Avec la collaboration de Mathias Craig, Guillaume Craig, Benjamin Garel, Eva Lafuente et Pierre Blanc
Le contexte socio-économique du projet et les défis de l’électrification rurale
Le lourd passif économique et environnemental de la région Caraïbe du Nicaragua
Le Nicaragua est classé par l’ONU au 118ème rang mondial en terme d’Indice de Développement Humain 1 (IDH), et il est le pays le plus pauvre d’Amérique centrale après Haïti avec un PNB de US$2590 par habitant en moyenne 2 pour l’année 2002. Les fortes inégalités sociales qui caractérisent les pays en voie de développement sont exacerbées au Nicaragua par de fortes disparités ethniques et géographiques.
La côte Caraïbe est ainsi la région la plus défavorisée du pays avec un IDH moyen de 0,460 3 , ce qui la classe au 154ème rang mondial, au même niveau que Djibouti et juste devant les pays les plus pauvres d’Afrique sub-saharienne. Cette côte à l’histoire mouvementée faite de guerres coloniales, d’annexions successives et de pillages systématiques des ressources, a été considérablement délaissée par le gouvernement central du pays qui a privilégié le développement de la zone Pacifique de culture hispanique et en lien avec les Etats-Unis. Ces choix expliquent en partie 4 pourquoi la région connaît aujourd’hui un retard de développement considérable vis à vis du reste du pays. Outre un manque cruel d’infrastructures, notamment routières, et de services publics en matière d’éducation ou de santé, la côte Caraïbe 5 souffre d’un chômage endémique et d’une dégradation avancée de l’environnement.
Cette région, qui couvre plus de la moitié du territoire national, dispose pourtant de ressources naturelles importantes. La faune et la flore marines sont particulièrement riches, seules les forêts brésiliennes abritent plus de biodiversité que les forêt tropicales de la région et les réserves minières sont estimées à plus de cinq milliards de dollars. Malgré ces atouts, le manque d’infrastructures de transport minimales et de capitaux disponibles entrave le développement du tourisme. Quant aux réserves minières, leur exploitation par des compagnies étrangères n’a aucune retombée sur l’économie locale mais en revanche les politiques d’extraction massive menées par ces sociétés ont des conséquences dévastatrices sur l’environnement : pollution à grande échelle, érosion et contamination des sols.
Les programmes de développement en vigueur au niveau national et régional
Pour tenter de remédier à cette situation délicate, des programmes de développement ont été élaborés à l’échelle nationale comme au niveau régional. Sans entrer dans le détail des nombreuses initiatives locales menées par des ONG, nous présentons brièvement ici les deux cadres institutionnels qui régissent en partie le domaine d’action de blueEnergy.
Les programmes nationaux de développement
Le gouvernement nicaraguayen dirigé par Enrique Bolaños affiche des objectifs de développement ambitieux. Le Plan National de Développement 6 vise à la fois à réduire la pauvreté, à stimuler la croissance économique, à diminuer la corruption et à promouvoir le développement durable à l’échelle du pays. Au sein de ce cadre d’action, la Comisión Nacional de Energía (CNE) est chargée de coordonner les initiatives qui portent sur l’accès à l’énergie. Afin de contourner les obstacles géographiques et financiers auxquels se heurte l’extension du réseau électrique national, la CNE développe une politique d’implantation de sources d’énergie locales proches des foyers de consommation et encourage le recours aux énergies renouvelables. Cette démarche s’est traduite pour l’instant par un programme d’installation de mini-générateurs hydrauliques dans les régions montagneuses du centre du pays.
Le projet d’autonomie Caraïbe
Le projet d’autonomie Caraïbe est une initiative qui vise à étendre les prérogatives des autorités régionales et à inscrire leurs actions dans une perspective de développement durable. Il a vocation à inclure les communautés indigènes dans les processus de décision pour définir des orientations de développement qui respectent leur mode de vie et leur priorités. Il prévoit parallèlement de renforcer les liens avec le gouvernement central pour améliorer l’efficacité des programmes de développement et faire en sorte que les communautés indigènes jusque là oubliées par ces programmes en bénéficient.
L’ethnie Rama : un groupe indigène fragile
Les Ramas sont le groupe ethnique de plus petite taille parmi les divers peuples indigènes vivant sur la côte Caraïbe du Nicaragua. L’ensemble de la population Rama était estimé en 2003 à un peu plus de mille individus. Traditionnellement, les Ramas vivaient en petits foyers de peuplements isolés et mobiles, se cachant périodiquement dans la forêt tropicale pour échapper aux colonisateurs. Au tournant du 17ème siècle, les Miskitus, l’ethnie dominante de la côte, firent don aux Ramas d’une petite île de la lagune de Bluefields en reconnaissance de l’aide qu’ils leur apportèrent dans les guerres contre les invasions des Terrabas venus du Sud. Environ deux cent Ramas de la zone côtière de Punta Gorda s’installèrent sur l’île qui est depuis connue sous le nom de Rama Cay. Cette île constitue aujourd’hui le centre principal de peuplement de l’ethnie Rama dont la langue a menacé de s’éteindre au contact des populations espagnoles et créoles.
Le Projet pour la langue Rama lancé au milieu des années 80 s’est donné pour but de revitaliser cette langue en voie d’extinction. Le travail de terrain de revitalisation a été dirigé par le professeur Colette Craig-Grinevald (Université d’Oregon) de 1985 à 1993 et à permis de sauvegarder cette langue qui est aujourd’hui enseignée dans les communautés Rama.
Pour le fondateur de blueEnergy, Mathias Craig, qui a découvert très jeune le peuple Rama et son cadre de vie dans le cadre de ce projet RLP mené par sa mère, la population Rama, particulièrement démunie et oubliée par les schémas de développement nationaux, s’est imposée comme un choix prioritaire pour une aide au développement local par l’accès à l’énergie.
Les besoins en énergie : développement local et électrification rurale
L’électrification rurale dans les pays en voie de développement est un domaine qui a été largement étudié et dont l’importance dans l’amélioration globale des conditions de vie n’est plus à démontrer 7 . BlueEnergy ne prétend évidemment pas résoudre ce problème dans son intégralité sur la côte Caraïbe, mais elle espère apporter des éléments de réponse durables et des solutions facilement réplicables.
Il est largement reconnu que l’accès à une source abordable et suffisante d’énergie domestiquée comme l’électricité est une condition nécessaire au développement. Ce service doit être développé en parallèle et en synergie avec les services de santé et d’éducation afin de garantir l’efficacité de ces derniers. Longtemps privée d’une source fiable d’électricité, Bluefields n’a été que récemment (2001) connectée au réseau de distribution national. Environ 40% de la population de la ville bénéficie aujourd’hui de ce service encore mal maîtrisé avec de fréquentes coupures de courant de longue durée (plusieurs par semaines). Malgré les ambitions des autorités nationales présentées plus haut, le reste de la RAAS est toujours privée de toute distribution centralisée d’électricité. Si les villages les plus riches disposent un générateur Diesel qui leur permet une illumination quelques heures par jour, plus de 70% de la population 8 de la région est totalement dépourvue d’électricité. Hors agglomérations, seuls 5% 9 des habitants ont accès à une source d’électricité. Ce taux est à comparer avec la moyenne de 95% d’électrification rurale du pays voisin, le Costa Rica 10 .
Les limites des solutions énergétiques traditionnelles
L’analyse des différentes technologies énergétiques utilisées sur la côte Caraïbe est porteuse d’enseignements précieux. A l’exception des grandes agglomérations 11 , il n’existe quasiment pas de génération centralisée et Bluefields est la seule ville de la côte connectée au réseau national. Les technologies de génération électrique hors réseau ont été très peu développées faute d’incitation et de soutien financier. On trouve donc des générateurs Diesel en mauvais état, souvent sous-employés et source de gaspillage ou tout simplement hors d’usage et irréparables par manque de moyen ou d’accès aux pièces nécessaires. Si ces générateurs ont fonctionné un certain temps, les lourdes contraintes financières 12 et logistiques qui pèsent sur le carburant nécessaire ainsi que sur les besoins de maintenance 13 ont rapidement eu raison de ces solutions onéreuses, polluantes et non durables. Il faut aussi souligner que le recours forcé aux seules sources d’énergies disponibles que sont le bois et pétrole a des conséquences très sérieuses sur la santé humaine et tout particulièrement sur celle des femmes et des enfants, les populations les plus exposées aux émissions toxiques dans des espaces confinés.
BlueEnergy : un projet original porté par une collaboration active à tous les niveaux et consacré au développement local de court et de long-terme
Quant un projet d’études se concrétise en une ONG solidement implantée sur le terrain
Le projet porté par blueEnergy a vu le jour en 2002 dans le cadre du cours donné au Massachusetts Institute of Technology (MIT) par le Professeur Alex (Sandy) Pentland, un ardent défenseur du transfert de technologies comme instrument privilégié du développement des pays du Sud. Grâce à son expérience personnelle des pays en développement et à ses idées novatrices, un étudiant, Mathias Craig, a transformé un projet académique élaboré dans ce séminaire en une organisation non gouvernementale présente aujourd’hui aux Etats-Unis, au Nicaragua et en France et récompensée par le premier prix de la compétition 1K du MIT en 2002. Sous la direction locale de Lâl Marandin (2004) puis de Guillaume Craig (2005), blueEnergy développe aujourd’hui sur le terrain, à partir de son siège de Bluefields, des solutions fondées sur les énergies renouvelables pour répondre aux besoins d’électrification des communautés isolées et semi-rurales de la côte Caraïbe du Nicaragua.
Des institutions locales aux organisations internationales : un partenariat multiforme au service des communautés indigènes de la côte Caraïbe du Nicaragua
BlueEnergy a choisi de porter ses efforts vers les communautés indigènes Rama qui habitent la côte Caraïbe du Nicaragua depuis des siècles. Ce choix a été largement déterminé par les relations particulières que la famille du fondateur de blueEnergy a tissé avec cette ethnie dans le cadre du projet de revitalisation de la langue Rama, mentionné précédemment. Fondé d’abord sur la concertation et l’échange avec les conseils représentatifs des communautés Ramas, le projet de blueEnergy s’est renforcé progressivement par une collaboration active avec de nombreux acteurs à différents niveaux. Au niveau local et régional, blueEnergy a tissé un réseau de collaboration étroite avec les acteurs du développement et de la formation. Animée par la volonté d’assurer un véritable transfert de compétences et de contribuer à la formation locale, blueEnergy a instauré des partenariats avec les institutions éducatives de Bluefields 14 et une convention commune (voir bibliographie) a été signée en août 2004 officialisant le travail effectué en commun depuis le début du projet pilote. Cette convention permet aux étudiants des trois institutions de participer aux activités de blueEnergy et d’être formés à la technologie éolienne enseignée par ses cadres.
BlueEnergy travaille en outre en collaboration avec la délégation régionale du PNUD à Bluefields, avec l’Institut pour les ressources Naturelles et le Développement (IREMADES) et de nombreuses ONG européennes ou américaines 15 .
Au niveau national, blueEnergy bénéficie du soutien officiel de la Commission Nationale pour l’Electricité et du ministère de l’environnement (MARENA).
Au niveau international enfin, blueEnergy a développé des liens privilégiés avec des acteurs français 16 du développement et le projet pilote 2004-2006 a reçu le soutien de l’Alliance pour l’Energie et l’Environnement (AEA), organisme d’aide au développement des pays de l’isthme américain financé par la Finlande. De plus blueEnergy a déjà accueilli plusieurs dizaines de volontaires internationaux.
L’association de soutien française fondée en 2004, (loi 1901 reconnue d’intérêt général) a été lauréate le 3 décembre 2005 des Dotations des Solidarités Nord Sud de la Guilde Européenne du Raid (www.la-guilde.org) et sera soutenue financièrement par ETDE (www.etde.fr) pour son action prévue en 2006.
Le modèle économique : de l’initiative caritative à une activité pérenne et créatrice d’emplois locaux
Le projet de blueEnergy se décompose en trois phases principales qui doivent permettre d’atteindre à moyen terme les objectifs de transfert de technologie et d’amorce d’une dynamique de développement économique et social durable de la région. L’ambition de blueEnergy est de dépasser le stade de l’aide ponctuelle et subventionnée 17 pour mettre en place une véritable entreprise de services énergétiques fondée sur les technologies et les modes de gestion 18 développés par blueEnergy et ses partenaires et entièrement gérée par localement. Cette structure auto-financée, qui serait une source pérenne d’emplois et contribuerait à l’amélioration des conditions de vie des habitants de la zone, pourrait s’étendre à terme à d’autres régions comme la RAAN voisine. La conception d’un business model qui respecte la condition de rentabilité financière tout en restant adapté à la culture locale et qui soit assez flexible pour faire face à des types de besoins différents représente un véritable défi dont dépend la viabilité du projet. Cette question est au cœur de l’arbitrage entre pérennité financière et efficacité locale auquel sont confrontés la majorité des programmes de développement.
La première phase d’activités de 2004 à 2006 s’inscrit dans le cadre d’un projet pilote qui démontre la faisabilité et la viabilité des systèmes d’énergie renouvelable (éolien et photovoltaïques) comme solution durable aux carences en électricité des communautés de la côte Caraïbe. Il permettra de développer des réponses technologiques et organisationnelles aux contraintes physiques et sociales spécifiques à ces communautés. La deuxième phase permettra une transmission progressive de toutes les activités du projet aux techniciens locaux formés par blueEnergy. La troisième phase verra la mise en place d’une industrie locale de services énergétiques entièrement autonome financièrement et gérée localement.
Les solutions développées : une exploitation locale et durable des sources d’énergie renouvelables
Des systèmes hybrides qui valorisent les ressources renouvelables locales
Fort de la connaissance des contraintes spécifiques à la région et des échecs des projets précédents, un projet qui se veut efficace et durable doit éviter l’imposition d’une technologie importée difficile à entretenir et s’appuyer sur les ressources locales en énergies renouvelables comme le biogaz, l’hydroélectricité, l’énergie solaire ou l’énergie éolienne. Le faible dénivelé de la côte Caraïbe exclue la génération à grande échelle d’énergie hydraulique, l’exploitation du biogaz s’avère très difficile dans les zones non cultivées peu accessibles, le prix prohibitif des panneaux photovoltaïques et la longue saison des pluies (plus de huit mois) limitent l’efficacité d’une solution solaire.
Qu’en est il de l’énergie éolienne ? blueEnergy a conduit une étude du gisement éolien pour mesurer sa faisabilité car aucune étude n’avait jamais été menée dans cette région.
Ses premier résultats (voir section 4) montre un régime moyen satisfaisant pour faire de l’énergie éolienne une source productive combinée avec l’énergie photovoltaïque pour les petites et moyennes communautés que blueEnergy vise à équiper. Le projet propose donc de mettre en place des systèmes 19 d’exploitation hybrides (Figure I.) associant des éoliennes fabriquées localement et des panneaux solaires produits au Nicaragua 20 pour charger des batteries à cycle profond. Cette exploitation se veut durable tant par le respect de l’environnement et de la santé des populations que par la priorité accordée à sa composante locale, dans les matériaux comme dans les compétences humaines.
Le recours à une technologie durable conçue spécifiquement pour les besoins locaux
La pérennité d’un tel projet repose bien entendu sur l’adaptation des technologies développées aux contraintes locales. Ce souci est au cœur des choix technologiques du projet. Les panneaux solaires sont produits au Nicaragua par l’ONG Grupo Fenix 21 partir de cellules photovoltaïques recyclées. Le schéma de conception utilisé dans la fabrication des éoliennes a été développé par Hugh Pigott 22 , un expert mondial en techniques éoliennes, dans le cadre d’un projet de la Banque Mondiale pour développer des sources d’énergies alternatives locales dans les pays en développement. Ces éoliennes de taille réduite se distinguent en conséquence par leur faible coût de fabrication, par la simplicité de leur mode d’assemblage adapté à des moyens techniques limités et par des matériaux essentiels faciles à se procurer localement (Tableau I). A partir du modèle de base, des modifications inspirées notamment par le savoir-faire et les connaissances des techniciens locaux ont été effectuées pour faire face aux contraintes imposées par les matériaux et les outils à disposition et par le climat particulier de la zone d’action du projet.
Le projet-pilote : l’illustration d’une démarche durable axée sur le transfert de compétences
Dans le cadre du projet pilote des avancées importantes ont déjà été réalisées. Elles concernent en particulier l’installation de trois systèmes énergétiques sur les quatre prévus, les ateliers de formation et de production, l’analyse qualitative et quantitative des besoins des populations bénéficiaires et l’étude des ressources éoliennes des zones concernées. En filigrane de chacune de ces activités transparaissent les priorités qui guident l’action de blueEnergy et son approche locale et durable de l’aide au développement.
L’appropriation locale de la technologie et l’élaboration d’un mode de gestion autonome : le rôle clé des ateliers et des séminaires de formation.
Le rôle des ateliers dans l’appropriation du projet
Tous les ateliers du projet pilote sont organisés dans les locaux de production de blueEnergy sur le campus de l’université 23 IPCC-INATEC situé dans le centre de Bluefields. Ces séminaires ont pour objectif d’impliquer les populations bénéficiaires dans toutes les étapes de mise en place des systèmes hybrides dans leur communauté. Leur participation à la construction et à l’installation des turbines et la formation qu’ils reçoivent pour l’entretien et la gestion quotidienne des systèmes permettent de les familiariser avec une technologie nouvelle et également de transmettre des compétences qui peuvent être réutilisées avec profit dans d’autres activités. Cet effort d’implication contribue également fortement à ce que la communauté dans son ensemble (hommes, femmes et enfants ont participé aux ateliers) s’approprie véritablement le système et ne le perçoive pas comme un élément exogène sur lequel elle n’a aucune prise. Cette phase d’appropriation, qui fait défaut à de nombreux projets de développement qui « parachutent » des technologies complexes face auxquelles les bénéficiaires se sentent démunis, est une condition clé de la pérennité d’une telle entreprise. Associée à une formation technique solide sur l’entretien des systèmes hybrides, elle maximise la durée de vie de ces derniers. Afin que leur impact en terme de transfert de compétences soit le plus large possible, les ateliers sont ouverts aux professeurs de l’INATEC, de la BICU et de l’URACCAN qui peuvent suivre la formation et contribuer par leur suggestions à en améliorer certains aspects. Ces échanges fructueux de compétences permettent de produire une technologie novatrice et particulièrement adaptée aux conditions locales de production et d’utilisation.
Le contenu des ateliers : formation technique et élaboration de mécanismes de gestion locale
Chaque session d’ateliers se compose de trois phases d’une semaine dédiées chacune à une activité spécifique. La première semaine est consacrée à la construction d’une éolienne de A à Z. Les participants sont ainsi formés à chacune des étapes de la construction et se familiarisent avec les différents composants et leur rôle au sein du système. La deuxième semaine est dédiée à l’élaboration de la tour de soutien et à son installation. Enfin la troisième semaine est centrée sur l’entretien de l’éolienne 24 et l’apprentissage du fonctionnement des batteries à cycle profond 25 et surtout sur la gestion sociale du système. Si les premières phases demeurent à forte composante technique, la dernière relève principalement de l’élaboration concertée de mécanismes de gestion autonome adaptés au cadre institutionnel et social local. Elle représente à ce titre un défi extrêmement important et particulièrement intéressant du projet et mérite d’être décrite plus en détail. Cette partie est consacrée à trois tâches clés : l’organisation de la maintenance, la collecte des taxes sur le chargement de batterie et l’allocation optimale de l’énergie disponible. L’organisation de la maintenance est relativement simple dans la mesure où les tâches requises et leur mode d’exécution sont clairement définis lors de la phase précédente sur la dimension technique de l’entretien et qu’il suffit donc de déterminer qui sera responsable de l’entretien à tel moment. L’élaboration d’un système de collecte de taxe à la fois efficace et socialement acceptable est plus délicate. Face aux attentes parfois démesurées des populations bénéficiaires qui espèrent pouvoir équiper chaque maison d’un réfrigérateur, d’une télévision ou d’autres appareils électriques, il est primordial de clarifier rapidement les capacités réelles du système lors de la phase de formation sur l’allocation optimale de l’énergie. Cela permettra à la communauté d’en tirer le maximum en fonction de ses besoins spécifiques. On trouve dans le Tableau II. un exemple de « budget énergie » typique élaboré pendant cette phase de l’atelier pour illustrer le potentiel du système. Les séminaires consacrés aux activités de gestion décrites précédemment prennent la forme de discussions ouvertes entre les instigateurs du projet et les membres des communautés. Etant donné l’importance attribuée à l’appropriation locale des systèmes et à la pérennité du projet, il ne saurait être question d’imposer des modes de gestion qui ne soient pas adaptés au fonctionnement social de ces communautés. C’est pourquoi ces sessions sont un atout majeur pour la réussite du projet et pour son développement futur. D’ailleurs les débats lors de l’atelier ne débouchent pas directement sur l’élaboration formelle et définitive d’un mode de gestion. Ils sont suivis par d’autres concertations internes à chaque communauté afin d’impliquer la partie de la population qui n’a pas assisté aux ateliers. Les décisions finales sur la gestion des systèmes sont alors prises par les conseils communautaires représentatifs avec l’aide de blueEnergy et de ses partenaires.
Bilan des premiers ateliers et perspectives
Au jour d’aujourd’hui, deux ateliers de trois semaines ont eu lieu. Le premier était dédié spécifiquement à la formation des professeurs locaux et le deuxième était destiné aux membres des communautés Rama. Le tableau III. donne le détail de la composition de ces ateliers et de ceux à venir.
La formation des enseignants locaux
Un atelier préliminaire a été organisé en juin 2004. D’une durée de trois semaines à raison d’une demi-journée par jour, cet atelier visait à former des professeurs et des agents techniques de l’INATEC, de la BICU et de l’URACCAN de manière à ce qu’ils puissent ensuite à leur tour assurer une partie des futurs séminaires de formation destinés aux membres des communautés bénéficiaires. Cet atelier, suivi par cinq professeurs de chaque université, a donné lieu à la construction complète d’une éolienne et à la construction partielle de deux autres. L’éolienne a été installée temporairement sur le campus de l’INATEC et utilisée en démonstration pour charger des batteries. L’atelier a rencontré un grand succès et a considérablement augmenté la visibilité régionale du projet. De plus il a fortement accru le potentiel de compétences locales pour la suite du développement de l’activité.
L’implication des communautés Rama :
L’atelier destiné aux membres des communautés Rama a été le premier atelier à plein temps au mois de novembre et de décembre 2004 et il a bénéficié d’une équipe de formation renforcée par les professeurs déjà formés lors de l’atelier précédent ainsi que par des volontaires bénévoles expérimentés dans le domaine. Il a été suivi par quatre Ramas de Rama Cay et deux Ramas de Punta de Aguila ainsi que par deux membres de l’ONG nicaraguayenne Grupo Fenix et par quatre membres du personnel de l’Université URACCAN. Pendant les deux premières semaines, le groupe a construit une éolienne et une tour de soutien qui ont été installées sur le campus de l’INATEC. La troisième semaine a été consacrée à des enseignements plus théoriques et à des discussions sur les modes d’entretien et de gestion des systèmes.
Les séminaires d’enseignement
blueEnergy a initié en août 2004 une série de cours d’introduction à l’énergie éolienne à l’université BICU de Bluefields. Ces séminaires, bien qu’optionnels, ont connu un grand succès chez les étudiants comme les auditeurs extérieurs. Les cours incluaient des bases sur les transferts d’énergie, l’électromagnétique, l’aérodynamique et les énergies renouvelables et se sont conclus sur une visite de l’atelier de blueEnergy qui a permis aux étudiants de découvrir concrètement les différents composants du système étudié en classe. Au delà de l’amélioration des capacités locales d’absorption des connaissances technologiques, ces cours visent à familiariser les étudiants avec le projet en vue de les inciter à participer plus tard d’une manière ou d’une autre au développement de l’activité.
Les sites d’installation sélectionnés : l’électricité au service de la scolarisation
Quatre sites ont été identifiés comme des cibles privilégiées pour le projet pilote pour accueillir des systèmes éoliens et des stations de mesure.
Il s’agit tout d’abord de l’Instituto Politécnico Cristóbal Colón à Bluefields dont la proximité avec les ateliers et des locaux de blueEnergy en fait un laboratoire d’essai idéal. Les trois autres sont la communauté Rama de Punta de Aguila qui compte une vingtaine de foyers, l’école de l’île de Rama Cay et l’école 26 bilingue (créole-espagnol) de l’ONG Fadcanic à Pearl Lagoon. Ces trois sites se trouvent respectivement à trois heures, une heure et deux heures de bateau de Bluefields (Figure II.). Au delà des relations privilégiées avec les communautés Rama expliquées plus haut, cette sélection repose sur la volonté de contribuer à l’essor de la scolarisation, notamment des adultes, grâce à une électrification des écoles qui offre aux élève un lieu de travail éclairé après la tombée de la nuit (18h) et permet de dispenser des cours du soir 27 .
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Source PNUD (2002) ↩
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Source OMS (2002) ↩
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Source PNUD, Rapport sur le Développement Humain du Nicaragua 2005 ↩
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La région a également souffert d’importantes catastrophes naturelles comme le cyclone Joan qui détruisit totalement la ville de Bluefields en 1988 et plus récemment le cyclone Mitch qui causa plus de trois mille morts dans le pays en 1998. ↩
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La côte Caraïbe est divisée administrativement en deux régions autonomes : la R.A.A.N (Región Autónoma Atlántico Norte) et la R.A.A.S. (Región Autónoma Atlántico Sur) dont Bluefields est la capitale. ↩
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Voir notamment Anderson (1999). ↩
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Le taux d’accès est de 25% dans les trois plus grandes agglomérations mais il tombe en dessous de 5% pour l’ensemble des autres foyers de peuplement. ↩
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Source : Dirección de estadísticas de Nicaragua, ENEL (2003). ↩
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Source PNUD Costa Rica 2002 ↩
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Bluefields, Pearl Lagoon, Corn Island et Puerto Cabezas. ↩
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Les combustibles pétrolifères sont particulièrement chers dans ce pays qui n’a pas de réserves d’hydrocarbures connues à ce jour. ↩
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Le générateur sur-dimensionné de la communauté de Karawala (3000 habitants) est hors-service depuis plusieurs années faute d’une pièce de rechange disponible uniquement …au Japon. ↩
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Bluefields, capitale de la Región Autónoma Atlántico Sur où se trouve le siège nicaraguayen des activités de blueEnergy, est dotée de deux universités, la Bluefields Indian and Caribbean University (BICU) et la Universidad de la Región Autónoma de la Costa Caribe de Nicaragua (URACCAN) ainsi que d’un lycée technique : l’Instituto Politécnico Cristóbal Colón qui dépend du système national d’éducation technique INATEC. ↩
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Parmi lesquelles en particulier : KEPA (Agence nationale Finlandaise pour le développement), DANIDA (Agence nationale Danoise pour le développement), Trust and Hope (ONG Britanico-américaine) et FADCANIC (ONG Nicaraguayenne). ↩
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Soutien de l’ambassade française au Nicaragua et de l’association blueEnergy-ER&DE (www.er-de.org), implication du Professeur Craig-Grinevald aujourd’hui chercheur à l’Université de Lyon II. ↩
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Le projet pilote en cours est réalisé à l’aide d’un financement du programme de l’ AEA et des donations privées récoltées aux Etats-Unis et en France. ↩
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BlueEnergy travaille actuellement avec l’Asociación de Desarrollo y Promoción Humana de la Costa Atlántica, une ONG spécialisée dans le micro-crédit, pour élaborer des solutions de financements accessibles aux communautés rurales. ↩
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On trouvera une description technique du système ainsi qu’une analyse du gisement éolien de la zone dans Marandin (2004) disponible sur www.blueenergy.org. ↩
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Voir note 22 ↩
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www.grupofenix.org/Projects/Photovoltaic_Lighting/photovoltaic_lighting.html ↩
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Voir Pigott (1997, 2004) ↩
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En échange des locaux qui lui sont prêtés, blueEnergy a fait don à l’université de matériel et d’outils qui sont utilisés en priorité pour les activités liées au projet pilote. ↩
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Il va sans dire que la formation technique à l’entretien des systèmes est indispensable pour permettre à l’ensemble du projet de perdurer. L’implication des bénéficiaires dans le processus de production des éoliennes lors de la première semaine facilite grandement l’apprentissage de l’entretien d’un système dont ils connaissent les rouages internes. ↩
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Parmi les exigences de maintenance, la gestion au quotidien des batteries reste la partie la plus délicate du système car même si elles sont faciles à entretenir leur prix élevé les rend difficiles à remplacer. ↩
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Ces deux écoles accueillent respectivement 250 et 200 élèves de moins de 15 ans. La communauté de Punta de Aguila dispose également d’une école ou sont scolarisés une cinquantaine d’enfants. ↩
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Et renforce également le rôle de l’école comme lieu de sociabilité au sein de ces communautés. ↩
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Il est important d’anticiper des besoins futurs liés à la mise en place prochaine de nouvelles infrastructures comme un centre de soins, un poste de police ou une activité touristique. ↩
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Instituto Nacional de Estadísticas y Censos de Nicaragua. ↩
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Proyecto Corredor Biológico del Atlántico. ↩