Les discussions autour du « populisme » de Trump, Bolsonaro, Salvini, Orban, Le Pen et consorts sont lestées du flou de l’ensemble des termes de « populisme », de « nationalisme », de « protectionnisme », d’« extrême droite », voire de « fascisme » qui sont utilisés pour qualifier les expériences auxquelles ils se rapportent. Ce flou empêche de savoir exactement de quoi il s’agit et de réfléchir à des réponses adéquates. L’imaginaire médiatique dominant, mais académique aussi parfois, continue d’assumer la triade des trois idéologies politiques modernes fondatrices du libéralisme, du socialisme et du fascisme. Au sein de cette triade, le « populisme » tient lieu de forme contemporaine édulcorée du fascisme, et nous en serions d’ailleurs tout près (Cole 2018). Au-delà de la discussion sur le fascisme, le « national-populisme » est souvent vu comme une réaction au néolibéralisme (Eatwell et Goodwin 2018), comme une forme de protection de la société à la manière polanyienne, quoique mal dirigée, contre le pouvoir grandissant des marchés (Holmes 2018). Le populisme est aussi compris comme un « souverainisme », comme une demande de protection des populations par le retour de l’État-nation face à la globalisation économique (Spiegeleire, Skinner, et Sweijs 2017). Or, cet ensemble d’analyses ne semble pas fondé sur la manière dont se sont réellement constitués les populismes au tournant des années 1990. S’il n’est bien entendu pas possible d’en proposer dans les limites de ce texte une lecture exhaustive, nous revenons ici sur deux moments constitutifs des populismes contemporains au Royaume-Uni et aux États-Unis qui pourraient nous amener à renverser notre compréhension du populisme.
L’« Europe de l’entreprise » et des nations de Thatcher au Brexit
Quinn Slobodian et Dieter Plehwe ont récemment indiqué le rôle clé du « Discours de Bruges » de Margaret Thatcher dans la formation d’un néolibéralisme anti-européen. Dans le sillage de ce discours s’est constitué le think tank du « Groupe de Bruges » réunissant des Tories eurosceptiques dont Alan Sked et Nigel Farage, et dont bientôt sortira le UKIP conduisant le Royaume-Uni au Brexit (Slobodian 2018). Dans ce discours donné le 20 septembre 1988 devant le Conseil de l’Europe, et qui y provoqua un tollé ainsi que Thatcher le raconte dans ses mémoires, elle eut cette formule célèbre : « Nous n’avons pas réussi à faire reculer les frontières de l’État britannique pour les voir ensuite réimposées au niveau européen avec un super-État européen exerçant une nouvelle domination à partir de Bruxelles » (Thatcher 1988a). Elle martèle dans le discours son attachement inconditionnel au « libre-échange », à la « libre-entreprise » et aux « marchés ouverts » et condamne le « protectionnisme » et la « bureaucratie » des élites socialisantes de Bruxelles, qu’elle rend coupables de « trahison » en faisant un parallèle entre ce que risque de devenir l’Europe et l’Union soviétique qui est pourtant en train de mourir. Sa conférence était en réalité une réponse à un discours que le socialiste Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, avait tenu douze jours plus tôt devant le Trade-Union Congress (TUC), la Confédération des syndicats britanniques réunis à Bournemouth et dans lequel il invitait les syndicats à soutenir son projet européen. Delors se réclamait de la « solidarité sociale », et promettait aux syndicats, qui étaient attaqués depuis dix ans par Thatcher, de leur faire une place dans la construction européenne par le « dialogue social » et la « négociation collective », tout en esquissant un projet de plateforme de droits sociaux garantis (Motard 2009). Ainsi que Thatcher le dirait quelques semaines plus tard à la conférence du Parti conservateur, elle avait voulu dans son discours de Bruges mettre en évidence un choix : « le choix entre deux sortes d’Europe : une Europe fondée sur la plus grande liberté possible pour les entreprises (A Europe based on the widest possible freedom for entreprise) ou une Europe fondée sur les méthodes socialistes de contrôle et de régulation centralisés » (Thatcher 1988b). Dans ses mémoires, elle persiste et signe en fustigeant après coup les Français et les Allemands qui « flirtaient avec le protectionnisme alors que des marchés réellement globaux émergeaient » et que « l’objectif devait être au contraire pour l’Europe de déréglementer et d’éliminer les contraintes qui pèsent sur le commerce » (Thatcher 1993, 594). Et de conclure par cette formule claire comme du cristal : « Nous devions avoir un marché européen avec un minimum de réglementation : une Europe de l’entreprise (Europe of entreprise) » (Thatcher 1993, 610).
Cependant, le discours de Bruges et les interventions de Thatcher au cours de ces années charnières pour la construction européenne ne mettent pas uniquement en évidence un antagonisme économique entre deux types d’Europe. Il y a deux autres dimensions dans la critique thatchérienne de l’Europe. D’abord, la démocratie avec la critique d’un super-État européen qui se substitue à la légitimité de la démocratie britannique : « Je décidai que le moment était venu de passer à l’attaque contre l’érosion de la démocratie par le centralisme et la bureaucratie, et pour proposer une autre conception de l’avenir de l’Europe » (Thatcher 1993). Thatcher invoque un exceptionnalisme britannique lié à une longue histoire et un niveau très élevé de démocratie au Royaume qui rend d’autant plus insupportable pour les britanniques la tutelle européenne. L’identité nationale ensuite : elle pointe le risque que la recherche d’une identité européenne transcendante fait courir à la spécificité et à la diversité des identités nationales et se prononce pour une Europe conçue comme une « famille de nations » : « L’Europe sera plus forte parce qu’elle a la France comme France, l’Espagne comme Espagne, la Grande-Bretagne comme Grande-Bretagne, chacune avec ses coutumes, ses traditions et son identité propres. Ce serait une folie que d’essayer de les intégrer dans une sorte de personnalité européenne identitaire » (Thatcher 1988a). Démocratie, souveraineté, identité et diversité des nations contre le super-État européen, tels sont les termes qui définissent la vision politique de l’Europe thatchérienne, en cheville avec sa vision économique de l’Europe de l’entreprise.
Une vision politique et une formule de « famille des nations » qui résonnent si bien avec le nom du groupe des « populistes » au Parlement européen, « l’Europe des nations et de la liberté », incluant des députés européens du Rassemblement national, de la Ligue du nord, du Vlaams Belang, du Parti de la liberté autrichien, du Parti de la liberté néerlandais, etc. ainsi qu’une député du UKIP, qu’il est intéressant de considérer le rapprochement. Le groupe définit son identité autour de cinq piliers : la « démocratie », la « souveraineté », l’« identité », la « spécificité » et la « liberté ». Sur la « souveraineté », le Groupe ENF (pour Europe of Nations and Freedom)
base son alliance politique sur la souveraineté des États et de leurs citoyens, s’appuyant sur la coopération entre les nations et rejetant par conséquent toute politique orientée vers la création d’un super-État ou d’un modèle supranational. L’opposition à tout transfert de souveraineté nationale vers des instances supranationales et/ou des institutions européennes est un des principes fondamentaux unissant les membres de l’ENF (« Europe des Nations et de la liberté », s. d.).
Sur l’« identité », il s’agit de « préserver l’identité des citoyens et des nations de l’Europe, en accord avec les caractéristiques spécifiques de chaque population », ce qui s’assortit du « principe fondamental » du « droit de contrôler et de réguler l’immigration », tandis que la « spécificité » définit le « droit de tous les autres à défendre la spécificité unique de leur modèles économiques, sociaux et culturels ». Pour ce qui est de l’autre groupe « populiste » dirigé par Nigel Farage, « L’Europe de la liberté et de la démocratie directe » (Europe for Freedom and Direct Democracy), le logiciel, structuré autour des quatre valeurs fondamentales suivantes de la charte, est le même : « la liberté et la coopération parmi les peuples des différents États », « plus de démocratie et de respect de la volonté du peuple », « respect pour l’histoire européenne, les traditions et les valeurs culturelles », « respect pour les différences nationales et les intérêts : liberté des votes1 ». Pour les deux groupes, rien n’est dit sur l’économie, mais sur la vision politique, la convergence des thématiques et du projet avec le discours de Bruges est très forte, même si d’autres inspirations pourraient être reconnues, en particulier celle de l’« ethno-différentialisme » de la Nouvelle droite d’Alain Benoist qui s’est affirmé depuis, en particulier au sein du Groupe de l’Europe des nations et de la liberté (Bar-On 2013). En juin 2019, ce groupe s’est mué suite aux dernières élections européennes en un nouveau groupe « Identité et démocratie » dirigé par Le Pen et Salvini, avec le renfort de l’AfD (Alternativ für Deutschland), la proposition faite au Parti du Brexit de Farage d’intégrer « Identité et démocratie » ayant été refusée par l’intéressé2.
Pour Thatcher, la dimension économique et la dimension politique étaient complètement articulées. Dans ses mémoires, elle utilise une formule qui résume bien son projet pour l’Europe qui devrait être une « libre association de nations souveraines et une communauté favorisant le libre-échange par un assouplissement des réglementations » (Thatcher 1993, 594). Plus encore, elle affirme que contre ce « méga-État-artificiel » qu’était en train de devenir l’Europe, dans ce contexte si hostile de socialisme rampant, elle n’eut « d’autre choix que de soutenir une position radicalement opposée » et « de brandir le drapeau de la souveraineté nationale, de la liberté du commerce et de la libre entreprise – et de combattre3 » (Thatcher 1993, 594). Prendre au sérieux le discours de Bruges devrait nous amener à renverser littéralement notre compréhension du « populisme ». Pour Thatcher, ce ne sont pas les nations qui sont menacées par la mondialisation économique, c’est exactement l’inverse : les nations sont des tremplins pour la constitution de « marchés globaux », et il n’y a pas d’antagonisme entre les nations et le libre-échange mondialisé, c’est le contraire qui est vrai, les unes étant le véhicule de l’autre. C’est que le problème n’est pas pour elle la mondialisation économique, mais le super-étatisme supranational et transnational, ce qui est tout à fait différent. C’est le super-étatisme de l’Europe bureaucratique et socialisante qui menace la liberté économique d’une part et les identités nationales d’autre part. Il s’agit donc de mobiliser les nations contre le joug du super-étatisme européen afin qu’elles libèrent leur économie et leur identité aliénées par les bureaucrates de Bruxelles. Si Thatcher se réfère bien à la souveraineté, il ne s’agit en aucun cas de la réaffirmation de la souveraineté de l’État-nation contre la mondialisation économique (« Nous n’avons pas réussi à faire reculer les frontières de l’État britannique pour les voir réimposer […] »), mais de la souveraineté de l’État-nation dans le processus de mondialisation économique face à l’obstruction d’institutions transnationales non élues. Le projet de Thatcher relève bien du néolibéralisme car il ne s’agit pas — et ne peut s’agir — de revenir à l’internationalisme libéral du XIXe siècle, dans la mesure où la mobilisation du gouvernement de l’État est essentielle pour transférer la conduite du processus de la mondialisation économique aux nations, dans leur double corps entrepreneurial et identitaire. Un néolibéralisme par conséquent où ce sont les nations, et non des échafaudages politico-juridiques transnationaux contrôlés par des élites globales, qui vont œuvrer directement à la mondialisation économique. C’est ainsi que s’est esquissé avec Thatcher, au tournant des années 1990, le national-néolibéralisme.
La mondialisation économique par les nations
Au deuxième semestre de l’année 2018, plusieurs enquêtes de Greenpeace ont révélé que des membres de l’establishment Tory partisans d’un « no deal » et d’un « hard Brexit » avec l’Europe, David Davis et Owen Paterson, ainsi qu’un expert commercial de l’Institute of Economic Affairs (IEA) — le think tank fondé par Anthony Fisher en 1955 sur les conseils de Friedrich von Hayek — Shanker Singham, se sont rendus en Oklahoma lors d’un voyage financé par le lobby agro-industriel américain pour préparer avec des membres de l’administration Trump un accord commercial bilatéral post-Brexit, prévoyant notamment l’importation en Angleterre de poulet lavé au chlore et de bœuf aux hormones (Ross et Carter 2018a, 2018b; Alexandre 2019). Paterson a tweeté au cours du voyage que malheureusement un tel accord était actuellement impossible dans le cadre des réglementations européennes, et qu’il était important que « le Royaume-Uni ait le contrôle de ses tarifs et de son cadre réglementaire » (Ross et Carter 2018a). La récupération de la souveraineté nationale par le Brexit doit permettre de conclure de nouveaux contrats commerciaux entre États ou entre entreprises et donc plus de libre-échange que ne le permet l’Union européenne. Tandis que Trump pousse l’Union européenne à laisser Farage négocier la sortie du Royaume-Uni (« Donald Trump : send in Nigel Farage to negotiate with the EU » 2019) afin de signer avec lui un meilleur accord commercial, c’est aussi la position tous les tous Brexiters de l’establishment Tory, de Steve Baker à Jacob Rees-Mogg, en passant par Boris Johnson et Dominic Raab. Ce dernier avait publié dès 2012 avec d’autres parlementaires du Parti conservateur un Britannia Unchained. Global lessons for Growth and Prosperity qui réinvestissait l’imaginaire du « Global Britain », plus proche des États-Unis et plus distant de l’Europe, comme voie vers une prospérité retrouvée (Kwarteng et al. 2012, 10). Les partisans d’une sortie contrôlée, comme Theresa May, peuvent cependant s’y retrouver aussi (Harrois 2018). En somme, le populisme contemporain n’a finalement rien d’un protectionnisme, mais vise tout au contraire une intégration encore plus forte dans la mondialisation économique, qui passe par un réinvestissement de la nation — le contenu de celle-ci ne pouvant en ressortir que profondément transformée.
Que ce soit avec le Brexit, la sortie de Trump de l’Accord de Paris sur le climat, la refondation du NAFTA en USMCA, la sortie de l’Iran deal, la menace de Bolsonaro de sortir lui aussi de l’accord de Paris (et la menace de Macron de ne pas ratifier l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur si Bolsonaro ne s’engage pas à rester dans l’accord de Paris), le refus de l’Italie de ratifier le CETA, l’abrogation des règlementations transnationales signale qu’elle est peut-être un aspect clé de la gouvernementalité nationale-néolibérale et que le bras de fer se joue entre les globalistes et les nationaux-néolibéraux anti-globalistes. S’il n’y a cependant pas d’antagonisme entre la nation et la mondialisation économique, mais au contraire une convergence, le discours anti-globaliste des populistes est-il cohérent ? Bolsonaro peut-il dénoncer à longueur de tweets le « globalisme » tout en déclarant à Davos qu’il veut « ouvrir son économie » et qu’il est favorable à une « meilleure intégration pour le Brésil dans le monde4 » ? Peut-on être anti-globaliste et œuvrer au renforcement du libre-échange mondialisé ? Quinn Slobodian a montré comment l’école de Genève, un ensemble d’intellectuels ayant tenu des positions académiques à Genève (Röpke, Mises, Heilperin) ou y ayant présenté des recherches (Hayek, Robbins, Haberler), partant de la problématique de l’organisation du monde et de l’économie mondiale après la Première Guerre mondiale, avait échafaudé un « ordo-globalisme » (ordoglobalism) au sens d’un ensemble d’institutions supranationales comme la Communauté économique européenne (CEE), le GATT (General Agreement on Tariff and Trade) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) permettant d’« encapsuler » (encase) le marché à un niveau global par la production de règles transnationales, de façon à le mettre hors de portée des demandes de démocratie et des projets gouvernementaux de redistribution sociale des richesses. Ils ont mis au point un système de « double gouvernement », partageant strictement le dominium de l’imperium, l’économie étant sécurisée au niveau global par les institutions supranationales, tandis que les États-nations étaient chargées de gérer leur population (Slobodian 2018). Du point de vue du « globalisme » compris en ce sens, la critique anti-globaliste apparaît bien cohérente avec la position nationale-néolibérale, puisque la critique ne porte en aucun cas sur la dissolution de la protection sociale générée par le renforcement du libre-échange, mais sur le rôle des élites globales et la perte de souveraineté de la nation dans la conduite du processus de mondialisation économique. Il faut établir dès lors une distinction entre le globalisme qu’ils abhorrent et le mondialisme qu’ils adoptent. Les populistes sont favorables à une mondialisation menée sous l’égide des nations, épurée du parasitisme des élites mondiales et des migrants non-blancs, ils sont paradoxalement mais sans contradiction nationalistes, mondialistes et anti-globalistes. Comme l’a résumé Marine Le Pen dans un récent entretien à Breitbart (le média auparavant dirigé par Bannon) :
Le globalisme est un esprit post-national », a dit Le Pen lorsqu’on lui a demandé d’expliquer les différences entre le globalisme et le nationalisme. « Elle porte en elle l’idée que les frontières doivent disparaître, y compris les protections que ces frontières apportent habituellement à une nation. Elle repose sur l’idée que ce sont les marchés tout puissants qui décident de tout. Ce concept de globalisme est poussé par des technocrates qui ne sont jamais élus et qui sont les personnes typiques qui dirigent les choses à Bruxelles dans l’Union européenne. Les gens qui croient aux nations — les nationalistes — c’est exactement le contraire. Ils croient que les nations sont le moyen le plus efficace de protéger la sécurité, la prospérité et l’identité nationales pour s’assurer que les gens prospéreront dans ces nations. (Boyle 2019)
Que les nations, débarrassées des technocrates de Bruxelles, puissent être maîtresses des opérations permettant aux gens de prospérer, tel est le credo anti-globaliste. Aucune référence n’est faite ici à la protection sociale : les « protections » sont celles qu’apportent la « frontière » (c’est-à-dire l’appareil répressif d’État) : la « sécurité » (contre le terrorisme), la « prospérité » (par la guerre commerciale des nations) et l’« identité » (contre les migrants non blancs). Plus loin, Le Pen fait néanmoins référence aux « bénéfices sociaux » du protectionnisme en faisant la liste de tout ce qui la rapproche de Trump :
Le pouvoir écrasant de l’économie, le désir de défendre les classes populaires, la classe moyenne, notre refus de l’immigration incontrôlée et illimitée, l’idée que le protectionnisme est une idée pour apporter des avantages sociaux aux pays qui importent des marchandises, la conviction que l’identité des peuples doit être protégée, sont tous des points communs avec le Président Trump. (Boyle 2019)
À considérer le « protectionnisme » de Trump et ses éventuels « avantages sociaux », peut-on le caractériser comme un « national-néolibéral » ?
Trump, Bannon et l’inspiration paléo-populiste
Alors que le discours de Bruges de Thatcher faisait naître un néolibéralisme anti-européen, une autre rupture se produit à l’intérieur du mouvement conservateur américain, aux marges du Parti Républicain. Un mouvement « paléo », en référence à la Droite ancienne américaine (Old Right) nationaliste (America First), isolationniste et anti-guerre, pro-marché, favorable à un gouvernement minimal et opposée au centralisme fédéral, parfois néo-confédérée, se constitua au tournant des années 1990 en réunissant des « paléo-libertariens » autour de Murray Rothbard et Lew Rockwell et des « paléo-conservateurs » dont Patrick Buchanan deviendrait vite la figure politique montante, pour défier les néoconservateurs qui, autour de la New Right de William Buckley et de la National Review, avaient imposé leur hégémonie sur le mouvement conservateur et truster tous les postes de pouvoir sous la présidence de Georges W. Bush (Gottfried 1993). Les « paléo » s’opposaient au « warfare-welfare state » (l’État-providence impérialiste) des néoconservateurs, c’est-à-dire au système formé par le Big governement, les programmes fiscaux et sociaux, l’interventionnisme militaire partout dans le monde pour y exporter la « démocratie globale », le rejet des nationalismes et la promotion du multiculturalisme. Les « paléo » se mirent d’accord sur des positions nationalistes, anti-interventionnistes, anti-immigration, pour la promotion d’un ordre moral bourgeois et chrétien, rejetant l’héritage des droits civiques, l’égalitarisme et tous les « faux-droits » des minorités (des femmes, des minorités sexuelles et raciales) vus comme des atteintes à la propriété et à l’identité, et sur des positions anti-centralistes qui dénonçaient la confiscation du pouvoir des États de l’Union par le pouvoir fédéral. Les « paléo » rejetaient même le conservatisme puisque les néoconservateurs l’avaient dévoyé en en faisant une position de statu quo qui consistait à avaler tout l’héritage de la gauche libérale démocrate sans le remettre en question. Il ne fallait pas conserver, mais abroger.
C’est dans ce contexte que Murray Rothbard explicita au début de l’année 1992 la stratégie du « populisme de droite » (right-wing populism) : un leader tonitruant devait porter les idées paléo et réveiller la masse du peuple américain pour la mobiliser contre les élites néoconservatrices qui par le Big government se servaient de l’État à leurs propres bénéfices et exploitaient les contribuables américains (Rothbard 1992b). Au début des années 1980, les leaders des courants dominés du mouvement conservateur, et notamment de la Droite religieuse et de la Majorité Morale autour de Jerry Falwell, s’étaient déjà emparés du populisme comme un moyen d’atteindre l’establishment du Parti républicain (Viguerie 1984). Cependant, Rothbard avait, dès la fin des années 1970, dans un mémorandum stratégique et confidentiel pour l’Institut Cato des frères Koch dans lequel il discutait des méthodes stratégiques des nazis, des fascistes et des bolcheviques, souligné l’importance pour le mouvement conservateur de se défaire de sa crainte des masses et de les pousser au contraire à s’engager dans des actions radicales. Il y appelait d’une façon très léniniste à la formation d’un petit groupe très organisé de cadres entièrement dédiés à la cause et à la préparation méticuleuse de la victoire et insistait aussi, en s’inspirant des nazis, sur le rôle décisif de la jeunesse dans l’essor d’un mouvement radical (Rothbard 1977). C’est là une leçon dont le gigantesque réseau mondial de l’Atlas Network5 — fondé par le même Anthony Fisher en 1981 toujours sur les conseils de Hayek, qui compte 485 laboratoires d’idées partenaires dans le monde et dont les milliardaires libertariens Charles et David Koch, qui ont aussi financé le mouvement du Tea Party (Fang 2012), sont d’importants contributeurs — se souviendra en multipliant en une dizaine d’années les organisations libertariennes de jeunesse comme le mouvement Estudiantes por la Libertad (Étudiants pour la Liberté) et mouvement Brasil Livre (Brésil Libre) qui prirent un rôle très actif dans les manifestations pour l’impeachment de Dilma Roussef en 2016, comme l’a révélé l’enquête du journaliste Lee Fang (Fang 2017; Baggio 2017).
Au début des années 1990, Rothbard résume en huit points son « programme du populisme de droite » :
- « supprimer les impôts »;
- « supprimer l’État-providence »;
- « abolir les privilèges des groupes minoritaires ou raciaux »;
- « reprendre les rues et écraser les criminels »;
- « reprendre les rues et se débarrasser des clochards »;
- « Abolir la Fed : attaquer les banksters »;
- « America First »;
- « défendre les valeurs de la famille ».
Cette stratégie et ce programme sont élaborés pour la candidature aux primaires républicaines de 1992 de Patrick Buchanan qui finit avec un score inattendu de 23 % derrière le président sortant George W. Bush, et provoque la candidature indépendante de Ross Perot, un milliardaire au style également populiste qui remporta finalement 19 % des voix et fait perdre Bush face à Clinton. Rothbard écrit alors que « la haine de l’État est de retour, plus puissante que jamais », et que « 1992 est l’année, peut-être le début d’une décennie voire d’un siècle à venir de Populisme ». Le populisme est « la haine de l’establishment », fût-il de droite, de gauche ou hybride, il est « l’action des masses par le bas […] qui se soulèvent, attaquent et par chance écrasent les élites malignes du centre, de la droite et de la gauche qui nous rabaissent ». Il voit du populisme chez Perot à la fois dans son contenu et dans le fait qu’il se soit lancé dans une candidature indépendante des partis (Rothbard 1992d). En 1996, Perot se représente de nouveau à la présidentielle pour le compte du « Reform Party » qu’il a mis sur pied l’année précédente et obtient 8 % des voix, puis en 2000, Patrick Buchanan devient le candidat du Reform Party alors que Trump s’était lui aussi lancé dans la course avant de renoncer, non sans traiter Buchanan de « néo-nazi » pour des propos qu’il avait tenu sur les noirs et les gays. Mais à plusieurs reprises depuis 2016, Trump a fait l’éloge de différentes interventions de Buchanan, en particulier en janvier 2019 d’un éditorial affirmant que « les migrations massives en provenance du Sud Global, et non le changement climatique, étaient la véritable crise existentielle de l’Occident » et que « le Parti démocrate était hostile aux hommes blancs6 » . Buchanan qui fut un ancien conseiller politique de Nixon et Reagan et reste un commentateur politique à succès dans la presse écrite, la radio et la télévision, est devenu depuis les années 1990 et plus encore après la publication de The Death of the West, le chantre de la défense de la civilisation occidentale chrétienne et blanche menacée par l’immigration des non-blancs (Buchanan 2001). Des commentateurs ont remarqué les similitudes des thématiques entre la campagne de Buchanan en 2000 et celle de Trump en 2016 : « Accroître la production intérieure de pétrole, mettre fin au Nafta, donner la priorité aux “métallurgistes de Pennsylvanie, de l’Ohio et de Virginie occidentale”, plutôt qu’aux alliés internationaux7 », mais aussi avec la candidature de Buchanan aux primaires républicaines de 1992 où il tint son discours sur la « guerre religieuse » et la « guerre culturelle » pour « l’âme de l’Amérique » en appelant à un « nouveau nationalisme ». Buchanan lui-même a reconnu en 2016 que Trump « posait les problèmes que j’avais posés au début des années 1990 »8 et qu’« il menait une campagne conservatrice, nationaliste, populiste et pour l’Amérique d’abord (America First) 9.
De plus, lorsque Bannon a cité le brûlot de Jean Raspail de 1973 en parlant de l’immigration comme d’un « problème du Camp des Saints »10, c’était aussi une référence récurrente de Buchanan (Buchanan 2006, 190 et sq.), et quoique la référence ait beaucoup essaimé dans la droite radicale américaine — on la trouve aussi chez Rothbard dès 1994 (Rothbard 1994a). Mais Buchanan est surtout celui qui en 1998 dans The Great Betrayal. How American Sovereignty and Social Justice are Being Sacrified to the Gods of Global Economy, s’est fait le défenseur du protectionnisme industriel et a réinvesti le terme de « nationalisme économique » dont se réclament Trump et Bannon. Enfin, c’est aussi dans ce livre que Buchanan a défini l’antagonisme politique autour de l’opposition entre les « nationalistes » et les « globalistes » : « les nationalistes sont dans un conflit rancunier avec les globalistes, affirme-t-il, […], c’est le nouveau conflit de l’époque qui succède à la Guerre froide » (Buchanan 1998, 265).
C’est sur cette question du protectionnisme industriel et du « nationalisme économique » que les « paléo-libertariens » autour de Rothbard et Rockwell et les « paléo-conservateurs » emmenés par Buchanan ont fini par se diviser. Alors qu’au début de l’année 1995 se profilaient les présidentielles de 1996, Murray Rothbard définissait précisément ce que devait être le prochain programme « paléo-populiste » de « Pat » Buchanan :
On sait ce que Pat devrait faire : il est dans une position unique pour prendre les rênes d’une révolution populiste par la base, jusqu’ici inachevée et sans leader, contre les élites dirigeantes égalitaristes, collectivistes et internationalistes. C’est une révolution des hommes blancs d’ascendance européenne (white Euro-males), et Pat doit se concentrer sur leurs doléances et leurs préoccupations : leurs objectifs doit être son objectif à lui. Quelles sont leurs préoccupations ? En résumé : des impôts élevés, trop de régulation gouvernementale (y compris la victimologie, les politiques de discrimination positive, l’environnementalisme antihumain) ; le système de protection sociale et l’État-providence ; la violence criminelle, y compris la criminalité urbaine ; le contrôle des armes ; l’aide au développement ; l’intervention militaire extérieure ; le gouvernement mondial et le commerce mondial encadré ; l’immigration par des hordes d’étrangers non assimilés à la culture américaine ; l’attaque du sécularisme contre la religion chrétienne. (Rothbard 1995)
Difficile de mieux définir le programme du populisme de droite qui a surgi sur le devant de la scène politique mondiale depuis l’élection de Trump en 2016.
L’anti-globalisme libre-échangiste de Rothbard et Rockwell
Rothbard a cependant conscience que les choses sont en train d’échapper un peu aux libertariens sur la question du libre-échange :
À l’heure actuelle, il y a des rumeurs troublantes selon lesquelles Pat aurait l’intention de se concentrer presque exclusivement sur des arguments protectionnistes contre les importations étrangères. Il est correct de dénoncer le Nafta, le Gatt et tous les autres arrangements internationalistes pour un commerce bureaucratique encadré (managed bureaucratic trade) au nom du « libre-échange ». Mais le mouvement populiste de base est bien plus que cela. Il vise à rétablir le crucial Dixième Amendement et à faire reculer le contrôle des armes à feu. Pourquoi Pat n’a-t-il pas mentionné la question des armes à feu ? (Rothbard 1995)
Rothbard et Rockwell défendent sur le libre-échange une position opposée à ce qui allait devenir la position « nationaliste économique » de Buchanan. Cependant, avant même Buchanan, Rothbard définissait déjà l’agenda politique suivant l’opposition du « nationalisme » et du « globalisme ». Dès le début des années 1990, il ne situait pas la critique paléo des néoconservateurs sur le plan national, mais à l’échelle mondiale. Le populisme de droite était, dans l’héritage de la Old Right anti-guerre, d’abord une réaction au « Nouvel ordre mondial » imposé par Bush et les néoconservateurs :
En tant que sociaux-démocrates de droite d’hier et d’aujourd’hui, les néoconservateurs sont en faveur d’un État-providence « efficace ». Ils soutiennent l’extension de l’État social et de l’étatisme à l’intérieur, mais tout en concédant des incitations « du côté de l’offre » aux riches par des réductions des taux d’imposition les plus élevés et de l’impôt sur les profits du capital. Ce sont aussi des inflationnistes keynésiens à la recherche d’un gouvernement économique mondial. Ils privilégient les lois des « droits » civiques, mais s’opposent à certaines formes extrêmes de discrimination positive et de féminisme. Mais ce qui anime avant tout les néo-conservateurs, c’est d’abord et avant tout la politique étrangère : […]. Par conséquent, ils soutiennent l’aide étrangère massive, en particulier à l’État d’Israël, et l’Amérique comme force dominante du Nouvel ordre mondial combattra « l’agression » partout et imposera la « démocratie » dans le monde […]. (Rothbard 2000, 143)
Avec l’impérialisme américain qui recherche l’exportation de la « démocratie globale » à travers le monde, c’est un « welfare-warfare state » d’amplitude mondiale qui est en train de se constituer : l’interventionnisme extérieur sous l’égide de l’ONU est le germe d’un « super-gouvernement internationaliste » (Rothbard 1993) qui lui-même sous-tend un « gouvernement économique mondial » de type keynésien. La situation selon Rothbard n’est pas nouvelle : l’alliance des socialistes et des communistes après la Deuxième Guerre mondiale avait déjà préparé le Nouvel ordre mondial emmené par l’ONU, et seule la division des superpuissances mondiales avec la Guerre froide avait mis fin au projet. Mais avec la Chute de l’Union soviétique, l’ONU et le Nouvel ordre mondial sont de retour, et comme l’avait fait la Old Right à l’époque, il faut combattre le « globalisme de Wilson et Roosevelt » (Wilson-Roosevelt globalism) (Rothbard 1992a). Le terme de « globalisme » est d’abord issu du vocabulaire de la Old Right américaine pour qui il désignait le système formé par le complexe militaro-industriel, le Big governement et l’État-providence mis en place par Wilson lors de la Première Guerre mondiale, renforcé par Roosevelt avec la Seconde, et poursuivi par les présidents suivants avec la Guerre froide et les croisades contre le communisme. La Old Right s’y opposait radicalement par une politique de l’America First, nationaliste, isolationniste et prônant un gouvernement minimal, favorable à la libre entreprise et anti-welfare. On trouve notamment le terme sous la plume de l’historien révisionniste de la Seconde Guerre mondiale, et lui-même un défenseur de la Old Right, Harry Elmer Barnes, dont Rothbard – qui lui-même a appartenu à la Old Right jusqu’à ce qu’elle ne périclite au milieu des années 1950 – a été proche. On trouve également le terme de ‘globaloney’ – mot valise et néologisme récent à l’époque formé par la contraction de « global » et de « baloney » (bobard) – dont Barnes généralise l’usage en 1954 dans la brochure The Chickens of the interventionists liberals have come home to roost. The bitter fruits of globaloney. (Barnes 1954) En 1975, Ronald Radosh — que Rothbard avait rencontré pendant les années Vietnam lorsqu’il frayait avec la New Left — et avec qui il avait co-édité trois ans plus tôt un livre sur la montée aux États-Unis d’un « État corporatiste » (corporate state) promu par les politiques sociales-démocrates (Radosh et Rothbard 1972) — publiait Prophets on the Right. Profile of Conservative Critics of American Globalism (Radosh 1975), un an après la parution d’un article de James Patterson sur Robert Taft intitulé « Alternatives to Globalism: Robert A. Taft and American Foreign Policy, 1939–1945 » (Patterson 1974). Ces publications s’intéressaient à l’histoire de la critique de l’interventionnisme militaire dans le contexte contemporain de la Guerre du Vietnam. Radosh dépeignait dans son livre les convergences entre cinq figures — Charles Beard, Oswald Garrison Villard, Robert Taft, John Flynn et Lawrence Dennis — de « libéraux classiques » (Radosh 1975, 331) attachés aux valeurs du nationalisme américain, du gouvernement minimal, de la liberté individuelle et critiques radicaux de la politique interventionniste et impérialiste américaine à l’époque de l’engagement des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale sous Roosevelt puis des années de Guerre froide sous Truman. Toute cette littérature de la Old Right dénonce aussi la trahison du vrai libéralisme traditionnel qui implique de rester à distance critique du gouvernement par des libéraux avides de pouvoir qui ont utilisé le développement de l’interventionnisme militaire et du Big governement pour truster des postes dans l’administration, et que Barnes qualifie de « libéraux totalitaires ». Rothbard, quand il invoque la critique du « globalisme » s’inscrit dans cette tradition anti-interventionniste, mais il va intégrer un nouvel élément à l’héritage libéral de l’anti-globalisme de Barnes, celui de la critique du « gouvernement économique mondial », c’est-à-dire de la globalisation économique. À partir de 1993, les membres du Rothbard-Rockwell-Report ont mené une campagne virulente contre le Nafta — puis contre le Gatt et la naissance de l’OMC — d’un point de vue libertarien libre-échangiste, le dénonçant comme du « commerce bureaucratique réglementé » (managed bureaucratic trade) (Rothbard 2000, 181), une « moquerie étatiste de libre-échange » (statist mockery of free trade) (Rothbard 2006, 376) ou encore du « commerce gouvernemental et régulateur » (governement regulated trade) conçu par « un sinistre Establishment centriste dont la dévouement à la liberté et au libre-échange s’apparente à celui de Leonid Brejnev » (Rothbard 1993). Pour Rothbard, tout cela ne relève pas du libre-échange, mais du « mercantilisme » ; le libre-échange véritable n’a pas besoin de négociations et d’institutions politiques, mais doit être le pur produit de la concurrence non-faussée entre entreprises sur le marché mondial. Pire encore, les accords de libre-échange produisent une harmonisation des législations vers le haut et les entreprises américaines vont être obligées de de soumettre aux normes environnementales et au droit du travail contraignant des législations canadiennes et mexicaines contrôlées par des syndicalistes et de socialistes. Tout ce « commerce encadré » ne signifie que la ponction que les élites politiques mondiales opèrent sur le marché libre pour se maintenir au pouvoir au détriment de la masse des gens. Rothbard condamne la perte de souveraineté que représente le Nafta qui impose la mise sur pied d’« institutions d’un super-gouvernement internationaliste qui arrache la prise de décision des mains des Américains pour les remettre entre les mains de super-gouvernements qui dirigeront les Américains sans être responsables devant le peuple américain » (Rothbard 1993). Et de faire le parallèle avec l’Europe où les « Eurocrates socialisants » ont essayé de faire capituler les Européens devant « le super-étatisme de la Communauté européenne » (Rothbard 2006, 373). Le Nafta a finalement moins de rapport avec le commerce qu’avec la « politique globaliste (globalist policy) qui a été poursuivie aux États-Unis depuis Woodrow Wilson » et avec « le rêve de l’Establishment-kéynéisien d’un Nouvel ordre mondial » (Rothbard 1994b). Face à cela la « nouvelle coalition populiste » doit définir « un nouveau nationalisme américain » qui doit abroger le Nafta, se retirer de toutes les agences super-gouvernementales (ONU, OIT, UNESCO, etc.), stopper l’aide au développement, durcir les conditions d’immigration (expulser les illégaux, abroger le regroupement familial, demander des preuves pour le statut de réfugié), Rohtbard misant finalement sur le fait que les libre-échangistes et les protectionnistes pourraient s’entendre comme au bon vieux temps de la Old Right des années 1930 à 1950.
Quoi qu’il en soit, la critique du « globalisme » chez Rothbard ne désigne en aucun cas une mondialisation du libre-échange qui viendrait saper les modèles sociaux des États-nations. Comme dans le cas de Thatcher, c’est exactement l’inverse : le globalisme, dans une actualisation de la critique libérale venue de la Old Right, est l’appareil parasitaire du gouvernement des classes dirigeantes mondiales qui empêche les nations de développer le libre-échange véritable. Là encore, la critique populiste n’est pas dirigée vers l’économie, le « globalisme » se rapporte aux tendances centralistes et socialisantes des organisations transnationales. Rothbard et Rockwell, en tant que libre-échangistes radicaux, adoptent une position nationaliste, mondialiste et anti-globaliste, en un mot national-néolibérale.
Patrick Buchanan, Röpke et le « nationalisme économique »
C’est finalement Buchanan qui avec The Great Betrayal a fait coïncidé la critique du « globalisme » avec une critique de la globalisation économique comme agent de déréliction économique et sociale des nations. Le « nationalisme économique » de Buchanan l’éloigne-t-il alors d’une position nationale-néolibérale ? Il y a matière à plusieurs remarques à cet égard. 1) D’abord, Buchanan reste encore aujourd’hui un adversaire résolu de l’État-providence, The Great Betrayal étant avant tout une défense historique de l’économie américaine pre-New Deal où l’existence de barrières tarifaires aux importations ont coïncidé avec une période de croissance et de prospérité. Cependant, comme l’a fait remarquer Paul Krugman, elle a aussi été marquée par de fortes inégalités (Krugman, s. d.). Trump, en 2017 et 2018, a dans le même temps mis en place certaines barrières tarifaires et baissé drastiquement l’impôt sur les sociétés, pour attirer l’investissement en forçant les entreprises à produire avec des composants locaux : la préservation de certains emplois industriels aux États-Unis par la mise en place de tarifs ne s’accompagne pas nécessairement de « justice sociale » pour reprendre le terme de Buchanan. S’agissant encore de Trump, il faut aussi considérer la possibilité d’utiliser les tarifs comme un mouvement tactique pour ouvrir de nouveaux marchés, notamment dans la guerre commerciale avec la Chine11. Comme l’actuel président américain le raconte dans The Art of the Deal, il faut utiliser sa « force de levier » (leverage) en faisant prendre conscience à l’autre par la menace de ce qu’il peut perdre, pour l’amener à des concessions plus importantes qu’il n’aurait envisagées, dans le sens du libre-échange dans le cas de la Chine. 2) Ensuite, comme Rothbard le faisait remarquer en 1992, « le ‘protectionnisme’ de Buchanan s’apparente davantage à un authentique libre-échange (freedom of trade) » qu’aux positions de Bush, des néoconservateurs et de l’establishment parce que tous ceux-là soutiennent une aide extérieure massive et des accords monétaires et bancaires qui mènent à une inflation keynésienne globale et à un super-gouvernement, qui « sont les dangers réels et vivants au libre-échange, bien davantage que les barrières tarifaires que Pat pourrait adopter » (Trump 2016). 3) Enfin, le plus frappant est qu’interrogé lors de sa campagne de 1996 sur l’économiste qui l’inspirait, Patrick Buchanan avait répondu qu’il s’agissait de Wilhelm Röpke (Curry 1996). Dans The Great Betrayal, il se réclamait de l’« économie humaine » de Röpke et cite ce passage de l’économiste allemand :
L’économie de marché n’est pas tout. Elle doit trouver sa place dans un ordre supérieur de choses qui n’est pas régi par l’offre et la demande, les prix libres et la concurrence. Elle doit être fermement ancrée dans un ordre de société global dans lequel les imperfections et la dureté de la liberté économique sont régies par la loi et dans lequel l’homme ne se voit pas refuser des conditions de vie qui soient propres à sa nature. (Röpke 1960, 288)
La référence à Röpke paraît d’abord étonnante, et même absolument contradictoire. Dans son livre de 1942 International Economic Disintegration – Röpke se présente comme un héritier de l’internationalisme économique et du cosmopolitisme culturel d’avant 1914 dont toute l’impulsion intellectuelle consiste à combattre le fléau du « nationalisme économique » qui est la cause de la « désintégration de l’ordre international ». En matière de politique économique, écrit-il, il est urgent d’agir « contre toute entreprise de nationalisme économique (against every firm of economic nationalism), contre les erreurs de la protection tarifaire (against the errors of tariff protection) et finalement contre cette folie absolue de l’auto-suffisance » (Röpke 1942). Dès le colloque Walter Lippman de 1938, Röpke avait vu dans le « nationalisme économique » un produit de la démocratie qui, en permettant aux peuples d’affirmer leurs intérêts particuliers égoïstes, a œuvré à la dissolution de l’ordre économique international :
Il ne suffit pas de dire que le nationalisme économique est le résultat d’un manque d’intelligence des dirigeants ; ce sont les intérêts économiques et les groupes professionnels qui s’engagent dans la politique nationaliste, ce sont les intérêts particuliers qui dissolvent l’État. C’est cette désintégration de l’État lui-même par les parties, par les intérêts qui est préoccupante. (Reinhoudt et Audier 2017, 146)
Les principes du « libéralisme économique » ont été abandonnés au profit de l’« étatisme économique et du collectivisme » qui, alliés au « nationalisme économique », « ont privé les différents pays de leur capacité d’adaptation qui est une condition préalable à une véritable communauté économique des nations » (Röpke 1942, 14). Pendant les deux siècles précédant la Première Guerre mondiale, souligne Röpke, « l’intégration économique internationale » et « l’intégration socio-politique internationale » s’étaient développées de concert parce que c’étaient de véritables « institutions morales » qui ne se résumaient pas à des « arrangements techniques ». Mais l’émergence du nationalisme avait dissout cet ordre économico-politique :
Le nationalisme, dans le sens d’une insistance intolérante et émotionnelle sur la prééminence de la droiture et de la valeur de sa propre nation, est progressivement devenue la passion et le sentiment dominant, parfois jusqu’à prendre la place des croyances religieuses en voie d’épuisement. L’« intérêt de la nation », quel que soit son contenu et sa conception, tend à devenir la mesure ultime de ce qui est bien ou mal, et cela signifie la fin du droit international et le début de l’anarchie internationale. L’ancien système international, qui reposait sur l’équilibre des pouvoirs, s’effondre, et le monde est de nouveau entré dans une période de lutte désespérée pour la suprématie et la domination. (Röpke 1942, 77)
En 1950, dans un article intitulé « Die Nationalisierung des Menschen » (la « nationalisation des êtres humains »), Röpke comptait sur les élites internationales pour renouer avec l’esprit cosmopolite et dénonçait le développement du sentiment nationaliste parmi les masses qui avait produit le désastre (Röpke 1950, 67‑70). Sur le plan économique, comme sur le plan culturel, les positions de Röpke sont diamétralement opposées à celles de Patrick Buchanan. Röpke, comme l’a montré Quinn Slobodian, a été à Genève à la fin des années 1930 au cœur du mouvement intellectuel qui a contribué à élaborer les fondements de la globalisation économique que Buchanan dénonce dans le Gatt et l’OMC, de cet « ordo-globalisme » au sens de l’englobement des économies nationales dans un système-monde unique destiné à mettre le marché hors de portée de l’intervention des États-nations et des politiques nationalistes (Slobodian 2018, 113‑17).
Pour autant, la référence de Buchanan à Röpke n’a rien d’un choix malheureux fait de méconnaissance. Röpke était connu dans les milieux conservateurs du Parti républicain du début des années 1960, en particulier après sa campagne contre le programme de « Nouvelle Frontière » de John F. Kennedy, assimilé à un projet de New Deal global. En rupture avec la Société du Mont Pèlerin de Hayek, il tentait alors de développer une « troisième voie » qui réconciliait le libéralisme économique et le traditionalisme chrétien, entre le socialisme et un libéralisme uniquement ordonné autour des lois économiques de la concurrence. La « troisième voie » n’avait rien à avoir avec une forme modérée de régulation économique : Röpke se présentait comme un « libéral » favorable à « la coopération libre et spontanée des individus à travers le marché, les prix et la concurrence » (Röpke 1960, 3). Elle faisait référence à des conditions non-économiques du marché, à une « infrastructure morale » (Slobodian 2018, 149), en fait un ordre social construit autour des valeurs et de la spiritualité chrétiennes, comme condition nécessaire à la stabilité et à l’épanouissement du marché libre, doublé d’un leadership politique par une oligarchie « naturelle » (« nobilitas naturalis ») capable d’opposer à la « révolte des masses » la « révolte de l’élite » (Röpke 1960, 130). Elle impliquait également une lecture hiérarchique des cultures et des nations suivant leur propension à s’inscrire dans ce « cadre spirituel et moral » (spiritual and moral setting). Comme Quinn Slobodian et Jean Solchany l’ont mis en évidence tandis que de nombreux commentaires de Röpke le passaient sous silence, dans son « Essai d’expertise positive » sur le régime d’apartheid sud-africain de 1964, Röpke affirmait que « le Nègre sud-africain n’est pas seulement un individu d’une race profondément différente, mais qu’il représente un type et un niveau complètement différent de civilisation », et, dans un autre texte, que les Noirs sud-africains se situaient « à un niveau de développement qui excluaient la véritable intégration spirituelle et politique avec les Blancs hautement civilisés » (Slobodian 2018, 152; Solchany 2015). Ces textes rencontrèrent un écho favorable dans les milieux de la New Right américaine préoccupés par le problème du « mélange des races » (racial mixing), chez William Buckley qui se déclara un « disciple de Röpke » et écrivit lui-même un texte se référant à celui de Röpke pour défendre le régime ségrégationniste sud-africain, et chez Russel Kirk affirmant que Röpke « humanisait la pensée économique » (Slobodian 2018, 154). Ainsi que l’explique Slobodian, l’ordre économique international intégré d’avant 1914 n’avait été possible pour Röpke que dans les conditions de l’homogénéité d’un ordre moral chrétien en Occident d’une part et par la colonisation du monde non-occidental d’autre part. Il n’envisageait donc pas la possibilité d’un ordre économique international dans lequel les nations postcoloniales seraient mises dans des conditions équivalentes aux nations occidentales pour leur développement économique par le jeu de la concurrence mondiale. Ce ne serait rien moins qu’un « suicide de l’Occident » (Slobodian 2018, 171). L’existence d’une différenciation hiérarchique entre les cadres nationaux comme condition d’un ordre économique international intégré en Occident définissait ainsi la position nationale-néolibérale propre à Röpke et son « économie humaine ».
Patrick Buchanan, pressenti au milieu des années 1970 pour le poste d’ambassadeur en Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid, a récemment écrit, au sujet de son grand intérêt pour cette opportunité finalement avortée :
Je sentais que l’Afrique du Sud et la Rhodésie faisaient partie de l’Occident, et, alors qu’elles étaient ostracisées parce que des minorités blanches dirigeaient ces pays, c’étaient les nations qui réussissaient le mieux sur le continent et des alliées naturelles dans la Guerre froide. (Buchanan 2017, 389)
Dans the Great Betrayal, Buchanan dit vouloir créer une « économie humaine », mais il soutient la Proposition 187 de l’État de Californie projetant de supprimer les aides sociales aux migrants illégaux et veut stopper par des moyens militaires « l’invasion » mexicaine au sud des États-Unis (Buchanan 1998, 274). Les mesures protectionnistes sont avant tout des moyens de protéger l’identité et le « caractère » traditionnel des nations : « Toutes les nations peuvent bénéficier d’une insistance plus grande sur ce qui est le meilleur pour elle, plutôt que de sacrifier leur caractère unique aux dieux du globalisme » (Buchanan 1998, 286). La défense de l’Occident en péril, la lecture pro-apartheid de l’histoire sud-africaine, l’ordre culturel et moral au sein duquel une économie de marché doit se développer, tout cela rend la référence à Röpke plus évidente, et avec elle l’orientation nationale-néolibérale du « nationalisme économique » de Buchanan.
Conclusion
Dans un article un peu oublié de 2011 et intitulé « The rise of neoliberal nationalism », Adam Harmes avait perçu assez tôt la logique des réarrangements stratégiques des principales forces politiques dans le cadre nouveau de la globalisation économique. Alors que les forces sociales du néolibéralisme incluant des entreprises multinationales, des lobbies et des think tank pro-business avaient soutenu les accords de libre-échange comme le Nafta, l’OMC, ou l’Acte unique européen pour empêcher les gouvernements nationaux d’user de leur autorité afin de mettre en place des barrières à la libre circulation des biens et des services, les forces sociaux-démocrates avaient d’abord répondu en défendant un « nationalisme économique » qui, en ramenant l’économie au niveau national du contrôle démocratique, avait cherché à limiter voire à mettre fin au libre-échange et à la mobilité du capital. Mais devant la difficulté à mettre en place cette stratégie et suivant une croyance à l’efficacité du libre-échange et de la mobilité du capital, les sociaux-démocrates s’étaient repliés sur la stratégie inverse qui consistait au contraire à faire passer le contrôle démocratique au niveau global par la multiplication d’accords internationaux multilatéraux (l’initiative de l’OCDE sur la concurrence fiscale dommageable, le Protocole de Kyoto) ou d’accord parallèles (la Charte sociale de l’Union européenne ou les clauses sur le travail et l’environnement du Nafta) pour se situer au même niveau et contrecarrer la politique économique de concurrence. Dès le tournant des années 1990, des forces comme le Trade Union Congress (TUC) britannique et le Parti travailliste prônaient une Charte Sociale et demandaient le soutien de l’Union Européenne, puis au tournant des années 2000 des forces altermondialistes liées aux Forums sociaux mondiaux en appelaient à de nouvelles institutions de gouvernance globale dirigées par des Nations Unies réformées. En réponse, une partie des néolibéraux s’étaient tournés vers des positions nationalistes et anti-globalistes parce que le multilatéralisme social-démocrate mettait la politique de concurrence en danger. Harmes faisait cependant une distinction plus discutable entre un conservatisme populiste (dans lequel il rangeait Patrick Buchanan) nationaliste et opposé à la liberté du commerce et la mobilité du capital, et un nationalisme néolibéral qui voyait dans la récupération de la souveraineté de la nation le moyen d’étendre l’une et l’autre (Harmes 2012).
La critique populiste de la globalisation économique, que ce soit dans le sillage de Thatcher, de Rothbard ou de Buchanan, a en réalité une impulsion néolibérale. Dénonçant les tendances socialistes et bureaucratiques des institutions transnationales – « l’Union Européenne impériale, totalitaire » disait encore Marine Le Pen en mai 2019 –, elle fait de la récupération de la souveraineté nationale le moyen non pas de réguler le libre-échange mais de combattre une élite globale qui s’en approprie les bénéfices au détriment des peuples, tout en stimulant des politiques d’invention d’un ordre moral et identitaire occidental entretenant un rapport privilégié voire exclusif avec le marché libre, et agissant comme une force de contention des nations non-blanches, comme l’atteste la référence récurrente aux deux classiques de James Burnham, The Managerial Revolution et The Suicide of the West dans les milieux de la droite radicale (Burhnam 1941; Burnham 1964; Francis 1999; Gottfried 2001). Hayek derrière Thatcher, Mises derrière Rothbard, Röpke derrière Buchanan, les origines du populisme et de l’anti-globalisme sont néolibérales, et le national-néolibéralisme affronte le globalisme néolibéral, poursuivant encore plus avant l’œuvre néolibérale de démantèlement général de la société.
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Trump, Donald. 2016. The Art of the Deal. Random House.
Viguerie, Richard A. 1984. The establishment vs. the people. Is a new populist revolt on the way ? Regnery Gateway.
Au sens où les députés européens sont libres de voter ce qu’ils veulent.↩
Farage a demandé à Salvini et Le Pen la présidence du groupe comme condition à sa venue, ce qu’ils lui ont refusé.↩
Je souligne.↩
Euronews, 22 janvier 2019.↩
Dont le nom est un hommage au roman Atlas Shrugged d’Ayn Rand.↩
Patrick Buchanan cité dans Philip Bump, Washington Post, 14 janvier 2019, https://www.washingtonpost.com/politics/2019/01/14/multilevel-irony-trump-embracing-pat-buchanan-this-moment/?utm_term=.d247ed52ab9b↩
Philip Bump, art. cit.↩
Andrew Kaczinsky, 3 mai 2016, https://www.buzzfeednews.com/article/andrewkaczynski/trump-on-pat-buchanan-in-1999-hes-beyond-far-right-and-only ↩
Jeff Greenfield, Politico Magazine, Septembre/Octobre 2016, https://www.politico.com/magazine/story/2016/09/donald-trump-pat-buchanan-republican-america-first-nativist-214221↩
Paul Blumenthal et JM Rieger, Huffington Post, 3 avril 2017, https://www.huffpost.com/entry/steve-bannon-camp-of-the-saints-immigration_n_58b75206e4b0284854b3dc03↩
« Guerre commerciale : Pékin fait encore un geste pour ouvrir son secteur financier », AFP, https://www.journaldemontreal.com/2019/07/20/guerre-commerciale-pekin-fait-un-geste-pour-ouvrir-encore-son-secteur-financier↩