Analyser : trois urgences + une
Les trois urgences actuelles viennent de loin, c’est-à-dire de l’installation mondiale du néolibéralisme depuis la fin des années 70 : dérégulation de la circulation mondiale des capitaux dans la logique du profit financier à court terme, pression sur les salaires, précarisation générale du travail, destruction des solidarités sociales, assujettissement des États à des règles budgétaires posées comme supérieures à leur souveraineté et atteintes croissantes aux principes démocratiques. C’est cette logique qui poursuit la course à l’abîme dans la surexploitation des ressources naturelles, alors que bonnes pratiques, programmes écologiques et larges mobilisations font peu à peu de l’écologie l’affaire de tous. C’est ce même système économique, social et politique, dominé par les multinationales, qui rencontre un sursaut de révolte parmi ceux qui sont les perdants de cette mondialisation violente : le mouvement des gilets jaunes en France est un moment de cette révolte. Et c’est encore lui qui, à force de destruction des solidarités sociales et d’asservissement des États, suscite, en Europe en particulier, les replis nationalistes, réactionnaires et autoritaires qui se veulent protecteurs quand ils ne font qu’aggraver le mal et réveiller les vieux démons : peur, haine et racisme.
Les prochaines élections européennes peuvent être l’occasion de dénoncer clairement ce système et de donner la parole à ceux qui le combattent autrement que par le repli nationaliste.
Quatrième urgence, donc : il faut que, plus larges que les Partis de Gauche, les forces de Gauche, du Centre Gauche à l’Extrême Gauche, concourent, en poussant ces Partis, à ouvrir des perspectives sociales, économiques et politiques novatrices. Et elles le peuvent en commençant par confronter les principes bien assurés qui sont les leurs et l’analyse attentive des situations.
Être de Gauche aujourd’hui : sept principes
L’État de droit : limitation et autolimitation de tout pouvoir sous des règles de droit et respect et exercice des droits déclarés : 1789 (l’homme et le citoyen), 1944 (Philadelphie, Droit international du travail), 1948 (Déclaration universelle), 2000 (Droits fondamentaux européens)…
La démocratie représentative : on n’a rien trouvé de mieux pour légiférer ; il faut lui redonner son rôle face aux technocraties et aux lobbies ; il faut aussi améliorer sa transparence et la vivifier par toutes les dynamiques démocratiques extraparlementaires : presse libre, manifestations, grèves, débats instruits et, le cas échéant, référendum, mais soumis lui aussi au droit.
L’unité fondamentale des luttes sociales et des luttes écologiques : elles convergent dans le combat contre la surexploitation des forces humaines et des ressources naturelles.
Dans l’esprit de ces luttes, la mise en cause du capitalisme, du profit et du marché total comme buts absolus de toute activité humaine, l’opposition à la concentration des pouvoirs entre les mains d’une petite minorité, et la recherche commune d’une autre forme de société : nouveau mode de production et nouveau mode de vie.
L’ancrage dans le monde du travail et la recherche de l’unité de toutes les classes sociales peu ou prou dominées, et précarisées voire déclassées. Pour défendre et conquérir des droits et pour faire converger majorité sociale et majorité politique.
L’égalité absolue en droits, effectifs, des femmes et des hommes, et le refus de toute discrimination.
Le principe de solidarité, anticipation d’une société fraternelle ; il inspire, entre autres, la sécurité sociale française : même taux de cotisation pour tous, mêmes soins gratuits pour tous ; sécurité sociale que le néolibéralisme veut, ce n’est pas un hasard, mettre au pas du chacun pour soi.
Ouvrir sept perspectives
Il faut la justice fiscale, redistributive, mais jusqu’au bout, en particulier en contrant réellement (c’est difficile, mais faisable) l’évasion fiscale des classes dominantes et des multinationales.
Il faut aussi la justice sociale, qui exige au moins une juste échelle dans la distribution des revenus, la restauration et l’extension inventive du droit du travail et la démocratisation de l’accès aux savoirs et à la culture : lourdes, mais urgentes tâches, tellement on est loin du compte.
Mais il faut, plus que tout et condition de tout, une société juste, c’est-à-dire une nouvelle distribution des pouvoirs économiques et financiers, ainsi que de nouvelles orientations de la production. L’enjeu ultime est ici le libre choix commun : liberté commune. Et une fois cet enjeu bien conçu, il en découle quatre exigences.
Combat contre le productivisme et pour un développement durable respectueux des forces humaines et avec une empreinte humaine minimale sur la nature : c’est possible par l’usage ardent, et régulé par des débats instruits, des potentialités technologiques. Questions centrales ici : que pouvons-nous produire ? Comment ? Quels critères de choix nous donnons-nous ? Et, dès lors, que décidons-nous librement de produire ?
Développement solidaire qui, contre la logique néolibérale faisant du paiement de la dette la condition de l’investissement, tient que l’investissement permet le désendettement et le non-endettement. Cette nouvelle logique concerne tant la France que la Grèce ou les rapports Europe-Afrique.
Démocratie tous azimuts. Il faut non seulement « démocratiser la démocratie » (politique), mais aussi la finance et les entreprises. Finance : lutter contre le gigantisme bancaire et instaurer, à côté de la seule rentabilité financière et rivalisant avec elle, de nouveaux critères sociaux, économiques et environnementaux pour les financements et refinancements. Grandes entreprises : reconsidérer leur organisation (en particulier, la composition de leur conseil d’administration). Toutes entreprises : prendre en compte non seulement leurs rapports de marché, mais aussi ceux de coopération, et améliorer les modes d’intervention des salariés.
Démocratie à tous les étages, du communal au national et au-delà, et choix de l’Europe. Erreur tragique de ceux qui croient qu’en combattant l’Europe, ils combattront les multinationales (elles sont partout, dans les régions et nations, comme au-delà). L’Europe peut, au contraire, être un lieu ou un niveau de souveraineté crucial à articuler avec la souveraineté des nations européennes, de petite ou moyenne puissance, pour les protéger face aux multinationales et aux grandes puissances (USA et Chine). Mieux : une Europe libérée, grâce aux forces de Gauche, de l’étau constitué par le néolibéralisme et les nationalismes, accéderait à un niveau de puissance et de rayonnement capable d’infléchir le cours du monde dans un sens coopératif.
Fédérer les forces de Gauche est possible
Fédérer les forces de Gauche est possible. C’est donc un devoir pour les Partis de Gauche d’y œuvrer. Tout de suite : pour répondre aux urgences et aux attentes. Il faut tout faire pour éviter l’éparpillement. Une unité de la Gauche doit être recherchée. Non pour proposer un (impossible) programme clés en main, mais pour donner le signal d’un sursaut commun.
À l’initiative de cet « Appel des 7 », trois philosophes et quatre économistes :
Économistes : Laurence SCIALOM, Frédéric BOCCARA, Ulf CLERWALL et Robert SALAIS.
Philosophes : Robert LÉVY, Xavier-Francaire RENOU et Hadi RIZK.
Parmi les premiers signataires :
Rémi BROUTÉ, Ève CHIAPELLO, Gabriel COLLETIS, Catherine COLLIOT-THÉLÈNE, Olivier FAVEREAU, Denis GRAVOUIL, Christian HOUZEL, Céline JOUIN, Jean-Christophe LE DUIGOU, Frédéric KALFON, Jean KAPLAN, Ota de LEONARDIS, Didier LEVALLET, Dominique MÉDA, Christiane MENASSEYRE, Agustin José MENÉNDEZ, Claire NOUVIAN, Pierre TOUSSENEL, Antoine VAUCHEZ.
Cinquante et un premiers signataires :
AGOSTI-GHERBAN Cristina, musicienne
ASSELAIN Martine, bibliothécaire retraitée
BACHMAN Pierre, ingénieur ECM retraité
BROUTÉ Rémi, socio-économiste
CAILLAUD Pascal, chercheur en droit social
CAVAILLE Christian, professeur honoraire de philosophie
CHIAPELLO Ève, sociologue
COLLETIS Gabriel, économiste
COLLIOT-THÉLÈNE Catherine, professeure émérite de philosophie
COQUERY Natacha, historienne
CUZENT Sylvain, retraité, administrateur associatif
DIMICOLI Yves, économiste
DURAND Denis, économiste, ancien directeur-adjoint de la Banque de France
EYRAUD Corine, sociologue
FAVEREAU Olivier, professeur émérite d’économie à l’université Paris Nanterre
GAROTIN Bernard, retraité
GRAVOUIL Denis, syndicaliste CGT
HANAPPE Odile, économiste
HOUZEL Christian, mathématicien
JOUIN Céline, maîtresse de conférences en philosophie à l’Université de Caen Normandie
KALFON Frédéric, directeur de Création, membre du Conseil National de DiEM25 France
KAPLAN Jean, directeur de recherche émérite CNRS
KIRAT Thierry, directeur de recherche au CNRS
LE DUIGOU Jean-Christophe, économiste, syndicaliste
de LEONARDIS Ota, sociologue
LE ROY Thierry, conseiller municipal de Saint-Antonin Noble Val (82140)
LEVALLET Didier, artiste musicien
MALLE Justine, cinéaste
MARX Bernard, économiste
MARX Danielle, cadre supérieur transports
MEDA Dominique, sociologue
MENASSEYRE Christiane, inspecteur général honoraire de philosophie
MENASSEYRE Frédéric, cadre à la Sécurité sociale
MENÉNDEZ Agustín José, professeur d’université
MORIN François, économiste
MÜNSTER Arno, philosophe, essayiste
NOUVIAN Claire, présidente-fondatrice de l’association Bloom, cofondatrice de Place Publique
RAYMOND Anne, architecte
RENOU Philippe, médecin retraité
RENOU José
RODET Diane, sociologue, Université Lumière Lyon 2
ROTFUS Michel, professeur honoraire de philosophie
ROUET Paul, économiste retraité
ROULLE Antoine, professeur de philosophie
SIMON Claude, professeur émérite à l’ESCP Europe
de TERLIKOWSKI Charles, retraité
TESSIER Luc, professeur associé en Finance
TOUSSENEL Pierre, ancien SG adjt du SNES et membre du BDFN de la FSU
TREUIL Jean Pierre, informaticien
TRICOU Fabrice, économiste
VAUCHEZ Antoine, directeur de recherche au CNRS, Université Paris 1
Pour signer sur change.org :
www.change.org/p/le-peuple-de-gauche-forces-de-toute-la-gauche-r%C3%A9veillons-nous