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La Grande Guerre a-t-elle brutalisée les sociétés européennes ?

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  • Résumé
  • Mots-clés (3)
      • Mot-clésFR Éditeur 184 articles 4 dossiers,  
        184 articles 4 dossiers,  
        Mot-clésFR Éditeur 59 articles 1 dossier,  
        59 articles 1 dossier,  
        Mot-clésFR Éditeur 485 articles 14 dossiers,  
        485 articles 14 dossiers,  
      Texte

      "La guerre brutalise les hommes, au double sens du terme : elle les atteint dans leur chair et dans leur âme, elle les rend brutaux aussi" 1 .  Cette phrase résume en elle-même l’approche historiographique récente de la Grande Guerre proposée, depuis plus d’une dizaine d’années, par les historiens européens du Centre de recherche de l’Historial de la Grande Guerre, créé en 1989. Elle réside avant tout dans la volonté commune de ces historiens de s’extraire de l’historiographie de l’immédiat après-guerre et des années 1930 - "tu n’as rien vu dans les années vingt et trente" 2 - car elle a procédé, selon eux, à une histoire victimisante de la guerre, une histoire-bataille "vue d’en haut", où la violence de guerre est aseptisée, posant un "écran conceptuel" qui rend la Première Guerre mondiale et ses conséquences sur les sociétés belligérantes incompréhensibles. Les années 1970 et 1980, marquées par l’ouverture progressive des archives, correspondent au renouveau historiographique de la Première Guerre mondiale, avec notamment les thèses de J. J. Becker sur les Français dans la Grande Guerre et celle d’A. Prost sur les anciens combattants. Les historiens s’intéressent dès lors davantage à la guerre vécue "d’en bas, celle des combattants, en privilégiant les dimensions anthropologiques et culturelles de la violence de guerre. La "culture de guerre", ce "corpus de représentations du conflit cristallisé en un véritable système donnant à la guerre sa signification profonde" 3 , se trouve au cœur de cette analyse de la Grande Guerre. En effet, pour ces historiens, la question décisive posée par la Grande Guerre a trait aux "possibilités mentales" des millions d’hommes qui y ont participé. C’est dans les mentalités que la guerre a atteint son degré de brutalité sans précédent.

      Cet axe de recherche a ainsi permis d’aborder l’analyse des nouvelles formes de la guerre mais aussi, et peut-être surtout, d’étudier la question des sociétés en guerre, c’est-à-dire le front et l’arrière qui deviennent indissociables dans la compréhension de la Grande Guerre. Plus récemment, la Première Guerre mondiale est devenue l’objet d’une analyse comparée avec la Seconde Guerre mondiale, au point de contextualiser la deuxième dans la continuité de la violence de guerre de la première, afin d’en faire ressortir le franchissement de seuils de violence entre les deux.   C’est dans cette même perspective que l’historien américain G. Mosse a d’ailleurs forgé le concept de "brutalisation", au sens anglo-saxon de "rendre brutal", afin de caractériser le tournant culturel suscité par le premier conflit mondial ainsi que les répercussions sur l’Europe de l’entre-deux-guerres. Il est intéressant de remarquer que son ouvrage Fallen soldiers. Reshaping the memory of the world wars fut traduit en français en 1999 : De la Grande Guerre au totalitarisme, la brutalisation des sociétés européennes. L’introduction des concepts de totalitarisme et de brutalisation, opérant ainsi un glissement de sens par rapport au titre initial de l’ouvrage, soulève en lui-même les questions fondamentales qui s’inscrivent au cœur du sujet soumis à notre réflexion. G. Mosse s’attache à montrer le poids de l’"expérience de guerre" dans la "brutalisation du champ politique", en particulier lors des premières années de l’Allemagne de Weimar, et corrélativement, son rôle primordial dans l’avènement du nazisme, afin de procéder ensuite à une généralisation de cette thèse, présentée comme une histoire anthropologique et culturelle de la Grande Guerre et de ses effets sur les sociétés européennes d’après-guerre.

      Ce qui frappe dès lors, c’est l’impression d’homogénéité que le terme de [brutalisation] véhicule, de telle sorte que toutes les sociétés européennes, sans exception, auraient été "brutalisées" de la même façon par la guerre. Cependant, force est de reconnaître que les sociétés ont vécu l’expérience de la guerre différemment et ont ainsi suivi des trajectoires d’après-guerre divergentes d’un pays à l’autre, ne convergeant pas toutes vers un "totalitarisme" ou une autre forme de "brutalisation".

      Cela nous amène à poser plusieurs questions. Comment caractériser la brutalité de la Grande Guerre ? Dans quelle mesure la Grande Guerre a-t-elle brutalisé certaines sociétés européennes ? Outre l’"expérience de guerre" vécue par les sociétés, ne faut-il pas prendre en compte d’autres facteurs susceptibles d’expliquer leur brutalisation ou, au contraire, leur "démobilisation culturelle" ?

      Après avoir contextualisé la brutalité des sociétés européennes dans un cadre historique plus large et reconfiguré les concepts de brutalisation et de culture de guerre, en confrontant les différentes interprétations historiographiques de la Grande Guerre, nous procèderons à une analyse comparée des phénomènes de brutalisation de différentes sociétés européennes, afin de montrer que la thèse de la brutalisation, si utile soit-elle à l’analyse des sociétés d’après-guerre, est à relativiser.

      1. La contextualisation de la violence de la Grande Guerre et la nécessaire reconfiguration de la "brutalisation" des sociétés européennes : les limites de l’historiographie culturelle de la Grande Guerre

      1.1. La violence de la Grande Guerre : radicalisation des violences de l’Europe du XIXe siècle et préfiguration de la brutalité de la Seconde Guerre mondiale

      1.1.1. La Grande Guerre : brutalisation nouvelle ou sociétés européennes déjà brutalisées?

      Les historiens de la Grande Guerre s’intéressent  à la fin du XXème siècle, à l’expérience culturelle de la guerre de 1914-1918, qui selon eux "voit l’avènement d’une violence entièrement nouvelle de l’affrontement entre nations" 4 . Mais, poser la question de la [brutalisation] des sociétés par la Grande Guerre, nous amène à nous demander si la Grande Guerre engendre vraiment une nouvelle forme de brutalité qui rompt avec les formes de violence qui l’ont précédée. Autrement dit, la Grande Guerre a-t-elle brutalisé les sociétés européennes ou a-t-elle simplement [radicalisé] une culture de guerre qui existait déjà avant 1914, à l’extérieur des frontières des sociétés européennes, dans les colonies, mais aussi dans les Balkans, zones de guerre, tout comme à l’intérieur des frontières (entre les classes sociales)? Pour répondre à ce problème, considérons d’abord les deux exemples proposés par I. Geiss dans ses réflexions sur la guerre totale au XXème siècle.

      En effet, certaines formes de violences qualifiées par les historiens de la Grande Guerre de "nouvelles et propres" à la Première Guerre mondiale, avaient préalablement été testées à grande échelle dans les territoires colonisés. Ainsi I. Geiss montre, avec pertinence, comment la guerre coloniale des Boers [1899-1902] fut le premier cas de recours systématique - par les Britanniques - aux camps de concentration pour les civils, afin de les "nettoyer": "The Boer War was a hangover from imperial conquest in the 19th century, heralded "novelties" and contributed to the constellation of 1914" 5 . On retrouve le même phénomène avec les Espagnols à Cuba et les Américains aux Philippines, où la violence coloniale est amplifiée par l’écart technologique avec les autochtones et par une déshumanisation croissante de l’ennemi. I. Geiss écrit à propos de la guerre des Boers : "Technical superiority and military discipline turned colonial wars into one-sided massacres of Africans" 6

      Ces violences inhérentes à un "darwinisme social" 7 , caractéristique de la culture de guerre européenne du XIXe siècle, sont durant la Première Guerre mondiale reproduites notamment sur le front Est. Dans War Land on the Eastern Front, V. Liulevicius le montre bien en expliquant les violences allemandes commises à l’égard des populations envahies par la peur et l’inexpérience des armées du début de la guerre, et par le climat de suspicion à l’égard de ces populations qui incarnent la "barbarie" ou le "East primitive chaos" 8 selon les mots de Liulevicius. Les Allemands, persuadés de leur supériorité ethnique, se sentent ainsi investis d’une mission civilisatrice qui leur permet de commettre toutes sortes de violences pour parvenir à imposer leur "Kultur" afin de transformer la [barbarie] des populations envahies en des individus "civilisés". On reconnaît bien là l’héritage de la violence coloniale.

      Le deuxième exemple que nous donne I. Geiss est celui des Balkans où les guerres de 1912-1913 peuvent être considérées comme un prélude aux violences de la Première Guerre mondiale. En effet, la "Question d’Orient" a engendré à la fin du XVIIIème siècle des révoltes et des guerres, culminant dans la guerre russo-turque de 1877-78, accompagnées de massacres et provoquant le déplacement, par l’armée russe, d’environ un demi million de réfugiés vers Constantinople. Cette violence perpétrée contre les Turcs a eu des conséquences directes sur la Grande Guerre et annonce le génocide arménien de 1915 : "This traumatic shock aroused the fervor of assimilationnist Turkish nationalism à la française to preserve the Ottoman Empire, only to whip up more violence from above and below, first against Armenians with the climax of genocidal Armenian massacres during the First World War, in 1915-1916" 9 . Ainsi, on le voit bien, notre compréhension des phénomènes de la brutalisation pendant la Grande Guerre est indissociable de l’analyse des violences perpétrées avant 1914, ce qui "désacralise" le caractère novateur de la brutalité de la guerre de 1914-1918.

      Enfin, certaines violences perpétrées pendant la Grande Guerre demeurent incompréhensibles si on n’y voit pas la "réactivation" des tensions latentes dans la société même, et notamment l’exacerbation des antagonismes de classes. Prenons l’exemple russe : les violences commises au sein même de l’armée russe ne peuvent être appréhendées qu’en prenant en compte le "rejeu" de la fracture profonde entre les "deux Russies", l’une rurale et pauvre dominée par l’autre Russie, urbaine et embourgeoisée. C’est ce que nous montre N. Werth : "les soldats voyaient en leurs officiers supérieurs les représentants des classes supérieures, qui faisaient sciemment couler le sang des soldats afin d’exterminer tous les moujiks, pour qu’ils ne s’attaquent plus jamais aux grandes propriétés" 10 . Ainsi les journées de février 1917, durant lesquelles les marins de Kronstadt mutilèrent et assassinèrent des centaines d’officiers, ainsi que les autres massacres d’officiers perpétrés par les soldats à la suite du putsch de Kornilov, sont des violences indissociables d’une revanche sociale des soldats-paysans à l’égard des classes supérieures. Le retour des soldats dans les campagnes rappela les troubles agraires de 1905-1906, notamment avec la destruction systématique des propriétés.

      Ainsi, qu’il s’agisse de violences perpétrées dans le théâtre européen, dans les périphéries coloniales ou au sein des sociétés elles-mêmes, la Grande Guerre se déroule dès 1914, au sein de sociétés déjà accoutumées à une certaine brutalité, exprimée d’une façon ou d’une autre. Le premier conflit mondial est particulier en ce qu’il radicalise les violences antérieures à 1914 et, en même temps, il préfigure les brutalités perpétrées pendant la Seconde Guerre mondiale; en effet, "comment entreprendre l’analyse des phénomènes d’occupations militaires, de répressions, de persécutions de 1939-1945 en ignorant ceux de 1914-1918 ?" 11 .

      1.1.2. Les violences de la Grande Guerre comme prélude à une brutalisation plus systématique pendant la Seconde Guerre mondiale

      Récemment, les historiens de la Grande Guerre ont étudié la question de l’héritage de la violence entre le premier conflit mondial et le second. La violence de la Seconde Guerre mondiale s’inscrirait dans celle de la Grande Guerre.

      Ce qui relie avant tout le premier et le second conflit mondial est l’indifférence, la banalisation face à la mort de masse. C’est une des idées récurrentes énoncées par les historiens de la Grande Guerre qui procèdent à une analyse comparée des deux guerres. Cette banalisation de la guerre se traduit par la violence interpersonnelle, la mise à mort de l’adversaire désarmé et également des prisonniers. Et ce, dès le début des invasions de l’automne 1914, celle de la Belgique et de la France par l’Allemagne, tout comme celle de la Prusse orientale par la Russie ; l’invasion de la Pologne russe préfigure, dès lors, les premières semaines de l’opération Barbarossa, comme le montre bien V. Liulevicius : "The experiences of the Esatern Front and Ober Ost were reworked in post war Germany, forming an important backdrop to Nazi plans for realizing a racial utopia in the East" 12 . Ainsi, le processus de liquidation des prisonniers russes par les Allemands fut marqué, dès les premiers jours de Barbarossa, par la mémoire de la Première Guerre mondiale : "les protagonistes de Babarossa se sont engagés dans la campagne de Russie armés de la mémoire de la Grande Guerre, mémoire du franc-tireur par la bestialité supposée de l’adversaire asiatique, et par la collusion fantasmée entre juifs et communistes" 13 .

      Egalement, un des éléments les plus importants qui relie la Seconde Guerre mondiale à la Première, est la violence perpétrée à l’égard des civils : il existe ici une [brutalisation cumulative qui marque le traitement des civils à travers les deux guerres mondiales 14 . En effet, les civils subissent la violence de guerre lors des invasions et inversement lors des retraites des armées envahissantes qui s’accompagnent de représailles contre les populations résistantes : la retraite allemande de l’Europe occidentale et méditerranéenne en 1944-1945 fait écho à la retraite de la France et de la Belgique en 1918. De même les occupations allemandes de 1914-1918, caractérisées par une politique coercitive à l’égard des populations occupées, annoncèrent celles de 1939-1945. Stig Förster, dans son analyse sur la guerre totale, souligne la confusion entre sphères civile et militaire et ainsi l’importance stratégique des civils dans la guerre : "Because the home fronts have become as important as the battlefields and civilians provide the economic and moral backbone to armies and navies, people at home become military targets. Breaking the home front’s will to continue represents as sure a route to victory as triumph on the battlefield" 15 . Ainsi les bombardements stratégiques, les blocus, deviennent des méthodes banalisées pour infliger une brutalité indirecte à l’égard des civils, violence systématisée pendant la Seconde Guerre mondiale.

      Egalement, si les actions de déportation de la Première Guerre mondiale ont été ponctuelles, elles sont devenues systématiques pendant la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, la question du "rejeu" de la Grande Guerre est fondamentale pour comprendre la pratique des Allemands, et notamment les "Einsatzgruppen" en Pologne pendant le Second conflit mondial, marquée par un déterminisme racial développé pendant le premier conflit. La brutalisation par la guerre s’est aussi manifestée par l’intériorisation croissante de la brutalité, au point, par exemple, de banaliser l’extermination des Arméniens de 1915. Ainsi, Hitler fait usage de cette indifférence pour légitimer sa propre politique antisémite : "Après tout, qui parle encore aujourd’hui de l’anéantissement des Arméniens ?" 16 .  A la logique d’élimination de l’ennemi extérieur, correspond la logique d’extermination et de génocide contre l’ennemi intérieur, déjà appliquée durant le premier conflit mondial : six cent mille juifs sont déplacés en Russie en 1915. Elle atteint son paroxysme durant la Seconde Guerre mondiale avec "la solution finale".

      Ainsi, "tout se passe comme si la Première Guerre mondiale avait construit la matrice de comportements, d’attitudes, de représentations et de pratiques destinés à prendre une plus grande extension lors du conflit suivant" 17 . Cette tentative de contextualisation de la brutalité de la Première Guerre mondiale, en tant qu’héritière des potentialités violentes avant 1914 et en tant qu’"anticipatrice" d’une brutalité plus systématique de la Seconde Guerre mondiale, nous amène à préciser le débat historiographique autour du "contenu" de la "culture de guerre de 1914-1918" et pose, de ce fait, la question de la pertinence de la configuration de la brutalisation telle qu’elle est présentée par les historiens de l’Historial de Péronne et par G. Mosse.

      1.2 La reconfiguration nécessaire de "la culture de guerre de 1914-1918" : la brutalisation des combattants par la guerre est à relativiser

      1.2.1. La culture de la haine exagérée, la culture de la paix occultée

      L’histoire culturelle de la Première Guerre mondiale, à laquelle certains historiens ont accordé une place importante à la fin des années 1990 dans leur analyse de la guerre, s’oriente vers une réflexion sur la notion même de "culture de guerre". On ne peut comprendre "la brutalisation" des sociétés européennes par la Grande Guerre sans faire référence à la "culture de guerre de 1914-1918".

      Dès lors, cette culture de guerre permet de comprendre comment et pourquoi ceux qui ont participé à la guerre ont "tenu" si longtemps : il s’agit de l’une des grandes questions que continuent à se poser encore aujourd’hui les historiens. Dans la Grande Guerre, 1914-1918, J.J. Becker pose la question et y répond immédiatement : "Où les soldats ont-ils trouvé la force de tenir ? Dans un patriotisme inséparable d’une nette hostilité à l’égard de l’adversaire" 18 , hostilité qui nourrit "une véritable pulsion exterminatrice" 19 .

      Dans la même lignée, J. Bourke, dans An Intimate History of Killing 20 , montre comment les combattants sont eux-mêmes vecteurs de la haine de l’ennemi, de sa déshumanisation ; en effet, l’auteur souligne qu’il est d’autant plus facile et légitime de commettre des violences à l’égard de l’adversaire qu’il apparaît comme un être inférieur par nature. D’où les discours de diabolisation, de dénonciation de la barbarie de l’ennemi ; la distance ethnique et culturelle rend la déshumanisation de l’adversaire d’autant plus facile, comme en témoignent les différences de comportements des armées des deux camps sur le front occidental et sur le front de l’Est pendant les deux guerres mondiales.

      A. Prost montre qu’il ne faut pas généraliser la brutalisation des combattants par la guerre : "il faut […] pour les plus nombreux, une lente érosion de la culture civile pour qu’ils passent à l’acte et transgressent le tabou du meurtre" 21 . Ainsi, si la culture de guerre fut en règle générale, pour A. Prost, bien davantage celle de l’arrière que du front, c’est "la culture professionnelle" qui caractérisa le front. Cette culture dans laquelle la haine de l’adversaire, qui fait partie intégrante de la culture de guerre, s’avère exceptionnelle, car cet adversaire est perçu comme un "égal", faisant lui aussi le même métier, subissant les mêmes souffrances : "La guerre est vite devenue un métier que les soldats ont fait avec conscience professionnelle" 22 . A. Prost prend également en compte l’importance décisive des bombardements et de l’artillerie pendant la Grande Guerre pour en conclure que la violence infligée par les combattants restait majoritairement aveugle, anonyme et très peu souvent individuelle et spontanée.

      Dans Trench warfare, T. Ashworth s’inscrit dans cette approche de la guerre et de  l’adaptation des échanges de violence en partie maîtrisée par les soldats. Une des thèses de T. Ashworth est justement la prise de conscience, en l’occurrence par les combattants britanniques, du fait que les hommes qui se trouvaient dans les tranchées adverses, n’étaient par foncièrement différents d’eux, mais des "fellows sufferer" 23 , littéralement des "compagnons d’infortune". Le "live and let live" est érigé en véritable système de relations limitant la violence des champs de bataille. Ainsi, la culture de la haine fut exagérée et la [culture de la paix] occultée. Pourtant, cette dernière a bien existé, "plus profonde que la culture de guerre, […], et qui chez certains, s’affirma dès l’automne 1914" 24 . A. Prost arrive à la même conclusion que celles de R. Cazals et F. Rousseau : "Beaucoup de combattants, portés par une profonde "culture du temps de la paix", ont su résister à la brutalisation de la guerre. La guerre n’a brutalisé qu’une minorité de combattants, "ceux qui y étaient sans doute enclins" 25 ". La brutalisation des sociétés signifie donc plus une accoutumance, une "adaptation" à la guerre et à sa brutalité qu’un consentement à cette dernière.

      1.2.2. La Grande Guerre, une guerre du consentement à sa brutalité : les combattants comme vecteurs de la violence de guerre?

      En effet, G. Mosse a-t-il forgé le concept de brutalisation ou d’ensauvagement afin de caractériser la réception et l’intériorisation de la violence de guerre par la génération combattante de la Grande Guerre, au point de la "banaliser" ("trivialization"). Cette combinaison de la brutalisation et de la banalisation est ce qui permet aux participants à la guerre d’"accepter", de "consentir" à sa violence extrême : "La Grande Guerre est bien restée, jusqu’à la fin, la guerre du consentement" 26 : les mutineries étaient l’"exception", le consentement la "règle", au point où les prisonniers regrettent la vie au front : "la vraie vie se passe ailleurs, c’est celle de la guerre, de la guerre sur leur sol" 27 , affirment les historiens de Péronne. Ce consentement est "matérialisé" par la prolifération d’objets quotidiens à forte connotation patriotique, d’armes fabriquées par les soldats eux-mêmes qui témoignent d’une violence individuelle et spontanée, d’images guerrières qui procèdent à la déréalisation du conflit. En effet, selon G. Mosse la réalité de la guerre se trouve transformée par le "mythe de l’expérience de guerre", qui en banalise les épisodes les plus rudes et construit dès lors la guerre comme un événement chargé de sens et de sacré, jusqu’à produire une véritable "religion civile de la guerre" ; cette banalisation et son revers, la sacralisation de la guerre, justifient le consentement au conflit.

      Dès lors, la "propagande" ("le mot même paraît inadéquat" 28 ) a d’abord "sa source dans les schémas mentaux, dans les représentations du plus grand nombre" 29 : elle ne fait que refléter l’opinion publique et celle des combattants au front. La brutalisation des combattants par la guerre vient "d’en bas" : ils participent activement à la violence de guerre. Et A. Becker de conclure :  "Le drame caché de la Grande Guerre ne tient pas dans les contraintes - bien réelles au demeurant - infligées aux sociétés belligérantes, au front comme à l’arrière : il a trait bien davantage à ce qu’il faut bien appeler leur consentement" 30 .

      1.3. Vers une approche plus socio-politique de la brutalisation : une  "violence imposée", l’Etat brutalisé par la guerre

      1.3.1. La "culture de l’obéissance" et la répression militaire

      C’est dans cette phrase même, et notamment dans le parallélisme [contraintes-consentement], que réside tout le débat autour de la question de la brutalisation des sociétés par la guerre. Ne faut-il pas en effet inverser les propos d’A. Becker et de S. Audoin-Rouzeau, et constater que si les sociétés ont été brutalisées par la Grande Guerre, c’est moins par [consentement patriotique] que parce qu’elles n’ont pas eu le choix ? Autrement dit, la brutalisation appréhendée comme banalisation et acceptation de la guerre, ne rencontre-t-elle pas son revers, à savoir l’oppression, la contrainte imposée aux combattants? Nous allons ainsi nous éloigner de l’approche purement culturelle adoptée par les historiens de la brutalisation, afin de nous rapprocher de l’analyse plus socio-politique de R Cazals et F. Rousseau, qui procèdent tous deux, à une critique de la brutalisation vue par  l’"école du consentement patriotique". Pour ces derniers en effet, les combattants n’ont pas eu le choix de refuser la guerre et sa violence. A la culture du consentement, les deux historiens lui opposent la culture de l’"obéissance", de "conscience d’un devoir inéluctable à accomplir" 31 envers le pays, les camarades sur le front et la famille à l’arrière qu’il ne faut pas décevoir et enfin l’idée de "violence imposée" par des contraintes : "il faut faire sa large place à la soumission à un appareil de contrainte organisé et efficace" 32 .

      F. Rousseau rappelle en effet l’importance du "chef" qui dispose du "droit de vie et de mort sur ses subordonnés" 33 , d’où les exécutions sommaires attestées par de nombreux témoignages en cas de désobéissance aux ordres du commandement militaire. Ainsi, à la faveur des dernières controverses sur les mutineries, le débat se noue autour de cette question du consentement ou de son refus. Les mutineries furent systématiquement occultées par les années 1930 et par les historiens de la brutalisation évoqués ci-dessus. S’appuyant sur les témoignages des poilus, ils privilégient l’hypothèse d’un réseau de contraintes - obéissance, soumission, résignation et éducation - pesant sur les combattants. Toutes les armées disposaient d’un code de justice militaire implacable et de règlements explicites : toute défaillance devait être sanctionnée immédiatement. D’où la réticence de certains de mutiner ou de déserter, de peur des sanctions. Et, comme l’exprime justement R. Cazals et F. Rousseau, "à quoi aurait servi cet arsenal répressif si les combattants étaient mus par un nationalisme exalté?" 34 . En effet, l’arsenal répressif n’aurait aucun sens s’il y avait eu consentement à la guerre et à sa brutalité.

      1.3.2. L’Etat en guerre et les techniques de surveillance des combattants et des populations

      Sans écarter la dimension culturelle de la Première Guerre mondiale, les historiens de la grande Guerre doivent ainsi réintroduire dans leurs problématiques les dimensions politiques et sociales. Pour R. Cazals et F. Rousseau mais aussi pour l’historien anglo-saxon P. Holquist,  spécialiste de la Russie, il s’agit d’interroger le rôle de l’Etat en guerre, afin de reconfigurer ce que l’on entend par brutalisation. En effet, les sociétés européennes ont été, durant la guerre, sous l’emprise d’oppression étatique, donc sous une pression qui venait "d’en haut" : les combats, les transformations de l’arrière et la mobilisation de l’économie aboutissent à accroître le rôle de l’Etat. Si en Russie l’Etat, s’appropriant rapidement la gestion du ravitaillement en grains, appliquait des méthodes coercitives à l’égard des producteurs de céréales, P. Corner montre comment, en Italie, l’Etat a exercé, de la même manière, un contrôle rigide dans le domaine de l’organisation du travail et notamment sur les ouvriers dans les usines de production de guerre "soumis à un règlement comparable à celui des soldats sur le front et, par conséquent, les exposaient aux mêmes punitions" 35 .

      En effet, dès le début de la guerre, l’Etat, hanté par un possible désengagement des populations, s’attache à constamment "surveiller" et remobiliser les esprits. Il tente de contrôler toute l’information, d’encadrer les populations par la propagande et la répression. Ainsi, la propagande loin de refléter l’opinion publique, a bien été réelle : "Quant à l’Italie, on sait que la grande majorité de la population était restée opposée à l’intervention. Pourquoi les soldats italiens ont-ils accepté de partir ? La soumission à la contrainte exercée par l’appareil d’Etat semble l’avoir emporté sur le vœu de la majorité de l’opinion publique" 36 .  R. Cazals et F. Rousseau s’appuient sur des archives qui témoignent de la prégnance d’une surveillance permanente des combattants par l’Etat, notamment exercé par la censure postale.

      C’est sans doute P. Holquist qui théorise le mieux la généralisation de cette technique de surveillance comme moyen de contrôle des populations et des combattants dans toute l’Europe pendant la Grande Guerre. En effet, après avoir tout fait pour entraîner les populations dans une guerre totale, en mobilisant à la fois personnes et esprits, il était nécessaire, une fois la guerre commencée, de conserver et de consolider la participation totale à la guerre ; pour cela, les commandements militaires et les Etats ont mis en place une politique incluant l’instauration d’une censure postale systématique et d’une bureaucratie chargée d’espionner l’opinion publique, à l’instar des "cabinet noirs" français. La surveillance avait une fonction bien précise et elle est ici bien résumée par P. Holquist : "Surveillance is the collection of information for the purpose not of reporting the population’s collective mood but of managing and shaping it" 37 .

      Cette technique de surveillance fut particulièrement développée en Russie et pratiquée notamment par l’Armée russe elle-même, en faisant ses propres "rapports" sur l’état d’esprit ("summaries on the mood") de la population et des combattants. Si la Russie et l’Allemagne commencèrent relativement tôt au cours de la Grande Guerre à intercepter le courrier entre le front et l’arrière, les commandements français et britannique utilisèrent cette méthode à partir de 1917 quand les signes de découragement et de lassitude au sein de l’armée et de la population se firent sentir. Il s’agissait de transformer, d’enseigner aux populations le patriotisme, afin de "totaliser" l’engagement du pays dans la guerre. La surveillance des populations atteint son paroxysme en Russie et en Allemagne pas la mise en place de ce qu’Holquist appelle "enlightment activity" 38 , qui est censé "éclairer" la population et les combattants vers une attitude et un rôle meilleur dans la société, donc un investissement plus actif dans la guerre totale.

      R. Cazals et F. Rousseau qualifient à juste titre ces régimes d’oppression de "proto-totalitaires" 39 . Les pouvoirs de l’Etat ont donc été brutalisé par la guerre : les sociétés européennes subissaient une oppression constante venant "d’en haut", ce qui contredit l’idée d’une brutalisation à laquelle celles-ci consentaient activement.

      Après avoir étudié la violence de guerre et tenté de reconfigurer le concept de brutalisation à travers le débat historiographique qui l’entoure, nous allons voir comment ces sociétés, ayant toutes participé à la même guerre, ont suivi des trajectoires d’après-guerre différentes, voire même parfois antithétiques, contredisant la thèse mossienne de la brutalisation : "La banalisation et l’intériorisation de la violence de guerre permettent d’accepter durablement tous ses aspects, même les plus paroxysmiques et de les réinvestir dans le champ politique de l’après-guerre" 40 . Les anciens combattants sont des figures particulièrement emblématiques de cet entre-deux-guerres ; marqués par leur expérience de guerre, ils vont soit vouloir perpétuer le "mythe de la guerre" soit le rejeter, afin de privilégier les valeurs pacifistes. Nous suivrons l’approche d’A. Prost, selon laquelle "chaque société lit l’expérience de la guerre à la lumière de sa propre culture", afin de mettre en exergue la nécessité de relativiser la thèse mossienne de la brutalisation.

      2. La brutalisation des sociétés après le "retour à la paix" : la "brutalisation russe" redécouverte, des brutalisations allemande et italienne similaires et la brutalisation française évitée "

      2.1. La Russie ou la première société brutalisée par la Grande Guerre : la violence de l’Etat  soviétique forgée par la Grande Guerre }}}        

      2.1.1. Le renouvellement de l’historiographie soviétique : pour une contextualisation de la révolution et de la guerre civile russes dans le continuum de la Grande Guerre

      Se poser la question de la brutalisation des sociétés une fois la guerre terminée, nous amène à prendre en considération la "démobilisation culturelle", nécessaire au retour à la paix, expression récemment forgée par J. Horne et explicitée par B. Cabanes : il s’agit de la "déprise de violence - aussi bien à l’échelle internationale qu’au sein des sociétés belligérantes - la poussée de l’idéologie pacifiste et la réhabilitation de l’ennemi dans les représentations collectives" 41 . Force est de constater que la brutalisation correspond exactement au phénomène inverse de la démobilisation culturelle ; on parle alors de "remobilisation culturelle" pour les sociétés où le retour à la paix correspond à une poursuite de la guerre et de sa violence par d’autres moyens.

      Le récent renouvellement de l’historiographie soviétique, consécutif à l’ouverture des archives, met l’accent sur le poids de la guerre, de la longue phase de guerres civiles et sur leur rôle dans le développement de la violence d’Etat. Ainsi, l’accent mis par l’historiographie de la brutalisation sur les "brigades internationales" comme l’unique exemple de remobilisation culturelle de gauche face à la guerre d’Espagne, occulte complètement celle engendrée par la Russie. En effet, c’est d’abord la Russie, avant les autres sociétés européennes, qui a capté la violence de la Grande Guerre, dans la mesure où les violences perpétrées durant la révolution et la guerre civile ne peuvent être comprises sans référence à elle : la brutalité du conflit s’est ensuite démultipliée dans une expérience radicale de guerre civile et d’oppression politique. Ainsi, deux spécialistes de la Russie, P. Holquist et N. Werth, ont montré que l’historiographie de la Russie a trop souvent relié 1905 à 1917, en aseptisant ce legs des années de guerre. Pourtant comme le montre N. Werth, "violence de guerre, violence révolutionnaire et violence paysanne" 42 constituent un triptyque, toutes imbriquées les unes dans les autres. En effet, on peut dès lors comprendre que la désagrégation accélérée d’une immense armée de paysans brutalisés par trois années de conflit et désertant en masse vers l’arrière est une des clés de compréhension de la révolution de 1917 et de ce que fut l’Etat bolchevique qui en procéda.

      P. Holquist rompt avec la tradition de l’historiographie soviétique qui considère la Révolution de 1917 comme une [rupture radicale avec le passé], en procédant, tout comme G. Mosse pour l’Allemagne, à une contextualisation de la Révolution russe dans la continuité de la Grande Guerre : "La Révolution alliait une foi mystique en la capacité de la politique à refaire le monde à la culture de violence née de la Première Guerre mondiale" 43 . On peut dès lors concevoir la brutalisation de la société russe comme un continuum couvrant les années 1914-1921 : la Révolution russe fut un facteur accélérateur de la [remobilisation] de la guerre après 1917.

      2.1.2. La spécificité de la "brutalisation russe" par la Grande Guerre : la révolution et la violence d’Etat forgés pendant et par la Grande Guerre

      La spécificité de la brutalisation russe est double : tout d’abord, la Révolution de 1917 a eu lieu pendant la guerre même ; deuxièmement, si la brutalisation de la société russe fut d’abord, pendant la guerre, impulsée par l’"auto-mobilisation" 44 de la société elle-même, elle devint rapidement l’apanage de l’Etat bolchevique qui prolongea, voire radicalisa les techniques issues de la mobilisation et de la guerre totales pour en faire une partie intégrante et durable de son mode de gouvernement. Cela contredit la thèse mossienne de la brutalisation venant "d’en bas", celle qui relie violence de guerre des individus pendant la guerre et brutalisation inhérente des sociétés.

      La première idée est très bien résumée par P. Holquist, dans Making War, Forging Revolution : "Unlike other combatants -Germany, Hungary, or Italy - Russia’s revolution came during the war, not after it. Consequently, Russia amalgamated the phases of war and domestic restructuring. In Russia, the revolution wove together an ethos of violence emerging out of the First World War with an insistent demand for remaking Russian society" 45 . Pour expliciter sa démonstration, P. Holquist centre notamment son analyse sur le ravitaillement durant la guerre, qui se transforma rapidement en "monopole d’Etat du commerce des grains", sous le Gouvernement provisoire, et à l’origine impulsé par des organisations publiques et professionnelles qui constituent, selon les mots de M. Geyer un "complexe para-étatique". Mais, si tous les autres Etats européens sont largement intervenus dans le ravitaillement pendant la guerre, les méthodes utilisées par l’Etat soviétique, pour faire appliquer sa gestion de ravitaillement, furent coercitives et violentes, pouvant aller jusqu’à recourir à la force armée : "The Soviet state simply refused to accept drought as a legitimate cause for farmer’s inability to hand over grain to the state, hauling such people before revolutionary tribunals and often shooting them for this "crime" 46 ". Le transfert des méthodes conçues pour être utilisées en période de guerre, dans le contexte du retour à la paix, fut décisif dans la création de l’Etat soviétique. Ainsi, il est intéressant d’observer, en matière d’espionnage, le glissement qui s’est effectué de l’Armée rouge, comme première institution à accorder de l’importance à surveiller la population à grande échelle, vers l’Etat soviétique pour déboucher sur la création d’un Etat de sécurité nationale "National Security state" 47 que le contexte de la Grande Guerre a permis d’institutionnaliser.

      La violence de la guerre civile en Russie est dès lors indissociable de la brutalisation engendrée par la Grande Guerre : "Peut-on comprendre la violence de la guerre civile en Russie, de la part des "Rouges", mais aussi des "Blancs" et des "Verts", "les rébellions paysannes teintées d’anarchisme", sans tenir compte de l’expérience de guerre?" 48 . En effet, N. Werth montre bien comment, par exemple, les détachements punitifs de l’Armée rouge pour venir à bout de l’ennemi intérieur utilisaient les techniques de guerre les plus modernes jumelées avec des techniques plus archaïques, qui avaient été expérimentées durant la Grande Guerre : déportations massives de populations civiles, exécutions d’otages. La Terreur rouge marqua la naissance de la violence d’Etat qui est devenue une composante indissociable du projet de l’Etat soviétique de créer une société socialiste révolutionnaire, et qui préfigure la violence du système stalinien et l’élimination systématique de l’ennemi intérieur par ce dernier.

      2.2. L’Allemagne et l’Italie : la violence politique inscrite dans la violence de guerre ? Deux sociétés qui souffrent respectivement d’une "paix injuste" et d’une "paix mutilée"

      2.2.1 L’expérience de guerre et l’impossible "démobilisation culturelle"

      Dans la même lignée que la Russie, force est de constater en Allemagne et en Italie, que le refus de démobiliser les valeurs et les références issues de la Grande Guerre, s’ancre durablement dans la culture politique des deux pays, malgré le retour à la paix. Le mouvement pacifiste "Plus jamais çà !" allemand et italien "l’Italie est le seul pays où le socialisme ne se rallia à aucun moment à la cause de la guerre" a bien existé, et on ne peut pas vraiment parler de "sectarisme" 49 selon l’expression de G. Mosse "en Allemagne, par exemple, le "Stahlhelm" ("Casque d’acier") réunit un million d’adhérents "[50], même si l’acuité de la question de la culpabilité morale en Allemagne et celle de la "paix mutilée" en Italie l’emportèrent largement sur ces mouvements pacifistes.

      Cependant, par opposition à l’exemple russe où les anciens combattants s’étaient réunis dans un "bolchevisme de tranchée" pacifiste, le nazisme et le fascisme italien ont pu "récupérer" un bon nombre d’anciens combattants, les premiers attirés par l’image du "Volksgemeinschaft" ("communauté nationale-raciale") prônée par l’extrême droite et Hitler et qui reconstituait la camaraderie du front ainsi que le cohésion nationale qui avait manqué en 1914, les deuxièmes parce qu’ils méprisaient l’Etat libéral italien mais aussi parce que les nouveaux partis de masse "Socialiste PPI" avaient fait abstraction des transformations engendrées par l’expérience de guerre. Ainsi en Allemagne, à l’initiative d’un certain nombre d’officiers, se constituèrent les "corps francs", unités de soldats volontaires, très nationalistes, pour lutter contre la révolution dans les régions baltes et en Allemagne même. A ces corps francs faisaient écho les "squadristii" paramilitaires en Italie. Au mythe de l’"homme nouveau" issu des tranchées, correspond celui du "soldat politique" 51 , au service des valeurs du nazisme et du fascisme. En Allemagne, un grand nombre d’anciens combattants ont forgé un "nouveau nationalisme", notamment en rejoignant le mouvement pangermaniste dont le groupe le plus connu est le parti national-socialiste fondé par Hitler.

      C’est le transfert dans le champ politique de la brutalité et de l’attente de la Grande Guerre que nous allons analysé ici, en nous appuyant sur les analyses de G. Mosse pour l’Allemagne et de P. Corner pour l’Italie. L’exemple de brutalisation par la Grande Guerre le plus étudié et ainsi le plus stéréotypé est, sans doute, celui de l’Allemagne. Ainsi, S. Audoin-Rouzeau résume l’objet de l’ouvrage Fallen soldiers de G. Mosse : il s’agit de l’"analyse d’un véritable "sonderweg" de l’Allemagne d’après 1918 dans la manière dont ce pays a récupéré après sa défaite, ou plutôt n’y est jamais parvenue au cours des années vingt et trente" 52 . A. Prost résume la thèse mossienne : "C’est parce que la société allemande a été rendue brutale par la guerre qu’elle a accepté l’hitlérisme" 53 , et d’autant plus brutale qu’elle a été vaincue. Tout comme P.Holquist pour la Russie, G. Mosse procède à une contextualisation du nazisme afin de le situer dans le continuum de la Grande Guerre.

      "La culture de guerre et le [mythe de l’expérience de guerre] demeurent en effet prépondérants en Allemagne et en Italie ; pour ce dernier pays, à la question [que doit le fascisme à la Grande Guerre?", P. Corner répond : "tout" 54 . Ainsi, la force du concept de brutalisation repose sur l’analyse, opérée par G. Mosse et P. Corner, des champs politiques allemand et italien. Si cette brutalisation marque la génération exposée au conflit, en façonnant l’imaginaire singulier d’un ethos guerrier mêlant héroïsme et technologie, camaraderie et haine de l’adversaire, elle se transmet avant tout par le langage - vecteur essentiel de la continuité de l’expérience de guerre après cette dernière - au champ social dans son entier. Dans cette perspective, la brutalisation éclaire notre compréhension de la genèse des totalitarismes allemand et italien : "L’opposition de guerre entre la mort de l’ami et celle de l’ennemi se reportera, en temps de paix, dans le champ de la lutte politique" 55 , pour faire de la politique le manichéisme d’un monde scindé entre amis et ennemis, inspiré, en Allemagne, par les écrits de C. Schmitt, en Allemagne.

      Les tentatives d’insurrection, la multiplication des assassinats politiques [324] commis par la droite en Allemagne entre 1919 et 1923, dont R. Luxemburg et Rathenau] caractérisèrent particulièrement la vie politique allemande : "Les assassinats politiques furent pour la plupart, le fait de soldats sous les ordres de leurs anciens officiers […] ces crimes étaient justifiés pas des discours empruntant à la rhétorique de guerre son lexique patriotique. On les faisait passer pour des actions militaires nécessaires dans une Allemagne prisonnière d’une paix corrompue" 56 . La brutalisation va encore plus loin avec la décision de la République de Weimar d’exempter les actes de violence considérés comme "patriotiques".  La volonté affichée d’anéantir l’adversaire désormais intérieur et la montée de l’antisémitisme rythment également la vie politique et sont le symptôme d’une brutalisation perpétuée de la Grande Guerre. L’idée que la guerre n’est pas finie est un thème vital et récurrent de l’extrême droite allemande et italienne. Si le fascisme italien a hérité son credo de la guerre : "Croire, obéir, combattre", un dicton très populaire sous les nazis témoigne aussi d’un héritage de l’expérience de guerre : "L’idéal au-dessus de nous, le camarade à côté, l’ennemi devant". 

      2.2.2. Le "diktat", la "paix mutilée" et la culture politique, facteurs décisifs de la brutalisation des sociétés italienne et allemande

      L’idée de guerre permanente se nourrit de l’amertume provoquée par le Traité de Versailles, surtout pour l’Allemagne et dans une moindre mesure pour l’Italie. En effet, le jugement moral de la guerre, entériné par le Traité de Versailles constituait un obstacle majeur à une démobilisation culturelle en Allemagne [Hitler dénonçait dans ses discours ce qu’il appelait le "désarmement moral]]. Ainsi, pour F. Rousseau, l’élément le plus décisif dans l’explication de la violence politique allemande de l’entre-deux-guerres réside dans la défaite et l’humiliation nationale qu’elle a entraînée, au détriment de la thèse mossienne de l’héritage de la violence de guerre et de sa brutalité. Ainsi, lorsque Hitler promit dans ses discours au début des années 1930 d’abolir l’"honteux diktat de Versailles", il rallia autour de lui un grand nombre d’Allemands qui se sentaient trahis par la République de Weimar, celle qui avait lâchement accepté la culpabilité morale des "atrocités" commises pendant la Grande Guerre. Dans la même lignée, dans les années 1920,  P. Jardin montre, à travers la "légende du "coup de poignard dans le dos" dans les manuels scolaires" 57 que la défaite (le "défaitisme révolutionnaire" est désigné comme le principal coupable) et l’insuffisance de la coalition nationale allemande furent un sentiment collectif et obsessionnel dans la société allemande et constituent un facteur primordial de la brutalisation du champ politique allemand de l’entre-deux-guerres.

      On retrouve cette même idée d’absence d’unité nationale pendant la guerre en Italie, où l’Etat força les masses réticentes à entrer en guerre : "Sous bien des points de vue, le fascisme peut être considéré comme un effort pour créer, à sa manière, bien entendu, l’unité nationale qui manquait pendant le conflit" 58 . Cela impliquait la défaite et l’élimination du socialisme pacifiste désigné comme l’ennemi intérieur qui a causé l’échec militaire. On retrouve la même "paranoïa de la menace interne" 59 , en Allemagne, qui se traduisit par la recherche de boucs émissaires pour justifier la défaite allemande, "les socialistes, les pacifistes, mais surtout les juifs".

      Si G. Krumeich considère que la "radicalisation par le refus "de la défaite et de la République" ne possédait qu’un seul élément d’idéologie cohérent : la prétention de bâtir sur l’expérience de guerre" 60 ,  A. Prost, dans sa critique de la brutalisation, montre habilement comment la brutalisation de la société allemande de l’entre-deux-guerres est à replacer dans un cadre plus large, enracinée dans une culture politique qui est à l’origine, bien avant la Grande Guerre, fondée sur la légitimité de la force (l’unification de la nation allemande s’est en effet faite sous l’impulsion de Bismarck, "par le fer et le sang") et le pangermanisme, un nationalisme agressif et xénophobe. Ainsi, la brutalisation allemande par la Grande Guerre est une thèse à atténuer : elle ne peut être conçue exclusivement comme le résultat de l’expérience de la Grande Guerre et trouve ses origines dans une culture politique forgée bien avant 1914.

      Pour l’Italie, Zeev Sternhell, qui a consacré de nombreux ouvrages sur le fascisme, remit en cause la thèse de la brutalisation de G. Mosse en souligna, lors d’un entretien 61 : "Je crois que le fascisme italien n’avait pas besoin de la guerre" ; tout comme pour le fascisme français, il considère que la guerre a suscité les conditions psychologiques, politiques et sociales qui ont favorisé son éclosion, mais affirme que la guerre n’est pas à l’origine du fascisme italien.

      Ainsi ces trois pays, la Russie, l’Allemagne et l’Italie, ont tous connu une brutalisation particulière de leurs sociétés, malgré le retour à la paix. Mais, cela signifie-t-il que toutes les sociétés qui ont vécu l’"expérience de guerre" se sont inéluctablement brutalisées? Qu’en est-il alors du pacifisme de l’entre-deux-guerres? Dans Fallen soldiers, G. Mosse écrit à propos du pacifisme des années 1920-1930 : "Entre les deux guerres, le pacifisme ne fut pas une force puissante et il ne réussit pas à capter l’adhésion d’une part significative de la population" 62 ; et de conclure : "Le pacifisme ne fut pas vraiment un obstacle à la propagation du mythe "de la guerre" 63 ".

      2.3. Les limites de la thèse de la brutalisation : la force du pacifisme de l’entre-deux-guerres incarné par les anciens combattants français

      2.3.1. Le pacifisme et la culture politique française

      Ainsi, on le voit bien, l’historiographie de la brutalisation de la Grande Guerre a tendance à ignorer la force du pacifisme français au cours de l’entre-deux-guerres, et dans une moindre mesure, le pacifisme britannique mais aussi - et celui-ci est presque systématiquement aseptisé par l’historiographie de la Grande Guerre - le pacifisme des anciens combattants russes qui se réunissent dans le "bolchévisme des tranchées" pour réclamer la "Paix et la liberté".

      Relativement faible en Angleterre, c’est surtout le pacifisme français qui s’imposa parmi les autres mouvements pacifistes "trois millions d’adhérents", par sa force et sa prégnance dans les groupes sociaux les plus divers 64 , contrairement à ce qu’affirme G. Mosse qui se refuse à considérer la spécificité radicale des anciens combattants français face à leurs "homologues" allemands ou italiens. Selon A. Prost, qui rend compte de la publication l’ouvrage de G. Mosse dès 1991 tout en s’appuyant sur les conclusions de sa thèse sur les anciens combattants, l’expérience de la mort de masse traversant l’ensemble de la société française, n’induit pas les mêmes comportements qu’en Allemagne ; par exemple, symboliquement, les anciens combattants français refusent une organisation militaire à l’allemande : "Nous n’avons pas le goût pour le pas cadencé" 65 , ce qui traduit leur profond antimilitarisme, et plus généralement le refus de la guerre et de sa brutalité. Pour A. Prost en effet, il n’existe pas de causalité immédiate entre la brutalisation des combattants pendant la guerre et la brutalisation des sociétés après la fin de celle-ci.

      A l’appui de sa démonstration, A. Prost montre que les spécificités de la culture politique française, forgées avant 1914, mais confortées par la Grande Guerre, contribuent grandement à atténuer, voire contrarier l’influence de la brutalisation induite par l’expérience de guerre sur la vie politique, et ceci indépendamment de la victoire acquise. Il montre d’abord comment les "soldats se vivaient comme des citoyens mobilisés, ils n’ont jamais oublié leurs droits de citoyens" 66 . Dans la même lignée, L. Smith parle de "citizen-soldiers" 67 , dans son analyse des mutineries de 1917. D’où, contrairement aux Allemands, la tendance des anciens combattants français de ne pas accepter les exécutions sommaires perpétrées pendant la guerre et à affirmer les droits imprescriptibles du citoyen mobilisé, poursuivant ainsi la réhabilitation des victimes des cours martiales 68 . De plus, dans la culture politique française, l’"amour de la patrie conduit à celui de l’humanité" 69 . Ainsi, le nationalisme devient un phénomène marginal après la fin de la guerre, et s’y substitue la valorisation de la paix, dont la sauvegarde devient la priorité. Cette "nouvelle mission" engendre un pacifisme.

      2.3.2. Le paradoxe des anciens combattants français : la dérive de la brutalisation enrayée par un discours contraire à celle-ci

      Pourtant, force est d’admettre que la spécificité du comportement des anciens combattants français peut évoquer le phénomène de la brutalisation, et c’est en cela que réside tout le paradoxe et la particularité du mouvement combattant pacifiste français. En effet les anciens combattants, tout comme leurs homologues allemands et italiens revendiquant le sacrifice à la patrie, rejoignent l’exaltation mystique des corps francs autour de la fraternité des tranchées. Ainsi, si les expressions de "baptême de feu" ou de "génération de feu" peuvent être facilement assimilées aux "hommes nouveaux" italiens et allemands, par le nouveau rôle de guide de la nation qu’ils s’arrogent, ces aspects-là ne débouchent pourtant pas sur une brutalisation de la politique française.

      Seule la configuration politique de ce sentiment varie et fait apparaître du mouvement combattant "tout le contraire d’un mouvement fasciste ou fascisant" 70 . En effet, l’[esprit combattant], c’est avant tout le "refus de la politique comme combat" 71 . Les anciens combattants, au contraire, plaident pour l’union et la paix qui débouche sur une véritable "pédagogie de la paix". Ils revendiquent un "patriotisme pacifique" et une "magistrature morale" 72 . Le discours politique des combattants paraît dès lors "trop rhétorique, trop moralisateur surtout pour qu’on y voie un péril fasciste" 73 . Notamment, contrastant avec les fascismes européens, l’adversaire reste anonyme, ce qui, avec le discours moralisateur, a constitué un obstacle au développement du fascisme en France de l’entre-deux-guerres. C’est pourquoi Briand et sa rhétorique, qui s’appuyaient sur l’image de l’ancien combattant et le rejet de la guerre dans une volonté d’inversion des termes et du langage des cultures de guerre, furent l’objet d’un culte parmi les anciens combattants français 74 . Ils se retrouvaient dans leur volonté commune d’une démobilisation culturelle, ou en inversant le néologisme de G. Mosse, d’une "dé-brutalisation" de l’après-guerre.

      Ainsi, A. Prost nous oblige à relativiser la fécondité de la thèse de la brutalisation au-delà de ce qui constitue les cadres nationaux explicitement privilégiés par G. Mosse et les historiens de Péronne, surtout l’Allemagne et l’Italie, pays vaincus et frustrés par la victoire. Les anciens combattants français contredisent la thèse mossienne de la "continuation de la guerre par la politique". Au contraire, le mouvement combattant français semble avoir même peut-être consolidé la République en place et mis en garde contre la tentation fasciste : si, en matière de réforme de l’Etat, les anciens combattants s’élevaient contre le mauvais fonctionnement du régime en place et si, en parallèle, le régime de Vichy semblait correspondre à leurs aspirations (Pétain "à la fois moralisateur et fort était l’incarnation même de l’esprit combattant, celui de Verdun et de la victoire" 75 ), leurs propos trop moralisateurs et rassembleurs préfiguraient davantage un "parlementarisme discipliné" 76 - et non le renversement du régime parlementaire - qu’un régime incarné en une seule personne.

      Conclusion

      Ainsi, lorsque nous traitons le sujet de la brutalisation des sociétés européennes par l’expérience de la Grande Guerre, on se trouve immédiatement confronté à différentes interprétations historiographiques du sujet, se contredisant parfois. Il est alors indispensable, comme nous avons tenté de le faire tout le long de cette étude, de les confronter, de les comparer, afin de montrer que la réponse à la problématique de la brutalisation n’est pas homogène.

      A la question : "L’expérience de la Première Guerre mondiale, a-t-elle été la matrice des totalitarismes du XXe siècle?" 77 nous répondrons qu’on ne peut pas comprendre la montée des fascismes et du nazisme en faisant abstraction des germes développés trente ans plus tôt, pendant la Grande Guerre ; l’expérience de guerre a été un [accélérateur] de la montée au pouvoir de ces régimes, la Russie constituant un exemple particulier, puisque la violence d’Etat s’est construite grâce et "avec" la violence de la Grande Guerre.

      Sans doute un des aspects les moins contestables de la brutalisation des sociétés européennes par la Première Guerre mondiale est l’un des thèmes clé développés par G. Mosse : "La confrontation avec la mort de masse est sans doute l’expérience fondamentale de la guerre" 78 . On ne peut ainsi que rejoindre la conclusion d’Antoine Prost : "L’immense majorité "des combattants" ne souhaite pas la prolongation de la violence de guerre, mais au contraire, le retour aux mœurs civiles du temps de paix. S’il y a brutalisation des sociétés occidentales, elle passe surtout par une accoutumance diffuse de l’ensemble de la société à la mort de masse."  

      Bibliographie

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      2. Retrouver la guerre, p.301.

      3. Retrouver la guerre, p.254.

      4. AUDOIN-ROUZEAU, S., "Vers une histoire culturelle de la Première Guerre mondiale", in Vingtième siècle, n°41, janvier-mars 1994.

      5. GEISS, I. , "Reflexions on Total War in the 20th century", in The Great World War, p.456.

      6. GEISS I., p.457.

      7. LINDEMANN, Thomas, "Aux origines de la Première Guerre mondiale", in Les sociétés en guerre, 2003, p.13 : il s’agit de l’application aux sociétés humaines du principe de la sélection naturelle, la nation étant alors définie en termes ethno-culturels.

      8. LIULEVICIUS, Vejas G., War Land on the Eastern Front: Culture, National Identity, and German Occupation in World War I, Cambridge: Cambridge University Press, 2000.

      9. GEISS, I., p. 461.

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      64. PROST A., Les Anciens combattants : 1914-1939, Paris, Gallimard, 1977, p.81 : le mouvement combattant est un "mouvement de masse à dominante populaire, et surtout rurale, encadré par la petite bourgeoisie des classes moyennes".

      65. PROST, A., 1977, p.86.

      66. PROST, A., in Les sociétés en guerre, p.105.

      67. SMITH, Leonard, Between Mutiny and Obedience. The case of the French Fifth Infantery Division during the World War I, New Jersey: Princeton University Press, 1994.

      68. Leur "combat" se concrétisa en 1928 avec la création d’une cour spéciale de justice militaire qui réhabilita la plupart des victimes innocentes des cours martiales.

      69. PROST A., in Les sociétés en guerre, p.108.

      70. PROST A., 1977, p.185.

      71. PROST A., in Les sociétés en guerre, p.

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      73. PROST A., 1977, p.189.

      74. PROST A., 1977, p.119 : "Aucun homme politique n’a suscité autour de lui un tel consensus parmi les combattants".

      75. PROST A., 1977, p. 222.

      76. PROST A., 1977, p. 235.

      77. AUDOIN-ROUZEAU S., BECKER A., Retrouver la guerre, pp. 312-313.

      78. MOSSE, G., p. 7.

      de Hoop Scheffer Alexandra
      Premat Christophe masculin
      Wormser Gérard masculin
      La Grande Guerre a-t-elle brutalisée les sociétés européennes ?
      de Hoop Scheffer Alexandra
      Département des littératures de langue française
      2104-3272
      Sens public 2005-03-06
      Les mécanismes guerriers

      "La guerre brutalise les hommes, au double sens du terme : elle les atteint dans leur chair et dans leur âme, elle les rend brutaux aussi". Cette phrase résume en elle-même l'approche historiographique récente de la Grande Guerre proposée, depuis plus d'une dizaine d'années, par les historiens européens du Centre de recherche de l'Historial de la Grande Guerre, créé en 1989. Elle réside avant tout dans la volonté commune de ces historiens de s'extraire de l'historiographie de l'immédiat après-guerre et des années 1930 - "tu n'as rien vu dans les années vingt et trente" - car elle a procédé, selon eux, à une histoire victimisante de la guerre, une histoire-bataille "vue d'en haut", où la violence de guerre est aseptisée, posant un "écran conceptuel" qui rend la Première Guerre mondiale et ses conséquences sur les sociétés belligérantes incompréhensibles. Les années 1970 et 1980, marquées par l'ouverture progressive des archives, correspondent au renouveau historiographique de la Première Guerre mondiale, avec notamment les thèses de J. J. Becker sur les Français dans la Grande Guerre et celle d'A. Prost sur les anciens combattants.

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