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L’Expérience des biens communs en Italie

Espaces urbains, propriété privée, droits fondamentaux

Informations
  • Résumé
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Texte

Introduction1

La discussion sur les biens communs en Italie se caractérise par certains éléments spécifiques par rapport à sa déclinaison au sein du débat international2. Si, surtout dans le monde anglo-américain, la question des commons a été abordée à travers les catégories de la théorie économique3, dans le contexte italien, le discours sur les commons a, en revanche, trouvé son terrain fécond dans le droit (notamment le droit privé) – discours par ailleurs alimenté par le dialogue entre les juristes universitaires et les expériences de praxis et de lutte politique émergeant par le bas.

Si les résultats théoriques de la réflexion italienne sur les biens communs méritent une analyse attentive, c’est qu’ils cherchent à se démarquer de la perspective usuelle d’après laquelle la notion de bien commun pourrait être déduite des caractéristiques intrinsèques du bien singulier. Selon la perspective italienne, le caractère « commun » ne coïncide pas avec un caractère ontologique apriorique. Une telle qualification ne peut que survenir ex-post, puisqu’elle est en réalité le résultat d’une relation politique triangulaire entre le bien lui-même, la communauté des personnes et les droits fondamentaux que le bien peut satisfaire, et que la communauté revendique.

La perspective est ainsi renversée : ce ne sont pas les caractéristiques intrinsèques d’un bien qui exigent tel ou tel régime de gouvernement ; mais c’est le gouvernement d’un bien en tant que commons qui le rend tel. Autrement dit, on a ici affaire à l’idée d’un parcours visant à dépasser la primauté logique des biens sur les régimes (« des biens aux régimes »), primauté reçue en effet dogmatiquement par la tradition juridique et économique occidentale. Or, ce dépassement s’accomplit en déplaçant l’attention aux régimes eux-mêmes et à la manière dont ceux-ci qualifient les biens (« des régimes aux biens »).

Une telle approche, souvent critiquée pour avoir défini les biens communs de manière trop vague, a en revanche le mérite de fournir des outils théoriques importants, capables d’entamer une réflexion critique rigoureuse de certaines des catégories traditionnelles propres non pas seulement au droit privé, mais surtout à la théorie générale du droit.

La catégorie des biens communs en Italie, entre doctrine, jurisprudence et pratique

La proposition de loi de la commission Rodotà

Le point de départ des biens communs en Italie, remonte aux travaux d’une commission ministérielle, instituée en juin 2007 par l’ancien ministre de la Justice, chargée de rédiger un projet de loi-délégation (legge-delega) pour réformer le livre trois du code civil portant sur les biens. Sous l’égide de son président, le juriste Stefano Rodotà, qui a toujours associé la passion civique et l’engagement politique à l’activité académique, cette commission a mené à son terme un processus antérieur sur lequel il convient de revenir.

Quelques années auparavant, à l’Accademia dei Lincei, l’une des plus prestigieuses institutions scientifiques italiennes, un groupe de chercheurs avait fait le point sur l’état du patrimoine public italien et sur les phases de privatisation dont il a fait l’objet4. Ce rapport avait relevé une cession considérable de biens et de services de la part de l’État, pour un montant de 150 milliards d’euros. C’était le résultat d’un modèle de gestion qui, en 2010, fit l’objet d’une censure aussi de la part de la Cour des comptes.

Ces privatisations, en effet, donnaient lieu à un phénomène alarmant, à savoir la cession au privé de secteurs entiers de services et biens, et ceci sans la moindre vision stratégique à long terme, mais simplement dans l’intention de faire face à des besoins budgétaires pressants ; et par ailleurs, dans la plupart des cas, cela se traduisait par de véritables liquidations. D’un côté les services confiés au secteur privé se voyaient toujours plus soumis à la logique du profit, au prix d’une baisse visible de la qualité du service rendu alors même que les tarifs augmentaient de manière injustifiée (c’est le cas du service des eaux, dont nous parlerons plus loin). De l’autre, des ensembles immobiliers prestigieux, jusqu’alors accessibles à tous, une fois privatisés, furent fermés au public (ainsi des nombreux bâtiments du patrimoine alors utilisés comme musées ou bâtiments administratifs qui furent cédés au privé pour devenir des appartements ou des hôtels de luxe).

Au banc des accusés trouvait ainsi sa place la logique de fond implicite dans le code civil. On se rendit compte, en effet, que l’organisation du code était issue d’une matrice tout à fait anachronique. Si le code faisait état de toutes sortes de protections de la propriété privée vis-à-vis de toute réquisition publique (pensons aux garanties concernant l’expropriation pour utilité publique, notamment aux limites de l’ingérence publique sur l’usage des biens privés, assurée par la théorie de l’expropriation larvée – en Italie comme dans le reste de la Western legal tradition, cette orientation bénéficiant d’une couverture constitutionnelle), en revanche aucune limite n’avait été formulée pour le processus inverse, à savoir la privatisation de biens collectifs. Si cette tradition pouvait paraître sensée durant la période d’élaboration du constitutionnalisme bourgeois et du droit privé moderne, elle s’avère aujourd’hui tout à fait désuète.

À la fin du XIXe siècle, en effet, c’était le propriétaire foncier qui, voyant sa liberté mise en péril, devait être protégé d’un État Léviathan qui risquait de devenir excessivement puissant et intrusif. Aujourd’hui, c’est plutôt le « collectif », incarné par un État de plus en plus faible (nous y reviendrons plus loin), qui doit être protégé d’intérêts privés qui ne sont plus incarnés par de petits ou moyens propriétaires fonciers, mais par de « nouvelles formes de propriétés5 » typiques du capital financier. En d’autres termes, si la modernité juridique à ses débuts se caractérise par l’exigence de donner naissance au capitalisme et donc de transformer en capital divers biens et ressources jusque là collectifs, d’où la préoccupation de protéger la propriété privée face aux pouvoirs publics et de garantir l’exploitation extractive maximale des ressources (pour la plupart agricoles), aujourd’hui le problème semble se poser plutôt dans le sens opposé, à savoir comment inverser cette tendance, y compris dans une perspective écologique, si l’on constate la pénurie de biens et ressources collectifs face à une surabondance de capital.

Or, bien que les membres de la Commission Rodotà fussent conscients du fait qu’une modification du code civil n’aurait pas été en soi suffisante pour provoquer l’inversion souhaitée, néanmoins la théorie des biens, en tant que clé du problème, pouvait constituer un point de départ significatif pour une perspective réformatrice.

À l’intérieur de ce cadre, la proposition élaborée par la Commission cherchait à dépasser la distinction, empruntée par le code italien au code napoléonien, entre domaine public et patrimoine disponible. Plus précisément, s’il est vrai que dans le droit italien une clause d’inaliénabilité s’appliquait (et s’applique encore) aux biens inclus dans le domaine public, il est tout aussi vrai que celle-ci pouvait être aisément détournée par une simple procédure aboutisant à un décret de « dédomanialisation » (sdemanializzazione). Cela avait pour effet de convertir un bien public en patrimoine disponible et de le rendre aliénable. La proposition prévoyait donc une nouvelle taxonomie qui aurait rendu plus difficile l’aliénation des biens publics.

Cepenant, la nouveauté la plus significative du projet de loi-délégation tenait à la création de la nouvelle catégorie des biens communs. Ceux-ci étaient définis en tant que biens qui expriment des utilités instrumentales pour la réalisation des droits fondamentaux comme pour le libre épanouissement de la personne6. Le projet de loi prévoyait donc une liste, alors purement illustrative : les ressources naturelles, comme rivières, ruisseaux, lacs et les autres eaux ; les zones de montagnes en haute altitude, les glaciers et les neiges éternelles ; les zones côtières déclarées réserves environnementales ; la faune sauvage et la flore protégée ; les autres zones paysagères protégées ; les biens culturels ; les biens archéologiques, etc. Il s’agit, autrement dit, de biens qualifiés par leur relation étroite avec les droits humains fondamentaux, et auxquels le projet de loi voulait garantir que tous aient accès, même au sens diachronique, par un lien au principe de sauvegarde intergénérationnelle de telles utilités.

D’un point de vue théorique général, la caractéristique principale de cette nouvelle catégorie élaborée par la Commission Rodotà, consistait à rompre le lien entre droits fondamentaux, besoins collectifs et appartenance nécessairement publique des biens. En effet, dans le projet de loi-délégation, on ne prévoyait une réserve de propriété publique que pour les biens satisfaisant des intérêts fondamentaux généraux de l’État, et cela pour deux raisons : soit parce que strictement liés à l’exercice des prérogatives publiques sous le profil de la souveraineté étatique (œuvres militaires, réseau routier stratégique, principaux réseaux ferroviaires, etc.) ; soit parce que fonctionnels pour un État qui se veut social (hôpitaux, instituts d’instruction, etc.)7.

À ces deux catégories de biens (dans la proposition de loi, les premiers qualifiés de biens d’appartenance publique par nécessité, les seconds de biens publics sociaux) n’appartenaient pas, en revanche, les biens communs. Ces derniers relevaient du principe d’« indifférence au titre de propriété formel ». Les biens communs sont décrits par la proposition en tant que ressources à « titularité diffuse », qui peuvent appartenir tant à un organisme public qu’à des sujets privés : dans les deux cas, ils doivent être soumis à une modalité d’administration et de gouvernement apte à en garantir la jouissance collective, dans les limites et les modalités fixées par la loi, selon des critères écologiques en vue de leur préservation pour les générations futures. Ce qui est décisif n’est donc pas la qualification (publique ou privée) du sujet propriétaire, mais leur modalité de gestion. Lorsque les biens communs appartiennent à l’État, ils sont en même temps posés extra commercium, ne pouvant donc pas être aliénés : la concession au privé peut survenir dans des cas déterminés prévus par la loi et pour une durée déterminée ; son renouvellement est subordonné à une vérification de l’impact social et environnemental de son usage privé. Qui plus est, le titulaire public jouit d’un droit privilégié à la réversion des profits : il s’agit d’un efficace remède ex-post contre l’extraction de rentes illégitimes et devant par conséquent être remises à la collectivité de référence. Finalement, le recours à la tutelle inhibitrice est permis à quiconque aurait un intérêt à la sauvegarde et à la jouissance des biens communs, en dépassant donc le critère de citoyenneté et en concrétisant l’idée de « titularité diffuse ».

En raison de la chute du Gouvernement qui avait nommé la commission, le projet de loi, pourtant achevé, ne fut jamais examiné par le Parlement. Néanmoins, le travail théorique de la Commission Rodotà, et surtout la nouvelle catégorie de biens communs, eut un impact significatif sur le droit italien. Sans pouvoir s’inscrire dans le droit positif du code civil, elle s’inséra fortement dans l’ordre juridique par le biais d’autres « formats » : la doctrine, la jurisprudence et la pratique politique ou administrative.

Le referendum pour l’eau publique et l’entrée de la catégorie des biens communs dans la réflexion doctrinale et jurisprudentielle

Surtout depuis 2010, sous le drapeau des biens communs se rassemblèrent plusieurs luttes politiques et sociales, certes très différentes entre elles, mais dont le dénominateur commun consistait dans l’idée de soumettre les concentrations de pouvoir et les processus d’exclusion, tout particulièrement en ce qui concerne les biens ou services fonctionnels à la satisfaction des droits fondamentaux des communautés et/ou à leur cohésion sociale et territoriale.

La mobilisation initiale de ces luttes fut sans aucun doute celle qui, en 2011, vit des millions d’italiens abroger, en recourant au referendum abrogatif prévu par l’art. 75 de la Constitution italienne, une directive alors récente qui aurait amené à la privatisation du service hydrique8. En 2009, un décret-loi adopté par le gouvernement et intégré par le parlement (art-23-bis du décret-loi 25 septembre 2009, n. 135, conv., avec modifications) dans la loi 20 novembre 2009, n. 166, dit decreto Ronchi), disposait que les municipalités devraient respecter un certain délai pour lancer un appel d’offres favorable aux entrepreneurs pour le service de distribution d’eau sous fome de société de capitaux. Si la constitution de sociétés à capital mixte (public-privé) était également prévue, même dans ce cas le partenaire privé aurait dû être sélectionné selon des procédures de mise en concurrence.

Le projet de loi était très clair : le service hydrique serait intégralement soumis à la logique du marché (d’où le choix en faveur de la forme des sociétés de capitaux), et la confiance in house, à savoir sa gestion directe de la part de l’entité publique, devenait par là une hypothèse marginale. Cette loi suscita l’opposition d’un front commun qui rassemblait les mouvements pour l’eau, les associations du tiers secteur, des organisations écologistes, certains partis politiques et une partie des juristes universitaires (certains des juristes qui avaient participé à la Commission Rodotà ont rédigé en 2011 deux des quatre questions du referendum abrogatif des 12 et 13 juin 2011).

Le succès du référendum dont cette imposante mobilisation fut la source (dépassement du quorum légal avec 27 millions d’électeurs et victoire du « oui » avec 97 % des suffrages) a inauguré la vaste diffusion du concept de bien commun. Celui-ci est en effet désormais employé dans une multitude de différends ayant pour objet la défense de ressources environnementales, des biens culturels, des bâtiments patrimoniaux, etc., contre leur privatisation et leur abandon par la collectivité. L’effet de cette phase de mobilisation et de la diffusion du concept de biens communs fut double.

D’abord, si la notion de bien commun n’avait pu entrer dans l’ordre juridique par le haut, dans un cadre législatif, elle commence à y pénétrer sous d’autres formes. On retrouve en effet le travail théorique qui soutenait le projet de loi proposé par la Commission Rodotà dans un important arrêt de la Cour de Cassation9, arrêt où la jurisprudence, à son niveau normatif de garantie procédurale, finit par reconnaître la notion de bien commun en tant qu’immanente à l’ordre juridique italien, pour autant qu’elle découle directement d’une interprétation des sources primaires conforme aux principes constitutionnels. Dans cette décision, visant à vérifier le caratère de domaine public des zones de pêche de la Lagune de Venise, les Sections Unies ont établi que l’applicabilité directe des normes constitutionnelles valide le principe de la supériorité de la personnalité humaine et de son déploiement intégral au sein de l’État social, ainsi qu’au sein du « paysage », en lien spécifique non pas seulement avec les biens qui constituent – par classification législative-codiciste – le domaine public et le patrimoine objet de la « propriété » de l’État, mais aussi avec ces biens qui, indépendamment d’une « préalable identification de la part du législateur, par leur propre nature ou finalisation s’avèrent, sur la base d’une interprétation accomplie de l’intégralité du système normatif, fonctionnels à la poursuite et à la satisfaction des intérêts de la collectivité […] ».

D’un tel cadre normatif-constitutionnel, et sans préjudice de la donnée « essentielle » de la centralité de la personne (et des intérêts relatifs), dont l’effectivité résulte de la reconnaissance des droits inviolables et du « respect des devoirs incontournables de solidarité politique, économique et sociale », émerge l’exigence interprétative de « regarder » le thème des biens publics en dépassant une vision strictement patrimonialiste par une perspective personnaliste-collectiviste. Cela implique que, eu égard au thème en question, plutôt qu’à l’État-appareil, personne juridique publique assimilée à un sujet individuel, il faut se référer à l’État-collectivité comme une personne morale exponentielle représentative des intérêts de la citoyenneté (collectivité), et investie d’une obligation de résutats quant à ces intérêts. Il apparaît ainsi qu’en raisonnant selon la seule dichotomie biens publics (ou domaniaux)/biens privés, on se limite à vérifier simplement la titularité des biens, en négligeant toute classification de ces biens à partir de leur fonction spécifique et des intérêts dont ils sont porteurs, un aspect qui est loin d’être négligeable. Il en résulte donc que, « là où un bien immeuble, indépendamment de la titularité, soit, par ses propres connotations, tout particulièrement celles de type environnementales et paysagères, destiné à la réalisation de l’État social, comme ci-dessous défini, ce même bien doit être considéré – en dehors de la perspective désormais dépassée du dominium romaniste et de la propriété codiciste –, “commun” c’est-à-dire, abstraction faite du titre de propriété instrumentalement lié à la réalisation des intérêts de tous les citoyens10 ».

Qui plus est, la notion de bien commun ne fait pas son entrée seulement dans la pratique jurisprudentielle, mais aussi dans les débats théoriques. En effet, cette notion commence à être largement discutée par la doctrine, tout particulièrement en droit civil11.

Le problème initialement posé concernait la nécessité de la ramener à un système théorique le plus cohérent possible et unifiant des instances qui, dans la pratique, décrivaient des situations non homogènes. Dit autrement, la question était d’identifier une notion suffisamment précise de biens communs face à l’usage croissant de ce vocable – usage qui avait élargi sa signification par rapport à la définition donnée par la Commision Rodotà, laquelle visait surtout les ressources naturelles rares (eau, air, etc.). La doctrine se questionna sur l’élément qualifiant ces biens, et, par là, sur la définition des biens en tant que commons.

De l’autre côté, s’il est vrai que la théorie économique risquait d’être excessivement physiciste et positiviste dans l’identification des biens communs à partir des leurs caractéristiques intrinsèques et ontologiques, ce qui dans le champ juridique pouvait représenter une régression simplificatrice et non un progrès doctrinal, il n’en demeure pas moins que cela permettait d’identifier des critères discriminants capables de fonder une certaine taxonomie.

Ainsi, en s’appuyant sur la polysémie que la locution « bien commun » commençait à manifester dans son usage quotidien, une partie de la doctrine a proposé une simple taxonomie visant à systématiser les éléments communs de ces usages hétérogènes, en identifiant des biens communs matériels (eau, ressources naturelles liées à l’environnement et au patrimoine historique et artistique-culturel du Pays, etc.), d’autres immatériels (créations intellectuelles, savoirs et traditions populaires – ces derniers, difficiles à saisir car en évolution permanente) ; mais aussi institutionnels octroyant des services, des objets de droits sociaux (santé et université), voire urbanistiques, s’agissant ici non pas seulement de territoires urbains à protéger des processus de bétonnage, mais aussi des spécificités culturelles des quartiers risquant de succomber à la gentrification […] ; en dernier, l’on ramena sous la notion de biens communs aussi l’idée de « travail », « information » et « démocratie », avec un rappel aux relations politiques et aux rapports économiques qui, doués d’une dignité constitutionnelle, déterminent dans les faits l’ordre social et politique (Marella 2012a).

Bien qu’une taxonomie puisse éventuellement faciliter une discussion, il reste que, lorsque l’on parle de biens communs, elle risque de devenir trop ample, et donc vague, voire inefficace par rapport au débat. C’est pourquoi la doctrine la plus récente a relevé que, pour offrir une portée opérationnelle à cette nouvelle catégorie, il est nécessaire de dépasser les approches physicistes qui se trouvent à la base de taxonomies. Un pas ultérieur fut donc tenté.

C’est ici qu’entre en jeu la seconde conséquence de l’élargissement de la notion de bien commun. Si dans une première phase les luttes sur les biens communs coïncidaient avec l’idée de confronter les privatisations aux ressources collectives pour préserver leur statut public (on peut penser à la bataille pour l’eau), dans cette deuxième phase l’élément déterminant est aussi le plus novateur de la notion de commons élaborée par la Commission Rodotà (élément qu’on retrouve dans la sentence des sections unies de la Cassation, déjà citée). Il s’agit du principe, mentionné ci-dessus, et que l’on peut résumer dans la locution « indifférence au statut formel de propriété », à savoir l’idée selon laquelle les biens communs décrivent un terrain qui outrepasse la distinction entre public et privé, puisque ce qui les qualifie ne coïncide pas avec des caractéristiques physiques déterminées dont ils seraient porteurs, mais plutôt avec le régime de gouvernance auquel ils sont soumis, en vertu de processus et parcours politiques et revendicatifs, qu’on peut tenir pour constituants.

Autrement dit, ce qui qualifie un bien commun est moins le statut de propriété publique ou privée que le fait qu’il soit revendiqué par une communauté de référence comme bien producteur d’utilités indispensables à la satisafaction de ses propres droits et de sa propre cohésion sociale, et que, comme conséquence de cette revendication, il ait été soumis à un modèle de gouvernance doué de caractères spécifiques. Ce dernier doit garantir l’éviction perpétuelle du bien des logiques du marché et sa soumission à un régime de governance démocratique et participatif, en accord avec le principe de préservation intergénérationnelle des utilités. Il est dès lors clair qu’il s’agit d’une modalité de gestion fondée sur l’accès et non sur l’exclusion.

Seul importe, donc, le modèle de gouvernement autour duquel s’organise l’usage qui qualifie les commons, quelles que soient les caractéristiques intrinsèques du bien, ou la branche du droit (public ou privé) employée pour le construire.

C’est justement cette perspective qui a été adoptée par la doctrine la plus récente12. Qui plus est, sa valorisation a inauguré une troisième phase de réflexion sur les commons, où la locution « biens communs » est de plus en plus exploitée comme dispositif herméneutique pour interroger, au sens contre-hégémonique, les trames du droit existant dans le but d’identifier des solutions interprétatives potentiellement transformatrices, donc capables de remettre en question certains des dogmes au fondement du droit, tout particulièrement du droit privé, d’après le schème qui à l’actuel paradigme extractif oppose des solutions de nature écologique et « générative ».

Les biens communs urbains

L’inadéquation du paradigme public/privé dans la governance du territoire urbain

L’espace urbain représente sans doute le domaine au sein duquel tant la pratique, que l’élaboration théorique en matière de biens communs, se sont le plus développées13. Dans ce contexte, les biens communs représentent la réponse, par le bas, à l’échec du modèle traditionnel d’administration des villes, celui fondé sur la dichotomie entre propriété privée et intervention publique. En effet, depuis l’âge moderne, la structure standard à laquelle ont été soumis les sols urbains, a été la propriété privée. Et avec le nivellement des modalités d’appartenance sur le modèle de l’alleu, on n’hésita pas à y soumettre aussi les sols urbains et les immeubles qui s’y implantent.

Toutefois, la propriété privée, échafaudée autour du paradigme des fonds agricoles, s’avère incompatible avec un tissu interconnecté tel celui de la ville, et, surtout, avec ces besoins qui, justement en milieu urbain, doivent trouver leur satisfaction. Il s’agit notamment des besoins liés au droit au logement. Celui-ci doit être compris dans une double acception : droit de tous à accéder à un logement convenable à des fins de logement, et droit à l’habitat, à savoir le droit collectif des communautés locales à vivre dans un contexte salubre, équipé de services et adéquat du point de vue économique, écologique, artistique et culturel14.

La propriété privée (au moins dans son acception non fonctionnalisée – nous y reviendrons) est une modalité de détention antithétique par rapport à ces exigences. Celles-ci requièrent en effet des structures foncières fondées sur l’accès et sur la distribution des utilités produites par les biens en fonction de la satisfaction des droits fondamentaux. La propriété, comme l’on sait, est en revanche structurellement prédisposée à encourager l’extraction de la valeur maximale possible d’un sol, en allouant toutes ses utilités dans le chef du titulaire du droit, selon la célèbre perspective d’alignement entre coûts, bénéfices et incitations définie par le théorème de Coase (1960) et par l’économie néoclassique.

En particulier, la propriété, en tant que structure de base du marché, n’est pas en mesure de répondre aux exigences implicites du droit à la ville. C’est evident si l’on considère le droit au logement compris en son acception minimale de droit à la maison. Sachant que le marché ne connaît que les demandes, et pas les besoins, un gouvernement urbain fondé sur la propriété privée exclut d’un logement quiconque ne dispose pas du pouvoir d’achat nécessaire.

Néanmoins, des problèmes analogues se posent aussi eu égard au droit à l’habitat : dans la mesure où la logique propriétaire ne sélectionne, parmi les usages possibles d’une ressource, que le plus rentable, une ville remise entièrement à la pression du marché finirait par consister en une surabondance de biens immobiliers destinés au logement ou au commerce, en contrepoint d’une totale absence des espaces verts ou de bâtiments destinés aux services et aux espaces publics (étant donné que, bien sûr, ces derniers usages impliquent des profits inférieurs : il s’agit du problème associé aux public goods). De manière similaire, remettre exclusivement au marché les exigences de rénovation limiterait les opérations de valorisation aux zones suffisamment rentables (notamment les centre-villes), au détriment des espaces qui produiraient une perspective de rente faible ou négative (notamment les banlieues industrielles). Qui plus est, les zones concernées par l’intervention seraient exploitées de la manière la plus rentable (hôtels, appartements et boutiques de luxe, etc.), ce qui implique leur privatisation manifeste et l’expulsion des franges désavantagées de la population (urban displacement).

C’et précisément pour limiter ces déséquilibres, où la théorie économique verrait des échecs du marché, que les cadres juridiques occidentaux de la gouvernance urbaine prévoient que la pression de la propriété privée (i.e. le marché) soit limitée ou inhibée par les pouvoirs publics. C’est en ce sens qu’il convient d’interpréter des institutions comme les plans directeurs d’aménagement, les dispositions de partenariats public-privé pour la rénovation urbaine (selon des « programmes complexes » souvent appelés, dans plusieurs pays, « contrats de quartiers »), le contrôle du marché locatif par des normes impératives et, finalement, les différents systèmes publics d’accès au logement pour les franges désavantagées de la population.

Toutefois, ce système dual (propriété privée/contrôle public) implique des déséquilibres structuraux15. Ces derniers sont la conséquence du fait que notre système, au lieu de se fonder sur des modalités d’appropriation visant directement la satisfaction des droits fondamentaux, trouve sa base dans la propriété privée, ce modèle foncier si intrinsèquement contraire aux besoins urbains qu’il exige l’intervention systémique des pouvoirs publics pour en endiguer la pression. Mais il est clair que la recherche permanente de palliatifs aux dysfonctionnements causés par la propriété débouche sur un gaspillage significatif de ressources. C’est pourquoi les apories du paradigme propriétariste deviennent criantes dans les périodes d’involution ou d’affaiblissement du public face au privé et, surtout, en période de fortes réductions des ressources publiques : devenant alors incapable, faute de moyens, d’endiguer la propriété privée, les institutions publiques finissent par en accompagner la domination en jetant les bases politiques et juridiques pour l’allocation privée des rentes urbaines.

Le cas des stratégies en matière de rénovation peut être tenu pour exemplaire. On sait que la ville post-industrielle, marque du paradigme urbanistique des villes occidentales depuis les années 1980/1990, comporte d’importants besoins de reconversion : ces espaces industriels abandonnés et les friches urbaines forment des quartiers entiers (ainsi les « villes-dortoir » conçues pour la classe ouvrière) en manque d’une nouvelle vocation.

Dans un contexte de ressources publiques limitées, les collectivités territoriales, qui ne peuvent pas simplement délaisser des zones entières de la ville, n’ont cependant presque aucune marge de manœuvre tant qu’elles se réfèrent au paradigme traditionnel, celui du binôme propriété privée/intervention publique.

Le choix est alors entre la dégradation (par manque de ressources) et la rénovation par des capitaux privés. Cependant, cela ne peut avoir lieu sans donner au privé la possibilité d’extraire de la zone concernée une rente maximale, soit en permettant la privatisation de vastes espaces urbains, soit en soumettant à des usages plus rentables des bâtiments historiquement destinés à des usages collectifs, soit en concentrant les opérations sur les zones à rénover symboliquement et traditionnellement les plus importantes. Toute intervention publique visant à contrôler ces variables contraint la collectivité à recourir à des montages qui, de fait, aboutissent à compenser aux opérateurs privés la minoration de la rente. Cela se concrétise soit par un apport de capitaux publics, le plus souvent justifié en tant qu’appât pour attirer des fonds privés, soit, et surtout, en cautionnant des dérogations au plan d’aménagement qui augmentent les droits à construire. Garantir la possibilité de construire davantage que les standards urbanistiques en vigueur, c’est permettre au privé d’accroître le profit issu de la mise sur le marché de ces nouveaux espaces. Cela débouche sur d’imposantes opérations de gentrification et sur le bétonnage de vastes zones de la ville.

Cette orientation est bien la ratio qui inspire la plupart des dispositions en matière de rénovation urbaine présentes dans les systèmes juridiques européens. Et ce n’est pas un hasard que ces dispositions renvoient souvent à des exceptions normatives, même sedes matierae, par rapport au corpus organique de la discipline urbanistique, laquelle demeure axée, au moins formellement, sur les outils du plan d’aménagement. En d’autres mots, dans les périodes de réduction de ressources publiques, le dualisme propriété privée/intervention publique montre toutes ses limites, dans la mesure où le public ne parvient pas à faire face à la pression du marché en garantissant les services et les espaces collectifs.

Les villes européennes (mutatis mutandis, cela vaut aussi pour d’autres contextes) reflètent ces apories. Comme le soulignent des données récentes, elles sont caractérisées par une forte opposition entre zones hautement embourgeoisées (gentrification) et quartiers-ghetto, où l’on relègue les franges désavantagées de la population, dans un contexte de prolifération de friches urbaines et de bâtiments abandonnés, ainsi que d’augmentation des inégalités, tant à l’intérieur de la ville, qu’entre la ville et les banlieues qui l’entourent.

Les biens communs en tant que réponse « par le bas » à l’échec de la dichotomie public/privé : le processus de commoning

Le concept de biens communs urbains entend répondre à une telle situation16. Avec la locution « biens communs urbains » on se réfère à tout un ensemble d’expériences où des groupes de citoyens actifs s’auto-organisent par le bas pour gérer et administrer des biens immobiliers urbains, souvent des bâtiments sous-exploités voire abandonnés, à travers des modalités de gouvernance ouvertes et partagées. Un moment extrêmement significatif de ces expériences est la phase dite de commoning, à savoir le moment où un groupe de personnes revendique le soin et la gestion directe et partagée d’un bien déterminé, au nom de son importance relativement aux droits de la communauté ou pour sa cohésion sociale, et exige que ce bien soit administré selon des principes d’accès17. Le groupe de citoyens s’institue alors en tant que la communauté de référence du bien commun.

Il s’agit d’expériences très diversifiées, mais dont les caractéristiques principales peuvent être résumées de la sorte : - I) existence d’un bien ayant besoin de soin et de régénération en raison de son abandon, ou auquel, pour d’autres raisons, l’accès reste interdit à la collectivité (c’est souvent le cas de biens relevant d’une propriété publique, mais il y a aussi nombre de cas de biens privés) ; - II) existence d’une communauté de citoyens disposée à prendre l’initiative d’en prendre soin, ce qui suppose souvent de transgresser les formes réglementaires et d’engager de véritables occupations) ; - III) gestion du bien en fonction de l’idée de garantir des services de nature collective, directement liés à la cohésion sociale d’une communauté donnée ou à la satisfaction de droits fondamentaux.

Prenons l’exemple d’un ancien théâtre municipal, fermé depuis longtemps faute d’entretien, que le propriétaire public décide de céder à des investisseurs qui créeraient un centre commercial. Le théâtre est alors occupé par des artistes et d’autres citoyens qui s’opposent à la privatisation, mettent en place une saison théâtrale, organisent son usage pour des cours, des réunions politiques et ouvrent une cantine pour les démunis. Tel immeuble industriel abandonné peut aussi faire l’objet d’une convention entre des acteurs engagés dans le secteur du logement des précaires, des collectivités territoriales et les propriétaires privés, d’organiser un community land trust permettant l’usage de ce bien selon un modèle participatif, démocratique et soutenable de logement social, vouant ainsi l’immeuble à la satisfaction du droit fondamental au logement. Tel jardin public fermé et sans entretien depuis des années peut de même être récupéré par un comité de quartier qui, par le bas, s’auto-organise pour élaguer, nettoyer, créer des jardins partagés selon des règles d’accès d’usage et d’organisation participatives élaborées collectivement lors de réunions et d’assemblées.

Les règlements municipaux pour l’admninistration et le soin des biens communs urbains

Certes, ces expériences, surtout dans leurs phases initiales, comportent des logiques largement informelles, mais la question juridique s’avère néanmoins centrale, tant l’auto-organisation d’une communauté pour l’usage et la gestion d’un bien relève d’une question de nature institutionnelle.

En premier lieu, ces biens sont souvent propriété publique. Et de fait, s’il arrive que leur prise en charge communautaire intervienne dans une dialectique conflictuelle avec l’administration (de là les occupations illégales), il est fréquent de voir cette situation se transformer, passant d’une logique de conflit à des formes collaborative qui voient ces deux acteurs engager un parcours de co-planification de l’usage participatif du bien. Le succès de ces expériences a d’ailleurs changé la culture politique des administrations locales italiennes, de plus en plus prêtes à promouvoir, elles-mêmes, des projets de régénération fondés sur les initiatives citoyennes, ou à entamer d’entrée de jeu un dialogue collaboratif avec la communauté de référence.

En l’absence d’une loi-cadre nationale, c’est précisément pour abriter les dispositions administratives liées à ces expériences que plusieurs municipalités italiennes (plus de 200, désormais) ont adopté des règlements en matière de biens communs urbains18. Ces règlements, relevant de dénominations variables selon les villes – la plus répandue étant celle adoptée à Bologne, de règlement « sur la collaboration entre citoyens et administration pour le soin et la régénération des biens communs urbains » –, comportent naturellement certaines particularités qui les différencient les uns des autres. Leur analyse approfondie dépasserait le champ de notre présentation et demanderait une comparaison des conflictualités initiales et des évoutions caractéristiques des diverses expériences de terrain. Nous nous contentons ici d’esquisser leur physionomie générale.

Tout d’abord, ces règlements visent à qualifier juridiquement la coopération entre l’administration et ceux que l’on définit comme citoyens actifs et/ou communauté de référence. Ces partenaires y sont présentés comme des sujets singuliers, associés ou pour le moins réunis en formations sociales même informelles, qui s’engagent dans le soin, la gestion et l’administration d’un bien commun urbain. Dès lors, la notion de citoyens actifs est strictement liée à celle du bien commun urbain, duquel dérive, comme d’un paramètre herméneutique, la qualification du collectif citoyen. Malgré certaines distinctions, les règlements qualifient de biens communs urbains ceux dont les citoyens et l’administration conviennent qu’ils sont instrumentaux pour la satisfaction des droits fondamentaux de la personne, du bien-être individuel et collectif, et pour la préservation des intérêts des générations futures ; ces biens doivent être administrés selon les formes et principes prévus par les règlements, lesquels exposent la nécessité d’une cogestion se fondant sur une gouvernance ouverte, démocratique et participative, telle que l’accès, et non l’exclusion, soit la catégorie-guide.

Ces textes normatifs permettent d’affirmer que l’une des principales caractéristiques juridiques des commons est le dépassement de la stricte opposition entre profil subjectif et objectif dans l’exercice des prérogatives juridiques sur les biens. De ces règlements, il résulte clairement que l’on peut définir une communauté de référence non pas simplement en fonction de sa revendication du caratèrecommun d’un bien, mais à partir de son ouverture aux modalités d’une gouvernance inclusive. De ce point de vue, ces règlements locaux édictent une forme de normativité pour le processus de commoning, à savoir le processus dialectique où – en vertu d’une relation politico-institutionnelle entre sujets et chose – un groupe de personnes et un bien s’instituent réciproquement comme communauté de référence et bien commun.

La disposition centrale des règlements est le « pacte de collaboration » (dénommé parfois autrement, selon les cas)19. Il s’agit de l’accord souscrit par l’administration et la communauté de référence, où l’on établit les modalités participatives pour la gestion, le soin et la régénération du bien. Ce pacte se présente comme une réponse à une offre de cogestion du bien, laquelle peut formellement provenir tant de l’administration que de la communauté de référence.

Il y aurait beaucoup à dire sur les pactes de collaboration, institution assez novatrice qui fait l’objet de discussions doctrinales en Italie tant en droit administratif qu’en droit privé20. On constate d’ailleurs que ces pactes de collaboration furent l’occasion d’un retour du droit civil vers les questions urbanistiques qui, du moins en Italie, étaient négligées de longue date.

Nous nous limiterons, ici, à quelques remarques qui laisseront de côté la question fort débattue, et réellement significative, de la qualification juridique des pactes de collaboration (s’agit-il d’un acte administratif, d’un contrat – option qui aurait notre préférence –, ou bien d’une innovation encore mal définie ?) pour relever que cette institution entend rompre avec les logiques descendantes typiques des relations citoyens-institutions et propres au droit administratif, et promouvoir une relation juridique de nature paritaire, suivant le principe de subsidiarité horizontale, faite sienne par la Constitution italienne à l’art. 118.

Concrètement, dans le pacte de collaboration, citoyens actifs et administration établissent paritairement le rôle que chacun d’entre eux doit assumer relativement au soin partagé du bien, et organisent les modalités de sa gestion participative. Il s’agit d’un rapport juridique qui confère la primauté à la notion d’État-communauté plutôt qu’à celle d’État-appareil.

Il est essentiel de remarquer que le pacte de collaboration permet la mise en œuvre d’une collaboration directe entre citoyens et collectivité territoriale qui ne passe pas par des procédures de mise en concurrence. Il s’agit, en effet, d’un outil de coopération ente citoyens et administration, et non pas d’un instrument permettant à l’administration d’accorder l’usage d’un bien à un acteur privé déterminé à en tirer profit. C’est ainsi que les biens communs urbains substituent à la logique du profit celle de la valeur produite par la coopération et que, pour cette raison, ils ne relèvent pas du champ des appels d’offre soumis à des clauses de publicité.

Ensuite, au plan subjectif, comprenons que le pacte de collaboration ne cristallise pas de manière définitive les sujets auxquels l’administration confie le soin et la gestion du bien. Au contraire, un tel pacte identifie une communauté de référence qui doit nécessairement se doter d’un règlement interne permettant à quiconque le souhaite d’y prendre part, en application du principe dit de la « porte ouverte ». Pour pouvoir stipuler le pacte, la communauté de référence doit donc structurer son organisation propre de telle sorte que quiconque puisse participer au soin et à la gestion du bien, et s’engager activement dans les mécanismes internes de décision. Cela implique que l’admission d’un nouveau membre au sein de la communauté ne peut nullement être déléguée discrétionnairement à l’un de ses organes : l’admission peut, à la limite, être subordonnée à la démonstration concrète, de la part de la personne concernée, d’un intérêt effectif pour la gestion et le soin du bien. Ainsi, par exemple, s’il est contradictoire avec le pacte de conférer des pouvoirs discrétionnaires au conseil de direction en matière d’admission, en revanche rien n’affecte la légitimité d’une clause qui admette de plano des nouveaux membres, en subordonnant l’exercice du droit de vote dans l’assemblée à la participation à un nombre minimal d’assemblées consécutives, ou à des actes spécifiques de soin et gestion (par exemple, la participation à tel ou tel groupe de travail).

Le principe de « porte ouverte » garantit donc à toute personne intéressée de pouvoir participer à la gestion et à l’administration du bien, et d’avoir un impact sur les choix qui le concernent. Cela maintient l’écart effectif entre le pacte de collaboration et une cession exclusive d’un bien public à un sujet privé (ce qui donnerait lieu à une concession qui rendrait incontournable la procédure de mise en concurrence ouverte)21. Le pacte de collaboration, au contraire, applique au mieux le principe de subsidiarité horizontale, en confiant le soin du bien directement à la communauté, comprise au sens diffus. Conformément à cette nouvelle formulation de l’« administrer », le principe d’impartialité de l’action administrative n’est pas en ce contexte garanti en amont (selon la logique hiérarchique qui régit les normes des marchés publics). Dans le bien commun, ce principe est plutôt assuré en aval, à savoir à travers des mécanismes concrets de gestion et de gouvernance auxquels la communauté de référence recourt dans l’exercice de son autonomie civique.

Les modèles de gouvernance pour la gestion des biens communs urbains

Vue d’ensemble

Notre analyse manifeste avec une évidence particulière la centralité des modalités de la gouvernance comme pivot des biens communs, dans la théorie comme dans la pratique des commons, à savoir les modalités concrètes à travers lesquelles les communautés de référence organisent la gouvernance ouverte, participative et démocratique du bien. C’est explicite dans le principe d’ « indifférence au statut formel du ». Cette formule n’a de véritable signification qu’au regard des modalités de gestion des biens communs, indépendamment de la qualification du propriétaire en tant qu’entité publique ou privée. La constitution d’un modèle ouvert et participatif de gouvernance est l’aboutissement de tout parcours du genre urban commoning, ce qui inclut les règlements municipaux en matière de biens communs, qui valident ces normes spécifiques de gouvernance. Sans prétention d’exhaustivité, regardons de plus près certains de ces modèles.

L’usage civique

Le premier groupe d’outils peut être construit à partir des institutions de droit public. C’est le cas de l’usage civique, modèle qui, en Italie, a joui d’un écho particulier, puisqu’il représente le modèle de gestion d’une importante expérience d’urban commoning sur le territoire national : l’ex Asilo Filangieri de Naples.

Il faut aussi préciser que cet usage civique ne correspond pas, au plan technique, à une institution de droit public : cette dernière opère intégralement dans le cadre de logiques foncières de droit privé, selon des formules qui permettent la distribution des prérogatives d’accès public à un bien sur la base des rapports d’usage de nature coutumière. Il s’agit d’un usage civique « à la napolitaine » qui intègre la logique de l’accès collectif, mais s’en éloigne profondément au plan de la doctrine juridique.

Dans l’expérience italienne, l’usage civique est conçu en tant qu’outil de gouvernement de biens communs en propriété publique et, en particulier, de propriété municipale22. Celui-ci prévoit que la communauté de référence du bien construise de manière autonome et par le bas les règles relatives à l’usage des espaces, aux procédures délibératives et décisionnelles, aux organisations des activités, etc., lesquelles convergent dans un document, la « déclaration d’usage civique ». À la Mairie revient ensuite la tâche de transposer la déclaration d’usage civique en acte administratif (selon les formes de la délibération du conseil municipal). Celui-ci produit le double effet d’attribuer une certaine efficacité juridique à la déclaration et, surtout, de légitimer la détention du bien de la part de la communauté de référence, détention qui se déclinera dans les formes et dans les modalités prévues par la déclaration elle-même.

La principale expérience italienne de recours à cette forme de gouvernance représente sans aucun doute un succès dans le panorama européen des biens communs urbains. L’impression générale, toutefois, reste qu’elle relève moins d’un choix institutionnel que de contingences politiques favorables. En effet, d’un point de vue plus strictement institutionnel nous croyons identifier, au sein de l’usage civique, des limites et des apories significatives.

La plus importante c’est que dans la mesure même où la Mairie peut reconnaître un usage citoyen en validant une déclaration rédigée par la communauté de référence, elle peut, en tant que propriétaire, à tout moment et ad nutum, la renier par la simple adoption d’un acte égal et contraire. Juridiquement parlant, l’usage citoyen n’extrait pas le bien des prérogatives publiques : le propriétaire peut discrétionnairement révoquer les effets de la déclaration pour destiner le bien à d’autres buts, notamment en l’offrant au marché commercial. Il existe un risque permanent de voir l’usage civique, lié à des circonstances politiques favorables, notamment lorsque la majorité du conseil municipal appuie les expérimentations relatives aux biens communs, être révoqué au premier changement de majorité. En ce cas, le bien est remis à la merci de la volonté politique de la majorité pro tempore. Ce faisant, on efface institutionnellement l’un des pivots censés régir un bon mécanisme de gestion des biens communs, à savoir la capacité structurelle (rectius : juridique) du modèle de résister à long terme aux pressions contraires qui pourrait provenir tant du public que du privé.

En deuxième lieu, l’usage commun reste peu extensible (scalability), pour autant que la responsabilité civile « dommages » implique exclusivement la municipalité. Sauf si un conseiller municipal, par passion politique et dévouement civique, décide d’assumer la responsabilité des dommages aux tiers, l’action ordinaire d’une entité publique ne permet pas de penser que la personne publique se tienne pour responsable des usages du bien sans prétendre exercer quelque contrôle que ce soit sur ce dernier.

La fondation et le trust

Il est intéressant de relever que ces apories peuvent être dépassées par le recours à des institutions de droit privé. L’exemple de la fondation est, en ce sens, paradigmatique23.

Par-delà les différences de formulations, la notion de fondation est commune à tous les systèmes de droit appartenant à la western legal tradition, dont les convergences sont substantielles, surtout entre les systèmes continentaux.

La fondation peut être définie comme l’érection à un statut de personne morale d’un patrimoine destiné à un but d’intérêt général. D’un point de vue technique, l’effet typique de l’institution d’une fondation est, donc, double : - I) constitution d’une contrainte de destination sur un ou plusieurs biens ; - II) élévation de ces biens au statut de centre autonome d’imputation de droits et obligations, à travers l’acquisition de la personnalité juridique et de l’autonomie patrimoniale parfaite.

Ces caractéristiques rendent la fondation particulièrement utile dans la gestion des biens communs urbains. En permettant d’affecter, de manière pérenne, un bien immobilier à l’usage collectif inscrit dans l’acte constitutif et dans le statut, cette institution le protége, sur le long terme, des pressions extractives provenant de l’État ou du marché. La fondation, dans la plupart des systèmes occidentaux (et notamment en droit italien) fait aussi preuve d’une certaine flexibilité, laquelle permet à l’autonomie privée de construire les mécanismes de governance participatifs et démocratiques, selon les prescriptions propres aux biens communs.

Sous le premier profil, revêtent une importance particulière le but inscrit dans l’acte constitutif et dans le statut, ainsi que ses déclinaisons possibles dans les éventuelles contraintes ultérieures de destinations.

À ce propos, il convient d’observer que, selon l’art. 25 du code civil italien, tout acte de disposition mis en place par les organes de la fondation en violation de l’acte constitutif et du statut est nul et, là où il s’agit de la violation d’une contrainte de destination manifestement inscrite dans l’acte constitutif et dans le statut dûment publiés dans le registre des personnes juridiques, cette nullité est opposable aux tiers.

Les effets de cette règle sont loin d’être mineurs. Dans le cas d’une fondation constituée pour gérer, comme bien commun, un immeuble urbain qui aurait été destiné à des activités théâtrales et culturelles par l’acte de constitution de la fondation. Imaginons, maintenant, que le conseil d’administration de la fondation, enfreignant le but inscrit dans l’acte constitutif et éventuellement d’autres contraintes spécifiques inscrites dans les clauses du statut, délibère de la vente d’une partie du complexe immobilier à une société par actions, afin qu’une boutique de luxe y soit établie. Non seulement la délibération du conseil d’administration serait invalide, et tout aussi bien le contrat de cession éventuellement conclu avec la société, puisque la nullité de la délibération autorisant la cession signifie que sa signature aurait été donnée par des administrateurs sans pouvoir. La nullité du contrat de cession serait opposable à la société, étant donné le contraste manifeste entre son objet et le statut de la fondation (particulièrement du point de vue du but). Il est évident que l’effet serait celui d’une rétrocession du bien dans le patrimoine de la fondation (avec aussi la révocation des administrateurs impliqués, notamment là où cette possibilité est explicitement prévue par le statut).

Selon la doctrine et la jurisprudence italiennes, l’élément indéfectible de la fondation est justement le but (et donc la contrainte de destination) inscrit dans l’acte constitutif et dans le statut, lequel demeure immodifiable, car indisponible pour les instances de la personne morale. Cette indisponibilité vaut pour son acception directe (il n’est pas possible d’approuver une modification du but dans le statut) comme pour sa négative (tout acte ou délibération adopté en violation du but est nul). En droit civil, cette contrainte d’indisponibilité permet de distinguer la fondation de l’association. L’association étant une « organisation d’hommes » qui s’accordent pour la poursuite d’un but commun, le but est disponible aux associés, qui peuvent donc le modifier. Tel n’est pas le cas de la fondation, qui, en vertu de cela, est normalement définie comme un patrimoine destiné, lequel devient personne juridique.

De surcroît, la doctrine italienne a mis en avant cet aspect pour légitimer le recours à l’autonomie privée dans la création de structures de governance atypiques, indépendantes du modèle de gouvernement prévu par le code civil (qui se borne, en ce qui concerne les fondations, à mentionner une seule instance : le conseil d’administration). En effet, si ce qui qualifie l’institution est l’indisponibilité du but de la part des organes de la personne morale, ce but constitue le seul élément indéfectible de la fondation, ce qui n’est pas le cas de ses instances, qui peuvent comporter d’autres organes que le Conseil d’administration, par exemple une assemblée ouverte et structurée selon des mécanismes participatifs et démocratiques, sans interférer avec le but intangible ni déroger au caractère propre d’une fondation. Ceci explique que l’Italie a connu une certaine diffusion de fondations dotées de types de gouvernance assez créatives, qui joignent à la fondation des modalités typiques d’autres personnes morales, ainsi de l’assemblée. Il s’agit d’une pratique aujourd’hui reconnue par certaines réformes législatives récentes.

De par sa flexibilité propre et en raison de la place élargie accordée par le droit italien aux dispositions particulières pour établir la governance d’une fondation, et en se fondant aussi sur des expériences concrètes dont on discute, la fondation se voit de plus en plus reconnue comme modèle possible de gestion des biens communs urbains. C’est pourquoi certains des règlements municipaux sur les biens communs (cf., par exemple, Règlement de la Ville de Turin) comptent la fondation parmi les modèles possibles de gouvernement, sur lequel la communauté de référence et la Mairie peuvent s’accorder pour la gestion et le soin d’un immeuble urbain faisant l’objet d’un pacte de collaboration24.

Il est possible d’imaginer que la communauté de référence s’incarne dans une assemblée caractérisée par les mécanismes ouverts et participatifs permettant à quiconque d’en faire partie, laquelle, en tant qu’instance délibérative suprême de la personne morale et titulaire du pouvoir politique, élit les membres du conseil d’administration de la fondation, classiquement dépositaire des pouvoirs exécutifs et de direction.

Cette flexibilité permet aussi de structurer le conseil d’administration en sorte qu’il reflète les différentes parties prenantes (stakeholders) du bien et des activités qui s’y déroulent. Pour revenir à notre exemple, rien n’empêche une fondation destinant un ancien théâtre à des activités culturelles et dotée d’un conseil d’administration composé de représentants de l’assemblée et de la Mairie d’ouvrir le conseil à des membres représentant la personne morale collective relative aux théâtres de la ville.

La fondation comporte, donc, tous les éléments nécessaires à une governance correcte d’un bien commun urbain : - I) immodifiabilité de la destination d’usage du bien en direction d’intérêts généraux étrangers aux mécanismes du marché ; - II) tutelle réelle et erga omnes de la contrainte de destination ; - III) possibilité de construire une gestion démocratique et participative, capable de représenter tous les porteurs d’intérêt en jeu.

À cela il faut ajouter un autre élément fondamental : la gestion par une fondation d’un bien originairement en propriété publique permet de surmonter la principale faiblesse des instruments usuels d’administration des biens communs, savoir la révocabilité ad nutum du pacte initial à travers un simple acte administratif. En logeant le bien dans une fondation, l’administration publique s’interdit par avance de revenir sur son accord autorisant sa gestion selon les critères propres aux biens communs. Se liant les mains de la sorte, l’administration s’oblige à respecter le but et les destinations institués et, tout au plus, à participer régulièrement à la gestion du bien si elle est représentée au CA. Ceci acté, seul un recours à une procédure d’expropriation permettrait de modifier la situation du bien – mais cela suppose de démontrer le caractère d’utilité publique d’une telle action en justiiant l’intérêt social que représente cette expropriation.

Hormis la fondation, recourir à l’institution du trust permer un résultat analogue, pour peu que le trustee prenne la forme d’une personne morale non lucrative de droit privé (par exemple, l’association) structurée selon des modèles de gouvernement ouverts et démocratiques. En effet, depuis une trentaine d’années, cette institution typique des systèmes de common law, a fait l’objet de conventions internationales spécifiques permettant sa transposition légale dans nombreux systèmes de civil law qui la tenaient jusque là pour étrangère à ses normes. Il s’agit d’un élément du processus de convergence entre les deux grandes familles de la western legal tradition dont le comparatisme juridique permet la mise en équivalence25.

En Italie, surmontant les objections initiales de la doctrine et de la jurisprudence, cette institution du trust a trouvé son chemin grâce notamment à quelques interventions, même limitées, de la part du législateur, et personne ne doute plus de l’admissibilité d’un trust interne. Les importantes expérimentations mises en place par le territoire de la ville de Bologne indiquent que la pratique n’a pas hésité à user de cet outil afin d’organiser l’administration participative de biens publics destinés à des buts collectifs26.

Le Community Land Trust (CLT)

Mais les expériences des biens communs urbains témoignent aussi du recours à des formes créatives d’ingénierie juridique à partir d’outils existant du droit privé pour créer de nouveaux statuts de propriété sophistiqués, susceptibles de pourvoir aux nécessités requises par les biens pour garantir des droits fondamentaux. C’est ainsi que le CLT, modèle développé par le bas aux États-Unis dans les années 1970, est devenu paradigmatique d’un usage qui se répand depuis dix ans27.

Le CLT est traditionnellement une organisation non lucrative de droit privé, dont le but est celui de promouvoir l’accès au logement de personnes aux revenus limités par le biais de ventes d’immeubles à un prix inférieur à celui du marché ; son but est aussi de créer une governance participative de l’espace urbain, qui élargit les intérêts des propriétaires aux exigences des communautés locales et du territoire. La structure du CLT repose sur trois piliers opérationnels : - I) la dissociation entre la propriété du sol et le titre de propriété du bâti (lesdits improvements) ; - II) le fractionnement des prérogatives foncières des « propriétaires individuels » ; - III) un modèle associatif ouvert, fondé sur des mécanismes participatifs qui associent tout à la fois ceux qui détiennent des droits sur les biens du trust, et les autres stakeholders.

La création d’un CLT suppose que le titre de propriété soit alloué expressément à la personne morale no profit dépositaire d’un ou plusieurs fonds. Le CLT ne jouit pas, toutefois, de la pleine disponibilité du bien. En relation au foncier, la position du CLT est celle de l’administrateur fiduciaire, chargé d’administrer le bien selon les buts du trust et dans le seul intérêt de ses bénéficiaires. Les actes constitutifs de la contrainte fiduciaire peuvent être un véritable deed of trust au sens plein, si le CLT se constitue comme trust de but qui ajoute aux termes de propriété de la personne morale une contrainte réelle de destination contenue dans les clauses particulières l’acte constitutif et dans le statut. Ces actes encadrent le CLT au moyen de diverses limitations subséquentes et plus précises, la première étant l’interdiction perpétuelle d’aliéner le moindre actif constitutif du trust ; ce qui supprime toute disponibilité. Tout comme pour une fondation, cette soustraction pérenne du foncier à l’appropriation individuelle et aux logiques du marché présente les garanties voulues contre les tentations de mise sur le marché, sans préjudice du maintien du domaine dans le cadre qualifié d’une propriété privée.

Une fois le CLT devenu détenteur perpétuel du foncier, il cède fonctionnellement à d’autres la propriété du bâti. Ce démembrement rend possible la socialisation de la rente foncière, ce qui constitue le noyau du modèle. Les loyers permettent au CLT de générer des ressources à investir dans la réduction des coûts d’accès au logement et dans l’entretien de la zone. Tout en gardant la titularité des terrains, le CLT peut disposer d’outils juridiques pour gérer le bâti selon des formes que le juriste continental tiendrait pour une mise en valeur à titre privé de la fonction sociale de la propriété. Les titulaires des immeubles sont effectivement liés au CLT par un contrat quasi perpétuel : le ground lease ; qui ne se contente pas de légitimer les habitants du CLT à garder leur propre construction sur le sol (formellement) d’autrui, mais fixe les droits et obligations des propriétaires à l’égard du trust, ainsi que certaines limites à l’exercice des prérogatives foncières, ainsi réparties dans un système capable d’harmoniser dans la durée les besoins des individus avec ceux de la collectivité. Les ground leases prévoient, tout d’abord, que l’éventuelle aliénation des immeubles placés sous le CLT donne lieu à un prix plafonné, selon les critères contenus dans la clause appropriée (l’ainsi nommée resale formula clause), et confèrent aussi au CLT un droit de préemption. L’objectif de la formula est de partager équitablement le revenu foncier entre tous les participants à la transaction (voir plus bas), de sorte que le vendeur obtienne une rémunération adéquate de son investissement en capital en même temps que l’acheteur sans moyens suffisants puisse acheter un bien à un prix inférieur à celui du marché.

Aux USA, la formula la plus répandue prévoit que le lessee (le propriétaire individuel d’un bien relevant du CLT) ne puisse pas vendre son bien à un prix dépassant une plus-value de 25 % de l’augmentation de la valeur du bien durant la période de détention ; après indexation de l’inflation. Ces termes demandent un approfondissement.

Comme le prix de vente inital était inférieur au prix de marché et que cette disposition est permanente, chacun des acheteurs successifs a bénéficié d’une allocation, le plus souvent publique. Et comme tous les acquéreurs sont liés au ground lease, et donc à la resale formula, tous les achats successifs sont bonifiés. Pour autant, la valeur vénale n’est pas entièrement effacée de l’équation qui intègre une partie de la plus-value de marché. Naturellement, la valeur du foncier est sortie du calcul du prix de l’immeuble comme tel (land + improvement), dès lors que le vendeur dispose d’un droit de propriété complet sur le seul bâtiment (fee interest), tandis qu’il jouit sur le foncier du seul droit participatif property interest (leashold interest), qui se borne à garantir la pérérennité du démembrement initial pour un temps limité (le plus souvent, quatre-vingt-dix-neuf ans renouvelables).

Le vendeur n’est légitime qu’à obtenir 25 % de la plus-value, le surcroît étant redistribué entre l’acquéreur et le CLT (en général 70 % vont à la bonification au profit de l’acheteur, sous forme d’une réduction du prix d’achat, les 5 % restant venant compenser les frais de gestion du CLT et d’entretien du foncier).

Voyons cela sur un exemple simplifié qui laisse de côté la variable de l’inflation. Le CLT a acquis la propriété d’un immeuble (sol et bâtiment) au prix de marché de 120 $. Afin de pouvoir entamer ses opérations, le CLT obtient un financement public de 20 $, compensant une réduction obligatoire du prix de la première cession du bâti. Le CLT conservant le foncier, le prix de la cession sera diminué de sa valeur (mettons 20 $) en sus de la bonification publique d’achat soutenue par le CLT non pas seulement l’allocation publique (20 $), mais aussi la valeur du sol ; ce qui permet de céder pour 80 $ un bien dont le prix de marché serait de 120 $. Au temps T2, le premier acquéreur décide de revendre l’immeuble ; un acquéreur est identifié. Le prix de revente tient compte de la plus-value de marché diminuée de la valeur du foncier, par commodité fixée ici à 30 $ sur 200 $ de valeur totale. La plus-value du bâti s’établit alors à 70 $ si sa valeur actualisée est de 170 $ tandis qu’il valait 100 $ à l’origine. Si le prix de cession intègre 25 % de cette plus-value, il sera de 97,5 $ puisque ces 25 % de 70 $ représentent 17,5 $ qui s’ajoutent au prix de cession initial. L’acquéreur initial restitue le bien pour ce prix au CLT qui le revend augmenté de 5 % de frais de gestion, ce qui porte le prix à 101 $ pour le successeur contre un prix de marché de 170 $. Et ainsi de suite, selon un cercle vertueux permettant au CLT de soustraire durablement au marché les immeubles qu’il contrôle, ce qui réduit simultanément la pression à la hausse sur les prix d’ensemble des spéculations immobilières sans devoir augmenter pour autant l’investissement initialement consenti par la puissance publique.

Le ground lease comporte bien sûr des clauses additionnelles relatives à des dépenses d’entretien régulières ou extraordinaires de l’immeuble et de l’espace entourant, destinées à parer aux défections et aux manquements des ayants droit, en même temps que pour résister au détournement des finalités du CLT. En pratique, le propriétaire se doit d’occuper lui-même le logement et sa faculté de le louer est étroitement contrôlée, tant elle serait contraire aux buts du CLT. Cette structure juridique garantit une certaine solidité économique et financière, dès lors que le CLT conserve un droit de regard sur le patrimoine lors de chaque cession dont il bénéficie financièrement à la marge et qu’il retient des loyers proportionnés aux revenus et à la capacité économique de chacun des titulaires, doublement intéressés à sa pérennité en tant que bénéficiares du CLT et que propriétaires du bâti.

S’il est exclu que les éventuels excédents d’exploitation puissent être distribués, ils doivent, en revanche, être remployés dans le cadre des missions imparties au CLT, ce qui concerne l’entretien extraordinaire du bâti et l’entretien (ordinaire et extraordinaire) des espaces du CLT qui ne sont pas soumis à usage privatif. Toutefois, l’essentiel des ressources du CLT est généralement destiné à la mise en valeur de la zone : rénovation de bâtiments destinés à usages collectifs, récupération de zones vertes, événements culturels, construction et gestion d’équipements destinés à la socialisation (théâtres, petits terrains de sport, etc.). De manière générale, en effet, il appartient au CLT de déterminer les espaces ouverts à la collectivité par différence des terrains destinés au logement. En ce qui concerne les premiers, l’accès doit être garanti à tous et leur jouissance, dans le respect des contraintes de destination établies par le trust, ne peut jamais être restreinte aux seuls membres du CLT. Il appartient en outre toujours au trust, selon les critères fixés par les bylaws, de déterminer si et comment certains des immeubles peuvent être loués à d’autres entités privées susceptibles d’installer des activités productives, récréatives et commerciales. Nombre de CLT accueillent des jardins partagés, des hôtels de jeunesse, des ateliers, des bureaux en co-working et des espaces culturels gérés par des associations, des coopératives ou d’autres personnes morales, liées au trust par un contrat de location qui ne comporte généralement pas de bonification, étant donnée la nature commerciale des activités prévues.

Dans le modèle traditionnel de CLT, la governance du territoire intègre la perspective de remédier à la crise du logement, et cette orientation, qui qualifie fondamentalement l’institution, se traduit par une dimension participative et ouverte, que diverses dipositions viennent conforter, comme l’open membership de la personne morale no profit qui supervise le CLT. Ses membres ne se limitent pas aux ayants droit sur le bâti et des baux commerciaux : peut adhérer quiconque partage les valeurs, les idéaux, les buts statutaires et serait disposé à s’engager dans les activités d’entretien du territoire. Parce qu’ils sont engagés en commun pour entretenir et jouir collectivement des mêmes espaces, outre les habitants, les acteurs des initiatives culturelles locales, ceux qui exercent leur propre activité dans le trust, les citoyens des quartiers limitrophes etc., peuvent devenir membres du CLT. Cette adhésion est généralement assortie d’un droit de vote à l’assemblée délibérative qui accompagne le board of directors où se concentrent les décisions opérationnelles. Caractérisé par une structure tripartite ; il est composé à parts égales des représentants des habitants du trust, des autorités publiques et des habitants des zones mitoyennes. Les organes du CLT adoptent toute décision relative à la gouvernance du territoire (usage des espaces, investissement, contraintes de destination, événements culturels…) selon les procédures démocratiques prévues au règlement intérieur.

Ainsi le CLT n’est-il pas un simple système d’accès au logement : il se présente comme un modèle original et soutenable, capable de s’opposer de manière durable à la logique extractive propre aux outils traditionnels de governance du territoire relevant du marché ou des administrations publiques. Sa popularité et sa diffusion tiennent à la capacité de ce modèle, grâce au lock-in effect, pour affecter des logements à prix modéré en consommant nettement moins de capitaux que tout autre programme de logement social, tout en stimulant des projets de reconversion territoriale qui contrarient la pression du marché et de la gentrification.

Au-delà des USA, le CLT a été transposé dans divers systèmes légaux, sans se limiter aux systèmes de common law (tels le Royaume Uni, l’Australie ou le Canada, pays où les CLT sont assez répandus)28. Dans les systèmes de civil law ; la transposition la plus significative est celle du CLT de Bruxelles, qui indique la compatibilité du CLT, moyennant quelques adaptations, avec le droit civil29. Sans avoir déjà été mis en œuvre en Italie, ce modèle a fait l’objet de débats au point d’être mentionné par certains règlements municipaux sur les biens communs30. Des perspectives analogues à l’expérience bruxelloise se présentent ainsi dans d’autres contextes31.

Conclusion

Cet aperçu de la pratique italienne de la théorie des biens communs débouche ainsi sur diverses conclusions et tout d’abord sur le constat selon lequel le débat à son sujet est sorti du ghetto où la reléguait étroitemement une pensée économique qui les bornait aux biens intrinsèquement non rivaux et non exclusifs.

Conformément aux discussions théoriques qu’ils ont suscitées, le débat à leur propos a montré, leur conférant une connotation ostensiblement politique, que le processus de commoning était bien leur caractéristique propre32. En liant cette composante politique à l’ordre juridique, ce débat critiquait la fiction (propre au positivisme juridique) qui voudrait poser une nette séparation entre la dimension du politique et une supposée « neutralité technique » du droit : cela se traduit concrètement dans les règlements municipaux comme dans la construction des modèles de gestion des biens communs urbains, qui fusionnent l’ordre politique et l’ordre juridique. De là suit, en second lieu, l’élargissement de la notion de biens communs en Italie en tant qu’outil herméneutique permettant d’identifier des expériences de praxis politique exigeant l’invention d’approches juridiques novatrices par un usage anti-hégémonique des catégories juridiques.

Face à l’inadaptation des structures organiques de l’État et du marché pour satisfaire les besoins des individus et des communautés (lesquels se traduisent au plan juridique en droits fondamentaux), on assiste à l’auto-organisation de communautés, formelles et informelles, susceptibles de proposer des réponses adaptées et coopératives, par le bas. Ce n’est pas un hasard si ces expériences n’accordent qu’un rôle marginal à la puissance publique, qui, en ce domaine, ne peut pas coopérer avec les communautés sans rompre avec l’approche classiquement hiérarchique et hégémonique typique des procédures administratives. Autrement dit, les biens communs manifestent que l’État est loin d’être le seul sujet de droit supposé répondre aux besoins collectifs et aux droits fondamentaux, là où l’auto-organisation coopérative produit des résultats effectifs. Certes, l’État et ses instances territoriales peuvent jouer un rôle important, mais cela suppose l’adaptation de leur pratique à la coopération horizontale avec les communautés de référence. En d’autres termes, ces expériences valorisent le principe de subsidiarité horizontale, d’ailleurs explicitement prévu par la Constitution italienne (art. 118).

Enfin, l’élément peut-être le plus significatif de notre analyse concerne le droit privé : les biens communs montrent que celui-ci peut devenir un levier face aux privatisations et que, dans certaines circonstances, il peut garantir – parfois même mieux que le droit public – l’usage participatif d’un bien et sa vocation communautaire : tel est le cas de la fondation et du trust .

Tout cela n’est paradoxal qu’en apparence. En vérité, ces approches institutionnelles innovantes indiquent la possibilité d’exploiter stratégiquement l’asymétrie de principe entre propriété publique et propriété privée – en retournant de la sorte la ratio fondatrice de leur séparation dans le constitutionnalisme européen postrévolutionnaire. En effet, si les garanties données à la propriété privée se prévalaient de la nécessité de protéger le marché d’un collectivisme étatique, la réflexion sur les commons indique comment la rupture d’équilibre entre État et marché impose de recourir aux instruments du droit civil afin de préserver l’usage collectif des biens. L’attribution d’un bien public à une fondation « bien commun » ou à un community land trust établit l’usage du droit privé pour s’opposer aux privatisations, en affectant des biens à un sujet de droit pérenne pour les soustraire au marché.

Cette perspective permet d’indiquer une voie alternative interne au droit privé, lequel, rompant avec sa vocation traditionnelle de servir le marché à travers le droit des biens et des contrats, peut promouvoir un espace d’auto-organisation par recours à l’autonomie privée33, de façon à créer des modalités d’appartenance capables de valoriser les utilités produites par les biens non plus sur un marché, mais en fonction des droits fondamentaux34. Si la propriété privée est traditionnellement décrite comme l’institution qui encourage l’extraction maximale des utilités du bien en conférant toutes les prérogatives d’usage et de disposition d’un bien à titre exclusif à un sujet singulier (ius excludendi alios) disposant d’un accès au marché, les biens communs montrent, en revanche, qu’en l’état actuel du droit, on peut créer par le bas des modèles fonciers qui renversent cette perspective à travers des modalités contractuelles expresses. Le community land trust invente finalement une forme de propriété qui voit l’accès, et non plus l’exclusion, devenir la catégorie fondatrice. Cette forme de propriété alloue les biens et les utilités associées non plus selon le seul critère de l’offre et de la demande, mais en fonction de besoins individuels (accès au logement) et collectifs (régénération urbaine), qui correspondent à autant de droits fondamentaux. Au lieu d’encourager l’exploitation maximale du bien et l’allocation des utilités extraites à un seul propriétaire, ce modèle permet de socialiser durablement la rente dans un circuit fermé. La portée exemplaire des biens communs est donc bien de présenter, à côté de la propriété extractive, des formes de propriété générative35 dépassant la dichotomie obsolète entre propriété privée (marché) et intervention publique (collective), décrivent des modèles fonciers directement tournés vers la redistribution et, surtout, vers la satisfaction des droits fondamentaux, qui privilégient l’accès sur l’exclusion, la valeur d’usage sur la valeur d’échange, et ceci dans l’intérêt des générations futures.

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  1. Cet article est issu d’une contribution au séminaire sur le capitalisme cognitif (13/01/2021). Je souhaite remercier Carlo Vercellone pour l’invitation, Veronica Pecile pour la discussion et Giulio Mellana (doctorant en philosophie à l’université Laval et à Sorbonne-Université) pour la traduction de l’italien, à partir de laquelle Gérard Wormser a rédigé la version publiée. L’auteur demeure le seul responsable de toute erreur ou omission.

  2. Pour une introduction au débat sur les biens communs en Italie, cf. U. Mattei, « Protecting the Commons: Water, Culture and Nature: The Commons Movement in the Italian Struggle against Neoliberal Governance » (2013).

  3. Ce débat tire son origine du célèbre essai par G. Hardin, « The Tragedy of the Commons » (1968) dont la perspective, renversée par le prix Nobel de l’économie E. Ostrom (cf. E. Ostrom, Governing the Commons. The Evolution of Institution for Collective Actions, 1990), a été largement discutée et critiquée. Pour une introduction à ce débat, aussi concernant son influence sur la théorie économique et juridique de la propriété privée, cf. O. De Schutter et B. Rajagopal, « Property from Below: an Introduction to the Debate » (2019) ; pour la prospective économique voir C. Vercellone, F. Brancaccio, A. Giuliani, P. Vattimo (éd.), Il comune come modo di produzione (2017).

  4. Cf. U. Mattei et E. Reviglio et S. Rodota (éd.), Invertire la rotta. Idee per una riforma della proprietà pubblica (2007).

  5. Cf. U. Mattei, « Proprietà (nuove forme di) » (2012).

  6. Cf. art. 1 al. 3 lett. c) du projet de loin, consultable au lien suivant du site du Sénat de la République Italienne : https://www.senato.it/service/PDF/PDFServer/DF/217244.pdf.

  7. Cf. art. 1 al. 3 lett. d) du projet de loin, consultable au lien suivant du site du Sénat de la République Italienne : https://www.senato.it/service/PDF/PDFServer/DF/217244.pdf.

  8. Sur la discipline italienne en matière de service hydrique et sur la vicissitude du referendum pour l’eau « bien commun », cf. A. Quarta et U. Mattei, L’acqua e il suo diritto (2014).

  9. Cour de Cassation Italienne, Chambres Réunies, Arrêt 14 février 2011, n. 3811.

  10. Ibid.

  11. Dans la doctrine italienne, on consultera entre autres : U. Mattei, Beni comuni. Un manifesto (2011) ; M.R. Marella (éd.), Oltre il pubblico e il privato. Per un diritto dei beni comuni (2012b) ; S. Rodota, Il terribile diritto. Studi sulla proprietà e i beni comuni (2013). En langue anglaise, sur ce thème, on peut consulter M.R. Marella, « The Commons as a Legal Concept » (2017) ; U. Mattei et F. Capra, The Ecology of Law. Towards a Legal System in Tune with Nature and Community (2015).

  12. C’est la perspective qui traverse les essais réunis par A. Quarta et M. Spanò (éd.), Beni comuni 2.0. Controegemonia, nuove istituzioni (2016) ; et aussi en M.R. Marella, The Commons as a Legal Concept (2017).

  13. Cf. U. Mattei et A. Quarta, « Right to the City or Urban Commoning? » (2015).

  14. Selon la perspective qui, au sein du débat anglo-américain, prend le nom de right to the city. Sur la question, cf. surtout, selon une approche théorique cohérente avec le discours des biens communs urbains, D. Harvey, Rebel Cities: from the Right to the City to Urban Revolution (2012) ; du même auteur on consultera « The Right to the City » (2008) ; tout aussi incontournables les analyses de H. Lefebvre, Le Droit à la ville (1968) ; sur le rapport solidaire entre droit à la ville et les biens communs urbains, cf. S. Foster, « Urban Commons, Property and the Right to the City » (2019).

  15. Pour une analyse plus approfondie dans la perspective de la law and economics, voir A. Vercellone, Il Community Land Trust. Autonomia privata, conformazione della proprietà, distribuzione della rendita urbana (2020a).

  16. Cf. S. Foster et C. Iaione « The City as a Commons » (2016).

  17. Sur le processus de commoning cf., surtout, D. Bollier et S. Helfrich, « Overture » (2015).

  18. Pour une étude analytique des prévisions et des principales questions technico-juridiques impliquées dans les règlements sur les biens communs italiens, on lira avec profit R. Albanese et E. Michelazzo, Manuale di diritto dei beni comuni urbani (2020) ; pour une première introduction cf. C. Angiolini, « Possibilità e limiti dei recenti regolamenti comunali in materia di beni comuni » (2016).

  19. Sur les pactes de collaborations, cf. aussi le dernier chapitre de A. Giusti, La rigenerazione urbana. Temi, questioni e approcci nell’urbanistica di nuova generazione (2018).

  20. Cf. R. Albanese, Dalla negozialità urbanistica al diritto dei contratti (2020).

  21. Sur la question des pactes de collaboration et du principe de concurrence, cf. E. Michelazzo, « Riflessioni sui patti di collaborazione in rapporto alla concorrenza » (2020).

  22. Pour un approfondissement sur l’usage civique en tant qu’outil de gouvernement des biens communs dans l’expérience italienne, voir les contributions de la troisième partie du volume collectif édité par R. Albanese et E. Michelazzo, Gestire i beni comuni urbani (2020).

  23. Sur la fondation en tant qu’outil pour le gouvernement des biens communs urbains et une réflexion plus approfondie sur ces questions, voir A. Vercellone, « La fondazione » (2020b).

  24. Cf. art. 17 du « Règlement pour le Gouvernement des Biens Communs Urbains » de la Ville de Turin.

  25. Cf. B. Markesinis (éd.), The Gradual Convergence (1994).

  26. Sur le trust en tant que modèle de gouvernement des biens communs urbains, en référence spécifique avec l’expérience de la Ville de Bologne, cf. A. Tonelli, « Trust e beni pubblici: un nuovo ed efficiente percorso » (2020).

  27. Sur le modèle du Community Land Trust aux États-Unis, en lien tant avec les cadres juridiques qu’avec leur historique et leur pratique, on consultera : K. White, (éd.), The Community Land Trust Technical Manual (2011) ; M. Towey, « The Land Trust Without Land: the Unusual Structure of the Chicago Community Land Trust » (2009) ; E. Thaden, Results of the 2011 Comprehensive CLT Survey (2011) ; S.I. Stein, « Wake up Fannie, I Think I Got Something to Say to You: Financing Community Land Trusts without Stripping Affordability Provisions » (2010) ; C. A. Seeger, « The Fixed-Price Preemptive Right in the Community Land Trust Lease: a Valid Response to the Housing Crisis or an Invalid Restraint on Alienation? » (1989) ; S. J. Pastel, « Community Land Trusts: a Promising Alternative for Affordable Housing » (1991) ; J. Meehan, « Reinventing Real Estate: the Community Land Trust as a Social Invention in Affordable Housing » (2010) ; J. J. Kelly, « Land Trusts that Conserve Communities » (2009) ; J. Farrel Curtin et L. Bocarsly, « CLTs: a Growing Trend in Affordable Home Ownership » (2008) ; J. E. Davis (éd.), The Community Land Trust Reader(2010) ; D. Abromowitz, « An Essay on Community Land Trusts: Towards Permanently Affordable Housing » (1991) ; D. Abromowitz, « Community Land Trusts and Ground Leases » (1992) ; J .E. Davis, A. Stokes, Lands in Trust, Homes that Last. A Performance Evaluation of the Champlain Housing Trust (2009).

  28. Sur l’Australie, cf. : 3, The Australian Community Land Trust Manual (Crabtree et al. 2013) ; sur le Royaume-Uni, cf. K. White (éd.), The Community Land Trust Handbook (2013).

  29. Sur le Community Land Trust en Belgique, avec une référence spécifique à l’expérience de la Ville de Bruxelles, cf. N. Bernard, G. De Pauw et L. Géronnez, « Le Community Land Trust, solution pour concilier l’accessibilité du logement, les avantages de la propriété et un foncier au service de l’intérêt général » (2011) ; N. Bernard, G. De Pauw et L. Géronnez, « Cooperative de logement et Community Land » (2010) ; N. Bernard, « L’emphytéose et la superficie comme pistes de solution à la crise du logement » (2010).

  30. Cf. le « Règlement pour les Biens Communs » de la Ville de Chieri, art. 3 al. 1 lett. p) ; 7 al. 4 ; 8 al. 3 ; 30 al. 3.

  31. Je me permets de renvoyer à nouveau à A. Vercellone, Il Community Land Trust (2020a), spécialement son dernier chapitre.

  32. Cf. P. Dardot, C. Laval, Commun. Essai sur la revolution au XXIe siècle (2012) ; mais aussi T. Negri, Inventer le commun des Hommes (2010).

  33. Selon une perspective qui ne s’éloigne pas substantiellement de celle du philosophe du droit W. Cesarini Sforza, lequel, justement, se référait à cette modalité particulière de l’autonomie privée comme « droit des privés ». De cet auteur, on consultera Il diritto dei privati (1929), réédité par Quodlibet, Macerata, 2018, avec un essai de Michele Spanò.

  34. Pour une analyse exhaustive de la manière dont la catégorie des biens communs remet en jeu les institutions fondant le droit privé patrimonial (propriété, contrat et responsabilité civile), cf. A. Quarta et U. Mattei, The Turning Point in Private Law. Ecology, Technology and the Commons (2018) ; M. Spanò, « Making the Multiple: Towards a Trans-Subjective Private Law » (2019).

  35. Sur la propriété générative, cf. M. Kelly, Owning Our Future, The Emerging Ownership Revolution (2012).

Vercellone Antonio 0000-0001-6111-0623
Wormser Gérard 0000-0002-6651-1650
L’Expérience des biens communs en Italie
Espaces urbains, propriété privée, droits fondamentaux
Antonio Vercellone
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public 2022/01/18
Au cours des dernières années, la catégorie des biens communs s’est imposée dans le débat européen, en constituant le pivot autour duquel s’organisent théories et expériences capables de dessiner, par le bas, des schémas alternatifs du rapport entre hommes et biens, par-delà le public et le privé, et ce en les fondant sur l’accès, la participation, la distribution et la démocratie. De ce point de vue, l’une des expériences les plus intéressantes est assurément celle italienne, où les biens communs ont représenté le cœur de batailles politiques réussies, tout en pénétrant dans les mailles de l’ordre juridique et ainsi bâtissant les présupposés pour des mécanismes institutionnels novateurs. La présente étude, d’une perspective principalement juridique, prend en examen l’expérience italienne des biens communs et des biens communs urbains, dans le but de montrer que cette dernière est en mesure d’indiquer les présupposés théoriques en vue d’une « rupture interne » de certaines catégories traditionnelles du droit civil occidental.
During the last few years, the commons as a category, have taken their place in the European debate, they constitute a key element for the organisation of theories and experiences that would help defining alternative patterns, from below, for the relations between people and commons, beyond the public/private pattern, with an emphasis on access, participation, distribution, and democracy. From this perspective, one of the most interesting experiences is without doubt the Italian experience of commons, which were at the centre of successful political battles and, at the same time, penetrated deep into the Italian legal order, thus creating the initial conditions for innovative institutional mechanisms. This article studies, from a mostly legal point of view, the Italian experience of commons and urban commons and aims to show how this experience defines the theoretical initial conditions for an “internal rupture” of certain categories of the Western legal tradition.
Negli ultimi anni, la categoria dei beni comuni si è imposta nel dibattito europeo, costituendo il fulcro di teorie ed esperienze capaci di disegnare, dal basso, schemi alternativi di rapporto tra uomo e beni, oltre il pubblico e il privato, fondati su accesso, partecipazione, distribuzione e democrazia. Una delle esperienze più interessanti, sotto questo profilo, è certamente quella italiana, ove i beni comuni hanno rappresentato il perno di battaglie politiche di successo e sono riusciti a penetrare nelle trame dell’ordinamento giuridico, costruendo i presupposti per meccanismi istituzionali innovativi. Il saggio, seguendo un’impostazione prevalentemente giuridica, esamina l’esperienza italiana dei beni comuni e dei beni comuni urbani, mostrando come essa sia in grado di indicare i presupposti teorici per una “rottura interna” di alcune categorie tradizionali del diritto civile occidentale.
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Biens communs, Règlement des biens communs, Community land trust, Usage civique, Privé / public, Droit comparé, Espace urbain, Espace Public, Italie, États-Unis
Commons, Municipal regulation on urban commons, Community land trust, Civic uses, Private / public, Comparative law, Urban space, Public Space, Italy, United States