À M. François Rigolot
Il est difficile de mettre en rapport les pensées de Descartes et de Montaigne sans être saisi à la fois par la force de leur opposition, et par les échos manifestes de leurs pensées. La première partie du Discours de la méthode de Descartes est souvent à la limite de pasticher Montaigne. Les commentateurs n’ont pas manqué de le souligner. Il s’agit là, selon Brunschvicg, d’un ouvrage
que dès la première phrase [Descartes] met sous le parrainage de Montaigne. « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ». La formule passe pour l’axiome caractéristique par excellence de la pensée cartésienne, qui suffirait pour en laisser prévoir les thèmes principaux. En fait c’est une simple citation des Essais : « [A] On dit communément que le plus juste partage que nature nous fait de sa grâce, c’est celui du sens. » (II, XVII, 657 1 ). Montaigne poursuit : « car il n’est aucun qui ne se contente de ce qu’elle lui en a distribué. » Motivation ironique dont Descartes hérite à son tour : « car chacun pense en être si bien pourvu que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils n’en ont. » 2
Autre indice de filiation : on imagine mal aujourd’hui un texte servant de préambule à un traité scientifique théorique comporter, outre la définition de sa « méthode », des dimensions autobiographiques comme celles du Discours. Cette autobiographie de Descartes rappelle de nombreuses caractéristiques des Essais. On a d’abord un même rejet du dogmatisme se faisant passer pour certitude. On trouve chez les deux auteurs un même constat quant à l’absence de connaissance véritablement solide de la culture lettrée et scientifique de leur époque et une même remise en cause de la prétendue certitude des discours philosophiques dont débattent les écoles :
J’ai été nourri aux lettres dès mon enfance; et, parce qu’on me persuadait que par leur moyen on pouvait acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie, j’avais un extrême désir de les apprendre. Mais sitôt que j’eus achevé tout ce cours d’études, au bout duquel on a coutume d’être reçu au rang des doctes, je changeai entièrement d’opinion. Car je me trouvais embarrassé de tant de doutes et d’erreurs, qu’il me semblait n’avoir fait autre profit, en tâchant de m’instruire, sinon que j’avais découvert de plus en plus mon ignorance 3 .
Et plus loin :
Et enfin notre siècle me semblait aussi fleurissant et aussi fertile en bons esprits qu’ait été aucun des précédents. Ce qui me faisait prendre la liberté de juger par moi de tous les autres, et de penser qu’il n’y avait aucune doctrine dans le monde qui fût telle qu’on m’avait auparavant fait espérer 4 .
Cette incertitude généralisée à laquelle sont confrontés nos deux auteurs constitue une commune interrogation sur la place de l’homme dans la nature, concept qui ne répond plus, chez aucun d’eux, au cosmos aristotélicien accordant à l’homme son lieu dans une organisation finalisée (cette critique des causes finales, qui sera si centrale chez Descartes, constitue un des moments-clés de l’Apologie de Raimond Sebond et de la critique de l’argumentation théologique en faveur de l’existence par l’observation de la nature) 5 . Koyré peut ainsi déclarer :
La science nouvelle, cette science dont les Essais nous apportent des échantillons, ne se contente pas de chasser l’homme, et la Terre, du centre du Cosmos : ce cosmos, elle le brise, le détruit, l’annihile en ouvrant à sa place l’immensité sans bornes de l’espace illimité 6 .
Cependant, on peut tout de suite observer une différence essentielle et manifeste, entre les deux démarches : Montaigne, en particulier dans l’Apologie de Raimond Sebond, ne fait pas des Essais une méditation que l’arrivée de la connaissance, d’une science enfin véritablement certaine, devrait dépasser. Chez Descartes, l’horizon qu’ouvre la méthode, doit permettre de faire mûrir l’arbre d’une connaissance qui, arrivé à maturité, doit produire une transformation de la morale provisoire, en particulier par la compréhension du rôle de la médecine. À concevoir Montaigne et les Essais, comme une pensée déterminée par l’absence de la connaissance, on tend à comprendre l’œuvre philosophique de Descartes comme un dépassement de celle de Montaigne. C’est là la vision classique de Koyré et de Brunschvicg : elle fait de Montaigne le Descartes du début du Discours de la méthode, comme un « proto-Descartes » qui, n’ayant pas l’ambition d’asseoir une bonne fois pour toutes la science moderne sur le fondement de l’ego et de la pensée mathématique, développe page après page, une pensée prudente et sceptique, faute de mieux. Discerner le vrai et le faux chez Montaigne, cela ne peut s’effectuer que dans l’ordre de l’opinion ; il lui manquerait ainsi la science cartésienne. Montaigne ne serait plus alors que le représentant d’un moment historique permettant de comprendre la manifestation de la pensée de Descartes, et un moment voué à disparaître. Koyré le formule ainsi :
Le scepticisme toutefois n’est pas une attitude viable. À la longue, il est intolérable. Ne nous y trompons pas, « le mol oreiller du doute » est très dur. L’homme ne peut pas renoncer définitivement, sans espoir, à la certitude, à « l’assurance du jugement » comme le dit Descartes. Il en a besoin pour vivre. Pour se diriger dans la vie 7 .
Suivant cette vision en somme, après Descartes, il n’y aurait plus véritablement de place pour les Essais comme genre, puisque la connaissance, appuyée sur les règles de la méthode, et l’exercice initial d’un doute radical, disposant d’une fondation dans la découverte du cogito, pourrait nous élever hors du champs de l’opinion. S’il y a une place pour l’essai comme genre, après l’apparition de la science, ce n’est tout au plus qu’à titre provisoire, comme une réflexion lettrée sur la diversité des opinions avant la systématisation de la science, le discernement du vrai comme résultat. À insister sur la ressemblance entre la démarche de Descartes au début du Discours de la méthode et celle de Montaigne dans les Essais, on semble limiter le dialogue entre les deux penseurs aux conditions d’un dépassement d’une pensée par l’autre, d’un genre de discours et d’écriture par un autre.
Cette vision est largement remise en cause par Adorno dans son article sur L’essai comme forme 8 . Ce dernier utilise précisément au contraire la forme de l’essai pour attaquer la pensée d’héritage cartésien, celle qui part de l’abstraction d’une identité du sujet et de l’objet devant lui donner comme une maîtrise sur les choses, indépendantes de l’inscription historique de leur manifestation :
L’essai remet en cause le mépris envers ce qui est produit historiquement comme objet de la théorie. […] Les niveaux d’abstraction supérieurs n’investissent pas la pensée d’un sacrement suprême, ni d’un contenu métaphysique ; celui-ci au contraire se volatilise à mesure que croît l’abstraction, et l’essai tente d’y remédier. Lui reprocher, comme on le fait couramment, d’être fragmentaire et contingent, c’est postuler que la totalité est donnée, mais aussi, du même coup, l’identité du sujet et de l’objet, et faire comme si on était maître de tout cela. 9
Adorno ajoute plus loin que, du même coup, l’essai « abolit aussi le concept traditionnel de méthode » 10 . Et pour ne laisser aucun doute sur le défi que relèverait l’essai :
L’essai est un défi en douceur à l’idéal de la clara et distincta perceptio et de la certitude exempte de doute. Dans l’ensemble, il faudrait l’interpréter comme une objection aux quatre règles que le Discours de la méthode de Descartes établit aux débuts de la science occidentale moderne et de sa théorie. 11
À la vision, chère à Koyré et Brunschvicg, d’un Montaigne bientôt dépassé par Descartes, s’oppose alors celle d’un Montaigne anticipant presque sur la venue de la science nouvelle, pour définir le genre qui préserve l’homme de cette illusion que peut promouvoir le développement de la science : celle d’un rapport de la pensée à son objet sous une identité. La pensée scientifique partirait d’une identité abstraite posée entre la pensée et l’être – identité qui trouve sa formulation expresse dans le cogito – tandis que ce que la forme de l’essai, déjà chez Montaigne, aurait eu à charge d’exprimer, c’est une hétérogénéité entre la pensée et l’être : la faiblesse de l’essai « témoigne précisément de la non-identité qu’il a pour tâche d’exprimer » 12 .
Cette position critique, séduisante, risque toutefois de fragiliser le dialogue entre Montaigne et Descartes d’une manière inverse. Elle risque cette fois-ci de brouiller la lecture de Descartes au nom de la fonction de la forme de l’essai découverte chez Montaigne. Elle risque de simplifier à l’excès la divergence entre nos deux auteurs selon une opposition entre une série de couples d’antithèses : traité ou article scientifique / essai ; identité / non-identité ; systématicité / non-totalité, inachèvement ; doute méthodique / doute sceptique ; fondement absolu du discours scientifique / médiation nécessaire de toute forme discursive etc.
Or il est possible que ce schéma d’oppositions qu’Adorno dégage entre la méthode et l’essai ne recouvre pas exactement les lignes de divergence entre Descartes et Montaigne. Nous nous proposons dans cette étude d’interroger ces divergences à partir d’une question : celle de l’homme chez nos deux auteurs 13 , en espérant dégager de cette réflexion une lecture qui ne ramène la différence entre leurs deux pensées ni au modèle de Koyré, ni à celui d’Adorno.
L’homme des Essais
On ne trouve qu’une occurrence explicite du nom de Montaigne dans l’œuvre de Descartes. Celle-ci se trouve dans la Lettre à Newcastle du 23 novembre 1646, et elle manifeste une opposition des plus évidentes entre nos deux penseurs :
Pour ce qui est de l’entendement ou de la pensée que Montaigne et quelques autres attribuent aux bêtes, je ne puis être de leur avis 14 .
Ainsi, la seule fois où le philosophe fait explicitement référence à l’auteur des Essais, c’est pour réfuter son argumentation sur l’absence de différence entre l’homme et l’animal dans l’Apologie de Raimond Sebond. Montaigne constitue-t-il un interlocuteur privilégié de Descartes ? Et pourquoi est-ce sur ce sujet seul que Descartes le mentionne ?
Ce sujet n’est en fait pas négligeable : l’argumentation de Montaigne en visant à effacer la différence entre l’homme et l’animal dans le chapitre XII du Deuxième Livre des Essais met en jeu notre connaissance même de ce qu’on peut appeler l’ « humaine condition ». Voilà pourquoi c’est autour de la question de l’homme que nous ouvrirons un dialogue entre nos penseurs.
Encore faut-il ici tout de suite préciser que la question de l’homme ne peut être immédiatement formulée sans précaution suivant l’expression : « qu’est-ce que l’homme ? ». En effet, cette formulation, en tant qu’elle semble renvoyer à la définition réelle d’un terme universel, peut laisser croire qu’on présuppose d’emblée quelque chose comme une essence de l’homme. Or, c’est précisément le présupposé d’une telle essence que Montaigne refuse 15 quand il s’acharne à saper la différence de nature entre l’homme et l’animal, dans l’Apologie de Raimond Sebond, car à travers l’existence d’une telle essence, c’est, de manière exclusive, une place spécifique, singulière et hiérarchique de l’homme dans la nature qui semble préalablement accordée. Examinons ici ce que Montaigne entend derrière le mot « homme », et la manière dont le projet des Essais se rapporte à cette compréhension de « l’homme », avant de revenir à Descartes.
Pourquoi Montaigne remet-il en cause la différence entre l’homme et l’animal dans l’Apologie de Raimond Sebond ? Il s’agit là d’humilier l’orgueil humain et la croyance que la science de son époque lui fait nourrir en sa place privilégiée dans l’univers. La différence entre l’homme et l’animal telle qu’elle est pensée par la vulgate scolastique fait de l’animal une essence distincte de celle de l’homme : en remettant en cause cette différence d’essence, Montaigne refuse l’idée que la science permette d’accéder à une essence de l’homme. Il met en doute autant la capacité de la science à déterminer une telle essence universelle, que l’existence d’une telle essence universelle :
Chaque homme porte la forme de l’humaine condition 16 .
Cette phrase pourrait faire penser à une formulation scolastique : pourquoi ne pas faire de « l’humaine condition » la cause formelle du fait que chaque homme est homme ? Du point de vue scolastique, la formule n’aurait ainsi que l’apparence d’une redondance, puisqu’elle permettrait de déterminer en fait l’humanité en général comme une essence donnant à l’homme sa mesure, sa norme.
Mais cette interprétation scolastique est en fait précisément celle que Montaigne subvertit dans sa formulation, car l’ « humaine condition » n’est pas « l’humanité ». En effet, qu’est « l’humaine condition » pour un homme sinon le fait, non pas de porter la forme universelle de l’humanité, mais tout simplement d’être un homme ? Un homme n’est à chaque fois qu’un homme, sans dépassement de cette particularité vers une quelconque norme universelle de l’humain. La connaissance de soi à laquelle s’attelle Montaigne dans les Essais n’est alors qu’un approfondissement particulier de cette « humaine condition », un effort régulier pour se familiariser avec cette absence de mesure en soi.
La célèbre phrase de Montaigne que nous citons ne signifie donc nullement que l’individu soit à comprendre sous l’espèce et le genre, mais au contraire que la compréhension de « l’humaine condition » ne s’étend que dans les limites d’une expérience à chaque fois individuelle, non normative. En nourrissant l’argumentation paradoxale et sceptique suivant laquelle une différence de nature entre l’homme et l’animal pourrait être posée et connue, Montaigne est cohérent avec une dimension essentielle de son projet d’écriture des Essais : celle d’humilier cet orgueil humain qui consiste à poser son être hors de soi.
Si on ne peut partir sans précaution chez Montaigne de la question « qu’est-ce que l’homme ? », ce n’est alors pas nécessairement parce qu’on tiendrait pour acquis une « doctrine nominaliste » de Montaigne. Il est certes évident, qu’après Boëce et Occam, il est difficile pour un homme cultivé au XVIème siècle d’aborder la question « Qu’est-ce que l’homme ? » sans au moins questionner le pouvoir de référence du dit universel « homme » 17 . Ce dernier ne peut pas renvoyer avec certitude ou bien à une essence universelle, la réalité d’une Forme ou d’une Idée, pas plus que faire référence à une totalité des individus classés sous ce nom, car une telle totalité est indéfinie.
Mais c’est sans doute davantage la fonction critique du nominalisme plutôt que doctrinale qui est à l’œuvre chez Montaigne. Et c’est en particulier cette critique, en tant qu’elle s’applique au mot « homme » qui intéresse l’auteur des Essais.Elle nous paraît prendre son sens précisément dans cette stratégie d’humiliation de l’orgueil humain.
Ce que Montaigne refuse, c’est toute médiation d’un discours sur l’homme fondé sur une norme qui dépasse « l’humaine condition » que cette norme s’appelle Dieu ou l’universel. Ainsi parle-t-il, dans l’essai sur les prières, de son propre discours comme d’une étude de « l’homme » qui ne mélange pas ce qu’on dit de lui avec le discours théologique :
« il se voit plus souvent cette faute, que les Theologiens escrivent trop humainement, que cett’autre, que les humanistes escrivent trop peu theologalement » 18 .
Si on n’étudie pas l’homme par la médiation de Dieu, précisément on ne l’envisage pas d’un point de vue universel qui le dépasse. Si nous laissons momentanément en suspens la question du discours sur Dieu, ou plutôt sur la foi, dans les Essais, on peut déjà dire quele discours sur « l’homme », comme le discours sur les « miennes fantaisies » qui lui est indissociable, ne pourra pas s’arrêter à une certitude de soi :
« Je propose les fantasies humaines et miennes, simplement comme humaines fantasies, et separement considerées : non comme arrestées et reglées par l’ordonnance celeste, incapable de doubte et d’altercation. Matiere d’opinion, non matiere de foy. Ce que je discours selon moy, non ce que je croy selon Dieu, comme les enfants proposent leurs essays » 19 .
On ne peut donc non plus dire avec Montaigne, comme le faisait Nicolas de Cues que « la nature humaine a été placée au dessus de toutes les œuvres de Dieu et peu au-dessous des anges, enfermant en elle l’univers : elle est un microcosme ou un petit monde » 20 . En effet, l’auteur des Essais récuse aussi bien cette place de « microcosme » qu’accorde Cues à l’homme, entre les bêtes et les anges. Mais il la supprime, sans pour autant faire de l’homme « la mesure de toute chose », à la manière de Protagoras relatant le mythe d’Épiméthée 21 . Son point de vue se distingue d’ailleurs de la version moderne de ce mythe telle qu’on pourrait la trouver chez Pic de la Mirandole :
« Si nous ne t’avons donné, Adam, ni une place déterminée, ni un aspect qui te soit propre, ni aucun don particulier, c’est afin que la place, l’aspect, les dons que toi-même aurais souhaités, tu les aies et les possèdes selon ton voeu, à ton idée. Pour les autres, leur nature définie est tenue en bride par des lois que nous avons prescrites : toi, aucune restriction ne te bride, c’est ton propre jugement, auquel je t’ai confié, qui te permettra de définir ta nature. » 22 .
En effet, dans ce dernier cas, certes on ne fonde pas l’homme sur une nature, une essence, ou sa place dans le monde, mais on lui accorde une capacité qui l’élève encore davantage : celle de se donner une nature, de se faire un monde, de produire ce qui le différencie du règne animal.
Or, pour Montaigne, « l’homme » reste indéterminé dans son essence, mais l’usage de sa volonté ne supplée pas à cette absence de norme. C’est de manière générale sa capacité à poser son être de manière universelle, hors de soi,que cette position soit appuyée sur une nature humaine ou sur une absence de nature humaine, qui s’estompe. En un sens, l’examen individuel de l’ « humaine condition » auquel procède Montaigne ne donne d’autre « règle » que de ne pas ignorer cette faiblesse, et le rappel de cette faiblesse, comme nous espérons le montrer, rend nécessaire la conjonction entre « fantaisies miennes » et « fantaisies humaines » ; les deux sont « séparément considérées » parce qu’il faut éviter à tout prix une universalisation des premières pour penser les secondes, mais leur conjonction est nécessaire pour l’exercice du « suffisant lecteur » avec ses siennes fantaisies.
Cet exercice auquel invite Montaigne est celui d’un paradoxe : la seule limite dans laquelle l’homme puisse se tenir, c’est sa non-ignorance de son incapacité à déterminer sa limite comme une norme. Sa seule assiette, c’est ce mouvement par lequel il ne tient pas dans son assiette. L’homme n’ « est » dans une certaine mesure lui-même, que tant qu’il maintient sa limite incertaine, qu’il ne la trouve pas, ne peut l’énoncer dans une vérité, un jugement, mais seulement l’explorer dans une recherche :
« Je propose des fantasies informes et irresolues, comme font ceux qui publient des questions doubteuses, à debattre aux escoles : non pour establir la verité, mais pour la chercher ». 23
C’est de là que découle le caractère inachevé, inconclusif, indéfini de l’écriture des Essais.Le jugement, la vérité qu’on croit trouver sont extérieurs à la démarche propre de l’essai, ils sont toujours le fait d’un point de vue extérieur à soi, d’autrui. Montaigne soumet certes ainsi ses fantaisies « au jugement de ceux à qui il touche de regler, non seulement mes actions et mes escris, mais encore mes pensées » 24 , mais l’essai n’accorde pas à ce point de vue social, au point de vue du juge, une valeur de justice ou de vérité. Le point de vue du jugement, ou de la loi, c’est-à-dire de la médiation d’un universel sur le particulier, ne se voit reconnaître par l’Essai non pas un fondement par lui-même, mais plutôt une nécessité de fait – le « fondement mystique de son autorité » 25 par lequel, seul, il se maintient en crédit.
C’est ce paradoxe de la recherche inachevée d’une limite de soi qui caractérise l’idée d’ « humaine condition », et le point de vue de l’interrogation sceptique : cette interrogation n’est pas un « je ne sais rien », ni même un « je sais que je ne sais rien », mais un « que sais-je ? ».
L’effort de Montaigne est d’abord de montrer qu’on peut vivre avec ce point de vue sans se haïr soi-même. C’est là exactement ce que l’expérience pascalienne de la foi rejettera lorsque ce dernier dira que le « moi est haïssable ». On ne comprendra donc pas cette humiliation de l’orgueil humain en ce qu’elle a de proprement montaignien, si l’on n’examine pas le rapport qu’entretient cette humiliation avec la question de la foi, et le caractère aimable ou haïssable du moi.
Avant de faire cette liaison entre l’humiliation de l’orgueil humain et la question de la foi, il faut noter que le dit orgueil auquel s’attaque Montaigne, au siècle des guerres de religion, n’est pas le fait des seuls fanatiques religieux. Bien sûr, le fanatique fait de la croyance en son idole (ou même de la naissance) le critère d’appartenance ou non à l’humanité. Mais Montaigne déplace la question : l’important est moins le Dieu qu’on a (ou n’a pas), que ce dont cette pensée est l’indice relativement à la position hors de soi d’un être de l’homme. De fait, si Montaigne dans l’Apologie s’attaque aux athées, c’est manifestement moins pour leur incroyance, leur impiété, que pour la place conséquente que leur pensée prétend accorder en retour à l’homme :
Le moyen que je prens pour rabatre cette frenaisie et qui me semble le plus propre, c’est de froisser et fouler aux pieds l’orgueil et l’humaine fierté ; leur faire sentir l’inanité, la vanité et dénéantise de l’homme ; leur arracher des points les chétives armes de leur raison ; leur faire baisser la teste et mordre la terre soubs l’authorité et reverance de la majesté divine 26 .
Le projet de rabattre la « frenaisie » des athées suscite l’admiration de Pascal ; la « reverance de la majesté divine » semble bien pieuse par le constant rappel de l’homme à son impuissance à déterminer son être indépendamment de son devenir physique et corporel (donc à son impuissance à se différencier essentiellement de l’animal) ; il ne paraît pas étonnant qu’elle ait pu trouver place dans le projet apologétique des Pensées. Mais Pascal reprochera pourtant à Montaigne de ne pas avoir vu, en même temps que la misère de l’homme, sa grandeur sans laquelle il n’est rien, et qui ne lui est révélée que dans la foi. Simultanément il reprochera à Montaigne « le sot projet de se peindre », le fait de n’avoir pas pris conscience du caractère proprement haïssable du moi.
Ces remarques de Pascal semblent révéler en fait la différence de Montaigne : si Montaigne veut humilier l’orgueil humain, l’orgueil de l’athée en particulier, c’est pour aboutir à quelle « foi » ? Nous avons ici un indice de réponse : à une foi qui ne conduise pas à la haine du moi. Si notre thèse est juste, nous devons alors montrer que la « foi » montaignienne doit être subordonnée à l’exigence d’une connaissance de soi par lequel on apprend à vivre sans poser son être hors de soi et sans se haïr pour autant. Parce que la connaissance de l’humaine condition ne doit pas passer par une position de son être hors de soi, elle doit d’abord être individuelle, et donc manifester, au cœur même de cet exercice d’approfondissement, le rappel constant de notre présence en un corps :
C’est une absolue perfection, et comme divine, de scavoyr jouyr loiallemenent de son estre. Nous cherchons d’autres conditions, pour n’entendre l’usage des nostres, et sortons hors de nous, pour ne sçavoir quel il y fait. Si avons nous beau monter sur des eschasses, car sur des eschasses encore faut-il marcher de nos jambes. Et au plus éslevé throne du monde si ne sommes assis que sus nostre cul 27 .
Il faut alors insister ici sur le caractère bien peu « religieux » au sens ordinaire du discours de Montaigne ici. Inutile de souligner combien une telle formulation serait jugée sotte par Pascal. En effet, curieuse « absolue perfection » que Montaigne dit avec prudence « comme divine » !
« Comme » : le mot a-t-il ici valeur d’analogie ? Dans ce cas, le rapport de jouissance de l’homme à son être – c’est-à-dire le fait de toujours savoir que si haut qu’il soit il n’est jamais assis que sur son cul ! – serait égal au rapport de Dieu à son être, sans qu’il faille pour autant que les termes des deux membres de l’analogie soient comparables. Cette prudence (qui laisse les termes incomparables dans l’égalité des rapports) éviterait certes de ramener le « fondement » 28 de Dieu au « throne » du monde, mais la formule resterait audacieuse.
Cependant, « comme » peut aussi signifier « presque ». Dans ce cas, et l’ambiguïté plane au moins ici, le propos de Montaigne serait beaucoup plus intempestif : faudrait-il chercher plus loin alors la perfection divine que dans le fait de se savoir en toute situation dans les limites de son être, de ne pas s’ignorer dans son corps seul, d’y trouver assise comme sur notre seul fondement ?
Corrélativement, on comprend que Montaigne, s’il s’attaque à l’athée, n’en subvertit pas moins la « foi religieuse » quand précisément elle flatte nos passions, nous pousse secrètement à l’orgueil, l’amour-propre, c’est-à-dire toujours une hypostase abstraite de notre être.
Je voy cela evidemment, que nous ne prestons volontiers à la dévotion, que les offices qui flattent nos passions. Il n’est point d’hostilité excellente comme la chrétienne. […] Nostre religion est faite pour extirper les vices, elle les couvre, les nourrit, les incite. 29
Certes Montaigne défend ailleurs la « foi chrétienne », en un sens qu’il dit religieux 30 , mais c’est précisément lorsque cette foi garantit en cette vie la jouissance auprès de soi, de son être individuel et corporel, et relègue purement dans l’au-delà la perspective du dépassement de notre condition. La « foi chrétienne » peut ainsi nous aider par exemple contre la prétention stoïcienne de Sénèque, cette idée que l’homme devrait, par lui-même, s’élever au-dessus de l’homme en cette vie. Le projet de cette métamorphose n’est qu’un aveuglement de l’homme sur sa condition, et donc porteur de négation ; au contraire une certaine foi chrétienne en accordant à Dieu tout le pouvoir de cette métamorphose, l’ôte judicieusement complètement à l’homme :
Il s’élèvera si Dieu lui prête extraordinairement la main ; il s’élèvera, abandonnant et renonçant à ses propres moyens, et se laissant hausser et soulever par les moyens purement célestes. [C] C’est à notre foi divine, non à la vertu stoïque de prétendre à cette divine métamorphose 31 .
Ainsi, à la fin de l’Apologie, l’idée d’une foi par laquelle l’homme puisse espérer s’élever au-dessus de son humanité est-elle désignée comme « un utile désir » parce que cette foi ôte à l’homme toute prétention à produire de lui-même cette transformation. Cette foi le ramène donc bien à son « humaine condition », d’où son utilité. La « grâce divine » ou la « révélation » nous poussent moins à nous agenouiller qu’à nouveau à nous asseoir « sus nostre cul » ! N’est-ce pas alors le rappel à soi sans mépris – car mépriser quelque chose suppose encore qu’on se prétende au-dessus – de « l’humaine condition », plutôt que l’expérience d’une divine transcendance, qui préside à l’utilité de la foi ?
Dès lors, si Montaigne s’attaque à l’athée, celui qu’on appelle « l’esprit fort » au début de l’Apologie, c’est moins sans doute pour son incroyance comme telle que pour l’orgueilleuse tentation de se placer au dessus de l’humaine condition, et la haine, le mépris de soi qui dérivent, sans être reconnus pour tels, chez l’athée comme le fanatique, de cette position de leur être hors de soi. En effet, l’athée, en supprimant Dieu, risque aussi de supprimer aussi la fonction utile de la foi dont nous venons de parler. Il s’expose ainsi à oublier combien c’est moins sa pensée que son corps qui est assis sur un « fondement ». Cet oubli ne peut que le conduire à se haïr par orgueil, donc à masquer sa haine de soi sous trop d’amour propre. Là où Pascal veut révéler le moi haïssable, Montaigne tente de trouver dans le mouvement de recherche sceptique de l’essai, par l’extravagance, une sorte d’amour de soi qui se distingue de l’amour-propre – si on appelle précisément amour-propre la passion par laquelle nous tendons à poser notre être hors de nous-mêmes, dans une image figée 32 .
L’athéisme représente en fait pour Montaigne le danger symétrique de la « plaisante foy qui ne croit ce qu’elle croit que pour n’avoir le courage de le descroire » 33 . L’athée, comme le croyant, et peut-être bien davantage de par le fait qu’il ne se voit plus limité par la position d’un Dieu, croit se singulariser dans la nature, au prix d’une négation de son animalité, et de la position d’une norme de l’homme davantage en contradiction avec la difformité, la diversité, l’énormité des productions de la nature. C’est donc avant tout la méconnaissance de la diversité de l’homme que Montaigne attaque – ce qu’il appelle l’ « outrecuidance » –, et c’est au contraire cette diversité qu’il s’agit de toujours rappeler dans les Essais, dès leur commencement :
[A] Certes c’est un subject merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que l’homme. Il est malaisé d’y fonder jugement constant et uniforme. 34
Dans ce contexte, la croyance dans le discours scientifique elle-même doit être sujette à caution, car elle n’est pas invulnérable au doute, aux tropes du scepticisme : l’accès de l’homme à la science et à la raison ne sont pas un critère de distinction de l’essence de l’homme ; il faut humilier l’homme pour le tenir dans sa condition, plutôt que le laisser se poser dans la négation de ce qu’il croit ne pas être – ici l’animal, le corps de notre existence. La tendance humaine à vouloir abstraire sa condition de son individualité, de sa corporéité, est celle qui, en attisant son orgueil et sa vanité conduit l’homme à une logique d’exclusion, de négation. L’abstraction de sa condition, pour chaque homme, n’est rien d’autre qu’une oblitération dangereuse de ce son être a d’informe. Le geste qui consiste à défaire l’esprit d’un homme de l’idée d’une essence par laquelle il se distinguerait universellement au milieu de la nature est simultanément une démarche qui, parce qu’elle nous tourne vers une attention au corps, à son expérience (éventuellement celle de la souffrance) tend aussi à récuser toute mesure, toute norme permettant d’inclure ou d’exclure tel ou tel individu de ce qu’on entend sous le mot d’ « humanité ».
Rappel à soi bien différent de l’anamnèse platonicienne, le projet de Montaigne manifeste l’humaine condition à même cette individualité, et non la position d’un être universel de l’homme. L’expérience des Essais se veut à ce titre, dans le dédale des opinions sur l’homme et sur l’être, la plus approfondie des connaissances parce que la plus à même de révéler au sein d’une individualité l’absence de norme de « l’humaine condition, au même titre que le caractère non substantiel, instable et contingent du moi humain :
Aumoins j’ay cecy selon la discipline, que jamais homme ne traicta subject qu’il entendit ne cogneust mieux que je fay celui que j’ay entrepris, et qu’en celuy-là je suis le plus sçavant homme qui vive ; secondement que jamais [C] aucun ne pénétra en sa matière plus avant, ny en esplucha plus particulièrement les membres et suites ; et [B] n’arriva plus exactement et plainement à la fin qu’il s’estoit proposé à sa besoingne. 35
Montaigne fait ainsi de l’étranger, du divers, du bizarre, du grotesque, la seule connaissance que l’homme acquière de sa condition. À aucun titre son écriture, sa peinture de soi, ne pourra apparaître comme la saisie d’une essence. Ce sera plutôt sa bizarrerie, l’extravagance singulière de sa condition d’homme :
Et puis, me trovant entièrement dépourvu et vuide de toute autre matière, je me suis présenté moy-mesme à moy, pour argument et pour subject. C’est [C] le seul livre au monde de son espece, d’ [A] un dessein farouche et extravagant. Il n’y a rien aussi en cette besoigne digne d’être remerqué que cette bizarrerie : car à un sujet si vain et si vile le meilleur ouvrier du monde n’eust sçeu donner façon qui mérite qu’on en fasse conte 36 .
Ce que rejette en somme Montaigne c’est en fait toute métaphysique de l’homme qui le considère au point de vue de l’universel, toute connaissance qui déborde le sujet individuel (ce substrat auquel l’expérience nous donne accès) pour poser l’homme comme un sujet général, une substance :
Je m’estudie plus qu’autre subject. C’est ma metaphisique, c’est ma phisique. 37
L’antagonisme radical de la pensée cartésienne
Nous avons voulu ouvrir le dialogue entre Montaigne et Descartes à partir de la question de la différence entre l’homme et l’animal dans la Lettre à Newcastle citée plus haut, mais nous nous trouvons en face d’un complet antagonisme que nous allons tâcher d’éclaircir, et si possible de réduire à travers l’examen des quatre questions suivantes 38 : (a) la place de l’animal ; (b) la fonction du doute ; (c) la nature du moi ; (d) la possibilité métaphysique de l’homme.
a/ La place de l’animal
Tout d’abord, remarquons que dans le cas de la seule référence explicite que Descartes fasse à Montaigne, ce n’est même pas lui qui introduit cette confrontation, mais son correspondant, Newcastle. Cela semblerait indiquer que Montaigne n’est pas un interlocuteur privilégié de Descartes. Or dans cette seule occurrence explicite de Montaigne, l’anti-thèse semble sans remède. Descartes non seulement affirme la différence essentielle entre l’homme et l’animal, mais il le fait en n’accordant d’essence qu’à l’homme. C’est une thèse des plus paradoxales et invraisemblables pour le sens commun, qui s’attaque autant à Montaigne qu’à l’héritage de l’École – thèse étonnante dont la formulation première dans la cinquième partie du Discours de la méthode pouvait menacer la crédibilité de la méthode et de ses conclusions. Toute la substance de l’animal est réduite à celle de l’étendue : l’animal est, au regard de la connaissance, une mécanique sans âme. Nos deux auteurs s’affrontent chacun sur l’animal, et chacun formule sur ce sujet une thèse paradoxale pour le vulgaire : pour l’un, le mot ne désigne pas une essence dont se distinguerait l’homme ; pour l’autre il ne désigne aucune essence, et l’homme s’en passe pour poser la sienne.
Mais si chez Descartes la définition métaphysique de l’homme se fait par la substance pensante, sans recours à l’animal pour définir l’homme, pourquoi le philosophe ne fait-il pas l’économie d’une thèse aussi paradoxale ? Refusant de caractériser l’homme comme animal raisonnable, son dialogue avec Montaigne sur cette question est-il véritablement nécessaire ?
La thèse des animaux-machines, thèse qui refuse l’idée d’une substance intermédiaire entre les corps et la pensée, cherche en fait moins à opposer l’espèce humanoïde aux autres espèces, qu’à donner une définition conséquente de l’homme par la pensée comme liberté. Quand Descartes tente de justifier la thèse des animaux-machines, c’est sans doute moins par nécessité métaphysique pour définir l’homme, que pour caractériser le concept de pensée à partir de sa liberté absolue à poser son être, et non à partir d’une quelconque thèse psychologique 39 . Ce que Descartes combat à travers cette thèse c’est toute tentation, non pas d’identifier l’homme à l’animal, par exemple au singe, en disant que le singe pense lui aussi, mais de définir la pensée à partir de la matière. Le singe qui poserait son existence comme l’homme, par la pensée, serait bien pour Descartes un homme ; en revanche tout ce qui se montre incapable de manifester l’affirmation universelle de son être par la pensée d’un « Je suis », doit être ramené, au point de vue de la connaissance, à de la simple étendue.
Pour ce qui est des chiens et des singes, quand je leur attribuerais la pensée, il ne s’ensuivrait pas de là que l’âme humaine n’est point distincte du corps, mais plutôt que dans les autres animaux les esprits et les corps sont aussi distingués 40 .
Ce qui en revanche n’a pas cette liberté absolue de poser son être de manière indubitable, pour Descartes, ne pense pas, et ne peut être comparé à l’« homme » : il n’y a pas pour la connaissance d’état intermédiaire de la pensée. Parler d’âme des animaux est pour Descartes une erreur véhiculée par la langue comparable à celle contenue dans une affirmation comme « ce morceau de cire est rouge ». Ce jugement est faux au point de vue de la connaissance, même s’il a sa clarté au plan de l’expérience ordinaire – de ce que Descartes appelle la vie.
Le « héros de la philosophie » (Hegel) s’oppose en fait ici autant à Montaigne qu’à la Scolastique : contre Montaigne il radicalise la différence de substance entre l’homme et l’animal ; contre la Scolastique, il le fait sans avoir besoin de l’animal pour définir l’homme. L’animal n’est pas une substance, et l’homme, au regard de la connaissance, union d’une substance pensante et d’une substance étendue, n’a pas besoin d’une « animalité » pour connaître ce qu’il est.
Derrière cette critique à la fois de la scolastique et du scepticisme de Montaigne, c’est la vulnérabilité dans laquelle leurs réflexions avaient laissé le concept de la pensée face au matérialisme athée – et conséquemment à la possibilité de l’immortalité de l’âme – qui préoccupe en fait Descartes :
De cette doctrine [celle de Descartes], il résulte qu’il y a une si grande différence entre les âmes 41 des bêtes et les nôtres que je ne sache point que personne ait inventé un argument plus fort et une raison plus puissante pour convaincre et confondre les athées, et pour persuader que les âmes des hommes ne sont point tirées de la puissance de la matière.
De plus, je ne conçois pas aussi comment, après avoir mis si peu de différence entre les opérations de l’homme et celles des bêtes, ils se peuvent persuader qu’il y en a une si grande entre la nature de l’âme raisonnable et celles de la sensitive, que la sensitive, lorsqu’elle est seule, soit d’une nature corporelle et mortelle, et que, lorsqu’elle est jointe à la raisonnable, elle soit d’une nature spirituelle et immortelle 42
Alors que le combat de Montaigne contre les athées portait sur la trop grande place que ceux-ci accordaient à l’homme, celui de Descartes porte sur leur méconnaissance de l’essence de la pensée, et donc de l’homme. En ce sens, la querelle avec Montaigne porte peut-être moins ici sur la différence entre l’homme et ces êtres qu’il appelle animaux, que sur la définition réflexive que l’homme peut donner de lui-même. Dans ce cas, malgré l’opposition manifeste entre le scepticisme montaignien et la doctrine cartésienne des animaux-machines, le véritable antagonisme porte sur la capacité de l’homme à produire un discours universel sur son être et à se définir par la pensée. Montaigne s’attaquait à l’orgueil humain qui consiste à poser son être hors de soi ; Descartes semble établir cet être sur le sol d’un nouveau fondement métaphysique 43 . On semble bien se situer au cœur de l’alternative que nous rencontrions en introduction.
b/ La fonction du doute
Cet antagonisme sur la capacité de l’homme à se définir par la pensée est patent quand on compare les fonctionnements du doute chez chacun de nos auteurs. L’opposition de Montaigne à une science universelle, dans le contexte de son époque, le conduit à une position sceptique sur toute idée universelle de l’homme, qui semble inconciliable avec la démarche du philosophe. Chez Descartes, c’est d’abord l’exercice du doute, dans la forme hyperbolique des Meditationes, qui permet la manifestation de la pensée, donc la « découverte métaphysique de l’homme ». Le doute chez Descartes n’est pas le corrélat d’une position sceptique, mais celui dela méthode. S’appuyant sur le doute, la pensée tire de l’existence de l’ego, déjà comme cogito, une affirmation universelle sur l’homme comme « substance pensante ».
Pour le dire autrement, dans l’Apologie, malgré le ton apparemment affirmatif que semble révéler le début de ce chapitre des Essais, la démarche pyrrhonienne de Montaigne consiste, par le cercle de l’examen critique, à défaire la croyance, issue de la coutume (on naît et on est chrétien comme on naît et on est périgourdin 44 ), de sa certitude. Il ne s’agit pas d’empêcher la croyance mais sa fixation, son obstination dogmatique. Le but reviendrait alors à maintenir l’attention de l’esprit à la fois au mouvement de la pensée, à la variation constante des perspectives relativement auxquelles il s’agit toujours pour la pensée de se déterminer, et à l’instabilité, la temporalité de l’existence comme fonction de rappel de l’ « humaine condition ». Au fond le scepticisme ne devrait pas nous rendre indécis, mais rappeler l’homme à l’homme, c’est-à-dire à la temporalité, la corporéité et l’individualité de son existence.
Ainsi dans l’Apologie, l’exercice du doute s’applique autant à l’athée, qu’au fanatique, qu’à la théologie naturelle de Sebond lui-même, de sorte qu’il n’est finalement pas possible d’échapper à l’humiliation de l’homme dans sa présomption, et de n’en pas revenir par le biais d’un cercle argumentatif de réfutations, à l’humain. L’athée prétend réfuter la foi, Sebond la démontrer par un discours rationnel et certain, le fidéiste – auquel Montaigne refuse de s’identifier – montrer son caractère surnaturel : d’un bout à l’autre, le sceptique s’attache non pas à supprimer la transcendance de l’horizon divin, mais à la subordonner à l’utilité de la connaissance, à travers soi, de « l’humaine condition » 45 . L’exercice du doute se rapporte lui aussi à ce rappel de l’humain au cœur de l’adresse spéculative. Le doute déstabilise l’opinion qui se tient pour garantie, et s’il ne parvient pas à provoquer cette ataraxie qui caractérise le scepticisme antique, au moins rappelle-t-il l’homme à soi par cette instabilité, cette difformité, cette incertitude de sa condition :
The only wise philosophers are the Pyrrhonists because they confess their ignorance while persisting in their search for a truth they know to be unattainable: Pyrrhonism is Montaignism. In proposing man the pyrhonnist as antidote to man the presumptuous, Montaigne brings his argument round full circle 46 .
Le doute sceptique de l’essayiste, s’il a une fonction relativement au discours qui se dit connaissant, se détermine relativement à la multiplicité indéfinie, non-totalisée, des perspectives d’une vie inscrite dans la matière mouvante d’un monde « culturalisé ». Il est d’abord une manière pour l’homme de se mettre en disposition relativement à cette vie, de s’autoriser une croyance qui ne se méconnaisse pas elle-même comme telle, et qui ne devienne pas immobile et négatrice du monde étranger et changeant relativement auquel elle est amenée à se positionner. À cette fonction « détotalisante » du doute pyrrhonien tel que l’entend Montaigne, correspond assez logiquement la réflexion d’Adorno sur la forme de l’essai :
Ce qui pourrait le mieux se comparer avec la manière dont l’essai s’approprie les concepts, c’est le comportement de quelqu’un qui se trouverait en pays étranger, obligé de parler la langue de ce pays, au lieu de se débrouiller pour la reconstituer de manière scolaire à partir d’éléments. Il va lire sans dictionnaire. […] Certes, tout comme cet apprentissage, l’essai comme forme s’expose à l’erreur ; le prix de son affinité avec l’expérience intellectuelle ouverte, c’est l’absence de certitude que la norme de la pensée établie craint comme la mort. L’essai néglige moins la certitude qu’il ne renonce à son idéal. C’est dans son avancée, qui le fait se dépasser lui-même, qu’il devient vrai, et non plus dans la recherche obsessionnelle de fondements, semblables à celle d’un trésor enfoui. 47
C’est dans cette perspective comme nous l’avons vu qu’Adorno oppose catégoriquement la pensée d’héritage cartésien, et sa forme d’écriture à celle de l’essai. Il est évident qu’à cette fonction du doute comme reconnaissance du caractère étranger à soi de l’homme et de l’échec du discours à totaliser une réalité essentiellement complexe, c’est-à-dire irréductible à la totalisation d’une perspective univoque, le fonctionnement du doute cartésien offre un contrepoint manifeste. D’abord parce que la fonction du doute tel qu’on l’entend ordinairement chez Descartes, est cognitive : le doute n’est pas sceptique chez Descartes, il est radical, dans le but de fonder. La formulation cartésienne du doute, détermine une méthode qui est celle de la connaissance : il ne s’agit pas de reconnaître les opinions comme incertaines, mais de tenir pour fausse toute opinion qui ne sera pas indubitable :
Je me résolus de feindre que toutes les choses qui m’étaient jamais entrées en l’esprit n’étaient non plus vraies que les illusions de mes songes 48 .
Le doute n’est pas sceptique chez Descartes, il est toujours subordonné à l’impératif de marcher avec assurance en cette vie, de préférer le roc solide aux sables mouvants :
Non que j’imitasse pour cela les sceptiques, qui ne doutent que pour douter, et affectent d’être toujours irrésolus; car, au contraire, tout mon dessein ne tendoit qu’à m’assurer, et à rejeter la terre mouvante et le sable pour trouver le roc ou l’argile. Ce qui me réussissoit, ce me semble, assez bien, d’autant que, tâchant à découvrir la fausseté ou l’incertitude des propositions que j’examinois, non par de foibles conjectures, mais par des raisonnements clairs et assurés, je n’en rencontrois point de si douteuse que je n’en tirasse toujours quelque conclusion assez certaine, quand ce n’eût été que cela même qu’elle ne contenoit rien de certain 49 .
Le fondement de la connaissance, c’est précisément pour Descartes l’indubitable, et l’exercice du doute, n’a pas d’autre fonction semble-t-il que d’établir, au contraire de Montaigne, la certitude. Alors que l’essai et le doute chez Montaigne, selon Adorno, révèlent en tout point l’écart du discours et de l’être, leur relation en même temps que l’impossibilité de leur coïncidence, ou encore l’étrangèreté irréductible de l’être au discours (ou à la pensée), le doute chez Descartes sert à purifier ce rapport de l’être au discours et à la pensée, à mettre la pensée en présence de ce qui est par élimination de tout ce qui n’atteint pas un degré absolu de présence, c’est-à-dire la pensée en présence de l’indubitable : ce qu’il faut bien appeler un fondement.
c/ Un moi gris ou ondoyant ?
La substance pensante qui se révèle comme ce qui résiste à l’exercice radical du doute fait du moi le principe même de la méthode, et de la connaissance. Mais il s’agit d’un moi qui émerge d’un doute qui lui fait tenir – d’abord – pour fausse son existence matérielle. Le fondement est ici métaphysique, et l’homme y trouve une assise autre que corporelle, puisque le doute commence par éliminer comme des songes « toutes les choses qui m’étaient jamais entrées en l’esprit ».
Et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais 50 .
Le fondement de la connaissance réside donc dans la rencontre d’un moi stable et incorporel : on semblerait de nouveau avoir le modèle de la science que Montaigne tente d’humilier. Ce n’est certes pas la science de l’époque d’Aristote, mais c’est une science dont le geste est de poser une essence de l’homme qui le rend « comme maître et possesseur de la nature », parce que, en tant que substance pensante, il dépasse la nature – parce qu’au fond l’essence de l’homme est méta-physique. Certes comme corps chez Descartes, il n’y a pas, en droit, de fin de la nature et l’homme n’est plus au centre de l’univers, puisque son corps n’est situé en aucun lieu particulier, de cet univers ; mais en fait, dans la mesure où l’équivalence de l’être et de la pensée a été posée par le cogito, l’homme est peut-être, comme âme, plus que le centre du monde, le seul être présent en ce monde dont une part de l’existence puisse n’en pas dépendre, et la déborder vers Dieu.
L’homme seul a une âme ; l’animal, au point de vue de la connaissance, n’en a même pas. La norme de la pensée cartésienne, celle qui permet de reconnaître en l’homme l’être pensant, semble ainsi avoir exclu dans son chemin de la certitude toute la bizarrerie, toute l’étrangeté, la diversité ondoyante du sujet humain de Montaigne. Ou tout au moins, si elle ne l’a pas exclue de l’homme l’a-t-elle fait de la pensée en tant que telle :
Désormais la folie est exilée. Si l’homme peut toujours être fou, la pensée, comme exercice de la souveraineté d’un sujet qui se met en devoir de percevoir le vrai, ne peut pas être insensée. Une ligne de partage est tracée qui va bientôt rendre impossible l’expérience si familière de la Renaissance d’une Raison déraisonnable, d’une raisonnable Déraison. Entre Montaigne et Descartes un événement s’est passé : quelque chose qui concerne l’avènement d’une ratio. 51 .
d/ La possibilité métaphysique de l’homme au cœur de l’antagonisme
Conséquence assez logique de ce que nous venons de dire : l’écriture de l’homme ne peut qu’être opposée. On semble avec la méthode abandonner la forme de l’essai, pour celle du traité scientifique, des réponses aux objections, et d’une foisonnante correspondance. Même le Discours de la méthode, dans lequel nous avons souligné les multiples échos au style de Montaigne, révèle une différence fondamentale de projet :
Si dans le Discours, ces Confessions cartésiennes, Descartes nous raconte l’histoire de sa vie spirituelle, l’histoire de sa conversion vers l’Esprit, ce n’est pas pour nous la faire connaître dans ce qu’elle a d’individuel, de personnel, de singulier. Il nous la raconte, au contraire, pour nous faire faire un retour sur nous-mêmes, pour nous faire voir dans cette histoire individuelle, personnelle, le résumé, l’expression de la situation essentielle de l’homme de son temps. 52
Certes les Essais invitent aussi le lecteur à faire l’expérience d’un retour sur soi, mais c’est précisément celle d’un retour sur soi qui ne révèle pas une essence positive de l’humanité – bien plutôt, comme nous l’avons vu, s’agit-il de l’appel à un travail personnel sur soi pour s’en tenir à son humanité dans son existence personnelle. Le « moi-même » vers lequel Descartes tourne la réflexion n’est pas le moi instable de Montaigne ; c’est précisément ce moi instable de Montaigne que le doute – particulièrement dans la forme hyperbolique des Méditations – se charge de tenir pour faux. Le moi que révèle la méthode n’est pas celui de cette individualité non-systématique au contact de laquelle l’homme se rappelle sa condition : c’est le moi de l’âme, immatériel, l’acte même sur lequel se fonde la connaissance, celui par lequel se révèle l’évidence première et absolue. Ce moi, dans le temps de sa manifestation, est égal à l’être. Si nous devions identifier ici la divergence radicale entre Montaigne et Descartes, nous devrions en fait de part en part l’associer à la question de la certitude de la connaissance et de la définition de l’homme par la capacité cognitive de la pensée :
- Chez Montaigne le doute sceptique, la réflexion sur les animaux, la forme de l’essai tout indique que quant à sa propre identité, l’homme doit maintenir le caractère étranger de sa pensée à son être. La pensée de l’homme et l’être ne sont pas en rapport de coïncidence, d’identité, mais au contraire d’étrangèreté. Ce ne serait peut-être pas trop dire que de faire de l’homme l’être dont la pensée est étrangère à l’être, donc l’être étranger à lui-même par la pensée – mais ce jugement ne pouvant sans contradiction déterminer une essence de l’homme, lui conférer une identité, le rapport de l’homme à lui-même passe par l’expérience de soi, dans son expérience corporelle et individuelle.
- Chez Descartes, on aurait au contraire un doute, une connaissance donnant d’abord l’être en évidence à la pensée – et plus justement donnant immédiatement par le doute radical son être en évidence à la pensée. Par là le chemin cartésien, à l’opposé de celui de Montaigne conférerait une identité métaphysique à l’homme, la possibilité de se définir universellement par la pensée se pensant.
Nous semblons bien alors retrouver ici le nœud de l’opposition entre Descartes et Montaigne tel que semblaient l’identifier, chacun selon une perspective opposée, d’un côté Koyré et Brunschvicg, de l’autre Adorno. La convergence de style entre les Essais et la première partie du Discours de la méthode ne serait ou bien qu’une contingence historique, ou bien que l’indice d’une posture à dépasser. Mais il nous semble qu’une attention plus précise à l’œuvre de Descartes permet de nuancer cette opposition frontale, et de comprendre cette convergence textuelle autrement. En reprenant de façon plus serrée ces questions du corps de l’homme, du doute, et du moi, nous pensons pouvoir caractériser l’antagonisme avec davantage d’acuité : il nous faudra pour cela distinguer la question de l’essence de l’homme de celle de sa condition.
*
L’essence et la condition de l’homme
II faut en effet faire une remarque essentielle ici : le doute montaignien est un exercice qui se pratique dans la vie en général, et sur toute opinion; plus exactement, il se comprend dans le rapport que Montaigne établit entre ce qu’il appelle son « arrière-boutique » et la vie; l’exercice du doute cherche un équilibre entre l’efficace de la coutume et l’asservissement aux perspectives fermées qu’elle engendre. Significativement, Montaigne ne dit pas «je ne sais pas », ou même comme Socrate « Je sais que je ne sais rien », mais « Que sais-je ? ». Le doute montaignien a pour fonction de maintenir une interrogation à même la vie, pour mettre la vie incessamment en perspective.
Au contraire, le doute cartésien ne s’effectue pas dans la vie. II s’agit bien dans le Discours de la méthode, de limiter ce doute radical au domaine de la stricte connaissance et de la métaphysique. La morale provisoire de Descartes, même si elle n’est pas montaignienne dans l’exigence de marcher avec assurance en cette vie, l’est dans le caractère seulement raisonnable qu’elle accorde à l’idée de vivre selon la coutume de son pays. Là ou le doute radical s’exerce chez Descartes, c’est seulement donc dans le domaine de la connaissance, afin de rendre celle-ci possible comme telle. La connaissance a certes pour horizon dernier la réorganisation de la vie, mais il est tout à fait possible que chez Descartes une part essentielle de la vie reste obscure à la connaissance méthodique – voire soit déterminée comme obscure par la méthode elle-même. Il est possible même que cette obscurité de la vie caractérise plus proprement l’homme que la reconnaissance de soi-même comme substance pensante.
Ce dernier point est fort important. Il nous permet de mieux définir la différence des positions de Descartes et Montaigne, et d’éviter de la rendre caricaturale. Selon la vision caricaturale en effet, chez Montaigne, le doute maintiendrait l’incertitude et le questionnement, et ce mouvement décrirait en retour l’instabilité de toute position d’une identité du moi, tandis que chez Descartes, le doute radical neutraliserait l’incertitude dans la connaissance, et contribuerait à produire l’évidence d’un moi substance (« ego autem substantia » 53 dit la Troisième Méditation).
Mais en fait, il faut remarquer ici que, si l’idée chez Descartes autorise, quand elle est claire et distincte, à poser avec certitude l’identité de l’être et de la pensée, l’entendement humain reste fini. Autrement dit, la connaissance humaine, et en particulier la connaissance du moi, si elle a la certitude de l’être du moi dans son idée ne prétend nullement l’épuiser. La certitude du «Je pense donc je suis» n’est d’ailleurs par elle-même valide que dans l’expérience présente du cogito, elle ne porte pas au-delà: en ce sens, le moi dont nous parle Descartes, n’est pas le moi dont nous parle Montaigne : c’est en fait seulement le moi de la connaissance qui, chez Descartes, peut dire universellement « je suis, j’existe ». Mais l’existence de ce moi dans le présent de son affirmation ne nous apprend rien de plus quant à l’idée personnelle de celui-ci, et rien ne donne validité à cette proposition « Je pense donc je suis» au-delà de son présent. Le souvenir d’une proposition comme «je pense donc je suis », si celle-ci n’est pas actualisée dans l’évidence présente du « je suis, j’existe », n’a pas de valeur, et me rend à nouveau vulnérable au doute. Il faut donc une instance qui assure le passage du savoir de mon essence pensante à l’opinion droite sur cette essence, en dehors de son évidence présente.
Supposons que cette instance garantissant ce passage ne nous soit pas donnée, en dehors du savoir de la pensée de son essence, rien ne viendrait garantir qu’une telle essence persiste, que j’ai encore une essence hors de la méditation métaphysique. De ce fait, une essence de la pensée me serait donnée au seul moment où elle se donne, et elle ne me serait plus donnée après. Ces intermittences de la pensée seraient aussi les intermittences de son être : il ne serait pas possible de poser une essence de l’homme au-delà du présent de la durée du « je suis, j’existe », et le moi cartésien aurait les allures d’un personnage beckettien déclarant « tantôt je suis, et tantôt je ne suis pas ». Pourrait-on alors vraiment totaliser la série des intermittences de l’être et de la pensée sous la norme du cogito ? Pour le moins, en sortant de la réflexivité de la méditation, la garantie de mon essence pensante serait ponctuellement levée pour n’être à proprement parler qu’un souvenir ou une croyance.
Si le doute est radical, littéralement, chez Descartes, il faut dire, dans la 2ème Méditation, puisque le fait d’avoir existé dans le passé n’est pas indubitable (ma mémoire étant – comme chez Montaigne – faillible), que je n’ai jamais existé jusqu’à au « maintenant » de la Méditation. Du point de vue métaphysique, c’est alors afin d’être autorisé, avec certaines précautions, à dépasser le strict présent de cette durée, vers le passé et l’avenir de mon être, qu’il faut chez Descartes prouver l’existence de Dieu et de sa « véracité ». Sans l’existence d’un Dieu vérace, l’homme n’a pas véritablement d’essence au-delà de la durée de la pensée se pensant. La découverte en moi de l’idée d’infini, idée dont la cause ne peut être que l’être infini autorise l’ego à se mouvoir de sa durée présente vers la durée de ce qui présente un degré moindre d’évidence – jusqu’à l’union de l’âme et du corps, dans la 6ème Méditation – , et à donner crédit à la mémoire, au souvenir de ce que nous avons été. Sans Dieu, il n’est pas sûr que le moi cartésien parviendrait à ramener à son unité la « diversité ondoyante » du moi montaignien, car l’unité qu’il se donne par lui-même n’est produite par son seul pouvoir que la durée d’une méditation.
Si le moi chez Descartes ne subvient pas par lui-même, seul, à assurer la stabilité de son être, il faut presque une deuxième fondation métaphysique pour lui donner la garantie de son existence au-delà de la durée du cogito. La différence avec Montaigne est que chaque moi, si divers soit-il peut poser métaphysiquement son être durant la méditation, et surtout qu’il peut compter sur Dieu pour étendre cette évidence métaphysique à la diversité de ses états, hors de la méditation.
Ce qui change donc de Montaigne à Descartes, c’est manifestement – comme dans le cas de la discussion sur la différence entre l’homme et l’animal – le statut du rapport de la pensée et de l’être et de la place accordée à ce rapport. S’il n’est pas de domaine où chez Montaigne l’être et la pensée n’entretiennent de relation d’étrangèreté, en revanche, chez Descartes, la possibilité de l’indubitable rend possible une essence de la pensée, une identité de la pensée et de l’être dans l’acte du moi de la connaissance. Doublée de la preuve de l’existence de Dieu, cette identité métaphysique de la pensée doit se retrouver hors de la seule durée du doute réflexif.
Cependant, le dépassement de cette durée de l’ego ouvre plusieurs champs : le champ de la connaissance, bien sûr, mais aussi celui de la vie, de l’union de l’âme et du corps. Or ce n’ est pas parce que la pensée chez Descartes est capable d’appréhender dans la connaissance quelque chose comme son essence, que ce qu’elle saisit dans la connaissance épuise son être :
Car il me semble qu’aucune des choses sans lesquelles une autre peut être, n’est comprise en son essence ; et encore que l’esprit soit l’essence de l’homme, il n’est pas néanmoins, à proprement parler, de l’essence de l’esprit, qu’il soit uni au corps humain 54 .
Si l’esprit est l’essence de l’homme, mais qu’il n’est pas de l’essence de l’esprit d’être uni au corps, alors il n’est pas possible de déduire de l’esprit l’union de l’âme et du corps. Autrement dit, la condition de l’homme, si elle est déterminée par son essence,ne s’en déduit pas. Par là, pour Descartes, si l’homme a une connaissance de lui-même par laquelle comme esprit il est capable de s’égaler lui-même, en revanche, il n’a pas de connaissance par une idée claire et distincte, ou encore une notion complète, de sa condition. C’est l’hétérogénéité de sa condition à sa connaissance qui le rend proprement humain, par différence d’avec le divin. Même avec une connaissance qui égale la chose, donc ici lui-même, sa substance, parce qu’il ne dispose jamais que d’un entendement créé, sa connaissance ne peut avoir la certitude d’épuiser l’être de la chose qu’il lui est donné d’égaler :
Mais quoiqu’un entendement créé ait peut-être en effet les connaissances entières et parfaites de plusieurs choses, néanmoins jamais il ne peut savoir qu’il les a, si Dieu même ne lui révèle particulièrement. Car, pour faire qu’il ait une connaissance pleine et entière de quelque chose, il est seulement requis que la puissance de connaître qui est en lui égale cette chose, ce qui se peut faire aisément ; mais pour faire qu’il sache qu’il a une telle connaissance, ou bien que Dieu n’a rien mis de plus dans cette chose que ce qu’il en connaît, il faut que, par sa puissance de connaître, il égale la puissance infinie de Dieu, ce qui est entièrement impossible 55 .
Il est peut-être ainsi tout un champ de l’être qui ne se résume pas à ce que nous en dit la connaissance. « L’humaine condition » n’est-elle pas, en particulier, un tel champ qui excède la connaissance proprement dite que l’homme peut en avoir par son entendement ? Si l’on ne peut déduire de l’essence de l’homme son union au corps, et si d’autre part l’entendement n’épuise pas l’être de ce qu’il égale (la substance pensante, la substance étendue), il ne s’offre peut-être pas de synthèse intelligible de leur union. Idée claire, l’union de l’âme et du corps n’en est peut-être pas moins confuse pour l’entendement.
Ce point nous oblige à déterminer avec plus de modération l’étendue de la divergence entre Montaigne et Descartes, en évitant les deux tendances à appuyer leurs divergence que nous associions plus haut avec les noms de Koyré et Brunschvicg d’une part, d’Adorno d’autre part. Chez Montaigne comme Descartes, la condition de l’homme reste humaine en ce que sa connaissance est nécessairement irréductible à la distinction de l’entendement. Ce qui différencie les deux penseurs, relativement au rapport de l’homme à sa condition n’est pas que chez l’un l’homme égale sa condition et non chez l’autre, mais que l’un trouve malgré l’inégalité de l’homme à sa condition, une essence de l’homme, et pas l’autre.
Il y a ainsi dans l’union de l’âme et du corps une confusion qui rend la vie pour une part irréductible à la connaissance par l’entendement.
Inutile d’ajouter ici que le statut textuel de l’œuvre de Descartes, en particulier du Discours et des Méditations,est en fait à son tour complexifié, par les remarques que nous venons de formuler, et n’entre plus du tout dans l’opposition qu’Adorno faisait régner entre méthode et essai. La méthode cartésienne en tant qu’elle reconnaît l’incapacité de l’esprit à identifier la condition de l’homme (l’union de l’âme et du corps) suivant une idée claire et distincte 56 , maintient une hétérogénéité suffisante pour laisser une place autonome au genre de l’essai.
Chez Descartes le champ de l’idée claire et distincte n’épuise pas le champ des idées, comme la connaissance n’épuise pas la vie, l’essence de l’homme n’oblitère pas sa condition. La pensée, dans tout un champ de son expérience, est en rapport avec quelque chose comme de l’être sans pouvoir identifier cet être avec certitude. Cela ne signifie pas que le champs de la connaissance ne transforme pas la vie, mais qu’une part de l’essence de l’homme est révélée selon une idée claire et distincte, tandis qu’une autre ne se manifeste comme idée parfaitement claire qu’à l’expérience de la vie. L’union de l’âme et du corps est ce champ qui clôt la dernière méditation, et qui nourrit la correspondance de Descartes avec la reine Elisabeth :
D’où vient que ceux qui ne philosophent jamais, et qui ne se servent que de leurs sens, ne doutent point que l’âme ne meuve le corps, et que le corps n’agisse sur l’âme ; mais ils considèrent l’un et l’autre comme une seule chose, c’est-à-dire, ils conçoivent leur union ; car concevoir l’union qui est entre deux choses, c’est les concevoir comme une seule. Et les pensées métaphysiques, qui exercent l’entendement pur, servent à nous rendre la notion de l’âme familière ; et l’étude des mathématiques, qui exerce principalement l’imagination en la considération des figures et des mouvements, nous accoutume à former des notions du corps bien distinctes ; et enfin, c’est en usant seulement de la vie et des conversations ordinaires, et en s’abstenant de méditer et d’étudier aux choses qui exercent l’imagination, qu’on apprend à concevoir l’union de l’âme et du corps 57 .
Une idée claire peut être confuse, ce qui rend la condition de l’homme pour une part indéterminable – comme chez Montaigne, sans pourtant que l’accès de l’homme à sa propre essence par la pensée lui soit refusé. Concevoir cette union de l’âme et du corps n’est pas l’acte d’un entendement absolu, mais l’expérience de la vie elle-même. Comme chez Montaigne, l’expérience de la vie s’accomplit dans un rapport étroitement uni de l’homme avec son corps, rapport qui ne se connaît pas autrement que dans la vie elle-même :
Ne me semblant pas que l’esprit humain soit capable de concevoir bien distinctement, et en même temps, la distinction d’entre l’âme et le corps, et leur union ; à cause qu’il faut, pour cela, les concevoir comme une seule chose, et ensemble les concevoir comme deux, ce qui se contrarie. 58
La divergence peut ainsi être résumée : il y a sans doute de Montaigne à Descartes une entente sur la vie, l’expérience et la condition humaine, et leur irréductibilité à la pensée connaissante : les convergences textuelles que nous remarquions plus haut ne sont ni une contingence historique, ni le pastiche d’une pensée que Descartes aurait simplement dépassée, mais le reflet de cette entente sur l’irréductibilité de la vie et de la condition humaine à la connaissance de l’entendement.
Mais pour Montaigne cette diversité et cette ondoyance de la condition humaine rendent l’homme sans autre connaissance de lui-même qu’individuelle : il n’est pas d’ontologie possible de l’homme ; chez Descartes, au contraire il est une connaissance métaphysique indubitable de l’essence de l’homme, malgré l’irréductibilité de sa condition à la connaissance de cette essence : l’acte de la pensée se donnant l’être en se pensant.
Il faut bien rappeler ici que si l’homme a une place dans le cosmos, et en particulier en son centre, ce n’est pas pour autant une place privilégiée : le monde sublunaire est chez Aristote celui qui n’a pas la parfaite régularité des astres : c’est un monde où règne une certaine contingence. Dire que l’homme aurait ravalé son orgueil en étant chassé du centre du cosmos, délocalisé dans l’univers infini, est évidemment un contresens, puisque le centre qu’occupait l’homme était précisément le « sublunaire », l’irrégulier.
Voir Œuvres philosophiques, p. 444, pour une traduction.
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Nous avons actualisé la référence de Brunschvicg pour l’accorder avec notre édition de référence des Essais : celle de Pierre Villey, aux Presses Universitaires de France. Les lettres [A], [B] ou [C] renvoient aux différentes sources du texte montaignien : [A] renvoie à l’édition de 1580 ou de 1582 ; [B] au texte de 1588 ; [C] désigne le texte postérieur à cette date. ↩
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Léon Brunschvicg, Descartes et Pascal, Lecteurs de Montaigne, Brentano’s, New York – Paris, 1944, pp.115-116. ↩
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Descartes, Œuvres philosophiques, I, p. 571. (Édition de F. Alquié, Classiques Garnier, 1973). ↩
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Descartes, Œuvres philosophiques, I, p. 572. ↩
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Voir par exemple Thierry Gontier, De l’homme à l’animal, Montaigne et Descartes ou les paradoxes de la philosophie moderne sur la nature des animaux, Vrin 1998, pp.187-188 : « Le but poursuivi par Montaigne dans son apologie des facultés animales était la réfutation de l’anthropocentrisme, soit la contestation du droit de l’homme de se constituer comme sens et finalité du monde. Sur ce refus de l’anthropocentrisme, Descartes est bien en accord avec Montaigne. » ↩
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Koyré, Entretiens sur Descartes in Introduction à la lecture de Platon, Gallimard 1962, p. 172. ↩
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Koyré, Op. Cit., p. 179. ↩
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Adorno, Der Essay als Form in Noten zur Literatur, Suhrkamp Verlag, 1958. Traduction française chez Flammarion, en 1984. ↩
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Adorno, Op. Cit., p. 14. ↩
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Ibid., p. 15. ↩
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Ibid., p. 18. ↩
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Ibid., p. 14. ↩
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On renverra notamment à la thèse récente de Claire Couturas, La question de l’homme dans les Essais de Montaigne : de la morale à la connaissance (le discours des passions), sous la direction de Madame le Professeur Géralde Nakam, devant l’Université de Paris III (en 2001). ↩
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Descartes, Œuvres philosophiques, III, p. 693. ↩
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Nous développons un peu plus loin les raisons de ce refus. ↩
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Montaigne, Essais, III, II, p. 805 [B]. ↩
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Sur ces questions, nous renvoyons à l’ouvrage précieux d’Alain de Libera, La querelle des universaux, de Platon au Moyen-Âge, Seuil 1996. Pour une analyse plus spécifique de cette question chez Montaigne, voir aussi, Antoine Compagnon, La seconde main ou le travail de la citation, Seuil 1979, pp.284-313 et plus généralement « Nous Michel de Montaigne », Seuil 1980. ↩
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I, LVI, p. 323. ↩
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Ibid. ↩
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Nicolas de Cues, De docta ignorantia, III, 3. ↩
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Cf. Platon, Protagoras, 320c-323a ↩
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Pic de la Mirandole, Oratio de hominis dignitate. On peut trouver une traduction en ligne de ce texte par Yves Hersant sur le site de l’EHESS. ↩
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I, LVI, pp. 317-318 ↩
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Ibid. ↩
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Cf. III, XIII, p. 1072 ↩
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Essais, II, XII, p. 448. ↩
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Essais, III, XIII, p. 1115. ↩
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Ce jeu de mots n’est pas un anachronisme. Les deux sens du mot « fondement » sont avérés au XVIème siècle. Fondement est à la fois synonyme de base rationnelle, d’assise et de cul. Rabelais joue exactement sur ces deux significations au premier paragraphe du chapitre 4 de Gargantua. (Nous remercions M. François Rigolot d’avoir attiré notre attention sur ce point). ↩
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Essais, II, XII, p. 444 : il s’agit d’un ajout de [C]. ↩
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Montaigne dit bien par exemple dans Des prières (I, LVI, p. 323), que comme les enfants, il propose des essais « instruisables, non instruisants ; d’une manière laïque, non cléricale, mais tres-religieuse tousjours ». Reste cependant à voir si ce « religieux » peut précisément s’accorder avec la signification que les institutions aiment à prêter à ce mot… ↩
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Montaigne, Essais, II, XII, p. 604. ↩
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Sur la fonction de cette distinction entre amour de soi et amour propre, nous nous inspirons bien évidemment des remarques – bien postérieures – de Rousseau dans une note célèbre du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. ↩
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Essais, II, XII, p. 445. ↩
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Essais, I, I, p. 9. ↩
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Essais, III, II, p. 805. ↩
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Essais, II, VIII, p. 385. ↩
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Essais, III, XIII, p. 1072. ↩
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Il n’est pas possible dans les limites de cette étude d’aborder vraiment de front la question – pourtant centrale – du rapport de l’homme à Dieu chez Descartes. Notre objet, nous le rappelons, est seulement, autour de la question de l’homme, de sortir de l’alternative entre la vision propre à Brunschvicg et Koyré d’un Montaigne pré-cartésien et celle d’Adorno d’une opposition radicale entre la méthode et l’écriture de l’essai. ↩
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L’attaque porte peut-être moins directement contre Montaigne que contre la thèse scolastique sur l’existence de l’âme sensitive ou celle des qualités occultes. ↩
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Descartes, Réponses aux 6èmes Objections, texte cité par Thierry Gontier Op. Cit., p.180. ↩
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Il faut bien sûr souligner ce qu’a de paradoxal cette expression « d’âmes des bêtes » dans le vocabulaire de Descartes. Il est évident que pour Descartes, elle ne renvoie à rien d’intelligible au point de vue de la connaissance. L’expression n’a donc probablement ici qu’une valeur conventionnelle, celle d’un vocable des scientifiques de son temps, mais il est évident que cette expression est une formulation confuse pour désigner la mécanique des mouvements des bêtes. Parler de bêtes, d’ailleurs, plutôt que d’animaux, est une autre façon de nier à l’animal une âme qui l’anime. ↩
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Descartes, Lettre à Plempius pour Fromondus du 3 octobre 1637, Œuvres philosophiques, I, pp. 787-788. Texte cité par Thierry Gontier, Op. Cit., pp. 180-181. ↩
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Nous revenons plus loin sur la question de savoir si le sol de la définition métaphysique de l’homme est la durée de l’ego cogito, le « je suis, j’existe » de la deuxième Méditation, ou plutôt la découverte de l’idée infinie en moi : Dieu. Sur cette question délicate, nous ne pouvons que renvoyer à l’étude à présent classique de J.-L. Marion, Sur le prisme métaphysique de Descartes, PUF 1984. ↩
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Essais, II, XII, p. 445 : « Nous sommes chestiens à mesme titre que nous sommes ou Perigordins ou Alemans ». La phrase ne veut bien évidemment pas dire chez Montaigne que la révélation du christianisme est donnée dans la naissance ; ce n’est peut-être pas non plus une pure relativisation de la foi chrétienne et de son sens. Mais c’est une mise en cause de la certitude de la valeur qu’aime s’attribuer l’homme qui se dit chrétien par rapport au païen à partir de la seule considération de sa naissance. Être chrétien, au sens où on l’entend ordinairement, n’est en aucune manière une preuve de sagesse, puisqu’il est mille manières d’être chrétien par lesquelles cette croyance oblitère « l’humaine condition ». ↩
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Sur ce point, voir plus haut, pp. 9-10. ↩
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Floyd Gray, Montaigne and Sebond, French Studies, XXVIII, 2 (April 1974). ↩
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Adorno, Op. Cit., p. 17. ↩
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Descartes, Œuvres philosophiques, I, p. 603. ↩
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Descartes, Œuvres philosophiques, I, p. 599. ↩
-
Descartes, Œuvres philosophiques, I, p. 603. ↩
-
Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard 1976, p. 58. ↩
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Koyré, Op. Cit., p. 175. ↩
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Descartes, Meditationes de Prima Philosophia, Œuvres philosophiques, p. 199 : « Caetera autem omnia ex quibus rerum corporearum ideae conflantur, nempe extensio, figura, situs, & motus, in me quidem, cùm nihil aliud sim quàm res cogitans, formaliter non continentur; sed quia sunt tantùm modi quidam substantiae, ego autem substantia, videntur in me contineri posse eminenter » (nous soulignons). ↩
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Descartes, Réponses aux Quatrièmes Objections, Œuvres philosophiques, II, p. 659. ↩
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Ibid., pp. 660-661. ↩
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Descartes parle de notre connaissance de l’union de l’âme et du corps comme une idée claire, mais sans distinction à notre esprit. ↩
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Lettre à Élisabeth du 28 juin 1643, Œuvres philosophiques, III, pp. 44-45. ↩
-
Lettre à Élisabeth du 28 juin 1643, Œuvres philosophiques, III, p. 46.. ↩