Vous ne l’avez peut-être pas remarqué, mais tout au long de ce livre je me suis permis un glissement sémantique. J’ai parlé de ce que les bibliothèques font ou ne font pas, devraient ou ne devraient pas faire. Le fait est que les bibliothèques ne peuvent rien faire, car elles ne sont que des bâtiments, ou des salles. Le mieux que vous puissiez dire, c’est que les bibliothèques vous protègent de la pluie et sont soumises à la loi de la gravitation. Même le concept plus large d’une bibliothèque, en tant qu’organisation abstraite, est une vue de l’esprit. Si les bibliothèques ont une influence sur leur communauté, c’est que des personnes y travaillent. Ces personnes comprennent du personnel de soutien, des bénévoles, les membres du conseil d’administration, du personnel d’entretien et des gardien·ne·s de sécurité. Cela dit, le travail de ces personnes et leur utilité découlent de celui des bibliothécaires.
Il y a trois façons de devenir bibliothécaire : soit le poste pour lequel on vous engage porte ce titre, soit vous êtes formé·e à l’université pour le devenir, ou encore vous apprenez le métier sur le terrain. La première façon est la plus simple, et souvent la moins efficace. La seconde est souvent la norme, exigée par la loi, et probablement le meilleur moyen d’y parvenir. Le dernier cas est rare, mais peut s’avérer incroyablement efficace. Considérons à tour de rôle chaque cas de figure afin de discuter leurs points positifs et leurs pièges potentiels, tout en soulignant ce à quoi l’on peut s’attendre des bibliothécaires qui possèdent ce bagage.
Bibliothécaire sans diplôme
Dans l’État du Vermont, très peu de personnes obtiennent un diplôme d’études supérieures pour devenir bibliothécaires. Le montant payé en frais de scolarité ne serait jamais égalé par le revenu perçu une fois sur le marché du travail, même avec un poste de directeur·rice d’une bibliothèque. Dans de nombreuses collectivités rurales du sud-ouest des États-Unis, bon nombre de directeur·rice·s de bibliothèques y travaillent à temps partiel. Il y a beaucoup de personnes qui travaillent comme bibliothécaires et qui n’ont pas reçu de formation officielle en bibliothéconomie.
Cette réalité ne se limite pas non plus aux seules bibliothèques publiques rurales. Parmi les personnes qui ont dirigé la Bibliothèque du Congrès des États-Unis, on compte des historiens, des chercheurs, des auteurs, et même un journaliste. En fait, pendant des siècles, les directeurs des bibliothèques des collèges américains et des universités étaient professeurs et chercheurs en sciences humaines.
Il existe certains avantages à embaucher des bibliothécaires non professionnel·le·s. Ils et elles apportent de nouvelles perspectives, coûtent moins cher et peuvent avoir tissé plus de liens avec la communauté qu’une personne recrutée dans le milieu.
Il existe également de réels désavantages à embaucher des non professionnel·le·s. En effet, ces personnes manquent souvent de compétences en matière de facilitation. Les compétences faisant défaut peuvent être aussi fondamentales que la gestion des diverses ressources de la bibliothèque, ou aussi complexes que d’entrevoir la bibliothèque au sein de la communauté ou à l’intérieur de l’infrastructure du savoir. De plus, plusieurs bibliothécaires recruté·e·s à l’extérieur du milieu ont une vision de la bibliothéconomie axée exclusivement sur l’édifice et le livre imprimé.
La clé de la réussite d’une personne embauchée pour occuper une fonction de bibliothécaire est son dévouement et son intérêt vis-à-vis du soutien à l’apprentissage et à la formation continue. Les États de l’Illinois1 et du Maine2 ont des bibliothèques d’État dont la mission est de former activement les bibliothécaires. Ces bibliothèques d’État offrent des ateliers, des formations en ligne et même des visites sur place pour aider à la formation des bibliothécaires. Vous devriez vous attendre à ce que votre personnel de bibliothèque, peu importe sa formation antérieure, cherche à se perfectionner tout au long de sa carrière. Cela implique que vous devez également vous attendre à payer des frais pour le déplacement le perfectionnement de ce personnel.
Bibliothécaire diplômé·e
La norme pour la formation des bibliothécaires est une maîtrise en bibliothéconomie ou en sciences de l’information. Aux États-Unis et au Canada, ces programmes sont accrédités par l’American Library Association et, à ce jour, il y en existe environ 60 en Amérique du Nord (par souci de transparence, sachez que je travaille dans l’une de ces écoles). La question que se posent le plus souvent les étudiant·e·s qui suivent un programme d’études supérieures en bibliothéconomie est probablement celle-ci : « Il faut vraiment une maîtrise pour devenir bibliothécaire ? »
J’espère que cette question n’est pas la première qui vous vient à l’esprit après avoir lu ce qui précède, mais je comprends pourquoi les gens se la pose. Après tout, une grande partie du travail d’un·e bibliothécaire consiste à faciliter l’accès aux personnes et, par conséquent, ils et elles ont tendance à taire les subtilités du mode de fonctionnement de la bibliothèque. Nous reviendrons beaucoup plus en profondeur sur ce que nous devrions attendre des bibliothécaires plus loin dans ce chapitre. D’ici là, permettez-moi de vous parler des compétences que les bibliothécaires acquièrent tout au long de leurs études supérieures.
Selon l’American Library Association, les bibliothécaires professionnel·le·s devraient acquérir durant leur programme d’études une expertise qui « porte sur les supports de l’information et de la connaissance, ainsi que sur les services et les technologies qui facilitent leur gestion et leur utilisation. Le programme d’études en bibliothéconomie et en sciences de l’information s’intéresse à la création, la communication, l’identification, la sélection, l’acquisition, l’organisation et la description, le stockage et l’accès, la préservation, l’analyse, l’interprétation, l’évaluation, la synthèse, la diffusion et la gestion de l’information et des connaissances (« Standards for accreditation of master’s programs in library & information studies » 2008). »
Durant leurs études, les bibliothécaires sont initié·e·s à un large éventail de compétences qui leur seront utiles en bibliothèque et dans bien d’autres contextes professionnels comme, par exemple, chez Google, ou chez une des entreprises qui figurent au palmarès Fortune 500. Les bibliothécaires diplômé·e·s travaillent dans les bibliothèques, certes, mais ils et elles travaillent aussi comme architectes de l’information, agent·e·s de veille stratégique, voire même comme vice-président·e directeur·rice et chef·fe du service hypothécaire chez JPMorgan Chase. Il y a des centaines de bibliothécaires employé·e·s chez les éditeur·rice·s et les fournisseur·se·s de bases de données dont les produits sont utilisés dans tout le milieu universitaire.
Les bibliothécaires mettent à profit leur formation et leurs compétences pour identifier les besoins d’une communauté et construire des systèmes d’accès aux ressources pour répondre aux demandes (et aux aspirations) de cette communauté. Ce travail peut consister à développer des systèmes pour simplifier le rangement des livres sur les rayons ou pour lier les pages entre elles sur le Web. Ce que la plupart des gens ne savent pas, c’est que lorsque Tim Berners-Lee a inventé le World Wide Web, il essayait de résoudre le problème bibliothéconomique suivant : comment trouver des articles scientifiques cités dans un environnement numérique ? Au final, les bibliothécaires sont des créateurs et des créatrices d’outils.
Le diplôme a-t-il de l’importance ? Rappelez-vous la discussion sur les bibliothécaires scolaires et les résultats des tests au Chapitre 4. De nombreuses études montrent que la présence d’un·e bibliothécaire diplômé·e dans une école exerce une influence positive directe sur les résultats scolaires et le taux de rétention des élèves. Les facteurs considérés dans ces études tiennent compte, entre autres, du lieu, de la collection, des données démographiques, etc. C’est la compétence du bibliothécaire qui fait la différence, et non la bibliothèque en elle-même.
Les bibliothécaires diplômé·e·s sont prêt·e·s à travailler, ils et elles ont une connaissance approfondie du domaine et possèdent des compétences immédiatement utiles. Ce sont des expert·e·s non seulement dans le fonctionnement quotidien d’une bibliothèque particulière, mais ils et elles ont des compétences polyvalentes et un regard informé par plusieurs perspectives, ce qui leur permet d’aider leur communauté dans les moments difficiles.
Cependant, les écoles de bibliothéconomie peuvent aussi inculquer à ces diplômé·e·s une vision du monde qui se limite au livre imprimé et l’espace physique de la bibliothèque. L’une des plus grandes préoccupations des bibliothécaires diplômé·e·s est ce que j’appelle le labyrinthe de Dédale. Dédale, comme vous vous en souvenez peut-être, est un personnage de la mythologie grecque qui a construit un labyrinthe si complexe que lui-même n’arrivait pas à s’en échapper. Il en est de même avec les bibliothécaires, qui ont conçu des outils incroyables au cours des trois millénaires de leur histoire. Ils et elles ont utilisé des outils comme la classification pour établir des collections impressionnantes comptant des millions de documents. Certaines bibliothèques utilisent ces outils pour gérer les bibliothèques depuis des siècles. À titre d’exemple, la Bodleian Library d’Oxford a ouvert ses portes pour la première fois en 1602 (« Bodleian Library: History of the Bodleian » 2018). Pourtant, ces schémas et systèmes ont également été utilisés pour créer un labyrinthe d’expertises pointues au sein de la profession. Le problème réside dans le fait que ces outils sont basés sur une compréhension étroite de la science et de la pensée appelée le réductionnisme.
Le réductionnisme signifie que l’on prend quelque chose de vaste et de complexe dans le but de le réduire en parties de plus en plus petites jusqu’à ce qu’on puisse les comprendre toutes. Ensuite, vous pouvez rassembler toutes le parties du casse-tête pour vous une faire une idée globale. C’est pourquoi le Grand collisionneur de hadrons existe : prenez un atome et continuez à le décomposer jusqu’à ce que vous trouviez sa plus petite partie. Ainsi, les bibliothèques peuvent appréhender le monde en le divisant en unités thématiques de plus en plus petites, ce qui permet ensuite de retrouver ces unités avec une certaine précision.
Par exemple, au XVIe siècle, Francis Bacon pensait que le monde des idées pouvait être divisé en trois parties : la mémoire (tout ce qui concerne l’histoire), la raison (tout ce qui concerne la philosophie) et l’imagination (tout ce qui concerne les arts). Ce système a plus tard été adopté par Thomas Jefferson, qui l’a utilisé pour organiser sa collection de livres, une collection considérable qu’il a ensuite vendue au Congrès des États-Unis pour remplacer la Bibliothèque du Congrès incendiée par les Britanniques. En 1732, Samuel Johnson pensait qu’il n’avait besoin que de deux classes : la philologie, l’étude des mots et autres signes ; et la philosophie, l’étude des choses qu’ils signifient.
Cependant, de toutes les personnes qui pensaient pouvoir classer le monde, celle que vous associez probablement le plus aux bibliothèques est Melvil Dewey. Dewey était bibliothécaire, en plus d’être un ardent défenseur de la réforme de l’orthographe (il aurait épelé son nom « D-u-i ») et du système métrique. L’ébauche de ce qui deviendra plus tard la Classification décimale de Dewey lui a été communiquée, de son propre avis, sous la forme d’une révélation alors qu’il était à l’église.
Melvil Dewey pensait que tous les livres et documents du monde pouvaient être divisés en dix classes, comme ceci :
- 000 : Informatique, information, ouvrages généraux
- 100 : Philosophie, parapsychologie, occultisme et psychologie
- 200 : Religions
- 300 : Sciences sociales
- 400 : Langues
- 500 : Sciences de la nature et mathématiques
- 600 : Technologie (sciences appliquées)
- 700 : Arts, loisirs et sports
- 800 : Littérature (belles-lettres) et techniques d’écriture
- 900 : Géographie, histoire et disciplines auxiliaires
Chacun des nombres attribués aux classes pourrait ensuite être subdivisé en sujets plus précis. Ainsi, les livres sur l’histoire sont classés dans les 900, les livres sur l’histoire de l’Afrique se retrouvent sous 960, et l’histoire de l’Égypte et du Soudan se classe sous 962. Ensuite, il est possible d’ajouter des nombres après un point décimal pour arriver à un sujet encore plus spécifique.
La beauté du système de Dewey est que ces nombres restent les mêmes, mais on peut en modifier les intitulés pour refléter plusieurs langues ou même de nouvelles réalités géopolitiques. Cette capacité à saisir une grande variété de sujets et de langues, en plus des compétences exceptionnelles de Dewey pour la vente, a contribué à l’implantation de son système à l’échelle internationale. Comment le réductionnisme a-t-il transformé le travail des bibliothécaires ? De la même façon que pour votre médecin.
Si vous vous cassez la jambe, vous consultez un·e orthopédiste, à moins qu’il ne s’agisse d’un os du pied ; dans ce cas, vous allez chez un·e podiatre. Si votre cœur a besoin d’aide, vous consultez un·e cardiologue, à moins qu’il ne doive être réparé, et dans lequel cas vous avez besoin d’un·e chirurgien·ne cardiaque. Vous comprenez ce que je veux dire ? Il n’y a pas que des bibliothécaires, il y a des bibliothécaires publiques et des bibliothécaires universitaires. Il existe des bibliothécaires universitaires de référence et des bibliothécaires universitaires spécialisé·e·s en catalogage. Considérons l’American Library Association. Cette association compte 11 grandes divisions (une pour les bibliothèques universitaires, une pour les bibliothèques publiques, une pour les bibliothécaires spécialisé·e·s en catalogage, une pour les bibliothécaires jeunesse, etc.). Elle dispose également de 18 bureaux pour effectuer le travail de l’organisation (un pour la diversité culturelle, un pour les relations internationales, etc.). Ce n’est pas tout : elle comporte aussi 20 groupes (sur la liberté intellectuelle, l’histoire des bibliothèques, les jeux et ainsi de suite) animés par des membres… un peu comme des divisions, mais en moins grand. Il y a ensuite les comités, les groupes de travail et les groupes spéciaux. C’est une organisation à ce point complexe qu’au congrès annuel, il vous faudra un programme interactif en ligne pour trouver les événements liés à vos intérêts.
Pourquoi est-ce un problème ? Parce que, comme les professionnel·le·s de la médecine sont en train de l’apprendre, votre cœur ne fonctionne pas en vase clos. Votre cœur fait partie d’un système complexe. Il peut être influencé par le fonctionnement de vos poumons, par une maladie, ou même par la fréquence à laquelle vous utilisez la soie dentaire. Voilà le problème du réductionnisme en général ; la vie est plus complexe que ce que les systèmes universels comme celui de Dewey ne permettent de le comprendre. Un livre sur la guérison par la foi ou sur les remèdes homéopathiques peut appartenir à la catégorie « religion » pour certaines communautés, mais il peut très bien être considéré comme traitant d’un sujet médical pour d’autres.
C’est pourquoi les bibliothécaires, diplômé·e·s ou non, doivent devenir plus flexibles et favoriser une approche holistique. Oui, ces bibliothécaires doivent conserver leurs valeurs et leurs missions, mais leurs outils et leurs structures d’organisation doivent être polyvalents. En sciences pures ou humaines, nous constatons que si vous prenez un système complexe, que vous le décomposez en ses parties constituantes et que vous le remettez ensemble, le tout est plus grand que la somme de ses parties. Une communauté n’est pas simplement un grand nombre de personnes ayant des besoins individuels. Une communauté est un ensemble de besoins, de rêves et de compétences qui, lorsque mélangés ensemble, génèrent des forces, des faiblesses et des dynamiques nouvelles.
Trop souvent, les bibliothécaires diplômé·e·s (et les professeur·e·s qui leur enseignent) se limitent au paradigme réductionniste. Trop souvent, les bibliothécaires diplômé·e·s utilisent cette approche réductionniste pour rejeter ou ignorer l’innovation et les bonnes idées qui viennent de l’extérieur de leur spécialisation. Vous devriez vous attendre à plus.
Bibliothécaire dans l’âme
La troisième catégorie de bibliothécaires est celle comprenant les personnes qui n’ont pas de diplôme en bibliothéconomie et qui n’ont peut-être pas le mot « bibliothécaire » dans le titre de leur fonction, mais qui ont résolument la même mission, les mêmes compétences et le même esprit de service que les professionnel·le·s du milieu. Ce sont des personnes comme David Rumsey.
Rumsey a fait fortune dans l’immobilier et a utilisé cet argent pour construire une étonnante collection de cartes géographiques. Il a construit une salle pleine de cartes. Ce seul élément ne fait pas de Rumsey un bibliothécaire dans l’âme. Beaucoup de personnes qui en ont les moyens développent une collection. Ce qui distingue Rumsey, c’est qu’il a aussi utilisé ses ressources personnelles pour numériser ses cartes et les mettre en ligne. Il a ensuite construit une suite d’outils permettant à chacun de visualiser les cartes, de les comparer et d’analyser leurs propres cartes. En somme, Rumsey a facilité l’apprentissage des passionné·e·s de cartes, des étudiant·e·s universitaires, des élèves du primaire et du secondaire ainsi que des géographes. Cette volonté de ne pas se contenter d’accumuler des choses, mais d’utiliser des collections (et des logiciels, et des expert·e·s) comme outils pour faciliter la création du savoir fait de lui un bibliothécaire. C’est un élément qui a été reconnu par l’Institute of Museum and Library Services (IMLS), l’organisme du Gouvernement fédéral américain responsable du financement des bibliothèques et des musées.
Ces « bibliothécaires citoyen·ne·s » existent dans votre communauté. À Syracuse dans l’État de New York, dans le Wisconsin et dans tous les États américains, des individus et des groupes communautaires non affiliés à une bibliothèque construisent des microbibliothèques gratuites, comme les boîtes de livres en libre-service. Ces boîtes sont conçues localement et installées aux coins des rues et dans la cour des habitants. La communauté est encouragée à prendre et à laisser des livres. Toutefois, ce ne sont pas les livres qui transforment ces contenants en bibliothèques ; c’est le dévouement au bien commun et à l’apprentissage au sein de la communauté.
Donc voilà les diverses manières qui permettent de devenir bibliothécaire. Mais que font exactement les bibliothécaires ? Que devriez-vous attendre de vos bibliothécaires ?
Salzbourg et quelques-unes de mes choses préférées
Pour répondre à la question de savoir à quoi s’attendre de vos bibliothécaires, je dois vous emmener à Salzbourg, en Autriche. Au sommet de la montagne qui surplombe cette ville pittoresque se trouve un Schloss (un château). C’est un château que vous connaissez probablement parce qu’il a servi d’inspiration et de décor au manoir de la famille von Trapp dans le film La Mélodie du bonheur. Le bâtiment s’appelle Schloss Leopoldskron, et c’est aujourd’hui le siège du Salzburg Global Seminar. Ce forum a été initié par trois étudiants de Harvard juste après la Seconde Guerre mondiale et devait être une sorte de terrain de formation pour les leader·euse·s émergent·e·s d’une nouvelle Europe. Aujourd’hui, ce forum est maintenant d’envergure mondiale et réunit des dirigeant·e·s du monde entier pour discuter de sujets aussi variés que la gouvernance mondiale, la culture, l’éducation et la finance.
Le 19 octobre 2011, un groupe d’innovateurs et d’innovatrices issu·e·s du milieu des bibliothèques et des musées de plus de 31 pays s’est réuni à Salzbourg pour discuter des « Bibliothèques et musées à l’ère de la culture participative (Mack 2011) ». J’ai eu la chance d’y être invité. Lors des séances plénières et des groupes de discussion intensive, les congressistes du Forum ont élaboré une série de recommandations et de stratégies pour les bibliothèques et les musées à l’ère de Facebook.
L’un de ces groupes a été chargé d’élaborer des recommandations sur les compétences dont les bibliothécaires et les muséologues ont besoin dans le monde connecté et participatif d’aujourd’hui. Plutôt que de se concentrer uniquement sur de nouvelles compétences ou des compétences distinctes pour les bibliothécaires et les muséologues, le groupe a élaboré un cadre pour un programme d’études complet et conjoint pour les bibliothèques et les musées. En résumé, le groupe s’est concentré sur ce que les bibliothécaires et les muséologues doivent savoir, considérant que la culture participative exige des compétences nouvelles et transforme leurs tâches traditionnelles.
Avant même de l’avoir lu, il y a fort à parier qu’une grande partie de ce programme d’études ne vous surprendrait pas du tout.
Les bibliothécaires (à qui je me limiterai ici) ont besoin de connaître la technologie. Plus précisément, vous devriez vous attendre à ce que vos bibliothécaires :
– Adoptent les technologies et évoluent avec elles. – Favorisent la diffusion et l’appropriation de la technologie au sein de tous les groupes d’âge de leur communauté. – Créent et maintiennent une présence en ligne efficace. – Utilisent la technologie pour rejoindre les membres de leur communauté et susciter leur participation (autrement dit, au lieu d’avoir un site Web statique, ils et elles doivent mettre sur pied un espace en ligne dynamique qui sera créé avec la communauté).
Les bibliothécaires devraient être compétent·e·s en matière de gestion des biens. Cela comprend toutes les compétences en matière d’inventaire dont nous avons parlé, comme le catalogage, ainsi que la préservation de la mémoire et des documents pour les générations futures, et le développement de collections au besoin. Cependant, les biens ne sont pas que des livres et du rayonnage (ou, dans le cas des musées, des sarcophages de momies), mais également ceux qui sont destinés à un usage régulier.
J’ai déjà mentionné des idées comme la bibliothèque vivante, où les bibliothèques prêtent plus que des livres et des DVD. Il y a des bibliothèques publiques qui, situées non loin d’une rivière, font le prêt de cannes à pêche, ou d’autres bibliothèques qui prêtent des marionnettes. Au fab lab de Fayetteville, il est possible d’emprunter des caméras et du matériel de fabrication de livres. À Brooklyn, il y a une presse, accessible au besoin, qui imprime et relie des livres écrits par la communauté. En Afrique, on peut emprunter des masques de cérémonie ; au Onondaga Community College, dans l’État de New York, on peut emprunter des modèles anatomiques et des chats taxidermisés pour les cours d’anatomie. Ce que je veux dire ici, c’est que vous devriez vous attendre à ce que les bibliothécaires construisent des collections vivantes en fonction des besoins de la communauté, tout en garantissant la disponibilité de ces ressources pour l’ensemble de la communauté.
La prochaine série de compétences spécifiées dans le programme d’études de Salzbourg tourne autour de la culture. Vous devriez vous attendre à ce que les bibliothécaires aient de la facilité à prendre la parole en public, et non pas le cliché des personnes d’une timidité maladive qui se fondent dans le décor. Les bibliothécaires devraient être en mesure de rejoindre toutes les constituantes d’une communauté, de comprendre leurs mœurs et de faire le pont entre les différentes classes sociales qui la compose.
En lisant ceci, on pourrait se dire que cela ne concerne que les bibliothèques publiques. Cependant, en tant que membre du milieu universitaire, je peux vous dire qu’il existe de nombreux clivages culturels dans l’enseignement supérieur. Il suffit de parler tour à tour aux professeur·e·s, aux étudiant·e·s et aux gestionnaires pour constater que l’on utilise trois langues différentes. De même, les bibliothécaires scolaires doivent comprendre non seulement les différences entre les enseignant·e·s et les élèves, mais aussi entre les professeur·e·s de mathématiques, de musique et d’anglais.
Pendant trop longtemps, trop de bibliothécaires se sont terré·e·s dans leurs bibliothèques et ont essayé de créer leur propre culture en demandant à la communauté de s’y adapter. Cette tendance peut être camouflée sous des expressions comme « créer une oasis de lecture », ou encore « améliorer l’atmosphère pour les chercheur·e·s », mais ne vous y trompez pas, ces bibliothécaires créent des frontières, et non des ponts.
Soyons clairs : le travail des bibliothécaires est spécialisé et difficile. Il faut une connaissance du métier et un dévouement que l’on retrouve chez d’autres professionnel·le·s de l’information de haut niveau pour être capable de naviguer dans la complexité labyrinthique des institutions du savoir afin de trouver l’article, l’expert·e ou les ressources qui conviennent. Et comme dans ces autres professions, la bibliothéconomie a développé un langage qui lui est propre. À chaque mot du jargon technologique issu de la Silicon Valley, on peut trouver un équivalent qui paraît tout aussi incompréhensible dans la terminologie des bibliothécaires. Pour chaque tablette Retina Display LTE, il existe une notice MARC faisant référence à un fichier d’autorité pour créer une notice de catalogue.
Être capable de déverrouiller un environnement fermé contenant une myriade de ressources, puis de rassembler cette information en un tout compréhensible est l’une des compétences les plus recherchées au sein de l’économie du savoir. Cela dit, une partie de ce travail consiste à rendre le résultat facile à comprendre et à utiliser, et non de faire en sorte que chaque membre de la communauté devienne bibliothécaire à son tour. Vous devriez vous attendre à ce que votre bibliothécaire parle votre langue, et votre bibliothécaire devrait s’attendre à ce que vous respectiez le fait qu’il s’agit là d’un travail important.
Le programme d’études de Salzbourg spécifie un ensemble de compétences liées au savoir et à l’apprentissage. Vous devriez vous attendre à ce que votre bibliothécaire soit un·e pédagogue efficace en mesure de comprendre comment vous cherchez l’information, comment vous la synthétisez pour créer des connaissances nouvelles et, finalement, comment il ou elle peut vous aider à diffuser ces nouvelles connaissances au sein de la communauté.
Vous devriez vous attendre à ce que votre bibliothécaire soit un·e professionnel·le capable de gérer une bibliothèque. Cela exige de savoir comment en assurer le financement, réaliser des projets et maintenir des services qui s’inscrivent dans la durée, et ce, d’une manière qui soit éthique. Un·e bibliothécaire, en tant que professionnel·e, doit être en mesure d’évaluer l’impact des services de sa bibliothèque et de communiquer ces retombées à la communauté. Il ne faut plus tenir pour acquis qu’une bibliothèque est un bien commun qui va de soi. Comment la bibliothèque a-t-elle aidé à répondre aux besoins et aux aspirations spécifiques de sa communauté ?
Ces compétences ne sont pas éloignées de la façon dont nous formons les bibliothécaires depuis des décennies, du moins au premier abord. Le programme d’études de Salzbourg montre un nouvel ensemble de compétences : l’engagement social des bibliothécaires pour transformer positivement la société.
Une communauté devrait être un endroit meilleur parce qu’on y trouve une bibliothèque. Meilleur implique un changement pour le mieux. La bibliothèque et les bibliothécaires doivent être une valeur ajoutée pour leur communauté. Si vous apportez une valeur ajoutée, vous changez quelque chose. En bref, le rôle du bibliothécaire devrait être d’accompagner la communauté dans un processus de changement continu. N’hésitez pas à relire l’ensemble de la discussion du Chapitre 5 au sujet des bibliothécaires militant·e·s. Nous savons que ce changement n’est pas seulement porté par la vision du changement des bibliothécaires, mais également du travail effectué par les bibliothécaires avec la communauté dans le but de faciliter le changement.
Comment est-ce que les bibliothécaires peuvent favoriser activement, voire proactivement, le changement ? Ils et elles doivent être capables d’identifier les besoins de la communauté. Ils et elles doivent être en mesure d’aider la communauté à s’organiser autour de ces besoins, et l’amener à entrevoir ces besoins à la lumière d’autres priorités plus importantes (comme le développement économique, par exemple). Ils et elles doivent être en mesure de faciliter l’engagement au sein de la communauté. Les bibliothécaires doivent être habiles dans l’art de la négociation et de gestion des conflits. Ils et elles doivent aider la communauté à comprendre comment leurs initiatives peuvent être maintenues au fil du temps.
Depuis trop longtemps les bibliothécaires considèrent qu’il suffit de faire le pied de grue derrière leur comptoir en attendant que les membres viennent les voir. Ils et elles doivent comprendre que personne n’a changé le monde en agissant ainsi.
Les professions de la facilitation
Les bibliothécaires ont donc des compétences dans les domaines de la technologie, de la gestion, des relations interpersonnelles et culturelles, ainsi qu’en matière d’engagement social. Ils et elles mettent ces compétences au service de leur mission : améliorer la société en favorisant la création de connaissances au sein de leurs communautés. Pourtant, il y a quelque chose d’amusant dans cet énoncé de mission. Je l’ai écrit pour une partie d’un livre dédié aux bibliothécaires appelé The Atlas of New Librarianship. Certains éditeurs et éditrices m’ont dit « mais c’est ma mission ». Des journalistes aussi m’ont dit la même chose. Et il en est de même pour certain·e·s enseignant·e·s et fonctionnaires. Mais seulement voilà : toutes ces personnes ont raison.
De plus en plus, les métiers de l’information sont aux prises avec une société hyperconnectée où l’information est facilement accessible. De nombreuses professions commencent à comprendre l’importance des interactions sociales et de la complexité de la vie communautaire. De ce fait, quantité de professions en viennent à se chevaucher au point où les frontières entre les métiers deviennent poreuses.
Certain·e·s bibliothécaires considèrent cette nouvelle proximité comme une menace. Ils et elles se replient sur ce qu’ils et elles ont fait dans le passé, cherchant ainsi un espace sécuritaire. Définir sa profession simplement par ses fonctions et ses outils plutôt que par son impact et sa mission est problématique. Une fois que vous commencez à vous définir par ce que vous faites, de nouvelles façons de faire les choses deviennent menaçantes. Pire encore : toute personne qui fait un travail similaire être perçue comme de la compétition. Google est une menace parce qu’il n’utilise pas le catalogage descriptif pour indexer le monde. Des bibliothécaires cherchent donc à l’ignorer. Amazon est un concurrent parce qu’il fournit des livres. Pire encore, il permet même aux gens d’emprunter des livres électroniques sur des tablettes Kindle.
Et quelle est la réponse à ces soi-disant menaces ? Est-ce que les bibliothécaires vont construire un nouveau Google ou leur propre plate-forme de livres électroniques ? Non, au lieu de cela, ils et elles ont adopté Google et Amazon parce qu’il s’avère que ces outils fonctionnent. Peu importe que Google soit la plus grande agence de publicité dans le monde et qu’Amazon soit désormais en mesure d’analyser votre historique de lecture. Si les bibliothécaires et les communautés qui les soutiennent regardent le monde à travers les lunettes fonctionnelles de la menace et de la concurrence, les bibliothécaires ne pourront pas collaborer avec de nouveaux partenaires et encore moins parvenir à instiller leurs valeurs à l’intérieur de ces services. Trop de bibliothécaires ne font que constater qu’un outil fonctionne et se mettent à l’utiliser en faisant fi des coûts pour leur profession et pour les communautés qu’ils et elles servent.
De grâce, ne vous y méprenez pas : j’utilise Google et Amazon. J’utilise Facebook et Twitter. Ces outils ont une grande valeur pour les bibliothécaires et pour leurs communautés. Cependant, tous ces services pourraient être améliorés grâce à des partenariats avec les bibliothèques. Si les bibliothécaires peuvent apprendre de nouvelles façons de découvrir de l’information ou de mettre en forme du contenu, ces nouveaux partenaires peuvent tirer profit des leçons d’une histoire de 3 000 ans d’engagement communautaire et d’un système de valeurs bien défini. Cependant, cela ne se produira que si les bibliothécaires sont ouvert·e·s à un véritable partenariat et sont perçu·e·s comme des allié·e·s incontournables. Si, au contraire, les bibliothécaires sont perçu·e·s comme étant des personnes isolées et captives du passé, pourquoi voudrait-on être leur partenaire ?
Ce constat vaut également pour des professions comme l’enseignement et le journalisme. Dans certaines communautés, les journaux locaux et les bibliothèques publiques travaillent ensemble. Les journalistes apprennent des bibliothécaires comment impliquer leur communauté dans leurs activités d’information.
De plus en plus d’enseignant·e·s adoptent des méthodes d’apprentissage valorisant la résolution de problèmes. Beaucoup d’éditeurs et d’éditrices commencent à abandonner l’idée d’être responsable du contrôle de la qualité et cherchent plutôt à susciter des conversations parmi leur lectorat. Bien que cela dépasse la portée de ce livre, une science de la facilitation est en train d’émerger. Elle a le potentiel de changer radicalement les professions du savoir et l’infrastructure du savoir au sein de votre communauté. Vous devriez vous attendre à ce que vos bibliothécaires montrent la voie à suivre et cherchent à créer des knowledge teams composées de divers intervenant·e·s pour répondre aux besoins de votre communauté.
En travaillant ensemble, les professions de la facilitation ont un potentiel énorme, qui peut être résumé dans le concept d’« éditeur ou éditrice de la communauté », comme cela se fait au Vermont. J’ai déjà mentionné que l’État du Vermont a câblé tout son territoire et a fourni l’accès Internet à haut débit aux bibliothèques des régions rurales. Cette histoire mérite d’être contée en entier.
La bibliothèque centrale de l’État est parvenue à convaincre les bibliothèques rurales de payer pour bénéficier de cet accès. Le coût n’était pas très élevé, environ 100$ par mois pour une quantité étonnante de bande passante. Or, ce montant était supérieur à la connexion par modem téléphonique, qui leur était alors fournie gratuitement. Lors d’une réunion de déploiement du projet, l’une des partenaires du projet s’est sentie un peu frustrée par la résistance qu’elle percevait, elle est donc montée sur scène et a dit (je paraphrase son propos) :
Je pense que vous ne saisissez pas bien. Nous vous offrons un service qui devrait coûter des centaines de milliers de dollars. Pensez à votre connexion actuelle comme à un chemin de terre ; ce que nous proposons, c’est de vous relier à une autoroute qui passera devant chez vous.
Je pouvais presque voir dans les yeux des bibliothécaires assemblé·e·s dans la pièce un sentiment de terreur allant grandissant. Je voyais dans leur regard des centaines de voitures leur fonçant dessus à toute vitesse.
Ces bibliothèques considéraient cette connexion Internet comme un nouveau type de livre. Les membres de leur communauté viendraient pour utiliser cette ressource comme des consommateurs et des consommatrices pressé·e·s. Mais ce n’était pas le but du projet. La connexion rapide arrivait aux bibliothèques, mais elle n’était pas le fin mot de l’affaire, et l’objectif n’était pas d’assurer une navigation ultra rapide sur le Web. L’accès Internet devait ensuite s’étendre aux entreprises locales, aux hôpitaux, aux journaux et, éventuellement, à tous les foyers. Et il ne s’agissait pas seulement d’amener le vaste monde dans les régions rurales du Vermont, mais aussi de faire exister le Vermont rural sur le Web.
Ces bibliothèques pourront ainsi faire équipe avec les journaux locaux pour publier des nouvelles et des événements de leur patelin dans les communautés avoisinantes. Les écoles locales pourront utiliser la vidéoconférence haute définition en temps réel pour créer des classes partagées. Ainsi, si une petite école n’a pas les moyens de payer un·e professeur·e de français, elle pourra réunir une classe d’élèves de huit écoles. Les entreprises locales pourront maintenant vendre leurs marchandises à la grandeur du globe. Les artistes locaux·ales pourront établir des collaborations des quatre coins de l’État. Les personnes qui quittent la vie urbaine pourront s’installer dans les comtés ruraux et conserver leur emploi en faisant du télétravail. En résumé, la connexion haute vitesse était comme un nouveau sorte de presse à imprimer, et ce que l’on imprimait, c’est la communauté elle-même.
Voilà exactement la mission des bibliothèques. Établir des liens entre les domaines du journalisme, de l’édition, de l’enseignement et des soins de santé afin d’accroître l’impact des bibliothèques et des secteurs qui lui sont connexes. Les bibliothécaires peuvent tisser des liens entre toutes les composantes de la communauté d’une manière que personne d’autre ne peut faire. De même, les bibliothèques universitaires peuvent fédérer tous les départements qu’elles desservent et publier les travaux des chercheur·e·s de l’université et en assurer la diffusion dans le monde entier. Les bibliothèques scolaires peuvent diffuser les projets des élèves et les plans de cours des enseignant·e·s dans la communauté et inviter les parents, le gouvernement et les entreprises à participer au processus éducatif.
Vous devriez vous attendre à ce que vos bibliothécaires contribuent à mettre sur pied un tel service d’édition de la communauté, et ce, non pas en restant seul·e·s dans leur coin, mais en sollicitant l’apport d’une diversité de partenaires.
Quelques partis pris du métier
Alors, qu’est-ce qu’un·e bibliothécaire si on ne peut réduire son activité professionnelle à son diplôme, à son énoncé de mission et à un ensemble de fonctions ? Je soutiens qu’être bibliothécaire, c’est se placer à l’intersection de trois choses : une mission, des moyens de facilitation et les valeurs que les bibliothécaires apportent à une communauté. Nous avons déjà couvert les deux premiers éléments (la mission et les moyens de facilitation), mais qu’en est-il des valeurs ?
Les bibliothécaires défendent les valeurs professionnelles suivantes : le service, l’apprentissage, l’ouverture d’esprit, la liberté et l’honnêteté intellectuelles. Autrement dit, les bibliothécaires cherchent à aider, de sorte que la valeur de leur travail n’est mesurable que par l’impact qu’ils et elles ont sur les autres. Les bibliothécaires accordent de l’importance à l’apprentissage, si bien que l’impact de leur travail est mesuré par la façon dont les membres de leur communauté peuvent acquérir plus aisément de nouvelles connaissances. Les bibliothécaires valorisent l’ouverture, de sorte que les moyens qu’ils et elles utilisent pour faciliter l’apprentissage sont vérifiables et transparents. Les bibliothécaires apprécient la liberté intellectuelle parce qu’un apprentissage fructueux nécessite un environnement sécuritaire et propice au savoir. Et les bibliothécaires valorisent l’honnêteté intellectuelle afin de garantir aux apprenant·e·s un accompagnement rigoureux tout au long du processus d’apprentissage.
J’ai déjà soulevé quelques-uns de ces éléments. Cela dit, il y a une valeur à laquelle je dois m’attarder un instant : l’honnêteté intellectuelle. Certain·e·s d’entre vous noteront que je n’ai pas inclus le terme « impartial » dans cette liste de valeurs. C’est parce qu’il n’est pas possible de faire preuve d’impartialité. En tant qu’humain·e·s, nous intégrons nos valeurs, nos préjugés et notre vision du monde à tout ce que nous faisons. La langue que vous utilisez, la couleur de votre peau, l’endroit où vous avez grandi et votre éducation influencent la façon dont vous voyez et interagissez avec le monde. Vous n’êtes pas impartial·e. Les bibliothécaires croient que la protection de la vie privée est essentielle, ce qui est un parti pris. Les bibliothécaires croient qu’il est préférable d’avoir plusieurs points de vue sur un sujet plutôt qu’un seul, ce qui est un parti pris. Les bibliothécaires croient, je l’espère, que les bibliothécaires et les bibliothèques jouent un rôle vital dans une démocratie, ce qui est aussi un parti pris. Nous ne pouvons pas être impartiaux·ales, mais nous pouvons être intellectuellement honnêtes.
Prenons l’exemple de la recherche scientifique. Je suis chercheur en sciences de l’information. Des chercheur·e·s ont non seulement démontré que les scientifiques ont des préjugés, mais ils et elles ont même proposé des mesures pour quantifier ces biais. Pourtant, on considère toujours la science comme un moyen légitime de connaître le monde. Pourquoi est-ce le cas ? Non pas parce que les scientifiques en tant que personnes font preuve d’une objectivité et d’une neutralité complètes, mais parce que les scientifiques ont développé des outils rigoureux et une éthique de l’honnêteté intellectuelle. En tant que scientifique, je reconnais que mes méthodes peuvent être imparfaites, alors je me dois de les expliquer pour qu’elles puissent être analysées. Je reconnais que mon interprétation des données peut être erronée, c’est pourquoi j’en publie les résultats. La science connaît la différence entre l’impartialité et l’honnêteté. Vous devriez vous attendre à ce que les bibliothécaires adoptent également cette distinction.
Références
« Formation continue: Occasions d’apprentissage ». s. d. MSL. Consulté le 26 septembre 2018. https://www.maine.gov/msl/libs/ce/index.shtml.
« ILEAD USA: Innovative Librarians Explore, Apply and Discover ». s. d. ILEAD USA: Innovative Librarians Explore, Apply and Discover. ILEAD USA. Consulté le 26 septembre 2018. https://ileadusa.wordpress.com/.
Mack, D. L. 2011. « Libraries and museums in an era of participatory culture ». Salzburg Global Seminar in partnership with Institute of Museum; Library Services. https://www.imls.gov/assets/1/AssetManager/SGS_Report_2012.pdf.
« Standards for accreditation of master’s programs in library & information studies ». 2008. Office for Accreditation American Library Association. http://www.ala.org/educationcareers/sites/ala.org.educationcareers/files/content/standards/standards_2008.pdf.
Programme de formation continue ILEAD USA (« ILEAD USA: Innovative Librarians Explore, Apply and Discover » s. d.).↩
Programme de formation pour bibliothécaires sans diplôme en bibliothéconomie (« Formation continue: Occasions d’apprentissage » s. d.).↩