Prix du Juri Populaire du festival BIFF-Brasilia International Film Festival 2020, le long-métrage « Encantado, o Brasil em desencanto » revient sur la décennie qui a fait basculer le Brésil.
Pour comprendre la genèse du film il nous faut remonter dans le temps, en 2012. Filipe Galvon, qui signe ici son premier long métrage, a grandi dans ce quartier de la zone nord de Rio de Janeiro, qu’on appelle « Encantado ». À cette époque il se prépare à partir en France pour un master en cinéma et audiovisuel, mais se veut déjà le témoin de changements dans ces rues qui l’ont vu grandir.
À la veille de son départ pour Paris, il filme les premières manifestations contre la hausse du ticket de métro qui agitent le pays en 2013. De l’autre côté de l’atlantique, il garde un oeil sur la vie politique brésilienne qui s’emballe et s’engouffre dans un long cycle de crises dont on ne voit, à ce jour, toujours pas la sortie du tunnel. L’extrême droite et les classes aisées s’emparent des rues et des revendications au nom de « Dieu, la patrie et la famille » fomentant une liasse populaire contre le gouvernement de gauche du PT - Parti des Travailleurs.
La procédure de destitution de Dilma Rousseff en 2016 mobilise l’union des brésiliens à Paris, ce qu’ils concrétisent par la création du MD 18 - Mouvement Démocratique du 18 mars, dont Filipe filme les initiatives. La génération qui a vu naître la démocratie au Brésil, c’est aussi la première à avoir pu bénéficier de bourses pour étudier à l’étranger et s’insurge depuis Paris pour ne pas la laisser mourir.
C’est la génération Lula-Dilma : « Tu vois un gars qui est comme ton père devenir président » nous explique Warley Alves, fils d’ouvrier métallurgiste. On revit avec émotion l’élection en 2002 de Lula qui a sorti le Brésil de la carte de la faim dans le monde. Une marée rouge d’espoir qui désormais s’affronte aux jaunes et verts, et dont le chef de file, Jair Bolsonaro, multiplie avec indécence et provocation les allusions d’un retour à la dictature et d’une nostalgie de celle-ci.
Destitution ou coup d’État ? Par des tribunes et interventions dans les médias français, le MD 18 dénonce le 15 avril 2016 une procédure injuste et des intentions cachées.
Pour qui tente, depuis la France, de suivre la crise politique qui secoue le Brésil depuis des semaines, celle-ci peut avoir des airs de telenovela. On y trouve en effet les ingrédients propres à ce type de programme télévisé. De la passion, de la haine, des bons et des méchants.
écrivent-ils dans une tribune du Monde (2016). Toujours au rythme de la telenovela, s’en suit, entre autres, l’emprisonnement de Lula, l’assassinat de Marielle Franco puis l’élection du président d’extrême droite Jair Bolsonaro en 2018.
Caméra au poing, le réalisateur qui retourne chaque année au Brésil, voit son quartier sombrer au gré du temps, subissant les impacts directs des émulations politiques : hausse de l’insécurité, fermeture du centre éducatif, maisons abandonnées et multiplication des églises pentecôtistes. Encantado, désenchanté donc. Poésie ou ironie ? Un désenchantement observé dans l’intimité du lieu au coeur duquel il a grandi, faisant écho à celui qui traverse le géant d’Amérique Latine, illustrant les lourds impacts dans le quotidien de ses habitants.
C’est la force et la singularité du film, alternant les points de vue, du collectif à l’individuel, depuis la France ou au beau milieu de ce quartier de Rio de Janeiro. Les témoignages sont tout autant diversifiés, d’Alain Badiou à Dilma Rousseff, du voisin à l’ancien camarade de classe, il partagent leurs analyses autour de cette question : que va devenir ce pays qu’on disait « du Futur » ? Le film se ferme sur des femmes unies, mains dans la main, manifestant et chantant en coeur dans la rue, puis cette citation de João Guimaraes Rosa : « les personnes ne meurent pas, elles demeurent enchantées ». « Rien n’est certain d’autre, que rien n’est certain » pourrait-on rajouter. La suite reste à écrire. Un nouveau projet est déjà en cours d’écriture, poursuivant le dialogue dans un regard croisé France-Brésil. En attendant, le film sera disponible en VOD sur la plateforme Amazon dès Juin 2020.
Référence
MD18, Tribune Collective. 2016. « Les défilés contre Dilma Rousseff sont aussi la réaction d’une classe aisée, opposée à sa politique de redistribution ». Le Monde, avril. https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/04/16/bresil-la-destitution-une-revanche-des-classes-aisees_4903340_3232.html .