Introduction
La mobilisation nationale « Lutte pour la vie » a eu lieu sous la forme d’un grand campement à Brasilia/DF du 22 au 28 août 2021. La mobilisation a été organisée par l’APIB en collaboration avec toutes les autres organisations de base. Le campement a rassemblé 6 000 indigènes de 176 groupes ethniques et visait à revendiquer les droits des peuples indigènes et à promouvoir la mobilisation face aux atteintes incessantes contre les garanties des droits des peuples autochtones pendant le gouvernement du président Jair Bolsonaro. Les participants ont suivi les délibérations devant conduire la Cour Suprême (STF) à statuer au sujet de la « clause temporelle », ce qui définira l’avenir des démarcations des terres indigènes. Ce procès de la thèse de la clause temporelle analyse le droit pour les indigènes à revendiquer seulement les terres occupées à la date de la promulgation de la Constitution fédérale de 1988. Le STF évalue également si la reconnaissance serait valable dès la conclusion de la procédure de démarcation par la FUNAI.
Le 09/09/21, le STF, après des interruptions successives, a commencé à lire les rapports sur la thèse de la clause temporelle. Le premier vote a été émis par le juge Edson Fachin, rapporteur de l’appel, devant la plénière de la Cour. Le rapporteur a voté le rejet de la procédure, jugeant qu’il n’y avait pas lieu d’examiner la thèse de la clause temporelle. Le vote du rapporteur défend la thèse d’un engagement constitutionnel à garantir les droits fondamentaux des peuples autochtones présents sur le territoire national avant même l’émergence de l’État brésilien. Le juge Nunes Marques, en revanche, a voté en faveur de la thèse de la clause temporelle, ouvrant une divergence vis-à-vis du vote du rapporteur. Le procès est actuellement ajourné, après la demande d’expertise du juge Alexandre de Moraes. Aucune date n’est fixée pour sa reprise.
Entretiens avec des chefs [Caciques] et des représentants indigènes qui ont participé au campement de la veillée pour le procès du « cadre temporel » à la Cour suprême fédérale (STF) (Brasília/DF, du 22/08/2021 au 11/09/2021).
Cacique Darã
Sens Public : Nous vous ouvrons le micro, les représentants indigènes, pour exprimer les raisons pour lesquelles vous êtes présents aujourd’hui à Brasília dans ce mouvement de lutte pour vos droits.
Au départ, ce mouvement des peuples indigènes a commencé avec le voyage à Brasília de 12 personnes venues s’informer du parcours parlementaire des projets de loi 191 et 490 à la Chambre des députés. Puis nous sommes rentrés à notre base avant de revenir de nouveau avec 60 guerriers sans la moindre structure d’appui. Nous avons lancé un appel aux autres régions et aux organisations qui nous soutiennent, ce qui nous a permis de réunir plus de 3 000 indigènes au « campement pour la vie ». Voilà pourquoi notre mouvement est parvenu à compter plus de 8000 indigènes dans le campement de la veillée et nous avons maintenant déménagé ici, où nous sommes désormais. Suite à tout cela, le mouvement de la marche des femmes indigènes de diverses régions est venu ici1. Différents groupes ethniques sont là présents depuis le début [au campement de la veillée, qui a été déplacé de la zone située à côté du Théâtre national à la Funarte] : Tupi-guarani, Krenak, Pancaruru, Pancararé, Pataxó, Kuni-ô et les Guarani-Kaiowá où ils sont en ce moment victimes d’attaques de fermiers. Nous sommes là pour soutenir le mouvement des femmes indigènes avec nos proches du Sud, du Sud-Est, du Centre-Ouest et de l’Amazonie, parce que nous devons lutter contre ce gouvernement, contre ces gens qui veulent envahir la Cour suprême et qui veulent porter un coup à la démocratie.
Notre peuple est attaqué par les orpailleurs, nos frères Yanomami sont attaqués ; le commandement du PCC2 est déjà dans cette région. C’est donc très difficile à gérer et ces gens [les partisans de Bolsonaro] ne font rien, ils veulent seulement détruire les droits des peuples autochtones, nous avons déjà été volés il y a plus de 500 ans quand ils ont dit avoir découvert le Brésil. Personne n’a découvert le Brésil parce que nous existions déjà sur place, que nous sommes ici et que cette lutte continuera ici, avec mon fils, avec ma fille, ainsi que mes petits-enfants qui continueront la lutte de leurs parents, nous ne lâcherons pas.
Cette bande qui est au pouvoir, dès le premier jour du mandat [de Bolsonaro], elle voulait déjà décimer les peuples indigènes, elle a cultivé la haine. Ce qui se passe aujourd’hui, c’est purement la faute des journalistes, des députés évangélistes et du gouvernement actuel. C’est un gouvernement génocidaire, c’est un gouvernement qui ne s’oppose pas à ces expressions et qui tue des milliers de personnes ; plus de 600 000 personnes ont été tuées par le Covid et nous ne le voyons pas se soucier du peuple. Et nous sommes très inquiets parce qu’il fait appel aux ruralistes et aux fermiers pour s’en prendre au droit d’aller et venir, sauf que ce droit fait partie de la Constitution fédérale et il veut tout faire pour monter un coup d’État, mais il ne réussira pas. Un informateur bien introduit (je ne peux pas en dire le nom) nous dit que les gens qui le soutiennent [Bolsonaro] ont essayé d’envahir la Cour suprême et puis ça a mal tourné et ils n’y sont pas parvenus. C’était çà, le coup d’État, le coup d’État militaire, et alors ils sont en colère. Alors c’est eux qui ont provoqué les émeutes dont ils tiennent à nous accuser, et ils font tout pour dresser les fermiers contre notre peuple indigène.
Notre peuple n’était pas dans cette question de territoire. Ils ne comprennent pas ce qu’est une culture, une coutume, ce qu’est la nature pour nous, ce qu’est l’eau. Ils ne comprennent pas pourquoi c’est la nature qui nous donne la vie, que c’est elle qui nous donne à manger et que c’est la terre mère qui demande secours à la société et que la société ne voit pas la terre mère demander secours. C’est pourquoi lorsque vous entendez le chant sacré, c’est parce que nous demandons à Dieu de bénir la mère-terre, la mère Nature. Beaucoup d’entre vous et de vos enfants ne voient pas qu’il y aura un moment où l’eau s’asséchera et qu’il y aura un moment où elle s’épuisera. Nous ne sommes pas inquiets pour notre territoire, mais pour la vie de l’être humain. Nous préférons mourir pour sauver notre peuple, notre mère-terre, nous donnons notre vie pour rendre le monde meilleur, pour rendre la communauté et la société bien meilleures. Et ce gouvernement ne collabore avec personne, ni avec les indigènes ni avec la société, car il veut tuer et la société ne le voit pas. Nous allons lutter contre les préjugés, nous allons lutter contre ce président. Nous avons aujourd’hui plus de 170 peuples différents ici présents, près de 4 000 indigènes vont encore arriver, donc c’est intéressant de voir cette multitude de frères qui se battent pour leurs territoires, chaque région a subi un massacre mené par des fermiers, la terre a été prise, la terre a été envahie… tout ça parce que le gouvernement veut tuer notre peuple.
Le projet de loi 191 est le projet de la mort, il est inconstitutionnel. Il [Bolsonaro] est pire qu’Hitler et la société ne voit pas et plus de gens vont mourir si elle ne prend pas de mesures. Il n’a aucune amitié envers ce pays, pourquoi le vaccin n’est-il pas arrivé plus tôt ? Les doses de vaccin sont toutes en retard, tout est très compliqué… alors nous allons nous battre jusqu’à la dernière goutte de sang de notre peuple, on ne lâchera pas, si un ou deux combattants sont tués, 20 autres guerriers naissent, dans notre communauté il y a des femmes enceintes… ce qui fait mal c’est que la société extérieure ne nous voit pas souffrir ici sous une tente, sous une bâche, heureusement il y a des gens bien dans ce pays qui soutiennent la cause indigène, ils apportent de l’eau, ils apportent un panier, ils apportent des fruits, ils sont solidaires, ils aident à faire passer le message…. J’ai 55 ans et je n’avais jamais vu auparavant un gouvernement qui détruit nos jeunes, notre pays, qui détruit tout. C’est donc ce que je veux dire : je ne vais pas vivre avec ces choses-là, je vais me battre. Je veux dire à mes enfants que j’ai fait ma part, ce qui se passe dans notre pays est très difficile. Tant de dégoût, tant de haine… c’est tout.
Sens Public : Est-il possible d’avoir de l’espoir face à ce désastreux panorama actuel ? Qu’en est-il du PEC [Projet d’amendement constitutionnel] sur le cadre temporel, quelles sont les attentes des peuples indigènes par rapport à ce jugement ?
C’est entre les mains de Nhanderú3. Il y a le chant Guarani et Tupi Guarani, mélangé avec le Terena, nous demandons beaucoup et nous nous concentrons (…) parce que le cadre temporel est un pas en arrière pour la cause indigène, car il arrive maintenant au 21e siècle et ce gouvernement arrive et fait ce qu’il avait fait au début, un début que nous ne pouvons pas accepter… mais nous avons beaucoup d’espoir. Le 5 octobre 1988, nos terres ont été délimitées, homologuées, récupérées et ils veulent chasser notre peuple de ces terres, qui étaient bien sûr nôtres à l’origine. Dans la Constitution fédérale, à la page 60/61, cela est également traité et notre Constitution doit être respectée, car sinon, n’importe qui peut venir sur notre territoire et tout dévaster. L’homme blanc va venir construire un barrage, il va construire un pont, c’est ce qu’il veut imposer. Et c’est ce que font les orpailleurs, les accapareurs de terres qui envahissent nos terres, c’est ce qu’il [Bolsonaro et ses partisans] veut.
Anildo Awarokadju
Tout ce qui se passe aujourd’hui provient de l’ensemble du processus de transformation. Nous ne sommes pas venus ici pour nous enrichir, pour déboiser, pour détruire, comme cela se passe aujourd’hui. Nous sommes venus aider les blancs pour pouvoir leur donner la vie, vous comprenez ? Parce que le monde est capitaliste, on veut détruire, on veut exploiter, et à l’intérieur de la terre indigène, il faut préserver, donc il faut guider. Donc, tout ce qui se passe aujourd’hui, les anciens avaient déjà prévu qu’il y aurait un moment où nous souffririons davantage, ce n’est pas que nous n’ayons pas souffert [historiquement], mais avec tant d’invasions dans ce pays appelé Brésil, qui a été envahi… ce moment est arrivé à nouveau. Auparavant, nous n’avions pas de limites, les Tupi-Guarani marchaient librement. Maintenant, nous sommes traités comme des animaux parqués. Notre peuple est assassiné, une haine est créée et ensuite nous devons organiser les indigènes parce que les colonels sont là pour contester les territoires. Ils ont créé un système de service de protection des indiens, dans les années 40, ils ont créé la FUNAI parce qu’ils aimaient les indiens ? Une lutte de résistance de tant d’années, tant de gouvernements qui vont et viennent et nous devons encore prouver d’une manière ou d’une autre que ce territoire est la nôtre. Notre terre en tant que peuple originel. Il y a le gouvernement qui va et vient, il y a les partis, mais nous ne sommes pas partisans, nous avons des partenaires et non des partis. Ils ont fait un projet pour donner une voix à notre peuple a été, et puis le politicien part et rien n’est fait, ni au niveau des États fédérés ni au niveau de la fédération. Parce que nous sommes totalement minoritaires aujourd’hui, beaucoup ont été décimés, nous n’avons aucun pouvoir.
Nous voyons le manque d’égalité d’un peuple autochtone, dans un pays plein d’immigrants qui furent accueillis par les peuples autochtones, mais la population autochtone n’est pas reconnue, c’est révoltant parce que les Japonais arrivent ici et sont reconnus, les Français arrivent ici et sont reconnus, et nous, les peuples autochtones, nous ne le sommes pas, nous devons faire nos preuves tout le temps à tous les niveaux. En fait, aujourd’hui nous avons un gouvernement, on ne dira pas que les autres étaient bons, mais celui-ci est pire. Ils ont tout attaqué et aujourd’hui, dans le gouvernement Bolsonaro, ils attaquent où ? En Amazonie. Puisque les rivières s’assèchent, la production d’eucalyptus, les plantations d’orangers ou de canne, toutes se meurent, ils tuent les poissons de la rivière. Mais en Amazonie, il y a du minerai, il y a un riche écosystème alors que nous subissons des attaques et sommes confrontés à des problèmes dans notre région [le Sud-Est]. Bolsonaro nous enlève nos droits constitutionnels, avec le PL 490, il veut nous enlever nos droits et avoir l’exclusivité d’exploiter toutes les richesses, avec les ruralistes. Puis vient ce cadre temporel, il a plusieurs projets de loi et même le cadre temporel du PEC et le gouvernement s’allie avec l’agrobusiness pour faire avancer les projets.
C’est un moment très triste pour notre peuple indigène, pour la population en général et pour le Brésil. Tous nos droits sont bafoués, toute cette violence et ce coup porté à la démocratie acquise et ce coup porté à la Cour suprême elle-même, qui est le tribunal qui protège toutes les lois, mais désormais menacé. Et ces camionneurs, qui ne sont pas des camionneurs, car ce sont des entrepreneurs, ces gens de l’agro-business qui viennent ici avec des hommes armés, qui font pression sur la marche des femmes, sur les guerrières et les guerriers qui sont là. Ils ont des armes lourdes et les femmes sont empêchées de manifester. Hier, nous avons regardé pendant 1h40 le discours du juge Fachin. Quelle est notre interprétation ? Une pression énorme sur la Cour suprême qui ne devrait pas être menacée par les bandits armés de l’agrobusiness, alors c’est révoltant, c’est le pire gouvernement, qui prend le risque d’une guerre civile dans ce pays. Le discours de Fachin hier était très prudent, je ne sais pas s’il voulait éviter un conflit entre les indigènes, le lobby de l’agrobusiness et les tenants du pouvoir, donc les juges sont prudents, ils subissent la pression du gouvernement et jusqu’ici il n’y a pas eu de vote. Voici donc le pire gouvernement dispose de tous les leviers et utilise son pouvoir exécutif, ses ministres, ses partenaires de l’agrobusiness et les évangélistes, et continue à faire pression sur notre population indigène qui souhaite seulement sauver des vies sur notre planète et préparer l’avenir de l’humanité elle-même.
Vu comme ils écrivent cette histoire, celle-ci va bientôt finir. C’est le message, la société doit se lever. Imaginez un homme chauve sans cheveux, s’il est exposé en plein soleil, que se passe-t-il ? Il va brûler. Nos forêts sont comme ça, elles ont besoin d’être protégées et si la société ne se lève pas, ce sera bientôt la fin, il faut que la société se soulève et aide les peuples autochtones parce que nous ne sommes pas ici pour nous enrichir. Ceux qui sont là avec Bolsonaro ne se préoccupent que de l’argent, ils ont perdu la plus grande richesse qu’ils avaient. Nous n’avons pas besoin d’exploiter le bois, d’extraire l’or. Le non-Indien peut avoir un bout de terre et il peut avoir son argent, nous n’avons pas l’argent, nous n’allons pas le vendre, nous allons le protéger. Là où nous vivons, nous replantons, nous recréons, car ils ont vendu tout notre bois. Ils ont assassiné les parents de ma grand-mère, soudainement personne n’avait plus d’oncles ou de pères et ce n’est qu’à travers les petits-enfants que l’histoire avance.
Cacique Awa Tenondegua
Le gouvernement s’immisce toujours dans notre mode de vie, il veut par dessus-tout réduire notre territoire, notre population, éliminer notre peuple. Durant cette présidence, il y a eu beaucoup d’invasions de terres, une énorme pression de la part des ruralistes, nous souffrons beaucoup en ce moment. Les gens qui ne nous connaissent pas semblent penser que nous chantons joyeusement, mais en vérité c’est un cantique, une prière pour notre culture, en fait, nous voudrions bien cultiver notre terre aujourd’hui plutôt qu’être ici à nous battre pour elle. Nous ne pouvons pas vivre comme il y a 500 ans. Par le biais des urnes, la moitié de la population a montré son vrai visage, un peuple raciste, qui n’aime pas les noirs, qui n’aime pas les indiens, qui n’aime pas les LGBT, et les Brésiliens ont montré leur vrai visage et j’en suis très triste. Ma fille, qui a maintenant 7 ans, je ne sais pas si elle aura une terre pour vivre, je ne sais pas si elle aura une rivière pour pêcher, une forêt pour apprendre les herbes médicinales. Nous sommes ici aujourd’hui pour prier, pour bénir, pour mettre dans la têtes de ces juges et sénateurs qu’ils nous doivent une réponse. Les bolsonaristes en étaient venus à barrer les autoroutes, ils protestaient contre le prix du carburant, du gazole, et puis à présent ils sont là pour applaudir Bolsonaro, ça je ne le comprends vraiment pas.
Cacique Anildo Lulu Awarokadju
Représentant de la communauté de Tereguá, située à une quarantaine de kilomètres de Bauru/SP, Anildo est président du Conseil régional des peuples indigènes de São Paulo, membre de la coordination exécutive de l’APIB (Articulation des peuples indigènes du Brésil) et de l’ARPINSUDESTE (l’Articulation des peuples indigènes du Sud-Est).
Cacique Awá Tenondegua
Chef de la communauté Tapirema, située dans la Terre Indigène de Piaçaguera/SP, à Peruíbe, sur la côte sud de São Paulo. La communauté habite un territoire de la forêt atlantique et occupe une vaste zone qui va du littoral jusqu’aux zones arides de l’arrière-pays. C’est une des communautés indigènes responsables de la préservation de cette région.
Cacique Darã
Chef de la communauté Tekoa Porã, dans la municipalité d’Itaporanga/SP, Darã est le coordinateur général de l’Articulation des peuples indigènes du Sud-Est (ARPINSUDESTE). Il participe aux luttes des peuples indigènes du Brésil depuis plus de 20 ans et est également ambassadeur de l’ONG Corrida Contra a Fome (« Course contre la faim »).
Brasília-Funarte-Campement de la IIe Marche des femmes indigènes, Brasília, du 7 au 11 septembre 2021↩
Premier commando de la capitale, organisation mafieuse brésilienne.↩
En guarani, « Nhanderú etê » signifie « Dieu véritable ». Il est le Dieu à forme humaine dont les yeux reflètent l’infinité des couleurs. Là où il apparaît, il reflète la lumière↩