Introduction
Dans L’histoire de la littérature québécoise parue en 2007, les auteurs s’interrogent sur la postérité des avant-gardes, notant qu’« après 1980, les avant-gardes poétiques s’essoufflent au Québec comme ailleurs », et que « la critique a l’habitude d’interpréter cette fin des avant-gardes comme la conclusion de la tradition de la rupture traversant toute la modernité » (Biron, Dumont, et Nardout-Lafarge 2014, 618). Le constat aurait tout aussi bien pu s’appliquer aux œuvres de la contre-culture, inscrites selon les auteurs de L’histoire de la littérature québécoise dans le sillage ou dans les entours des avant-gardes. Peu glosées, voire quasi boudées au cours de la décennie 1990 et au début des années 2000, les écritures de la contre-culture font désormais retour dans la critique universitaire et dans le paysage poétique contemporain. En témoignent notamment le dossier de la revue Liberté « La contre-culture dans le Québec Inc. ? » paru en 2013, le collectif La contre-culture au Québec lancé au printemps 2016 ainsi que les nombreuses manifestations poétiques et théâtrales se revendiquant d’une filiation directe avec la contre-culture1.
Si le constat formulé par les auteurs de L’histoire de la littérature québécoise montre bien que les interprétations générales de l’histoire littéraire sont le plus souvent vouées à l’obsolescence, portées par les obsessions du présent, soumises éventuellement à la relecture et à la correction, il n’en demeure pas moins qu’il exhume également l’un des problèmes liés à cette fameuse postérité des mouvements contre-culturels. Que peut-on hériter de ce qui ne peut être considéré comme un « mouvement unitaire » et ne s’accompagne pas « d’un discours spécifique et spécialisé », regroupant de manière plutôt artificielle – on n’insistera pas assez sur la pluralité des approches et des poétiques des auteurs de la contre-culture – des écrivains et des écrivaines qui « sont habités par le doute » et « font preuve de méfiance envers l’avenir » (Valérie 2016, 12) ? Comment l’institution littéraire peut-elle s’approprier des œuvres qui prétendent se placer en marge de toute institution culturelle ? Quels legs en somme, qui ne procèdent pas d’une simple reconduction des multiples refus contre-culturels ou d’une reproduction des esthétiques associées au mouvement, les contemporains peuvent-ils recevoir et actualiser ?
Le choix d’une figure comme celle de Josée Yvon nous semble complexifier encore davantage le rapport à l’héritage de la contre-culture. Comme le note Valérie Mailhot dans son article « La “dislocation révolutionnaire” des corps chez Josée Yvon », l’autrice et son œuvre poétique sont :
[E]n décalage par rapport aux groupes et aux mouvements idéologiques de son époque. En décalage, parce que [Yvon] publie son premier recueil, Filles-commandos bandées, en 1976, c’est-à-dire au moment où la contre-culture québécoise est en passe de s’institutionnaliser, mais également parce qu’au sein même de la mouvance contre-culturelle Yvon demeure une figure à part, tant ses textes dérangent par leur radicalité et leur violence (2016, 228).
Autrice décalée, rangée par Isabelle Boisclair et Catherine Dussault-Frenette dans la catégorie des « vilaines filles » qui « se montrent rebelles […], parlent fort, vocifèrent, crient leur rage, […] boivent, n’ont peur de rien et risquent tout. […] Vilaines filles [qui] parlent de sexe, et crûment » (Boisclair et Dussault Frenette 2014, 49), Josée Yvon semble de prime abord irrécupérable, infréquentable, irrecevable. Or c’est justement ce caractère rétif de l’autrice et de sa poésie qui est au cœur des relectures proposées par les critiques et les écrivains contemporains. Hériter de Josée Yvon, c’est aussi – et surtout – hériter de sa légende, de sa réputation sulfureuse de vilaine fille. Qu’en est-il de cette légende ? Quels sont les thèmes qui reviennent avec insistance sous la plume des héritiers et des héritières ? On évoquera volontiers le silence critique autour de son œuvre, l’occultation de ses textes et de sa figure par celle de son conjoint Denis Vanier (Harel et Lamy 2006, pp. 8-18), les scandales qui ont défrayé la chronique, l’abus de drogues, la prostitution, le sida, les textes marqués par la violence, tant dans l’expression poétique que dans le choix de thèmes récurrents qui recoupent certains aspects de sa biographie. Ces aspects de la légende, s’ils sont souvent récusés, mis à distance par les critiques et les écrivains, sont pourtant au fondement de plusieurs des relectures et des mises en scène de Josée Yvon dans les textes contemporains. Afin de donner un aperçu de ces relectures, nous nous attacherons aux apparitions de l’autrice et de son œuvre dans un corpus de textes divers, comptes rendus, essais, textes critiques, témoignages et fictions parus depuis 2000. Notre propos s’articulera plus particulièrement autour des apories liées au legs yvonnien, voire aux contradictions et aux paradoxes qui accompagnent l’appropriation d’une œuvre considérée comme imprenable.
Relire
Jet d’encre, revue de création littéraire de l’Université de Sherbrooke, et Liberté ont consacré respectivement des dossiers à Josée Yvon en 2012 et en 2014. Le dossier de Jet d’encre rassemble des essais, des témoignages et des textes de création inspirés de près ou de loin des textes et de la figure de l’autrice. Dans l’introduction du numéro, Amélie Aubé Lanctôt et Jonathan Lamy placent l’œuvre sous le double signe de la souffrance et de la violence : « L’écriture de Josée Yvon fait mal […]. À la lire, on comprend que toute libération est impossible, sinon celle des pulsions les plus brutes » ; « dans ce numéro, nous avons voulu prêter la voix à des auteurs qui osent la violence de l’écriture » (2012, 15). D’emblée, lancent le directeur et la directrice du dossier, l’œuvre d’Yvon appelle une lecture affective et identificatoire, voire cathartique : son écriture blesse, entame, provoque un « mal nécessaire », inspire transgression, combat et devoir de résistance. Ces thèmes sont également présents en filigrane dans l’article liminaire du « Rétroviseur » de la revue Liberté sur l’œuvre d’Yvon. Julien Lefort-Favreau rappelle que l’autrice aurait été sur la liste de Marc Lépine, « ce qui, précise-t-il, indique concrètement que son travail et sa persona littéraire contrariaient l’ordre patriarcal dans sa forme la plus tragiquement radicale » (2014, 75). L’œuvre d’Yvon est tour à tour associée par Lefort-Favreau à la lutte contre l’oppression, à la révolte, à la subversion, à la marginalité. Elle serait porteuse d’un féminisme kamikaze, idéologiquement inassignable, d’où l’« héritage littéraire incertain » (2014, 75) laissé par l’autrice à la postérité.
Les textes introductifs donnent ainsi à lire deux des grands topoï des relectures d’Yvon, soit la violence (nécessaire) de l’écriture et le legs problématique qu’incarne l’œuvre. Le premier topos renverrait à un imaginaire de la détonation, de la révolte et à leurs nécessaires contreparties, blessures, souffrances et mal-être. Mimant les textes yvonniens, plusieurs auteurs développent en effet des métaphores filées autour des motifs de l’explosion, de la lutte armée, des filles-missiles – l’un des syntagmes le plus souvent emprunté à l’autrice. Les poèmes publiés dans le numéro de Jet d’encre affichent nettement leurs références. Deux vers de Fernand Durepos rejouent l’association entre condition féminine et violence en y greffant un élément traditionnellement associé au genre masculin, afin de pasticher peut-être le rapport complexe aux assignations de genre de plusieurs personnages yvonniens : « Juste après tes seins missiles/ bandés comme des commandos » (2012, 32), écrit-il. Amélie Aubé-Lanctôt, quant à elle, met en scène une prostituée – figure récurrente dans la poésie d’Yvon – « rêvant d’une tendresse missile » (2012, 62) et Jonathan Charrette reconstruit des séries dans lesquelles Josée Yvon côtoie notamment Frances Bean Cobain, « Filles-missiles voraces/ filles-brutales devant les miroirs concaves/ filles-maltraitées à l’appétit d’amazones furieuses » (2012, 72). Chez Catherine Lalonde, collaboratrice au « Rétroviseur » de la revue Liberté, la détonation est plutôt étroitement associée à l’écriture : « brûlante de gauche à droite au fil des pages, une mèche d’explosif. De l’amadou allumé qui appelle d’une seconde à l’autre l’inéluctable explosion » (2017, 78). De détonation en destruction, en passant par l’inévitable utilisation du mot « missile », l’œuvre d’Yvon est ainsi ramenée à ses effets poétiques les plus apparents. En résulte une sorte de réification de sa poésie, liée à la surutilisation de mots-bibelots, d’ornements ostentatoires, issus le plus souvent des titres de ses recueils. À ces emprunts de mots, de syntagmes surchargés sémantiquement, s’ajoute, plus particulièrement dans les fictions et les recueils de poésie inspirés d’Yvon, la pratique de la citation – souvent en exergue des textes – qui permet elle aussi de s’approprier l’œuvre sans la dénaturer, sans en proposer une interprétation manifeste. À titre d’exemple, deux recueils dont les esthétiques poétiques paraissent forts différentes, Hiroshimoi de Véronique Grenier et Royaume Scotch-Tape de Chloé Savoie-Bernard, reprennent les mêmes vers d’Yvon en exergue : « mon amour je ne guérirai jamais/ si tu me fourres dans ma blessure » (Yvon 2013, 85). S’il est possible de reconnaître des parentés stylistiques entre l’écriture d’Yvon et le baroquisme douloureux de Chloé Savoie-Bernard, le fait qu’une même citation puisse aussi inaugurer le texte de Véronique Grenier, se caractérisant par un minimalisme laissant place à une langue orale simple et directe, montre bien que les lectrices d’Yvon ne font, sur le plan formel, certainement pas école. Les deux ont cependant en commun de faire appel à ces vers d’Yvon dans lesquels souffrance et violence, encore une fois, refluent et métaphorisent une révolte difficile à décrire et à analyser. L’exergue tient ici lieu d’hommage et met à distance les lectures moins affectives et engagées de l’œuvre. Par l’entremise des références à la violence – explosive, corrosive, subversive – du dire yvonnien, les lecteurs insistent également sur son caractère performatif qui, pour reprendre les mots de Aubé-Lanctôt et de Lamy, « fait mal » et produirait un effet presque direct, palpable et manifeste.
Plusieurs des textes publiés dans les deux dossiers tentent de problématiser la question du legs yvonnien. Chez la majorité des auteurs, l’héritage est conçu à partir de l’expérience de lecture individuelle, de l’effet sur les lecteurs de la poésie trash et transgressive de l’autrice. Chez France Théoret, qui publie un court texte dans le dossier de Jet d’encre, les citations des textes de l’autrice sont nombreuses, et s’accompagnent de notations brèves sur leur résistance aux étiquettes : féministes, oui, mais de la marginalité et de la négativité, les œuvres d’Yvon récusent le formalisme, mêlent les genres et les registres. Sans recourir à la métaphore de l’explosion, Théoret évoque néanmoins les ravages d’une œuvre qui renvoie la littérature « bourgeoise » – c’est son mot – à l’ennui, à la prévisibilité, qui fait en somme le vide autour d’elle : « Lire Josée Yvon rend indifférent, voire hostile, à beaucoup de livres » (Théoret 2012, 22). Marie-Hélène Cabana, dans le même dossier, entame son essai en tentant de mettre violemment (et paradoxalement) à distance Josée Yvon : « J’ai juste envie de prendre Josée Yvon par le poignet et de la rentrer dans un mur en disant : “Tu comprends-tu que ça fait mal là ?” » (2012, 74). Cette phrase d’ouverture, en plus de faire écho aux premiers mots du dossier, ramène de plein fouet à la posture de la lectrice engagée, en tension, non pas avec le texte mais avec le corps de l’autrice, autrice que l’on secoue et que l’on tutoie pour lui renvoyer, par antiphrases, la puissance ravageuse de sa parole. Cabana ajoute quelques lignes plus loin avoir « hérité d’elle un rôle qui [la] tue », expliquant avoir adopté pendant plusieurs années des comportements autodestructeurs. La biographie de l’autrice se mire dans celle de sa lectrice. Encore une fois, c’est par l’entremise de la légende, des entours de l’œuvre, que l’on s’approprie les textes d’Yvon. Si Cabana évoque à la première page de son texte « la transgression vide » de la poésie yvonnienne, elle avoue ensuite vouloir endosser la violence de la dénonciation de femmes « vengeresses » (2012, 76), « vivantes et combattantes ». « Qu’elles se lèvent et viennent couper les têtes des aspirants ou soupirants trash » (2012, 80). Chez Cabana, les femmes doivent littéralement sortir du texte. Tout se passe ici comme si le livre n’existait pas en soi, mais toujours en fonction d’un en-dehors, d’une référentialité extérieure aux poèmes.
La question de l’héritage est plutôt conçue sous la forme de filiations intellectuelles et d’affinités électives chez Mathieu Arsenault et Catherine Mavrikakis, tous deux publiés dans le « Rétroviseur » de la revue Liberté. Arsenault, qui a publié plusieurs textes portant l’empreinte de Josée Yvon2, fait de l’autrice sa contemporaine. Selon lui, Yvon appartiendrait davantage aux années 1980 qu’aux années 1970 : « beaucoup plus près de l’esthétique trash et désaxée du punk que de la célébration de la marginalité vaguement ésotérique, exploratoire et exaltée aux idéaux révolutionnaires des années soixante-dix » (2014a, 80). Arsenault désigne ainsi les héritiers d’Yvon : « cette génération de poètes trash des Éditions de l’Écrou, du Off-Festival de Trois-Rivières ou qui publient sur poemesale.com » (2014a, 77). La conclusion du texte d’Arsenault laisse entendre que l’héritière par excellence de la poésie d’Yvon serait Vickie Gendreau, point de vue qu’il soutient aussi en d’autres lieux3. Ce diagnostic, qui n’est pas sans emprunter aux bons vieux préceptes de l’histoire de la littérature sur les réseaux d’influence, les générations et les tendances littéraires, confine Josée Yvon à un petit milieu aux frontières nettement établies, ce qui sera démenti dans les productions littéraires plus récentes. Chez Arsenault néanmoins, les lieux évoqués, auxquels nous pourrions ajouter l’Académie de la vie littéraire, sont des vases communicants. Leurs auteurs passent aisément d’une scène à l’autre, alimentent souvent les mêmes spectacles, les mêmes blogues, les mêmes publications.
Le point de vue de Catherine Mavrikakis détonne dans ce concert de douloureux rapatriements. Sa prise de position sur la question du legs yvonnien est sans doute l’une des plus nuancées. Sans nier la charge provocatrice et le caractère trash de la poésie de l’autrice, Mavrikakis ne donne guère dans la simple réhabilitation, mais propose plutôt de penser – au sens fort du terme – le décalage de Josée Yvon, le fait que la « place de copiste mineure [que lui ont conférée ses contemporains, puis l’histoire littéraire] fait partie de la posture et de l’esthétique de la poète » (2014, 77). Par là, elle ne contredit pas tout à fait les jugements de l’institution littéraire québécoise, mais les endosse pour mieux les tordre et les subvertir. Yvon, dès lors, ne serait plus une victime du rejet institutionnel, de l’opprobre de l’élite cultivée, mais bien la créatrice d’une esthétique bricolée à partir de nombreuses influences, traversée par un féminisme inassignable, exprimant avant l’heure un trouble dans le genre, d’où la très problématique récupération de son legs : « Elle s’agglutinait autour de pensées, d’idées, d’auteurs, dans la prolifération sacrilège, sans aucune fidélité. Semblable à une chienne sans meute, son œuvre erre en quête de compagnons de route momentanés qu’elle laissera de toute évidence tomber » (2014, 76). En soulignant ainsi l’infidélité de l’autrice envers les idées qu’elle défend et les auteurs qu’elle adopte, Mavrikakis met au jour deux des biais potentiels des relectures d’Yvon : la récupération idéologique, voire politique, et le sentiment de pouvoir construire une communauté autour de celle qui « oppose son retrait » « à une alliance avec les autres pour un monde meilleur » (2014, 77).
Les filles en série
Or, et c’est sans doute l’ironie de son sort posthume, Josée Yvon sera précisément récupérée de cette double manière par un grand nombre d’héritiers et d’héritières, qui souhaitent faire communauté autour et à partir de sa figure. Un blogue, intitulé Filles-missiles et portant le sous-titre « Go les filles! », est conçu « pour des femmes par des femmes » et « souhaite contribuer à l’élaboration d’un espace de diffusion, de promotion et d’échange sur la production artistique des femmes à travers l’organisation de lectures publiques, de performances et la publication d’un magazine biannuel » (page « À propos » du site Filles missiles). Le mandat du collectif est de créer une communauté de femmes, de se doter de structures et de lieux institutionnels (diffusion, promotion, échange) et d’organiser des événements collectifs, actions louables et importantes, mais qui ne font bien sûr pas directement signe à la posture « en retrait » d’Yvon. De manière plus directement fidèle à l’œuvre yvonnienne, Martine Delvaux a contribué à la construction de la figure et de l’ethos auctoriaux de l’autrice dans le paysage littéraire contemporain en lui conférant une mission, celle de ramener à la mémoire les noms de filles sans noms. Les recueils d’Yvon, dès la parution de Filles-commandos bandées en 1976, sont en effet traversés par des figures de femmes marginales, déclassées, furtivement évoquées dans les textes grâce à leurs prénoms : « pour toutes les Lise opératrices au Bell, pour toutes les Diane/ assassinées chez Simpson’s Sears, les Jayne Mansfield violées/ à la sortie de l’école tellement diluées de partout/ étouffées sous la bêtise grossière des maris/ qui je l’espère s’écraseront sur un poteau » (Yvon 1982b, 108).
Elles seraient des « filles en série », formeraient « une communauté de filles-missiles dont les noms sont autant d’étincelles, lampes torches d’ouvreuses guidant le chemin dans le cinéma violent de la vie ordinaire et de la révolution » (Delvaux 2013, 128). Ces constats, tirés de l’essai Filles en série paru en 2013, ont d’abord fait l’objet d’une analyse un peu plus étoffée publiée sous le titre « Poupées » en 2009 dans la revue Globe. Delvaux opposait alors les femmes sans noms d’Yvon à Barbie et autres Realdolls vouées au mutisme. On retrouve dans cet article nombre de lieux communs déjà évoqués sur la poésie de Josée Yvon : l’« écriture [d’Yvon est] kamikaze », « une prise d’armes pour préserver l’intérieur, ce qu’elle appelle l’intimité contre le capitalisme ambiant, le troc des corps, la prostitution ordinaire » (Delvaux 2009, 105), « la langue [y] explose » (2009, 106). La figure de l’autrice, quant à elle, est également présentée de manière à exacerber la rage, la marginalité, le jusqu’au-boutisme de celle-ci : « le sida a explosé en elle comme elle a fait exploser la poésie en la contaminant de corps de femmes, de noms de femmes comme autant de bombes, de mines placées dans le sol masculin pour que les femmes cessent d’exploser “du fond des vagins des trains de banlieue” » (2009, 106). Le motif de la contamination que convoque ici Martine Delvaux n’est pas sans donner lieu à une réduction de l’œuvre à sa seule dimension transgressive, le sida opérant comme une curieuse métaphore de la propagation de la colère au féminin. Le corps de l’autrice, transformé en tombeau piégé, devient le siège d’une guerre menée contre le patriarcat. Cette lecture amalgame volontiers la biographie de l’autrice et les textes de cette dernière, passant de la condition singulière d’une femme condamnée par la maladie à une cause collective. Une mission équivoque est ainsi assignée aux filles-missiles yvonniennes : filles sans noms à qui Yvon redonne une identité, une « valeur économique de l’émotion », elles sont des contre-terroristes qui, paradoxalement, n’étouffent pas les révolutions mais se présentent comme « des éventreuses contre un peuple dégonflé par la routine » (2009, 105). Elles font ainsi partie d’un « chœur qui se lève » (2009, 105), elles sont putes et reines, malades et en santé, pédophiles et bonnes mères. Au-delà de ces contradictions constitutives, les filles extraites de la poésie de Josée Yvon sont transformées en emblèmes, encore une fois associées à un hors-texte précis, soit la nécessité de prendre la parole, voire les armes, contre une société phallocrate qui sacrifie les filles en leur imposant une identité sérielle.
Martine Delvaux n’est pas la seule à s’attacher aux séries yvonniennes, à calquer celles-ci pour mieux penser la place d’Yvon dans l’histoire littéraire québécoise. Pour Arsenault, elle est sur la même étagère que Geneviève Desrosiers, Marie Uguay, Huguette Gaulin, « figures discrètement mythiques de la poésie québécoise » (2014a, 57). Dans son livre jeunesse La cascadeuse, Bertrand Laverdure place Yvon dans une autre série. Sa narratrice rapporte de la bibliothèque « La machine à écrire, de Jean Baudot, Koréphilie, de Denis Vanier et Josée Yvon, Apprendre à finir, de Laurent Mauvignier, Testament, de Vickie Gendreau et le livre de recettes de Jamie Oliver » (Laverdure 2013, 17). Dans Drama Queens de Vickie Gendreau, la narratrice veut visiter un musée avec des statues de cire de Josée Yvon (en tutu), mais aussi de Marie-Soleil Tougas et d’Ève Cournoyer, toutes deux disparues prématurément. Un autre chapitre intitulé « Josée Yvon en tutu » (Gendreau 2017, 85) décrit une œuvre d’art composées de Barbies collées sur un papier tue-mouches, ce qui n’est pas sans faire écho à la lecture de Martine Delvaux. En intégrant ainsi Josée Yvon dans des séries, en faisant d’elle la première « des vilaines filles » ou la précurseure du féminisme d’Arcan et de Labrèche, comme le soutient Delvaux, les lecteurs et lectrices contemporains semblent en quelque sorte nous faire part de leur malaise devant une œuvre décalée, inassignable à une idéologie nette, à laquelle on ne peut aisément accrocher des récits, des histoires, idéalisées ou non.
Ces lectures recréent des communautés improbables. Si ces figures de filles déclassées sont souvent réunies dans les vers yvonniens, énumérées, elles n’en demeurent pas moins singulières, comme en témoigne l’art du portrait que pratique Yvon avec une réelle maîtrise. Cet art fait sortir les filles de leur série : la Ginette de La chienne de l’hôtel Tropicana n’est pas la Lucciana de Filles-missiles ou la Belle de Maîtresses-Cherokees. Leur singularité est loin d’être quelconque, et ne peut les réduire à notre avis à « ce qui reste entre parole et mutisme, identité et contre-identité » (Delvaux 2009, 106). Le malaise des héritiers et des héritières, qui ne cessent d’insister sur la charge traumatique des textes d’Yvon, ramène aux questions et aux constats qui ouvraient cet article : comment hériter d’une figure et d’une œuvre qui résistent à tout rapatriement ? Qui se prétendent irrécupérables ? Les exemples que nous avons brièvement analysés ont souvent pour dénominateur commun de tenir la figure et l’œuvre en respect. Pasticher l’œuvre, en emprunter des métaphores et des syntagmes, en citer des fragments, l’inclure dans des séries, tous ces gestes témoignent d’un rapport quasi muséal à l’autrice et à son œuvre. On expose une certaine connaissance des poèmes d’Yvon, on met en scène des mots, des figures, on crée des séries – à la manière des tableaux épinglés sur les murs des galeries –, mais on ne parvient que très rarement à développer une interprétation de l’œuvre qui s’éloigne de l’idéalisation. Pour reprendre l’expression lapidaire d’Emmanuelle Riendeau, « jamais relue difficile d’approche facile à name drop » (Riendeau 2018b). Les métaphores de l’explosion, si souvent utilisées pour traiter du contenu et des effets de la poésie d’Yvon, s’inscrivent parfaitement dans cette logique : si l’œuvre explose, éclate, fait le vide, c’est qu’elle se passe de commentaires.
Questions d’adresses
Il est, dans la pléthore de présences de Josée Yvon qui marquent la production contemporaine, certains textes qui entretiennent un autre rapport aux écrits et à la figure auctoriale de la poétesse. Ces textes, sans prétendre éclairer ou sortir de l’ombre l’œuvre de l’écrivaine comme le font les dossiers de revue déjà mentionnés, ne procèdent pas, à la manière de l’essai, de l’étude ou du texte journalistique, d’un discours direct sur Yvon, sa vie ou son écriture. De nombreuses œuvres d’écrivaines récentes, aux esthétiques et aux signatures individuelles, fortes et impossibles à joindre sous une même étiquette, engagent un mouvement poétique vers le texte yvonnien par l’usage d’un même procédé rhétorique : celui de l’adresse. Qu’on écrive un poème « pour Josée Yvon » (Roussel 2017, 77), l’envoie « à Nelly Arcan et Josée Yvon » (Turmel 2018, 78), qu’on la mette en scène ou en exergue, qu’on la cite ou qu’on la prie, qu’on l’interpelle ou qu’on sente le poids de « son » discours sur le sujet lyrique, ces adresses protéiformes engagent à chaque fois un dialogue avec certains aspects privilégiés du texte yvonnien (plutôt que sa totalité), en plus d’être nourries par une réflexion poétique sur la temporalité, l’historicité et l’héritage contemporain de l’autrice. Si on s’adresse à Josée Yvon ou à son œuvre, on leur adresse par le fait même une série de questions4. Selon quelles modalités discursives s’écrivent ces adresses ? Quelle fonction occupe la figure de Josée Yvon dans ces textes ? Comment les œuvres composent-elles avec ce legs paradoxal, réputé explosif, inassignable et « terroriste » ?
Vertiges de l’hospitalité de Mélanie Landreville, paru aux Herbes Rouges en 2016, dédie la plus narrative de ses cinq parties à celle que le recueil désigne par son prénom, « Josée »5 (2016, pp. 21-46). La proximité induite par la familiarité de l’interpellation se répercute dans le reste de cette section, dont les premiers vers de plusieurs poèmes sont construits de manière anaphorique à partir du prénom, suivi d’un verbe généralement actif : « Josée et moi visitons le cimetière des origines. » (2016, 26), « Josée arrive en cabrio. » (2016, 30), « Josée déchire le Sud. » (2016, 31). Chez Landreville, il ne s’agit pas d’invoquer le spectre de Josée Yvon, mais de rendre compte de sa présence, bien physique, aux côtés de la narratrice avec laquelle elle fait un road trip : « elle veut m’emmener voir la mer » (2016, 30). L’adresse, ici, se détourne de l’interpellation pour prendre une forme « hospitalière », suivant le titre du recueil, en ce que l’écriture accueille littéralement la poète en ses vers ; il ne s’agit pas de lui dédier le poème, bien qu’elle soit placée en exergue, ni de s’adresser au « tu » à la figure qu’elle incarne dans l’imaginaire commun, mais plutôt de construire une « Josée » à la fois intime, du point de vue de la narratrice, et étrangère au lecteur ou à la lectrice qui s’attendrait à y retrouver les lieux communs de la vie et de l’œuvre. Véritable personnage de ce court récit poétique évoquant le road-trip de Thelma & Louise, la « Josée » de Landreville conduit la voiture, « chante à tue-tête » (2016, 31), baise et parle en citations allusives (plus près de l’univers de Landreville que de celui de Josée Yvon), placées en italiques dans le corps du texte. Vertiges de l’hospitalité compose de cette manière une « Josée » dont la parole est certes associée à la métaphore guerrière (« sa bouche est un semi-automatique vidé de sa charge » (2016, 28), mais qui a l’originalité de la présenter sous d’autres facettes, plus étonnantes au rang des présences contemporaines : elle assure un rôle protecteur envers la narratrice (« Josée est à mon chevet » (2016, 32), « Tu poses ton manteau sur mes épaules » (2016, 31) par exemple), en plus d’être décrite comme une amie, mais aussi une amante (« Nous faisons tout n’importe comment, même l’amour, accouplées à la rage » (2016, 36)), comme si le sujet lyrique du poème, qui « avai[t] l’habitude de lécher les seins et les fesses des Vierges de plâtre » (2016, 26), refusait une lecture strictement hétérosexuelle de l’héritage de la poète.
Comment interpréter cette matérialisation d’une « Josée » dans un recueil qui ne se situe pourtant pas dans une filiation stylistique avec son œuvre ? Est-il possible de lire ce segment des Vertiges de l’hospitalité comme une réflexion métadiscursive sur la question qui nous occupe, celle des présences contemporaines de Josée Yvon ? Par ce « bel anachronisme » (Brassard 2017, 144), l’écriture de Landreville travaille contre la stabilisation de toute figure auctoriale. Le recueil bâtit son personnage en se tenant à distance de l’héroïsation et des topoï biographiques, auxquels il substitue une « Josée » exaltée, mais plus très « vilaine », une « Josée » du quotidien et de la banalité, qui « parle d’autre chose, du chat qui passe, du courrier, des prévisions astrologiques, d’une miss liée à une marque de bière » (2016, 27). Landreville refuse ainsi la sublimation des aspects les plus anodins de la poète imaginée, sublimation qui risquerait de nourrir une représentation univoque et idéalisée de l’autrice. La série dans laquelle est souvent insérée Yvon aux côtés d’autres figures tragiques de la littérature québécoise, dont nous avons parlé précédemment, n’est par ailleurs jamais employée dans Vertiges de l’hospitalité, qui individualise et caractérise fortement celle « qui ne s’enlise pas au milieu des compromis » (2016, 35), notamment par l’insertion de détails physiques ou psychologiques (« Josée porte le chandail rose qu’elle ne met que la nuit quand elle est seule » (2016, 35). De manière semblable, si la précision géographique de leur parcours (« Nous sommes arrêtées au truck stop à l’ouest d’Albuquerque » (2016, 32) ; « Je cherche les os, la chair sur l’asphalte du Sierra Nevada Hotel » (2016, 34)) jure dans cette partie du livre qui, ailleurs, joue du flou spatio-temporel pour « incite[r] à penser la préhistoire et l’histoire ensemble, à ne plus voir de clivage entre les générations, les époques » (Brassard 2017, 144) – et les espace, faudrait-il ajouter –, c’est que cette précision produit un effet de réel venant agir à titre de « preuve » de la présence d’une « Josée » bien tangible dans le poème (et dans les lieux visités). Vertiges de l’hospitalité poursuit ainsi le projet fou de mettre en texte une présence de Josée Yvon qui se produirait absolument hors de la métaphore, figure langagière qui instaurerait une distance avec « Josée », et appuierait par le fait même la muséification de la poète en dressant un portrait inévitablement mensonger en plus de conserver ses textes en respect : « [d]epuis le début, on nous avait trompées, quelqu’un avait dû mal lire » (2016, 33). Les détails en apparence insignifiants qui parsèment les poèmes prennent en ce sens une dimension critique, et Landreville cherche à écrire – contre les versions distantes et statuaires – une Josée Yvon immédiate, « véritablement » présente, pouvant « étein[dre] la radio, allum[er] une cigarette », capable en somme d’agir sur le réel : « devant elle, le monde se dénoue enfin » (2016, 35).
La finale de la suite « Josée » pose plus directement, et doublement la question du legs yvonnien. Comment, d’une part, ne pas participer à l’idéalisation muséale de Josée Yvon, et d’autre part ne pas être submergée, dévorée, contaminée par l’héritage de celle « qui s’enfouirait dans n’importe qui, n’importe quoi » (2016, 38) ? Il s’agit avec Vertiges de l’hospitalité d’écrire un legs subi, pesant, voire funeste, mais paradoxalement productif et porteur de sens. « Je suis en fuite. Je n’échappe à rien », peut-on lire dans l’avant-dernier poème, comme si Landreville pensait finalement son rapport à la poète sous le signe d’une échappée impossible. Sa narratrice tente bien de « boire une eau qui ne [l]’hydrate plus » (2016, 39) avant de conclure : « Josée tient ma soif, à perpétuité, adoucie à son sein » (2016, 40). La transition du personnage de « Josée » de l’amie à l’amante, puis de l’amante à la mère nourricière dans ce dernier passage, est décrite comme une fuite manquée, une force paralysante laissant la narratrice « sans mouvement » (2016, 40) dans une « extase » entendue comme une « alliance avec la dissolution et les retrouvailles » (2016, 40). Entre dissolution et retrouvailles : voilà la place que donne l’« hospitalité » de Mélanie Landreville à Josée Yvon. Pour ce faire, elle actualise sa figure, présente malgré le contretemps de la rencontre (presque 25 ans après la mort de la poète), tout en « dissolvant » son œuvre dans la sienne, dissolution qui ne trouve de symétrie que dans la dissolution équivalente qu’elle produit chez celle qui porte le poème. C’est que l’héritage reçu de Josée Yvon dans Vertiges de l’hospitalité devrait être compris plus largement, en considérant les autres parties du livre, qui décrivent les filiations mortifères de la condition d’un genre marqué, dans un temps long, par l’oubli et la disparition : « L’oubli s’éparpille dans la cendre avec la disparition des filles » (2016, 51). C’est ce sort tragique « des gisantes », « des sexes blessés » (2016, 11) que l’autrice cherche à dire et à déjouer en parlant, dans sa dernière suite poétique, « Comme si [elle] étai[t] la Méduse » (2016, 59). Des « sentiments qu’on se transmet de mère en fille » selon Denise Brassard, qui occupent l’écriture de Mélanie Landreville destinée à en « suivre la trace jusqu’à leur origine afin d’ébranler le verbe et d’arriver enfin à sortir du silence où ils nous avaient tenues » (Brassard 2017, pp. 143-144). Pour ce faire, la narratrice tentera de démissionner du genre, perçu comme la source de ses malheurs, de fuir la catégorie mortifère de « fille » dans laquelle le monde l’enferme : « Je ne veux plus être une fille. Je veux devenir une ruine, appartenir au vent » (2016, 37). Désirer être autre chose que « fille », préférer la « ruine » ne signifie pas renier les femmes ou le féminin, chez Landreville ; le sujet lyrique annonce vouloir « garder la mémoire des sexes blessés, des musèlements, des ivresses » (2016, 11), être fidèle à la voix des « Mères et filles » (2016, 47). Le poème veut porter les sévices et les injustices du passé, en témoigner pour conjurer l’oubli, et peut-être retrouver au passages quelques figures de femmes (Josée Yvon, Sylvia Plath, Méduse) qui serviraient à échapper au mal, à rompre la descendance tragique : « j’ai rongé notre passé pour que tu sois la plus forte » (2016, 54). Cette possibilité de rupture apparaîtra aussi dans la tentative de trouver une communauté hors du masculin et du féminin : « Si seulement je pouvais être nous. Ni toi ni moi, ni homme ni femme. Nous, insécables » (2016, 43). Comme l’indique l’apparition d’un « nous » qui dépasse ici le « Josée et moi » (2016, 26) précédent, c’est à partir de cette « ruine », de cette renonciation à occuper un féminin marqué par « la violence des temps » (2016, quatrième de couverture) que se posera la question de la communauté – en filigrane des Vertiges de l’hospitalité, mais centrale dans les autres œuvres que nous commenterons. Comment s’unir, se joindre entre « la dissolution » et « les retrouvailles » ? Est-il possible de former une communauté d’héritières autour de l’œuvre d’une poète qui, si on en croit la critique, aurait piégé son héritage ? Comment passer de ces « je » multiples à un « nous » toujours précaire et incertain ?
Il est possible, suggère Landreville, que dans cette fuite impossible, qu’en embrassant ces ruines, qu’en vivant la violence des « retrouvailles » on puisse percevoir la silhouette d’un ensemble : « Me voilà avec celles qui furent déchues » (2016, 25). Le vers obéit à une logique semblable à celle que l’on retrouve dans le recueil Ne faites pas honte à votre siècle de Daria Colonna, où « à la crèche de Josée Yvon/ nous les filles jaunes/ distribuons de beaux mots d’excuses/ des bourgeons pour agrandir nos plaies » (2017, 41). Un « nous » pourrait se former à la « crèche » d’Yvon, étrangement présente comme figure maternelle, à condition de tirer comme Colonna et Landreville ses leçons de l’œuvre, de donner un écho sérieux à certains schémas de l’écriture yvonnienne, d’accepter, en somme, la part de refus et de négativité qu’elle porte sans chercher de rédemption ou de réparation. « Agrandir nos plaies » plutôt que de les panser, « enfanter dans une mécanique/ de querelles » (2017, 41). Catherine Mavrikakis, dans un article se demandant « comment former une communauté de femmes », théorisait une dimension semblable de la communauté négative, suggérant qu’
[l]l faut […] peut-être penser la communauté des femmes, non plus comme fondatrice d’une cellule qui reproduirait des liens sociaux basés sur des métaphores familiales, mais comme une communauté d’amantes qui ne produiraient rien, si ce n’est le plaisir d’être ensemble et qui auraient pour but essentiel la destruction du social, son éclatement (2001, 309).
De même, la communauté potentielle que donnent à lire les textes qui accueillent le legs complexe de Josée Yvon semblent suggérer que « le fondement du collectif n’est plus l’utopique », qu’il est peut-être « plutôt l’apocalyptique, l’eschatologique » (2001, 309). Comme chez Emmanuelle Riendeau, le « nous » incertain que donnent à lire ces œuvres ne paraît exister – et se « fonder » – qu’en endossant la part de catastrophe qui lui est dévolue : « les schèmes de l’avilissement/ nous reconstruisent/ […] nous sommes toutes de trop/ quand nous parlons au nous/ quand nous ouvrons la bouche/ quand nous gueulons/ quand nous écrivons » (Riendeau 2018a, pp. 64-65). Pour l’autrice de Désinhibée, c’est par les motifs de l’excès, du « trop » que se donne à lire la communauté négative dans un poème qui place Josée Yvon en exergue. Les vers d’Yvon, ici, agissent à titre de malédiction minant le présent des « guédailles sororales » (2018a, 47) de Riendeau, mais aussi de prophétie, puisqu’ils fournissent une forme de réparation dans la prise en charge de cette destruction par la littérature : « il reste une jeune fille rêveuse/ pour la chronique d’une mort assurée » (2018a, 67).
Il serait ainsi faux de laisser entendre que la prise en charge de l’héritage miné d’Yvon ne trouve que des échos destructeurs dans les œuvres, qu’elle ne produit que la ruine et la dévastation. Les textes s’inscrivant eux-mêmes dans cette lignée témoignent d’abord d’une négativité forcément riche et productive, qui est subsumée sous forme de matériau pour la création littéraire. Ensuite, cette « destruction du social » dont parlait Mavrikakis et qui point parfois à l’horizon des textes, rime avec le rejet de certaines valeurs, qui méritent d’être sinon anéanties, du moins révisées, davantage qu’un rejet total du social ; c’est à notre avis le sens d’une distance perceptible dans les œuvres récentes avec le terrorisme, « isotopie majeure de l’œuvre de Yvon » (Valérie 2016, 245) qui paraît moins réactualisée dans les textes qui nous ont intéressés. Le poème « Une fille du siècle », dédié à Josée Yvon dans le recueil À l’œil nu de Maggie Roussel, est révélateur de ce passage : « La fille./ De./ Tu veux savoir la fille de qui ?/ Vraiment ? La fille de qui ?/ Ça n’existe plus./ Ça s’est effacé./ Désormais, on dira : ‘‘la fille de quoi ?’’/ Et si tu veux vraiment savoir de quoi elle est la fille,/ je ne pourrai pas dire autre chose que :/ c’est la fille de ce siècle. » (2017, 77) En rejetant la formulation « la fille de qui », le texte écarte la possibilité d’une filiation personnelle et parentale, et les consonances de propriété qui l’accompagnent – « je ne suis la fille de personne/ je ne suis la mère de personne » (Riendeau 2018a, 18), aurait-elle pu dire. Le « siècle », seule réponse acceptée à la question « fille de quoi ? », inscrit par ailleurs cette « fille » par rapport à une unité temporelle – habituelle dans le découpage de l’histoire littéraire, aurions-nous envie d’ajouter –, tournée vers un futur, que Roussel a en commun avec Daria Colonna et son Ne faites pas honte à votre siècle. Sans annoncer des lendemains qui chantent, la part de négativité qu’accueillent dans leurs textes ces autrices s’inscrit ainsi dans un temps long, orienté vers l’avenir, souvent présent sous forme de rêve ou de promesse, et qui traduit une certaine persistance du désespoir, mais aussi de la résistance. C’est en endossant la dimension tragique de l’héritage, par exemple, que « la lost fillette/ perdue dans la main du patriarcat » de Riendeau pourra finalement dire « well fuck it/ je serai une grande femme/ my own influenceuse » (Riendeau 2018a, 47). « Jusqu’à la fin de la représentation/ nous serons altières et dépravées » (Riendeau 2018a, 48).
La violence de l’héritage
D’autres œuvres ménagent à Josée Yvon une place plus secondaire, moins centrale en empruntant des modalités d’adresses qui ne lui donnent pas une présence directe dans le texte. Si, comme nous l’avons déjà dit, les vers d’Yvon sont souvent placés en exergue de textes contemporains, La dévoration des fées de Catherine Lalonde est particulièrement intéressant pour penser ce rôle de l’exergue. Le récit poétique lui accorde une place inhabituelle : chacune de ses cinq parties est précédée d’une courte citation, tirée de l’œuvre d’Yvon, qui condense les éléments thématiques et diégétiques déployés dans le chapitre. Or ce n’est qu’à la toute fin du livre qu’on apprend l’origine de ces vers, le tiret et le nom de l’autrice habituels (« –Josée Yvon (1950-1994) » (Lalonde 2017, 141)) n’étant donnés nulle part avant la clôture du récit poétique. Chez Lalonde, c’est Josée Yvon qui ouvre et qui clôt le livre, et La dévoration des fées se présente, en raison de cette étrange disposition, comme une œuvre écrite entre les lignes des textes de la poète, presque subordonnée aux siens. Comme s’il n’était pas suffisant pour lui « dédier » le livre de la placer en exergue, Lalonde inscrit la génération de sa propre écriture à-même les mots d’Yvon, qui agissent chaque fois à titre de clé de lecture. Le quatrième exergue – « elle avait dit à la petite de se tenir prête » (2017, 13) – tiré de La chienne de l’hôtel Tropicana (1977) – suggère d’ailleurs que l’origine de la protagoniste de La dévoration des fées se trouverait, du moins en partie, dans l’œuvre de Josée Yvon, « la p’tite » de Catherine Lalonde ne se distinguant d’elle que par une élision. Mais est-ce par déférence, par respect que Lalonde greffe son texte à celui d’une autre ?
La poète et critique, avant de faire paraître La dévoration des fées, avait déjà signé deux papiers sur Josée Yvon, dans Le Devoir (2014) pour les vingt ans de sa mort et dans Liberté pour le dossier « Rétroviseur » (2014). Dans ce second texte, intitulé « Mission impossible », Lalonde aborde son rapport à celle qui écrirait avec des « balles dans la mitraillette-Remington » (2014, 78), rapport qu’elle place sous le signe de « l’acte de baptême auquel se livre Yvon » (2014, 79) : « Yvon me baptise dans la foulée si je la lis, me botte le cul et m’aime inconditionnellement, dans mes aspirations, mes limites et mes paradoxes, comme la grand-mère poétique que je voudrais qu’elle soit pour moi » (2014, 79). C’est une dimension de l’œuvre d’Yvon, c’est-à-dire l’accueil qu’elle réserverait aux marginaux de « l’univers trash de la rue Ontario » (2014, 78), sa manière de « rescape[r] les filles sans nom en les rendant à la mémoire » (2013, 128) pour le dire avec Martine Delvaux (qu’elle cite), phénomène présenté ici sous la forme d’un « amour inconditionnel », qui permettrait à l’autrice d’être accueillie chez son aînée, d’en faire sa « grand-mère poétique ». Cette métaphore filiale a de quoi étonner dans un dossier qui introduisait Yvon en notant – nous l’avons dit plus tôt – son « héritage littéraire incertain » (Lefort-Favreau 2014, 75). Relire le travail de l’exergue dans La dévoration des fées à la lumière du texte de Lalonde dans Liberté pourrait d’ailleurs donner l’impression que le geste citationnel en est bien un d’hommage, voire une sorte d’offrande à celle qui l’aurait, pour filer la métaphore, poétiquement mise au monde, « baptisée ». Il faut auparavant considérer le sort que connaissent les filiations entre (grands-)mères et filles dans La dévoration des fées, sort étroitement lié à la « dévoration » qu’annonce le titre. À la fin du livre nous est présentée cette dévoration incestueuse, symboliquement « cannibale » (2017, 123), entre la grand-mère et sa petite-fille, tout juste revenue au pays natal : « La p’tite mange mère et l’absence, mange mère de mère » (2017, 123).
La question de l’héritage, dès lors, prend une autre signification. Elle permet à notre avis d’expliquer la filiation revendiquée par Catherine Lalonde dans son essai paru dans Liberté, et ce, malgré les différences esthétiques et thématiques importantes qui existent entre le texte yvonnien et La dévoration des fées. Outre quelques clins d’œil lors de l’épisode urbain de la p’tite, alors décrite comme « une danseuse-mamelouk au gazon d’herbe » (2017, 101) qui rencontre « ces Ginette en chaleur, griffons incarnés, piratesses à bibi » (2017, 100), La dévoration des fées dépeint un univers rural décadent rappelant davantage Une saison dans la vie d’Emmanuel que Filles-commandos bandées. D’une manière semblable, le travail langagier de Lalonde, marqué par la fabrication de néologismes, la recherche d’anachronismes et de formules vieillies, la composition, en somme, d’une langue non mimétique puisant à l’oralité québécoise, ne semble porter qu’une très pâle griffe yvonnienne. C’est que Lalonde fait à Yvon ce que la p’tite fait à la grand-mère. Hors de toute « influence » trop marquée, La dévoration des fées n’annonce une dévotion à la « fée des étoiles » que pour s’éloigner de son œuvre, parler d’une autre voix. La réappropriation du legs, chez Lalonde, ne peut se faire que par un geste violent, non loin de la morsure cannibale (et incestueuse), qui incorpore le texte afin de le cracher autrement. Plus que tout autre texte, La dévoration des fées nous paraît être le symptôme des paradoxes et des difficultés que présente le legs yvonnien. Sans que cet héritage soit direct, transparent et purement « baptismal », comme pouvait le laisser entendre l’article de Lalonde dans Liberté, l’œuvre ne reconduit toutefois pas la « liquidation du passé » (Valérie 2016, 249) de la poète de la contre-culture. En inscrivant son texte entre des bouts de phrases mortes-vivantes, pillées ça et là chez Yvon, La dévoration des fées marque son ambivalence face à une écriture dont la radicalité et la puissance pèse lourd sur l’œuvre présente, qui choisit toutefois d’embrasser pleinement cette ambiguïté, d’illustrer le risque que comporte l’actualisation d’un passé miné en mettant en récit cette p’tite qui retourne, « sa haine, renversée » (2017, 124), au lit maternel afin de consommer l’origine : « elle revient se fonder » (2017, 114). La narration pose alors une question cruciale : la p’tite commet-elle un acte de construction ou de sabotage ? « Laquelle est survenue ? Celle qui retrouve les fondations de l’enfance – structures de bonheur amour détresse pensées rires pleurs – ou celle à qui revient sa toffe, sa teigne, sa pire, sa gâcheuse de lignée parfaite à mourir debout, sa gâcheuse de solitude chèrement gagnée ? » (2017, 111) La relation incestueuse laisse la protagoniste muette, hors de la parole, « plus de dire, ni dur ni rien. Plus de début, ni commencement ni fin » (2017, 124), pour laisser surgir celle, écrite en vers plutôt qu’en blocs de prose, de la grand-mère agonisante, dans les toutes dernières pages de ce conte cruel.
De l’incarnation à la réception
« Nous avons conclu qu’il fallait manger Josée Yvon, la dévorer pour mieux la recracher » (Boudreault, Cadieux, et Carbonneau 2019, 12). Ces mots, qui pourraient être ceux de Catherine Lalonde, sont ceux employés par les auteurs de La femme la plus dangereuse du Québec dans leur préface pour qualifier leur démarche d’écriture à partir des textes et des archives d’Yvon. Si des œuvres récentes ont abordé de manière manifeste la figure de Josée Yvon par la mise en scène, le dialogue explicite plutôt que l’influence esthétique ou le pastiche, un texte comme celui-ci est particulièrement intéressant pour les questions qui nous intéressent puisqu’il travaille consciemment contre la muséification et contre certains lieux communs de la réception de l’œuvre de l’écrivaine. Le spectacle, une « dramatisation des archives de Josée Yvon »6 présentée du 10 au 28 octobre 2018 à la salle Fred-Barry du théâtre Denise-Pelletier, a la particularité de participer de manière affichée à la construction et à la diffusion d’une figure auctoriale, d’un personnage-écrivain et d’une œuvre. C’est à partir d’une prise en compte du discours social entourant Yvon, des clichés, des topoï et lieux communs de sa réception récente que la pièce constitue, organise et met en scène son matériau dramatique. Cette stratégie permet aux auteurs et aux concepteurs de la pièce de réactualiser la présence d’Yvon dans l’espace contemporain tout en tissant une image plus complexe, moins univoque que celle de la « vilaine fille ». Comment éviter, dans une « dramatisation des archives », les écueils d’une vision qualifiée plus tôt par notre article de « muséale » ?
Soulignons d’abord que La femme la plus dangereuse du Québec prend ses distances avec la mise en fiction biographique : le spectacle ne met pas en scène une actrice qui se glisserait dans la peau de Josée Yvon, incarnée sous nos yeux, pas plus qu’il ne reconstitue les épisodes marquants de sa vie ou de son parcours littéraire – « Nous voulions à tout prix éviter le biopic » (2019, 16), écrivent les auteur.e.s. Bien que, par moment, le personnage de L’AUTRE FEMME et de L’HOMME semblent « jouer » Josée Yvon et Denis Vanier, ils n’incarnent jamais plus (et de manière temporaire) que leurs délégués sur scène. Un tableau intitulé « Vulgaires siamois » aborde les rapports entre Vanier et Yvon : leur vie quotidienne partagée (« il part une brassée de lavage, me lit les journaux, ou passe la balayeuse » (2019, 83)), leur relation amoureuse (« j’aime la rejoindre pis qu’on fasse l’amour pour […] traumatiser [les enfants que Josée garde] » (2019, 84)), leurs travaux croisés (« Il rit, c’est pourquoi je lui montre jamais mes textes. Je sais qu’il aime pas » (2019, 90)) sont mis en dialogue par deux personnages qui parlent à la première personne du singulier et répondent aux questions que leur posent LA FEMME, une universitaire qui fait sa thèse sur Yvon. Toutefois, même dans ce tableau qui établit une proximité très grande entre les personnages de la pièce et les écrivain.e.s dont elle parle, l’adverbe « presque », inséré dans la didascalie qui introduit la séquence, vient mettre en garde le lecteur ou la lectrice contre cette interprétation : « pour ce tableau, on a presque glissé dans une incarnation totale »7. Jamais, dans le spectacle, l’« incarnation » n’est « totale » et le texte met fréquemment – par d’autres stratégies – à distance cette possible adéquation. D’entrée de jeu, les trois rôles du spectacle sont par exemple distribués entre « TROIS LECTEURS TYPES » de l’œuvre yvonnienne : « LA FEMME a lu tous les livres de Josée Yvon. L’AUTRE FEMME en a entendu parler. L’HOMME préfère la poésie de Denis Vanier » (2019, 28). Dès la présentation des personnages, le travail de Dany Boudreault, de Sophie Cadieux et de Maxime Carbonneau se situe dans un horizon bien précis du texte : celui de sa lecture (ou de sa non-lecture), plutôt que celui de l’incarnation de type biographique. C’est par leur connaissance où leur ignorance du texte yvonnien que les personnages se distinguent, que leurs rôles sont définis. Topos du discours critique sur l’autrice, les questions de lecture et de non-lecture reviennent fréquemment dans les articles et les travaux portant sur Yvon, qu’on dit peu lue ; les problèmes de la rareté des textes, de l’attente des rééditions8, les figures du lecteur ou de la lectrice désinformés, qui n’auraient pas la connaissance intime des œuvres, n’étant que des variations sur ce thème. Il importe peu que ces topoï soient fondés ou non, vrais ou faux, puisqu’ils s’agglutinent dans l’espace discursif autour de la figure d’Yvon et nourrissent son imaginaire. En utilisant la familiarité avec les textes de la poète comme élément servant à décrire la nature et la substance des personnages mis en scène, La femme la plus dangereuse du Québec utilise ce topos de la circulation des textes pour signaler une transition dans son horizon discursif : congédiant l’incarnation, le spectacle glisse vers la réception, et entend non seulement « dramatiser » les textes d’une écrivaine, mais aussi tenir un propos sur les lectures actuelles et potentielles.
La distance prise avec l’incarnation constitue-t-elle pour autant une occultation totale du biographique ? Un second motif, commenté précédemment, celui de la contamination de la « vie » de Josée Yvon dans les lectures de son œuvre, est abordé par les dramaturges de La femme la plus dangereuse du Québec. Dès la première réplique du spectacle, le problème est posé : « ceci est une prise d’otages/ Nous avons trouvé 24 boîtes aux Archives nationales sur la vie… et l’œuvre de la poète Josée Yvon »9. La réplique de LA FEMME, suspendue après « la vie », puis complétée par « l’œuvre » après un court temps signale une hésitation, un malaise à classer ces « archives ». Éclairent-elles plutôt le biographique ou le littéraire ? Aussitôt que le mot « vie » est prononcé, les monologues parallèles des deux autres personnages viennent étoffer cette question. L’HOMME entame une litanie qu’il répétera pendant toute la scène : « la vie osti de tabarnak tu regardes ça passer la vie osti de tabarnak tu regardes ça passer » (2019, 30). Se situant clairement du côté de « la vie », ce texte renvoie toutefois celle-ci à quelque chose d’insaisissable, qui coule (le texte est répété en boucle pendant tout le segment) et qu’on « regarde passer » avec un certain sentiment d’impuissance (« osti de tabarnak »). De l’autre côté, le texte de L’AUTRE FEMME énumère simultanément une série de fluides corporels : « Poétesse ? /Josée Yvon/ la cyprine/ la bave/ la salive/ la morve/ la sueur les larmes/ le cérumen/ l’urine/ les excréments/ le sang les sécrétions »10 (2019, pp. 29-30). Ramenant le corps à ses expressions les plus triviales, les plus matérielles, on pourrait lire cette énumération comme un versant complémentaire de « la vie », où celle-ci n’est plus le signe d’un récit englobant, ni même une donnée temporelle qu’on « regarde passer », mais plutôt un ensemble de processus organiques. Pourtant, c’est cette dimension (ce monologue) qui intègrera la poésie d’Yvon en passant de l’énumération de noms communs à des images de plus en plus composées (« l’impact du fist fucking/ la température à l’intérieur des souliers/ la sublime paranoïa du quotidien » (2019, 30) ; « une perforation intestinale après avoir essayé une bouteille de coke dans le trou de cul/ le numéro d’assurance sociale sur le dentier/ les zones érogènes du désespoir » (2019, pp. 31-32)). Ces bouts de poèmes seront éventuellement identifiés comme des citations tirées des archives de Josée Yvon, puisque LA FEMME ajoutera après chacun d’eux leur provenance : « retrouvé dans la boite 8/ retrouvé dans la boite 2 » (2019, pp. 31-32).
Deux manières de considérer les rapports entre œuvre et vie s’esquissent lors de cette scène d’ouverture. Par la répétition, l’effet de surplace du monologue de L’HOMME et son caractère envahissant (il recouvre par moment les deux actrices), la première révèle une conception de la vie parasitaire et fait obliquement signe à l’obsession du détail biographique qui hante parfois la réception de l’œuvre (« Comment est morte, donc ? » (2019, 43)). La seconde, quant à elle, part d’une dimension précise de « la vie », c’est-à-dire l’existence biologique des corps et de leurs fluides, afin d’éclairer un ensemble thématique qui traverse la poésie de Josée Yvon ; le modèle qui organise les rapports entre œuvre et vie sont inversés et la pièce souligne la place que la poésie réserve elle-même à l’existence physique et aux expériences extrêmes des corps et de leurs limites. « Denis-Josée/ Qu’est-ce qu’on a pas chié sur elle et moi » (2019, 50). Tout au long du spectacle, c’est cette deuxième dimension, celle qui place le texte au cœur de ses préoccupations pour aller à l’encontre de la mythification, qui orientera la pièce, dans laquelle le matériau biographique – présent mais soumis aux questionnements, au prisme de l’écriture – est fréquemment renvoyé au rang de rumeur, de « légende » :
LA FEMME
Selon la légende, dans un triste élan de solidarité, elle aurait utilisé l’aiguille infectée d’une proche amie.
Selon une autre légende, Denis Vanier lui aurait inoculé le virus.
Josée Yvon meurt le 12 juin 1994…
[…]
L’AUTRE FEMME
Anyway j’ai toujours préféré les légendes aux vraies histoires.
La vie…
La vie se charge toujours de vous donner sa leçon (2019, pp. 121-122).
« Préfér[er] la légende aux vraies histoires », ici, ne doit s’entendre ni comme une défense des racontars pseudo-biographiques, ni des lieux communs qui collent à la peau de la poète dans l’imaginaire social québécois, mais plutôt l’affirmation que La femme la plus dangereuse du Québec n’a pas prétention à la vérité, à la factualité, au dernier mot sur la vie… et l’œuvre d’Yvon. Puisque la vie est « donneuse des leçons », le texte s’articule sur une ligne fine, celle qui fait le choix d’aborder le biographique sans jamais le résoudre, en la soumettant toujours au doute et en refusant qu’il fasse ombrage à la littérature. Cette position limitrophe du discours de la pièce est notamment exprimée par les titres des scènes, qui rappellent la poétique yvonnienne tout en faisant référence de manière métaphorique à certains éléments de la vie de la poète (sa relation avec Denis Vanier, la cécité qui l’affecte en fin de vie) : « Le générique de Denis-Josée », « L’appartement des monstres », « La lumière noire », « Vulgaires siamois », « Cadavres exquis », « Freak show », « L’aveuglement ». De manière semblable, sa relation avec Denis Vanier sera fréquemment abordée dans la pièce, bien que celle-ci nous mette en garde contre les parallèles trop faciles entre les deux œuvres : « On travaille ensemble mais on se lit jamais » (2019, 83). Assez tôt dans le spectacle, l’œuvre de Vanier sera congédiée, renvoyée à un statut périphérique dans un renversement de la place que lui aurait réservé l’histoire littéraire à titre de « complément (son ombre ou son pendant féminin) à la poésie de Vanier » (Harel et Lamy 2006, 12) : « C’est sans doute la dernière fois que vous allez entendre la poésie de Denis Vanier ce soir./ Denis Vanier est un nom de plume pour Josée Yvon./ Josée Yvon est un nom de plume pour Denis Vanier./ Vanier n’est pas le sujet./ Il ne sera plus le nombril./ Que le poil en périphérie » (Boudreault, Cadieux, et Carbonneau 2019, 56).
La dramatisation des archives forme ainsi un corps et une vie d’écriture davantage qu’ils ne visent à mettre en scène une représentation de la « vraie » Josée Yvon, dans une perspective de reconstitution historique, par exemple. Cette hypothèse de la dominante de l’archive et de son texte sur la vie « réelle » est corroborée par l’importance donnée à la matérialité des supports sur lesquels sont retrouvés les textes d’Yvon, une « lettre écrite à l’endos d’une affiche de lancement de Vanier », une « phrase écrite sur un formulaire d’évaluation du Collège de Rosemont », des « notes transcrites sur une feuille pleines de taches brunes. On sait pas si c’est du sang ou du café ou de la poutine » (2019, pp. 103-104), etc. Ce sont ces objets qui, en cours de spectacle, viendront remplacer les humeurs et les fluides corporels énumérés en ouverture, littéralement former le « corps » du spectacle. Cette adéquation entre le corps et la matérialité du support culminera dans la dernière scène du spectacle, lors de laquelle les textes d’une Josée Yvon agonisante, qui peinait à écrire à la fin de sa vie, seront lus avec leurs fautes de frappes (2019, pp. 125-31).
Cette dimension tournée à la fois vers le passé (les textes et la vie de Josée Yvon) et sa réactualisation au présent, dans une perspective métacritique qui entre en débat avec la réception récente de la poète, se prolonge dans La femme la plus dangereuse du Québec dans une volonté de rouvrir la lecture de l’œuvre, d’y explorer des pistes interprétatives nouvelles. Cette réactualisation se fait surtout, dans la pièce, par l’élaboration d’une (re)lecture politique du texte yvonnien, qui ne vise toutefois pas à gommer les apories de l’œuvre quant à ces questions. Nous ne prendrons qu’un exemple, pour exposer brièvement ce constat, soit la manière dont la pièce montre comment « l’écriture de Josée Yvon déjoue la conscience féministe » (2019, 35) plus traditionnelle, principalement dans le tableau « L’appartement des monstres » :
L’AUTRE FEMME
L’idéal, ça serait qu’on s’aperçoive plus que je suis une femme, mais que je devienne un être humain. Le plus difficile, c’est d’accepter cette humanité-là. De la difficulté d’être SOI. Ce sera pas par la théorie qu’on va y arriver, mais par la pratique.
LA FEMME
C’est bien quand même de lire un peu pour raffiner son discours…
L’AUTRE FEMME
J’ai essayé de parler à Simone de Beauvoir, assise à sa table à un bistrot de Paris…
LA FEMME
Chanceuse.
L’HOMME
Menteuse.
L’AUTRE FEMME
La communication était impossible, Simone était trop pactée. Simone était pas dans la pratique. Le féminisme, c’est une théorie, le lesbianisme une pratique (2019, 72).
Commentant cette même phrase à partir d’une analyse des œuvres, Valérie Mailhot propose une lecture qui s’apparente, semble-t-il, à celle des dramaturges, en disant que :
[L]a déception de Yvon à l’égard des mouvements féministes relève peut-être de ce que […] la théorie féministe fixe un cadre, élaborant de ce fait une certaine norme ; le lesbianisme, lui, constitue une pratique, c’est-à-dire un événement chaque fois singulier qui met le corps et ses désirs au premier plan, faisant en ce sens disparaître le partage entre le normal et le pathologique (2016, 236).
En choisissant la forme d’un dialogue entre deux femmes – une jeune universitaire issue d’un milieu aisé, et une femme plus âgée, issue d’un milieu populaire –, la pièce traite la question du féminisme chez Josée Yvon en la soumettant à l’argumentation et à la critique, même dans les dialogues entre les personnages. La relecture que propose La femme la plus dangereuse parvient ainsi à concilier, sans amoindrir leurs disparités, deux aspects de l’écriture yvonnienne, « une étonnante tendresse envers ses sœurs de combat » (Boudreault, Cadieux, et Carbonneau 2019, 11) et le fait que « Yvon ne se réclame jamais ouvertement d’aucune des théories ou idéologies en vogue à son époque » (Valérie 2016, 228). La pièce trouve dans les textes de la poète des figures langagières, des récits, des personnages ou des confessions qui déstabilisent les frontières entre les genres et les crispations identitaires que l’autrice décelait chez certaines de ses contemporaines, et font ainsi dialoguer son œuvre avec un féminisme plus récent, qui aurait absorbé la troisième vague des années 1980-1990, moins hétéronormatif, plus ouvert aux questionnements queers, aux « adolescents opérés et heureux » (Boudreault, Cadieux, et Carbonneau 2019, 74) : « J’ai été tour à tour biromantique, pansexuelle, omnisexuelle, skoliosexuelle, hétéroflexible, amie avec bénéfice, féministe prosexe, queer… Maintenant, je me dirais cisgenre et je milite contre toute sorte de catégorisation » (2019, 76). La part importante que donnait l’œuvre d’Yvon, et que commente abondamment Mailhot, à l’instabilité des genres, à la critique des binarismes et de la domination masculine, aux marginalités sexuelles ressort ainsi, dans le spectacle (2019, pp. 65-66, 71-80, 94-96, 109-120, etc.), comme une dimension centrale de l’œuvre de Josée Yvon, qui serait toutefois demeurée discrète dans la réception récente. Dans le tableau « Si on était en 1976 », visant à restituer le contexte de parution de Filles-commando bandées, le contexte socio-politique évoqué par LA FEMME est rapidement « interromp[u] » par l’AUTRE FEMME, qui lui coupe la parole pour en proposer un autre, moins dominant : le grand récit se voit littéralement « tassé » pour inscrire l’œuvre de Josée Yvon non pas dans l’histoire nationale, mais « à côté de la plaque » (Mavrikakis 2014, 76), dans une histoire des vaincus, notamment marquée par la mémoire des gays et des violences policières commises en 1976 envers les habitant.e.s du quartier Centre-Sud lors de la préparation des Jeux Olympiques :
Je sors au bar Lime Light avec mes amis tapettes. Le 14 mai, y a une descente de police au sauna Neptune. La police a des mitraillettes et des gilets pare-balles. 89 gays sont emprisonnés. Il faut faire disparaître les éléments indésirables de la société avant les Jeux olympiques. Y faudrait pas un deuxième FLQ ! Toute se ramasse dans Centre Sud, le quartier le plus trash où personne marche dans rue. Avec les fuckés. Avec moi (Boudreault, Cadieux, et Carbonneau 2019, pp. 58-60).
L’unique exemple du féminisme permet de penser que La femme la plus dangereuse du Québec opère une recontextualisation, une lecture actualisante des textes de Josée Yvon, en opposant l’œuvre aux discours sociaux de son contexte d’émergence. Yvon ne serait ainsi, comme le proposait Mathieu Arsenault, pas tout à fait la contemporaine des années 1970. Une archéologie de ses archives permettrait de faire résonner ses considérations politiques et esthétiques avec les perspectives critiques queer du présent. En mettant en texte les archives de l’autrice, les dramaturges signent un « retour à Yvon », relancent l’« autrefois » du texte par leur travail, tout en faisant de la poète une sorte de mauvaise conscience qui planerait sur notre « maintenant ». La lecture renouvelée de l’œuvre yvonnienne ne peut cependant se faire sans heurts, et la pièce présente – par un questionnement sur l’adresse – les problèmes institutionnels que pose la fortune récente de sa réception critique : « Josée écrit pas pour les détectives-structuralistes, elle écrit pour les putains de la Main » (2019, 41). Encore, selon les préfaciers et la préfacière, « Josée ne serait “jamais d’accord avec un stage” » (2019, 9) : « par honnêteté envers elle, il fallait faire acte de profanation, embrasser l’imprudence d’être laid.e.s et imparfait.e.s » (2019, 12). Le legs, condensé dans l’antithèse « honnêteté de la profanation » de la préface, n’est pas apaisé avec La femme la plus dangereuse du Québec, il se bute plutôt à la fureur yvonnienne, qui ravive les possibles inexplorés du spectacle :
Josée Yvon nous haït d’être les ministres culturels de notre existence.
Josée Yvon nous haït de pas avoir fait un show trans avec son recueil Travesties kamikakes.
Un show autochtone avec son recueil Les laides otages.
Un show black avec Androgynes noires.
Josée Yvon nous haït de dire de manière radicale qu’on l’est pas (2019, 94).
L’audace de la forme théâtrale de La femme la plus dangereuse du Québec, qui incorpore dans ses dialogues des points de vue contradictoires, est de permettre la disparité et la multitude de perspectives et de lectures possibles, sans polir les contradictions et les problèmes que posent le texte et son legs récent, notamment à l’université et dans le champ artistique11. Le texte de théâtre, comme nous l’avons montré, adopte un point de vue métacritique sur la réception récente et sur la construction de la figure de la poète, à laquelle il participe ; il décèle des préoccupations actuelles dans son œuvre tout en considérant l’héritage de la poète comme difficile à porter, ses héritières et ses héritiers se devant de « licher sa haine » : « Je suis pénétrée par Josée Yvon./ J’aime sa haine. Je la liche, sa haine./ Josée crie :/ Liche./ Ma haine!/ Je la liche ta haine, Josée! » (2019, 60).
Nous observons dans les œuvres étudiées une filiation yvonnienne principalement thématique, mais somme toute assez rarement esthétique ; peu d’écrivain.e.s récentes se revendiquant explicitement de Josée Yvon ont un style ou un univers rappelant celui de la « fée des étoiles ». Si Valérie Mailhot rappelle que l’œuvre d’Yvon met en texte « une véritable communauté de femmes imaginées », étant « issues pour la plupart d’un milieu urbain modeste, voire pauvre, les femmes chez Yvon se rassemblent par leur appartenance à la rue, “le vrai Bordel de la vie”, et fascinent par des pratiques marginales qui vont de la prostitution au travestissement » (2016, 232), la réception récente hérite partiellement de cette manière de faire communauté. La multitude des présences dans les textes contemporains nous permet de penser un renouvellement du legs yvonnien, marqué par la profusion des hommages et des citations, des esthétiques et des filiations parfois inattendues, où c’est souvent le commun qui prime sur l’individuel, le pluriel sur le singulier, la série sur l’unité : « Filles singulières je est une aberration » (Turmel 2018, 55). À cette communauté de marginaux et de marginales, de laissé.e.s pour compte que nous identifions, avec Mailhot, dans l’œuvre d’Yvon, se substitue une communauté de filles qui ne sont certainement plus dans la même dèche, mais qui sont pourtant aux prises avec un monde qui perpétue les mêmes injustices. Ce passage d’une communauté fictive de personnages marginaux à une communauté réelle de lectrices et d’autrices participant de l’institution littéraire, avec des recueils primés, publiés dans des maisons d’édition prestigieuses, paraît suivre la transition de la contre-culture à l’institution littéraire. Bien que les textes d’Yvon connaissent encore des problèmes de diffusion, n’étant pour la plupart pas édités, la poète s’impose néanmoins, et contre l’oubli, comme une référence littéraire commune, largement partagée dans le paysage culturel, et dotée d’une certaine aura, voire – paradoxalement – d’un prestige ; bien qu’issus de la contre-culture, ses textes n’évoluent pas que sous le manteau, dans des circuits illicites. Des mémoires et des thèses s’écrivent ou se préparent sur elle ; des articles de journaux et des articles savants lui sont consacrés ; des spectacles hommages lui sont dédiés. Le statut de cet héritage, le droit de s’en réclamer a même récemment fait l’objet d’une prise de position poétique et polémique de la poète Emmanuelle Riendeau, qui à la suite d’un spectacle hommage à Josée Yvon auquel elle devait participer écrit (la troisième personne est dans le texte) : « vexée de constater que le spectacle ne rendait pas justice à l’intransigeante exigence de l’œuvre de Josée Yvon, Emmanuelle Riendeau a quitté, non sans fracas, la Maison des écrivains, où avait lieu le spectacle, qui s’est poursuivi en son absence » (Riendeau 2018b). Le reste du texte conteste, dans une poésie riche et qui cite abondamment Yvon, ce que l’autrice perçoit comme une forme d’appropriation illégitime de l’œuvre par « l’intelligentsia poétique » et par le milieu universitaire « cette fois nous ne sommes pas dans un séminaire/ cette fois nous ne sommes pas dans un groupe de recherche/ hors de vos murs vos lois ne s’appliquent plus » (Riendeau 2018b). Justes ou non, ces accusations, qui se fondent sur une notion de « propriété » ou de « légitimité » de l’héritage qu’il est possible de contester, démontrent néanmoins que le legs est toujours affaire de négociation, voire de conflit – non seulement avec une œuvre souvent qualifiée d’explosive ou de piégée, mais aussi avec les lectures d’autres contemporains et d’autres contemporaines, qui développent un rapport personnel et parfois aporétique à ces textes.
Malgré la présence importante de Josée Yvon dans le champ littéraire des dernières années, il a néanmoins fallu attendre près de 20 ans après sa mort pour que cette œuvre trouve de nouvelles lectrices et de nouveaux lecteurs. Comment expliquer ce contretemps ? Si Mailhot suggère que « c’est peut-être en raison de ce binarisme (individu vs société ; intérieur vs extérieur) que la contre-culture a été rapidement intégrée aux réseaux de pouvoir dans la société » (2016, 246), force est de constater que l’œuvre de Josée Yvon ne cadre pas avec cette dimension de la contre-culture. Bien que la dimension « queer » (personnages « travestis », LGBTQ+, sexualité non normée, « koréphile », hétéronormativité attaquée, le « lesbianisme une pratique », etc.) des textes de Josée Yvon trouve relativement peu de relances directes et évidentes, nous croyons que sa fortune actuelle est probablement liée à un moment dans l’histoire récente de la pensée où la critique des normes, des attributions de genre – butlérienne, pour faire vite – s’intègre, bien que tranquillement, à la critique universitaire, à la vie des idées et de la création. La réponse agressive, terroriste qu’Yvon réservait au monde (le « tout détruire » dont parle Mailhot) n’est pas tout à fait celle des « guerrières paumées » (Turmel 2018, 38) d’aujourd’hui. Les héritières et les héritiers d’Yvon opèrent un tri dans le legs, en choisissent les aspects qui résonnent encore au présent et qui peuvent se conjuguer à un discours plus général de résistance aux normes dominantes. L’idée, dès lors, ne serait pas tant d’offrir des interprétations ou des commentaires savamment construits de l’œuvre yvonnienne, mais bien d’entrer en dialogue avec elle, de faire corps avec elle, quitte à en éluder les contradictions inhérentes. Si « certaines étoiles n’existent plus », des éléments de l’œuvre d’Yvon continue de « consteller l’envers » (Turmel 2018, 38) de certaines œuvres12.
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Mavrikakis, Catherine. 2014. « Inhabiter le monde en poète ». Liberté, nᵒ 303:76‑77. https://www.erudit.org/fr/revues/liberte/2014-n303-liberte01285/71412ac/.
Riendeau, Emmanuelle. 2018a. Désinhibée. Montréal: Les Éditions de l’Écrou.
Riendeau, Emmanuelle. 2018b. « Même la fée des étoiles boit de la Molson ». Spirale. http://magazine-spirale.com/article-dune-publication/meme-la-fee-des-etoiles-boit-de-la-molson.
Roussel, Maggie. 2017. À l’œil nu. Série QR 106. Montréal: Le Quartanier.
Théoret, France. 2012. « La femme de personne ». Jet d’encre, nᵒ 21.
Turmel, Émilie. 2018. Casse-gueules. Montréal: Poètes de Brousse.
Valérie, Mailhot. 2016. « La “dislocation révolutionnaire” des corps chez Josée Yvon ». In La contre-culture au Québec, par Karim Larose et Frédéric Rondeau. http://sbiproxy.uqac.ca/login?url=https://international.scholarvox.com/book/88858493.
Yvon, Josée. 1982a. Danseuses-mamelouk. Montréal: VLB éditeur.
Yvon, Josée. 1982b. Filles-commandos bandées. Montréal: VLB éditeur.
Yvon, Josée. 2013. « La poche des autres ». Liberté, nᵒ 299:13‑13.
Yvon, Josée. 2015. Pages intimes de ma peau. Écrits des Forges poésie. Trois-Rivières: Écrits des Forges.
Yvon, Josée. 2019. Travesties-kamikaze. Montréal: Les Herbes rouges.
Pensons notamment aux événements suivants : Le cabaret pas tranquille, Festival international de littérature, organisé par Olivier Kemeid en 2012 ; Le blues du centre-sud, qui a eu lieu le 12 août 2016, dans le cadre du Festiblues ; Les Électres des Amériques, spectacle pluridisciplinaire présenté du 22 octobre au 7 novembre 2015 aux Ateliers Jean-Brillant et La femme la plus dangereuse du Québec, pièce inspirée de la vie et de l’œuvre de Josée Yvon, théâtre Denise-Pelletier, du 10 au 28 octobre 2017.↩
Voir notamment les entrées de son blogue sur Geneviève Desrosiers et Emmanuelle Riendeau : Geneviève Desrosiers et Emmanuelle Riendeau. Voir aussi Arsenault « Josée Yvon, ma contemporaine » (2014a, pp. 77-78), et « Les ayants droit » (2016a). Dans La vie littéraire (2014b), l’un des fragments porte le titre « Josée Yvon princesse du désert ». Il s’agit d’une première version d’un texte paru dans Jet d’encre (A. Aubé-Lanctôt 2012, 57), où les références à Yvon sont plus ostentatoires.↩
Notamment, dans la carte de l’Académie consacrée à la poète Emmanuelle Riendeau : cette dernière est comparée à Yvon et Gendreau.↩
Parfois littéralement, comme dans le onzième segment de La femme la plus dangereuse du Québec (Boudreault, Cadieux, et Carbonneau 2019, pp. 97-100).↩
La quatrième des couverture annonce « un hommage senti » à Josée Yvon.↩
Programme de la pièce.↩
Cette didascalie, présente dans le texte ayant servi à la mise en scène du spectacle (« Dany Boudreault et Sophie Cadieux, La femme la plus dangereuse du Québec, version répétition » 2017, communication personnelle, p. 51), a été coupée dans l’édition des Herbes rouges.↩
Dans un article paru en 2016, Mathieu Arsenault déplorait l’absence de rééditions des textes de Josée Yvon et de Denis Vanier (Arsenault 2016a). La plupart des ouvrages épuisés des auteur.e.s ne sont en effet disponibles, encore aujourd’hui, que dans les bibliothèques, chez les bouquinistes (où chaque recueil se vend pour près d’une centaine de dollars) ou sur une page web qui les diffuse illégalement, « Les épuisés » : Josée Yvon ; Denis Vanier. Récemment sont parues trois rééditions d’Yvon : Pages intimes de ma peau aux écrits des Forges (Yvon 2015), rassemblant La chienne de l’hôtel Tropicana (1977), Koréphilie (avec Denis Vanier, 1981) et Filles-missiles (1986), ainsi que Travesties-kamikaze aux, Herbes rouges (2019 [1980]), et Danseuses-Mamelouks (2020). Voir notamment ici↩
La réplique est modifiée dans l’édition des Herbes rouges.↩
La réplique est modifiée dans l’édition des Herbes rouges.↩
« L’anormalité finit toujours par s’institutionnaliser : la culture populaire l’avale et la normalise. La vraie marge est en constante redéfinition. À cet égard, Josée Yvon nous déjoue. La mettre sur scène en révèle les paradoxes. Quand on croit la tenir, elle nous échappe » (Boudreault, Cadieux, et Carbonneau 2019, 18).↩
Voici d’autres présences plus ou moins importantes que nous avons identifiées, mais que nous n’avons malheureusement pas eu l’espace de commenter. Mathieu ARSENAULT et Daphné B., « Le problème du fantôme », Spirale, en ligne (octobre 2017). Voir ici. Maxime Raymond BOCK, Des lames de pierre, Montréal, Le Cheval d’août, 2015. Carole DAVID, L’année de ma disparition, Montréal, Les Herbes Rouges, 2016. Mathieu DENIS et Simon LAVOIE, Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau, production Art&Essai, Québec / Canada, 2017, 183 minutes. Ralph ELAWANI, « La terroriste pornographique qui était bien plus que la blonde de Denis Vanier », Vice Québec : voir ici. Cynthia GIRARD, « Pierre Vallières + Josée Yvon », installation exposée au Centre Optica en juin 2012. Mariloue SAINTE-MARIE (commissariat), « Contre-culture : manifestes et manifestations », exposition tenue à la Grande Bibliothèque dans la série « Ateliers d’écrivains » du 8 février 2011 au 29 janvier 2012. Érika SOUCY, « Sursis », dans Isabelle DUVAL et Ouanessa YOUNSI (dir.), Femmes rapaillées, Montréal, Mémoire d’encrier, 2016.↩