Bonjour, allin p’unchay1
Voici mes dessins avec une profonde gratitude non seulement pour la chance de les publier dans un manifeste dénonçant ce qui arrive actuellement au Brésil sous le gouvernement Bolsonaro, mais aussi pour la patience avec laquelle vous m’avez laissé le temps de les produire. Ces dessins ont germé de mon âme épuisée par les contraintes de la subsistance et de la lutte – comparables aux efforts de ces petites plantes ordinaires qui poussent sur les chaussées de ciment au milieu d’une rue surchauffée. Je vous adresse ici un bref discours sur les souffles qui sont venus dans les dessins.
Tecnologia Aruak [Technologie Aruak] – La plupart des travaux universitaires affirment que les peuples indigènes n’avaient pas d’écriture. C’en est même risible quand nous nous référons aux graphismes présents sous d’innombrables formes et matériaux et nous rendons compte que la technologie de la communication écrite était vaste, complexe et spécifique à chaque peuple, à chaque région du continent. Chez les peuples indigènes, il y a évidemment une combinaison d’oralité et d’écriture, car contrairement aux colonisateurs, nous ne nous basions pas sur une logique d’exclusion binaire. L’expression de ce dessin s’inspire d’une forme communicationnelle du groupe linguistique Aruak qui m’a été enseigné par le Koixomuneti Terena Irineu Nje’a. Qu’il est dommage que ceux qui sont venus ici aient détruit tant de choses alors qu’ils auraient pu tout apprendre. Sauvez les quipus des Andes, les géoglyphes de Nazca, les graphismes, tous éléments de nos immenses technologies.
Continuidade [Continuité] – En chacune des guerrières et en chacun des guerriers qui marchent aujourd’hui, il y a une légion d’ancêtres qui se sont sacrifiés, se sont soumis, ont combattu et témoignés des moments historiques qui nous ont conduits jusqu’à présent. Qui vit aujourd’hui deviendra ancêtre et témoigne de la continuité de la colonisation, de la destruction des mentalités et de la Terre par le capitalisme et le « productivisme ». Dans nos corps et dans notre mode de vie, au villages comme dans les villes – qui sont comme des villages dévastés, réside aussi la continuité de la beauté du bien-vivre, du respect de toutes les formes de vies et des êtres vivants. Nos histoires font partie d’un tout, il n’y a pas de passé, tout est enveloppé et palpite aujourd’hui. Nous nous sentons souvent étouffés dans les villes parce qu’il est tellement clair que nous marchons sur les os de nos grands-parents et qu’ils ont tué et continuent de tuer ces autres ancêtres que sont les rivières, les bois et les montagnes pour le compte de bibelots en plastique ? Combien de prières, de chants, combien de retours au ciel et à la terre, combien de regards vers la lune pour garder fermement notre identité, celle de l’engagement, pour ne pas laisser l’asphyxie prendre le dessus, pour ne pas leur permettre d’oublier que nous sommes une continuité de racines au moins aussi fortes que Bolsonaro et la tradition des bandeirantes, héritiers du projet de colonisation, de catéchisation, de suprématie blanche, de mort et d’exploitation.
Terra viva [Terre vivante] – Le président Bolsonaro s’est fait élire en mentant de toutes les manières possibles, mais celle qui me rend le plus triste est la manipulation de la foi des gens pour se vendre comme un supposé héros ou messie. Aujourd’hui encore, il ne cesse de répéter à son public le verset de l’Évangile de Jean 8:32 (« vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira. ») comme s’il était détenteur d’une quelconque vérité ou, plus largement, comme si la vérité appartenait à un groupe de personnes donné qui aurait de ce fait le droit divin d’opprimer les autres. Opposés à cette ignominie, les peuples originaires se tiennent dans la vérité de la Terre vivante, du Soleil qui nourrit tout et qui naît chaque jour pour continuer la danse des naissances, des maturations et du retour à une paix sur la terre. C’est grâce à cette vérité que nous sommes toujours là, malgré toutes sortes de destruction des corps et des territoires que nous avons subies depuis 1492. Notre mémoire corporelle porte la mémoire du territoire. Sur tout le continent, parce que ce continent tout entier lutte contre l’exploitation, contre la violation de la Terre, nous ne reconnaissons pas les frontières inventées pour répartir le pouvoir géographique. Nous sommes la terre, les animaux, tous les éléments sans aucune considération hiérarchique, telle est la vérité qui libère et si nous mourons, la Terre meurt, tout meurt.
Passo ancestral [Pas ancestral] – Nos ancêtres vivent en nous et c’est pourquoi nous avons la force de nous battre et de danser encore aujourd’hui contre le cadre temporel, même avec des tonnes d’ossements, de ciment et de plastique qui pèsent sur nos histoires. Nous sommes des indigènes des aldeias (villages), des favelas, des forêts et des bords de route, nous sommes les filles de nos peuples qui profitent de chaque pas déjà fait pour pousser plus loin. Des proches inspirateurs forment l’image avec le rouge de l’achiote en arrière-plan et à l’intérieur.
Quando o tempo é dinheiro [Quand le temps c’est de l’argent] – L’orpaillage est l’une des activités extractive où il est le plus visible que la logique capitaliste est un grand, gigantesque et trouble assassinat. Nous grandissons en entendant que le temps c’est de l’argent – quel énorme mépris pour la vie. Le résultat est qu’il n’y a ni paix, ni beauté, ni vie pour la plupart des gens lorsque cette logique est mise en œuvre. Ils abattent la forêt pour élever du bétail – pour quoi faire ? Pour qu’en ville les gens ramassent les os et les mangent ? Ils coupent des arbres pour quoi ? Ils creusent des mines pour quoi ? Pour tuer les enfants indigènes de différentes manières ? Je n’ai jamais pu oublier la photo de la fillette Yanomami souffrant de malnutrition dans un hamac ; je n’ai jamais pu oublier les titres de cette histoire de deux enfants aspirés par une drague minière. Je n’ai jamais pu oublier le braconnier tenant le jaguar noir tué sur la terre indigène d’Arariboia en disant « imaginez ce que je fais à un gardien ». Je n’ai jamais pu m’empêcher de penser à l’enfant qui allume un feu pour préparer une soupe d’os à Rio de Janeiro en 2021. Ces choses ne s’oublient pas, elles blessent au plus profond de nos esprits. La mort ne peut pas être cette chose déshonorante, sale, injuste. Mourir avant l’heure et de violence est une brisure du temps – que ce soit par la balle d’un fusil, par la faim ou par la covid-19. Nous devons revenir au sens de la vie et du temps, sinon, comme l’a dit Davi Kopenawa, « tout cela ne se terminera bien pour personne ».
Renata Ribeiro Inahuazo
Indigène dans un contexte urbain, andine de Chinchaysuyo et Pindo. Cette artiste est née à Newark, New Jersey, aux États-Unis, d’une mère et d’un père immigrés du Brésil et de l’Équateur. Elle vit actuellement à Taquaritinga, São Paulo, et s’intéresse au sauvetage de la langue quechua. Militante politique, féministe et travailleuse de l’éducation, le dessin est le moyen qu’elle a trouvé pour exprimer les préoccupations personnelles et sociales qui traversent l’histoire de son corps et du territoire d’Abya Yala (Amériques), auquel elle s’identifie en tant que native. Elle est également membre de l’ARACI (Associação Renascer em Apoio à Cultura Indígena) depuis 2014, une association qui joue un rôle important dans la diffusion, la valorisation et la défense des cultures indigènes.
Bonjour en quechua cuzqueño.↩