Mateus de Lima, Abgar de Castro Araújo Renault, Odorico Bueno de Rivera Filho, João Cabral de Melo Neto, Roberto Piva et José Alcides Pinto.
La poésie brésilienne contemporaine se caractérise, comme on l’a vu, par l’absence d’un programme esthétique ou politique collectif, et par l’hégémonie d’un processus de composition individualisé (voire individualiste) et subjectif. De multiples références et influences se mêlent et fusionnent dans une poésie éclectique et«  ouverte », y compris aux forces de la mondialisation et de la consommation. L’idée d’une authenticité culturelle préservée n’est plus un objectif que pour les groupes minoritaires. Le scepticisme, voire le cynisme notable chez la plupart des poètes contemporains est le reflet d’une absence à court terme de perspectives de changements de société radicaux. Il y a un manque de perspectives particulièrement net à l’heure où des politiques conservatrices, ultralibérales et dangereuses pour l’environnement sont mises en place dans un pays déjà connu pour ses disparités sociales, ses niveaux de pauvreté élevés et ses destructions environnementales.
L’ensemble de ses caractéristiques donne à la poésie brésilienne une place à part dans la poésie latino-américaine, tout en lui conférant une diversité et une richesse incomparables, méritant d’être mieux connues à l’extérieur du pays. Puisse cet essai contribuer, ne serait-ce que modestement, à une meilleure connaissance de la poésie brésilienne hors de ses frontières.
Poètes brésiliens contemporains traduits par Oleg Almeida
Anderson Braga Horta
Braga Horta est né à Carangola, Minas Gerais, le 17 novembre 1934. Il étudie le droit et la littérature. En 1964, voyant les chars dans les rues, il abandonne les cours et se consacre au journalisme. Il publie Altiplano e Outros Poemas (1971), Marvário (1976), Incomunicação (1977), Exercícios de Homem (1978), Cronoscópio (1983), O Cordeiro e a Nuvem (1984), O Pássaro no Aquário (1990), Dos Sonetos na Corda de Sol (1999), Quarteto Arcaico (2000), Fragmentos da Paixão: Poemas Reunidos (2000), Pulso (2000), Antologia Pessoal (2001) ainsi que plusieurs ouvrages collectifs.
Un rêve
I have a dream…
Martin Luther King
Moi, j’ai un rêve.
Un rêve grand et beau
comme la vie.
Et je l’agiterai, mon saint drapeau,
devant la face de la mort.
Car j’ai un rêve… Pour les partisans
de la mort, pour les profiteurs
de la mort, pour les fabricants
de morts, pour les marchands
de morts, ce sera bien un coup d’épée,
mon rêve.
Ne m’offrez la couronne impériale
ni ne me couvrez de lauriers.
Moi, j’ai un rêve.
L’homme qui a un rêve
est plus puissant qu’un empereur,
est plus fort qu’un héros,
est plus beau qu’un poète.
Mais moi
qui ne suis ni puissant,
ni fort,
ni beau,
moi, j’ai un rêve !
Oui, j’ai un rêve.
Je ferai des discours démagogiques,
j’écrirai des poèmes illogiques,
je posterai des lettres diffamantes,
je chanterai des chansons larmoyantes,
je serai mendiant,
esclave et clown
pour que mon rêve vienne à triompher.
Car j’ai un rêve… Croyez-moi, adorateurs
de la Fortune, bénéficiaires
de la Force, idiots de la Répression
du Verbe, vous qui, par convention
ou faute d’inspiration, n’avez plus d’empathie,
vous, solitaires de l’Effroi,
larrons du Vice : j’ai un rêve !
Et, dans mon rêve,
la Terre est bleue et verte,
et l’homme a la couleur de sa belle âme.
Dieu me pardonne, j’ai un rêve !
Et, dans ce rêve, l’homme est au-dessus
des contingences, l’homme est au-dessus
de sa douleur et du dollar vorace,
de ses stigmates et de tout sigma,
de sa faim, de sa fange et de sa race,
l’homme est plus grand que le grotesque et le sublime,
l’homme est plus fort que toutes les désagrégations,
toutes les dégradations
et toutes les ruines.
Moi, j’ai un rêve.
Et, puisque j’ai un rêve,
je suis un Homme.
Antonio Carlos Secchin
Né à Rio de Janeiro en 1952. Professeur titulaire de littérature brésilienne à l’Université Fédérale de Rio, il est membre de l’Académie brésilienne des Lettres. Il a publié cinq livres de poésie, dont Todos os ventos (2002), qui a obtenu les prix de la Fondation de la Bibliothèque nationale, de l’Académie brésilienne des Lettres et du PEN Club. Il est aussi l’auteur d’essais sur la poésie, en particulier sur João Cabral et Cecilia Meireles.
Il n’y avait que dix soldats de plomb …
Il n’y avait que dix soldats de plomb
plantés entre la Perse et le sommeil
profond, l’espace de ma table étant
plus grand, sans doute, que le monde entier.
Hospitaliers sont ces monts matinaux
avec leurs gradins dessinés au vent,
mais à travers la plaine de la joie
court le féroce fleuve de l’oubli.
Gamins, matins et souvenirs serrés,
le temps les contamine jusqu’aux os,
faisant de la mémoire un seau vidé
dans le noir de mon puits. Ainsi choiront,
tour à tour terrassés, les vieux gamins,
les beaux matins et les soldats de plomb.
Antonio Cicero
Antonio Cicero Correia Lima, né à Rio de Janeiro en 1945, est philosophe, critique littéraire, compositeur et poète. En 1993, il fonde, en collaboration avec le poète Waly Salomão, le projet «Banque nationale des idées», dans le cadre duquel il organise conférences et discussions auxquelles participent des artistes et intellectuels du monde entier. En poésie, il publie Guardar (1996), A cidade e os livros (2002), Livro de sombras (peinture, cinema et poésie, en collaboration avec l’artiste plastique Luciano Figueiredo, 2010) et Porventura (2012).
L’hiver44
à Suzana Morais
Le jour où mon bonheur battait son plein,
je vis un avion,
réfléchi dans ton regard, qui s’envolait.
Et depuis lors… sait-on ?
On se promène le long du canal
et l’on écrit de longues lettres sans dessein,
tandis que l’hiver au Leblon
est presque glacial.
J’ai quelque chose encore à comprendre : où
précisément j’abandonnai, ce jour-là, ce lion
que je montais toujours ?
J’oubliai, par ailleurs, que le sort
ne m’acceptait que seul,
privé de toute amarre, exempt de tout remords ;
un bateau ivre qui dérive
sens dessus dessous.
Mais un je ne sais quoi
rappelle insistant
que pour nous deux la terre se joignit aux cieux,
juste un instant,
à l’heure où s’éteignait, là-bas à l’occident, le jour.
Claudio Willer
Né à São Paulo en 1940, Claudio Willer est poète, critique et traducteur. Il a publié en poésie Anotações para um apocalipse (1964), Dias circulares (1976), Jardins da Provocação (1981), Estranhas Experiências (2004) et A verdadeira história do século 20 (2015). Sa poésie est proche du surréalisme. Il est aussi l’auteur de traductions de Lautréamont, Antonin Artaud, Ginsberg, Kerouac et Bukowski.
Ruines romaines
Que de poètes
sont déjà venus ici,
que de poètes
ont déjà écrit
sur l’éblouissante annihilation,
face à ces dramatiques profils minéraux,
si proches de la motte originelle de glaise
antérieure à la forme ;
des choses
réduites à rien d’autre qu’un amoncellement,
quasi naturelles ;
des choses placées
à la frontière de la main qui travaille, du vent et de l’eau ;
c’est ici
que retentissent les sifflets du vent,
c’est ici
que résonne l’écho de la voix affolée du vide, du creux, de la fente,
silence nuancé de murmures,
et maintenant
je suis l’un de ceux qui voient clair, moi aussi :
l’informe,
le passé monstrueux,
ce furent les sculpteurs de l’inverse
qui les réduisirent à cela,
les auteurs
du cruel théorème
qui nous condamne au présent
et répète
que nous ne savons rien du tout, que rien ne vaut même la peine,
car notre passé et notre avenir ne sont
que des pas vers l’informe pérennité,
et c’est à grand-peine que nous observons
la réalité dispersée par ici et par là,
dans un autre endroit
où nous sommes encore moins existants :
c’est bien nous
qui sommes des fantômes,
et la solidité
est ce qui se tient là-bas,
parmi ces ruines
qui ne cessent de répéter
que cela
– RIEN DU TOUT –
est tout ce que nous possédons.
Eunice Arruda
Eunice Arruda (1939-2017) est l’auteure d’une douzaine de livres de poésie parmi lesquels É tempo de noite (1960), O chão batido (1963), Invenções do desespero (1973), As pessoas, as palavras (1976), Mudança de lua (1986), Gabriel (1990), Risco (1998) et Há estações (2003). Sa poésie, faite de vers courts, exprime un certain désenchantement face au monde, mais aussi une volonté permanente d’affronter la réalité.
Paroles – III
Le dimanche arrive
avec de petits oiseaux.
Les fourmis transportent
une énorme feuille vert jade.
Il y a longtemps
que ce robinet fuit.
Je n’ai pas encore entendu
ses gouttes tomber.
Le son d’un violon coupe, aigu, les airs,
mais il n’y a plus de pensées : il n’y a plus rien
tout autour,
aucune douleur qui déflagre.
Et ce fut alors
que ma vie se brisa en éclats,
comme un verre se brise
contre un mur…
Fut-elle émiettée,
transformée en poudre, ma vie,
ou tout simplement remplacée
comme un mot superflu ?
Gláucia Lemos
Née à Salvador de Bahia, Gláucia Lemos a fait des études de droit, puis de critique d’art. Elle se consacre à la littérature et au journalisme. Elle est l’auteure de nombreux romans, mais écrit également de la poésie. Seuls ses livres de poésie jeunesse ont été jusqu’ici publiés.
L’autre côté
L’autre côté,
c’est cette maison d’en face,
derrière les grilles.
C’est l’horizon cendré
que le regard n’atteint pas.
C’est le trottoir boueux
qui va au-delà de la rue,
où le soleil sans ombre
se couche en ce moment.
L’autre côté,
c’est ce monde en pleine agonie
où tu te tiens loin,
où je ne te rejoins plus.
C’est mon rêve tordu,
rêvé seulement par celui
qui se fie à ses utopies.
C’est ta bouche muette,
c’est ma vue affligée,
c’est le noir de nos yeux
et ma nuit expirée…
ton silence affolé,
mon attente angoissée.
Ma pensée
et ma fièvre étrange,
mon inquiétude
et mon trouble affreux.
L’autre côté,
c’est ton rire éteint,
c’est le vin sur la table
et mon verre vide,
c’est un baiser perdu,
dansant sur tes lèvres
cette nuit où plus rien ne danse,
et un violon qui se tait ayant trop attendu en vain.
C’est ma gorge enrouée,
ce sont mes yeux qui se ferment
ne voyant plus les étoiles
que tes pieds fouleront
quand tu seras revenu
de l’autre côté.
Mirian de Carvalho
Mirian de Carvalho est née à Rio. Après des études d’art, d’éducation artistique et de philosophie, elle effectue des recherches sur les arts plastiques et la poésie. En poésie, elle a publié Cantos do Visitante (1999), Teia dos Labirintos (2004), O Camaleão no Jardim (2005), Travessias (2006), Violinos de Barro (2009), Nada mais que isto (2011), Roteiro de Mitavaí (2013), Vazadouro (2013) et Não sei se vou te amar (2016).
Les ailes du désir
Des nuées de Berlin, des hauteurs de Tokyo,
de l’azur qui surmonte Rio de Janeiro,
de tous les cieux tombent, de temps à autre, des anges
amoureux de l’humanité.
Tout en descendant la rigole du temps,
quelques-uns d’eux se blessent. Et toute passion prend fin
et se rallume aussitôt. Car le corps devient libre, au moment de sa chute,
pour l’amour.
Et ces anges parcourent la terre,
soufflent sur nos épaules,
s’éprennent de trapézistes.
Dans nos bibliothèques, ils lisent l’histoire du monde,
et la vie des mortels les étonne :
Tant de siècles se sont écoulés,
mais personne ne sait ce que c’est que le temps !
Tant d’écrits, à quoi servent-ils donc
si personne n’arrive à épeler la vie ?
J’essaie de les comprendre, ces anges,
et finis par jeter mon horloge aux ordures.
Moi qui écris des livres,
je suis prête à graver sur le sable
le premier vers d’un chant incomplet :
Je voudrais être aimée……………………………………………
Ronaldo Cagiano
Ronaldo Cagiano Barbosa, né à Cataguases en 1961, a vécu 28 ans à Brasilia et réside à São Paulo depuis 2007. Il a publié les livres de poésie Palavra Engajada (1989), Colheita Amarga & Outras Angústias (1990), Exílio (1990), Palavracesa (1994), Canção dentro da noite (1999), O sol nas feridas (2011) et Observatório do caos (2017). Il est également l’auteur de critiques littéraires et de contes. Ricardo Alfaya qualifie sa poésie de « critique et sensible, transmuée par la poétique du mot et la déconnexion des absurdités pathétiques ».
Exils
La ville se perd dans ses labyrinthes à elle :
un fleuve plein d’animaux difformes
coule précipité dans ses galeries de pierre et d’asphalte.
Les hommes n’ont plus de place, eux.
Anonymes comme le sable du sablier,
nous glissons sur la pente de nos besognes
en quête de Pasargades, notre cité utopique.
La métropole attend l’inconnu,
à l’instar d’un ventre,
et dans l’intangible géométrie de sa solitude
naissent des cathédrales d’absences.
L’horloge à eau dissidente
ne reconnaît pas le temps, cette matière diffuse
qui me guette dans toutes les nécropoles
au lieu de m’éloigner des pénates des vermisseaux.
Aujourd’hui, je ne puis aller au Père-Lachaise
pour rendre hommage à la sépulture de Baudelaire…
Je me borne donc
à oraliser,
dans le vieux cimetière de Leopoldina,
quelques vers d’Augusto dos Anjos45,
si lugubres dans l’ancestrale opulence
de leurs vérités.
Ruy Espinheira Filho
Ruy Alberto d’Assis Espinheira Filho, né à Salvador en 1942, a publié 11 livres de poésie, dont Antologia Poética (1996) et Poesia Reunida e Inéditos (1998), ainsi que des chroniques, des romans, et des contes. Il est l’auteur d’une thèse sur Manuel Bandeira. Ses contes et poèmes ont été inclus dans de nombreuses anthologies publiées au Brésil et à l’étranger (Portugal, Italie, France, Espagne, États-Unis). Carlos Drummond de Andrade a dit de sa poésie qu’elle était « concentrée et d’expression subtile ».
Abri
Le plus cher souvenir que je garde
de ma vieille ville, c’est son silence
et un chien qui aboie au loin.
Certes, il y avait là aussi des perdrix,
des vachers, des serins et des tangaras,
des organistes teités et des picolettes,
et, immergés dans le puits de la nuit,
quelques loups-garous.
Cependant, rien n’est aussi vivant,
tout au fond de mon cœur,
que ce silence
et ce chien qui aboie au loin.
C’est bien plus qu’un beau souvenir,
c’est l’abri de mon âme.
Et c’est pour cela que je vis encore,
que je supporte tous les chagrins,
que je renais de mes cendres :
c’est parce qu’il reste en moi
le silence de ma vieille ville
et un chien qui aboie au loin.
Suzana Vargas
Suzana Kfuri de Vargas est née à Alegrete, Rio Grande do Sul. Professeure de théorie littéraire à l’Université fédérale de Rio de Janeiro, elle a publié Por um pouco mais (1979), Sem recreio (1983), Sempre-noiva (1984), Sombras chinesas (1990), Caderno de outono e outros poemas (1998) et O amor é vermelho (2005). Elle est également auteure de littérature pour la jeunesse.
De l’or sous l’eau
Je me souviens seulement
que derrière nous
il y avait un coteau
et un bois sauvage.
De la musique, au milieu,
et une guitare.
Il faisait très froid, les nuages
se réchauffaient au son.
Il y avait, en outre, de l’eau,
un petit garçon dont on coupait les cheveux
au seuil d’une maison,
des oranges sur leur oranger.
Un homme qui était là
me demandait la meilleure façon
de prendre son bain,
sans s’aviser de la profondeur de ce thème.
« J’entre dans l’eau doucement
ou bien tout d’un coup ? »
m’a-t-il demandé.
« Tout d’un coup », lui ai-je dit.
Ni le ciel ni l’enfer ne commencent
doucement.
Tanussi Cardoso
Tanussi Cardoso, né à Rio de Janeiro en 1946, est poète, journaliste, avocat, critique littéraire et parolier de chansons. Il a publié entre autres Desintegración (1979), Boca maldita (1982) et Viaje en torno de…(2000). Selon Affonso Romano de Sant‘Anna, sa poésie est « dense, créative, fonctionnant par l’oral et par l’écrit, se réinventant continuellement ».
Les morts
Quand mon premier amour est mort,
« c’est moi, ai-je dit, qui suis mort. »
Quand mon père s’en est allé,
le cœur déréglé,
« c’est moi, ai-je dit, qui suis mort. »
Quand ma tante et mes sœurs
sont passées de vie à trépas,
« c’est moi, ai-je dit, qui suis mort,
n’est-ce pas ? »
Et puis mon grand-père du Nord,
mes amis fauchés par la mort,
mes cousins trahis par le sort,
mon siamois et mon pékinois…
C’est moi seul qui suis mort, c’est moi !
Et pourtant, je suis encore en vie,
persistant à faire de la poésie ;
ma nature explose, farouche,
et l’amour m’embrasse sur la bouche,
et un dieu me répète que oui.
Euh, j’sais pas… S’il en est ainsi,
elle ne fait rien à l’affaire, la mort.
Je mourrai, moi-même, après que je serai mort.
Thereza Christina Rocque da Motta
Thereza Christina Rocque da Motta, née en 1957, est poète, avocate, éditeure et traductrice. Ses principaux livres de poésie sont Relógio de Sol (1980), Papel Arroz (1981), Joio & trigo (1982), Areal (1995), Sabbath (1998), Alba (2001), Chiaroscuro/Poems in the dark (2002), Lilacs/Lilases (2003), Rios (2003), Marco Polo e a Princesa Azul (2008). Elle est traductrice de Sylvia Plath, de Byron, de Shelley, de Keats, de Yeats et de Shakespeare, entre autres.
Sur le temps
J’émiette la chair et je passe
mon temps à retirer l’espace
que les miettes enclosent…
Pedro Du Bois
Un temps pour planter
des vignes
et pour séparer
le bon grain de l’ivraie.
Un temps pour cueillir
et pour boire.
Un temps pour passer
et pour laisser passer.
Un temps pour la bourbe
coulant sous les pieds
et un temps pour le vin
s’écoulant des tonneaux.
Un temps pour semer
des germes.
Un temps pour écrire.
Un temps pour la terre.
Un temps pour mûrir.
Un temps pour sauver les fruits,
pour les replanter,
pour les récolter ;
un temps pour les faire manger aux gens.
Un temps pour faucher, pour tailler, pour nourrir.
Un temps pour vivre à la fin…
simplement pour vivre.
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Le Brésil est en crise dès 1922 et la vieille république répond aux grèves populaires de 1924 par l’établissement de la loi martiale.↩
Le pau Brasil ou pau Pernambuco est un arbre (Caesalpinia echinata) dont le bois, rouge et très dur, recherché par les colonisateurs et trafiquants européens, a donné son nom au pays. Il est devenu l’arbre national du Brésil depuis 1978 et est toujours utilisé en ébénisterie et dans la fabrication d’instruments de musique.↩
Légende de l’État du Para. Norato est un jeune homme incarné dans un cobra qui vit au fond de la rivière.↩
Autre nom du berimbau, un instrument de musique brésilien de la famille des cordes frappées, sans doute d’origine africaine.↩
Dans la culture afro-brésilienne, magie exercée par les esprits à travers des vieux sages pour guérir ou soulager les souffrances physiques et morales.↩
Les extraits cités dans le corps du texte ont été traduits par les auteurs de l’article.↩
Antônio Francisco Lisboa (Ouro Preto, MG, 1730 ou 1738 ? – 1814), dit Aleijadinho (« le petit infirme »), est un sculpteur et architecte baroque du Brésil colonial, connu pour son travail sur de nombreuses églises du Brésil.↩
Afonso Henrique da Costa Guimarães, dit Alphonsus de Guimaraens (Ouro Preto, MG, 1870-Mariana, MG, 1921) est l’un des principaux poètes symbolistes brésiliens.↩
Ouro Preto (« Or noir »), ville de l’État du Minas Gerais, a été fondée (sous le nom de Vila Rica) en 1711 à la suite de la découverte d’or.↩
Artur Gonçalves de Sales (1879-1952), Eugênio Gomes (1897-1972), Godofredo Rebello de Figueredo Filho (1904-1992), José Luiz de Carvalho Filho (1908-1994), Eurico Alves (1909-1974) et Hélio Simões (1910-1987)↩
Chants latins racontant les mythes de la fondation de Rome et les exploits guerriers les plus fameux.↩
Zone géographique du Nordeste du Brésil, au climat semi-aride.↩
Habitant du sertão.↩
Le terme, énigmatique, apparaît pour la première fois dans un verset du troubadour périgourdin Arnaut Danièl, né à Ribérac vers 1150. Ezra Pound qui, à l’instar des poètes italiens de la fin du Moyen-Âge et de la Renaissance, avait une grande admiration pour Arnaut Danièl, fait appel au linguiste allemand Emil Levi pour déchiffrer le sens du mot. Celui-ci émet l’hypothèse que le terme viendrait de enoi (« l’ennui ») et gandir (« protection ») et signifierait donc « qui protège de l’ennui ».↩
Expulsé du Parti Communiste en 1929 pour ses liens avec le mouvement trotskyste, Mário Pedrosa fonde en 1931, avec Lívio Xavier, Fúlvio Abramo, Aristides Lobo et Benjamin Péret, la Ligue Communiste. En 1980, il participe à la fondation du Parti des Travailleurs. Directeur du Musée d’Art moderne de São Paulo, il collabore à la création du Musée d’Art de Rio de Janeiro.↩
Littéralement « jeu de mélodie et de timbre », système de composition musicale développé par Arnold Schönberg dans son Traité d’harmonie (1911), dans lequel intervient un changement d’instrument, et donc de timbre, à chaque note d’une mélodie. Ce système a été mis en pratique par Anton Webern, Alban Berg et Arnold Schönberg lui-même.↩
Julio Plaza González (Madrid, 1938-São Paulo, 2003), écrivain, artiste plastique et professeur espagnol, ayant travaillé au Brésil à partir de 1967.↩
Mouvement poétique créé par le poète Pierre Garnier (Amiens, 1928-Saisseval, 2014), qui le définit ainsi : « J’ai débarrassé la poésie des phrases, des mots, des articulations. Je l’ai agrandie jusqu’au souffle. […] à partir de ce souffle peuvent naître un autre corps, un autre esprit, une autre langue, une autre pensée ».↩
Groupe ethnique indigène de l’actuel État de Ceará.↩
Psychologie de la forme ou gestaltisme (de l’allemand Gestaltpsychologie), théorie psychologique, philosophique et biologique, selon laquelle les processus de la perception et de la représentation mentale traitent spontanément les phénomènes comme des ensembles structurés (les formes) et non comme une simple addition ou juxtaposition d’éléments.↩
Le poème cinétique est un poème qui vise à faire passer le mouvement à travers les mots, créant une impression dynamique. À travers les formes créées par les mots, il fait que les idées se transforment en quelque chose de plus tangible et physique. La poésie cinétique a progressivement assimilé les possibilités offertes par le multimédia (son, images animées et interactivité) et les logiciels de modélisation.↩
Ivan Ferreira Serpa (Rio de Janeiro, 1923-1973), peintre et graveur dont l’œuvre se situe entre figurativisme et art concret.↩
Terme signifiant, selon le contexte, le labour, le travail d’extraction des métaux, les terres minières, et au sens figuré, la fabrication, le travail ou la culture.↩
Créé à l’origine dans la ville de Jaboatão dos Guararapes et appelé groupe Jaboatão, il reçoit le nom de geração 65 à la suggestion de l’historien Tadeu Rocha, qui introduit ce terme dans un bref article du Diário de Pernambuco à Recife.↩
L’Acte institutionnel n°2 de 1965 de la dictature établit un bipartisme de forme avec l’Aliança Renovadora Nacional, formé par les politiciens conservateurs du parti au pouvoir et le Movimento Democrático Brasileiro (MDB) comme parti d’«  opposition ». Le MDB se transforme en 1981 en Partido do Movimento Democrático Brasileiro (PMDB). Le président de ce parti, Michel Temer, est élu en 2009, avec le soutien du gouvernement de Lula da Silva, à la présidence de la Chambre et devient vice-président de la République en 2010. Le 31 août 2016, Dilma Rousseff est destituée, et il devient formellement le chef de l’État du Brésil.↩
La Música Popular Brasileira (« musique populaire brésilienne »), répandue sous l’acronyme MPB, est un genre musical brésilien ayant émergé au milieu des années 1960 dans la foulée de la bossa nova. La MPB exprime, dans le contexte de dictature militaire, une critique sociale à peine voilée des injustices sociales et de la répression.↩
Mouvement fondé en 1948 à Cuiabá, MT, par Wlademir Dias-Pino, qui le présente ainsi : « L’intensivisme est un double symbolisme. Au-delà de l’image il y a une autre signification poétique ». Malgré sa visibilité nationale réduite, ce mouvement anticipe et prépare les mouvements poésie concrète et poema/processo.↩
Le tropicalisme ou tropicália est un mouvement culturel apparu au Brésil en 1967, à la suite du coup d’État de 1964, et qui se manifeste dans la musique (Caetano Veloso, Gal Costa, Gilberto Gil, Torquato Neto, Os Mutantes e Tom Zé), les arts plastiques (Hélio Oiticica), le cinéma (Glauber Rocha) et le théâtre (José Celso Martinez Corrêa).↩
Manuel Antônio Álvares de Azevedo (São Paulo, 1831-Rio de Janeiro, 1852), écrivain, conteur, dramaturge, essayiste et poète romantique, membre du mouvement « ultra-romantique » brésilien, influencé par Lord Byron, Chateaubriand et Alfred de Musset.↩
(http://www.lindolfbell.com.br/catequese-poetica/)↩
En référence au Viaduto do Chá, « Viaduc du thé », le plus ancien viaduc de la ville de São Paulo, conçu en 1877 et inauguré en 1892.↩
Olga Savary est correspondante pour diverses revues au Brésil et à l’étranger et traductrice d’auteurs hispano-américains, dont Borges, Cortázar, Fuentes, Lorca, Neruda, Paz et Vargas Llosa.↩
Poésie grossière et licencieuse que les Romains avaient importée de Fescênia, ville d’Étrurie.↩
L’intégralisme (aussi appelé « nationalisme intégral») est au Brésil une doctrine politique d’inspiration traditionaliste, ultraconservatrice, inspirée de Charles Maurras. Les intégralistes appuient le coup d’État de Getúlio Vargas de 1930. Ce dernier les écarte toutefois du pouvoir. Ils sont à l’origine du coup d’État manqué du 10 mai 1938.↩
Terme utilisé pour désigner à la fois le lieu de culte du candomblé et le groupement social à travers duquel se transmettent ses traditions africaines.↩
Religion afro-brésilienne résultant de l’introduction par les esclaves de multiples religions africaines et consistant en un culte des orixás, dieux d’origine totémique et familiale, associés aux éléments naturels (eau, forêt, feu, éclair, etc.).↩
Les cangaceiros sont, de la moitié du 19e siècle au début du 20e siècle, des bandits nomades errant dans les grandes étendues de l’arrière-pays du Nordeste, cherchant argent et nourriture. Virgulino Ferreira da Silva, plus connu sous le nom de Lampião (1897-1938), surnommé le « Seigneur du Sertão » ou le « Roi du Cangaço », est le plus célèbre d’entre eux.↩
Sporophila plumbea, passeriforme de la famille des Thraupidae, connu pour la beauté de son chant et pour sa capacité à imiter le chant d’autres espèces.↩
Conflit armé survenu à la fin du 19e siècle entre, d’une part, plusieurs milliers de colons établis en communauté autonome dans un village fondé par eux dans le nord-est de l’État de Bahia, près de l’ancienne ferme de Canudos, et d’autre part, les troupes régulières de l’État de Bahia, puis celles de la République du Brésil. La répression exercée contre les « Canudos » fut particulièrement brutale, faisant plus de 30 000 victimes.↩
Mbyá guaraní est un sous-ensemble du peuple guarani, qui habite le Paraguay, le sud du Brésil et la province de Misiones en Argentine.↩
Les Potiguaras sont un groupe indigène tupi qui, au 16e siècle, peuplait le littoral, de l’actuel São Luís (État du Maranhão) jusqu’au fleuve Parnaíba, et du fleuve Acaraú (État de Ceará) jusqu’à l’actuelle ville de João Pessoa (État de Paraíba). Il s’agit du groupe tupi qui résista le plus longtemps aux invasions portugaises, utilisant un système d’alliance avec les Français et les Anglais. Aujourd’hui, les Potiguaras (environ 15 000 personnes) habitent principalement sur le littoral nord du Paraíba, l’ouest du Ceará et dans le Rio Grande do Norte.↩
Les Mundurucus, qui ont choisi le nom de wuyjuyu, sont un groupe indigène présent aujourd’hui dans les États de Pará, Amazonas et Mato Grosso. Le nom mundurucus (« fourmis rouges ») leur a été donné par l’ethnie rivale, des Parintintins.↩
Saterê mawê (saterê, « chenille de feu », mawê, « perroquet intelligent ») est le nom d’une tribu indigène de l’Amazonie, dont la langue appartient au tronc linguistique tupi.↩
Cette poésie est en plus le texte d’une belle chanson. La voici, interprétée par la chanteuse brésilienne Adriana Calcanhotto : https://www.youtube.com/watch?v=JpZH7SmEboc.↩
Augusto dos Anjos (1884-1914) : illustre poète brésilien, mort et inhumé dans la petite ville de Leopoldina, située à l’est du Brésil, où il avait passé les dernières années de sa vie.↩