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Réflexions sur l'utilisation des tests génétiques en Santé au Travail

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      Texte

      La détection précoce et l’évaluation des risques cancérogènes liés à l’environnement, notamment professionnel, sont malaisées en raison de la coexistence de deux phénomènes, qui sont en étroite liaison mais qui évoluent selon des modes différents : le premier (la mutagenèse) selon un mode stochastique discret, et le second (la tumorigénèse) selon un mode déterministe continu. À chacune des étapes de la cancérogénèse, depuis la plus précoce (la génotoxicité) jusqu’à la plus tardive (le clone tumoral constitué), l’environnement et l’hérédité sont en étroite interaction. C’est pourquoi le médecin du travail, en synergie avec ses partenaires pluridisciplinaires, doit privilégier la prévention primaire comme seule démarche permettant d’assurer une prévention efficace des cancers liés à l’environnement professionnel. En outre, dans un souci d’amélioration de la prévention secondaire et de la préservation de la santé des salariés, ce praticien ne doit pas méconnaître les progrès effectués dans le domaine des tests dits « génétiques ».

      La compréhension de cette approche innovante de la détection précoce et de la prévention des risques cancérogènes liés à l’environnement professionnel impose une clarification préalable à la définition d’une attitude raisonnée, « raisonnable » et vigilante face à ces données actuelles de la science et à leur probable évolution. C’est ainsi que deux grands types de tests regroupés souvent à tort sous le vocable de « tests génétiques » doivent être distingués :

      - Les tests qui mettent en évidence des mutations acquises, reflet d’une génotoxicité environnementale par altération directe ou indirecte du matériel génétique ou d’interactions de l’environnement avec le génome. Il s’agit alors de biomarqueurs d’exposition ou d’effets précoces qui entrent dans le cadre de la « biosurveillance » des risques liés à l’exposition professionnelle et qui n’ont rien à voir avec la génétique (au sens de l’hérédité) bien que la loi les désigne sous le terme inapproprié de « surveillance génétique ».

      - Les tests qui mettent en évidence les mutations héréditaires, et surtout les polymorphismes des gènes intervenant dans la bioactivation des génotoxiques et la réparation des lésions de l’ADN. Il s’agit des véritables tests génétiques car eux seuls répondent clairement à la définition de l’inné. Les polymorphismes génétiques et singulièrement ceux, les plus nombreux, portant sur un seul ou sur un nombre réduit de nucléotides (SNPs pour Single Nucleotid Polymorphisms) définissent des individus « variants » qui diffèrent sur leur aptitude à bioactiver les toxiques ou encore à réparer les lésions de l’ADN et qui paraissent donc différer sur leur sensibilité aux génotoxiques avec notamment le risque d’évolution de la génotoxicité vers la mutagenèse.

      Pour les maladies génétiques pures, ces tests génétiques peuvent être de véritables biomarqueurs à caractère prédictif, c’est alors le « diagnostic génétique ». Dans le cas du cancer, maladie certes des gènes, mais plurifactorielle par essence, dans laquelle les facteurs génétiques n’entrent que pour partie à côté des facteurs environnementaux et de facteurs circonstanciels mal élucidés, ces biomarqueurs peuvent être classifiés en :

      - biomarqueurs de prédisposition non déterministe au cancer, s’ils concernent des gènes dont le lien avec un type de cancer particulier a été établi par des études épidémiologiques moléculaires (par exemple les gènes BRCA1 et BRCA2 pour les cancers du sein et de l’ovaire respectivement).

      - biomarqueurs de susceptibilité, en Santé au Travail, qui sont représentés par la détermination des polymorphismes précédemment définis pour les individus variants. L’interprétation de ces biomarqueurs doit être prudente, compte tenu des incertitudes qui y sont associées, et il est raisonnable de leur attribuer au minimum un intérêt pour améliorer l’interprétation de la biosurveillance des risques puisque la toxicocinétique est influencée par des facteurs génétiques et au maximum une capacité à définir la susceptibilité accrue d’un individu à un environnement génotoxique et / ou mutagène du fait par exemple d’un polymorphisme défavorable des gènes de réparation des lésions de l’ADN.

      Dans le cadre d’une politique de prévention raisonnée et dans un souci d’efficacité optimale, il est logique d’admettre que la protection des salariés vis-à-vis des effets délétères des nuisances cancérogènes peut, dans certains cas, se traduire par l’exclusion des personnes présentant des contre-indications médicales à un emploi en raison de facteurs médicaux personnels susceptibles d’aggraver le danger encouru du fait d’une exposition prolongée à l’environnement associé au poste de travail. Cette assertion génère trois groupes de questions :

      1. Les tests génétiques proprement dits peuvent-ils véritablement être à la base d’une contre-indication médicale à l’exposition aux cancérogènes ? Sont-ils assez puissants, assez bien connus et interprétables pour affirmer qu’ils sont assimilables à des « critères de santé » ?

      2. S’il est répondu par l’affirmative à la question précédente, une décision de contre-indication médicale à l’emploi ne pourrait-elle pas être attaquée pour discrimination sur des critères de santé basés sur les caractéristiques génétiques, comme le prévoit la Loi Huriet-Sérusclat ?

      3. Le médecin du travail ne risque-t-il pas également d’être accusé de complicité de dérive vers un « darwinisme social » par avantage aux plus aptes et sélection des groupes les plus doués et vers la production d’une nouvelle classe d’individu qui ne manqueraient pas d’être péjorativement qualifiés de « génétiquement faibles » ?

      Pourquoi dans ces conditions ne pose-t-on jamais clairement la question de l’intérêt véritable de poursuivre les recherches dans le domaine des interactions entre facteurs génétiques et facteurs environnementaux afin de préciser notamment le rôle exact des polymorphismes dans la production accrue de catabolites et / ou dans l’affaiblissement des défenses ? L’étude systématique des polymorphismes pourrait-elle être véritablement utile en prévention médicale des risques professionnels ?

      N’est-il pas largement temps d’associer systématiquement les médecins du travail aux recherches dans ces domaines plutôt que de les accuser par avance de ne pas tenir suffisamment compte des avancées scientifiques et d’en faire a priori les boucs émissaires des carences collectives, alors que leur statut de spécialiste de prévention en santé au travail pourrait leur permettre de participer à la lutte contre les dérives commerciales et mercantiles de l’utilisation des tests génétiques, et contre les dérives sociales en répétant avec force qu’« il n’y a pas de bons ni de mauvais polymorphismes génétiques comme il n’y aura jamais de bons ni de mauvais gènes du travail », et que les tests génétiques ne doivent pas être considérés aujourd’hui comme la mise en évidence d’événements déterministes grâce auxquels il serait possible de prédire l’évolution de l’état de santé d’un individu ?

      Toutes ces considérations et interrogations nous autorisent à proposer une attitude actuellement raisonnable au médecin du travail vis-à-vis de l’utilisation des tests génétiques dans sa mission de détection précoce et de prévention des risques cancérogènes. Elle se décline en deux tirades :

      1. « Je m’intéresse aux tests génétiques ; j’en comprends l’intérêt scientifique et peut-être demain l’intérêt médical ! Si j’accepte de les mettre en œuvre, c’est parce que j’ai compris qu’ils peuvent m’aider à mieux interpréter et mieux orienter la biosurveillance des risques cancérogènes liés à l’environnement professionnel. »

      2. « Je suis disposé à réfléchir et à discuter leur place dans la détermination de la susceptibilité accrue d’un individu à un environnement cancérogène, mais en l’absence d’un objectif clairement défini je ne participerai pas à leur promotion en tant que méthode de prévention primaire, car je sais qu’il serait tentant "d’adapter le salarié au poste de travail" alors que ma philosophie et l’éthique de ma profession de médecin de prévention me commande "d’adapter le poste de travail au salarié" ».

      Glossaire

      Mode stochastique discret : mode probabiliste. Selon le mode stochastique, l’intervalle de temps qui sépare deux événements chronologiques et un événement futur probable et supposé conséquent des deux premiers est aléatoire. Dans un processus discret, chaque événement nouveau aggrave ou annule l’événement précédent.

      Mode déterministe continu : mode modélisable par équations différentielles. Selon le mode déterministe, l’intervalle de temps qui sépare deux événements peut être défini, par exemple le temps d’apparition de deux cellules-filles à partir d’une cellule-mère (mitose) est de 24h. Si un clone tumoral à avantage sélectif de croissance est présent, il pourra se diviser toutes les 24 heures. Dans un processus continu, chaque événement nouveau influe dans le même sens sur l’événement précédent. 

      Bioactivation des génotoxiques : processus métabolique enzymatique responsable de la biotransformation de la molécule originelle en métabolites électrophiles très réactifs vis-à-vis des macromolécules biologiques. Ces métabolites électrophiles sont les véritables responsables de la génotoxicité par exemple en se liant de manière covalente aux sites nucléophiles des bases de l’ADN pour générer des adduits. La bioactivation est influencée par des facteurs génétiques notamment le polymorphisme.

      Réparation des lésions de l’ADN : toute altération de l’ADN est suivie de la mise en jeu de systèmes de réparation cellulaires dont l’objectif est de restaurer ad integrum l’ADN originel, par exemple par excision de la base lésée ou par une élimination plus large de nucléotides comprenant celui porteur de la lésion. Les processus de réparation sont régulés par la coopération entre plusieurs gènes notamment de la famille des gènes dits « suppresseurs de tumeurs ». 

      Polymorphismes génétiques : diverses formes alléliques sous lesquelles se présentent les gènes ce qui module leur niveau d’expression et donc en aval leur transcription en ARN messager et leur traduction en protéines. Les polymorphismes ne sont pas des mutations mais des « variations » et les individus concernés ne sont donc pas des mutants mais des variants, différenciés par des niveaux plus ou moins élevés d’expression de certains gènes et donc des niveaux d’action plus ou moins performants face à un même environnement. C’est la raison pour laquelle les polymorphismes peuvent être interprétés en terme de susceptibilité à un environnement cancérogène et non pas en terme de prédisposition au cancer.

      Botta Alain
      Wormser Gérard masculin
      Réflexions sur l'utilisation des tests génétiques en Santé au Travail
      Botta Alain
      Département des littératures de langue française
      2104-3272
      Sens public 2006-03-02

      Table Ronde « éthique et décret CMR » le 27 Mai 2005, aux 28èmes Journées Nationales de Santé au Travail dans le BTP.