Rarement une décision du Conseil constitutionnel aura été autant attendue que celle relative à la loi pour l’égalité des chances 1 . Attendue tout d’abord en considération du difficile contexte social et politique entourant cette décision, dont le point culminant aura été la présence de trois millions de manifestants (selon les syndicats) quarante-huit heures avant que le Conseil se prononce. Attendue aussi, cette fois dans le sens de prévue, par la plupart des constitutionnalistes, tant la constitutionnalité de la loi pour l’égalité des chances et de son article 8 instaurant le contrat première embauche (CPE) paraissait acquise. Malgré quelques positions contraires, et non des moindres 2 , les opinions du Professeur Dominique Chagnollaud 3 et du Professeur Guy Carcassonne 4 , entre autres, ne souffraient aucune ambiguïté.
La constitutionnalité avérée de la loi pour l’égalité des chances n’empêche nullement de porter un regard critique sur une pratique législative dont la récurrence n’égale que son caractère contestable. Il s’agit de l’introduction d’amendements, souvent significatifs, par le Gouvernement dans un projet de loi déjà déposé sur le bureau d’une des chambres législatives. Or, l’usage de ce droit d’amendement par l’exécutif et l’appréciation qu’en font les juges de la rue Montpensier ne peuvent laisser le juriste indifférent. La discussion d’un projet de loi en cours devant les chambres constitue une opportunité attrayante pour le Gouvernement d’y introduire un article supplémentaire qu’il estime en rapport avec l’ensemble du texte. La procédure normale, prévoyant la consultation du Conseil d’État, la délibération du Conseil des ministres, le passage devant une commission législative et l’inscription à l’ordre du jour, est alors contournée. Lorsque le lien entre l’amendement et le texte d’accueil n’est pas vérifié, le jargon juridique prête alors au premier l’appellation célèbre de « cavalier législatif ». Certes, la décision du Conseil relative à la loi pour l’égalité des chances refuse de qualifier ainsi le CPE. Il s’agissait néanmoins d’un des seuls moyens pertinents parmi ceux soulevés par les auteurs de la saisine 5 , le CPE ayant pris place au sein de la loi pour l’égalité des chances au cours de l’unique lecture précédant la réunion de la commission mixte paritaire. Cette décision est l’occasion de relancer la réflexion sur l’utilisation de cette notion et son appréciation par les neuf sages. L’objet de cette étude se limite donc à l’examen procédural de la loi, excluant son analyse sur le fond pour la réserver aux spécialistes du droit du travail.
L’insertion d’articles dans des projets de loi préexistants pose de nombreuses questions tenant à la fois à leur légalité - au sens large du terme - et à leur légitimité. La procédure adoptée par le Gouvernement pour imposer le CPE a pour le moins été expéditive, court-circuitant pour une grande part les discussions parlementaires, et contournant de fait la possibilité laissée par l’article 38 de la Constitution. La procédure législative dirigée par le Gouvernement s’est effectivement révélée plus efficace encore que le recours aux ordonnances, et moins difficile et moins longue à mettre en œuvre (principalement, le gouvernement n’a pas à obtenir le vote d’une loi d’habilitation). Elle atteste de la marginalisation croissante des deux chambres dans la procédure d’élaboration de la loi, au profit, selon le principe des vases communicants, de l’exécutif (d’où l’idée d’un cheval de Troie dans la procédure parlementaire), mais aussi du Conseil constitutionnel, dont le rôle politique pourrait être accentué. Bien sûr, les décisions du Conseil constitutionnel impliquent souvent des conséquences politiques. Mais c’est bien moins cela qui intéresse le juriste que le fait de savoir si la décision du Conseil, à travers l’appréciation qu’il fait du « cavalier législatif », est en soi de nature politique. L’intervention du juge constitutionnel ne vient-elle pas contrebalancer l’éviction de fait du pouvoir législatif dans le cadre d’une procédure (trop) promptement dirigée par l’exécutif ? D’un côté, la constitutionnalité du CPE affirmée sans réserve dans un contexte de crise sociale et politique laisse penser, en exagérant à peine, à la reconnaissance de « pouvoirs exceptionnels du Gouvernement » (I). De l’autre, l’existence en elle-même de l’examen des « cavaliers législatifs » par le Conseil constitutionnel rapproche indéniablement celui-ci d’un contrôle d’opportunité de la loi (II).
La reconnaissance de « pouvoirs exceptionnels du Gouvernement »
La procédure d’adoption de la loi pour l’égalité des chances révèle l’intensification de l’interventionnisme de l’exécutif dans l’œuvre législative, celui-ci ayant accumulé nombre de possibilités offertes par la Constitution pour accélérer le vote (A). Pour être attendue, la validation de cette démarche par le Conseil constitutionnel n’en accompagne pas moins l’élargissement de la marge de manœuvre accordée à l’exécutif (B).
« Cavalier législatif » et chevauchée de l’exécutif
Un bref rappel de la notion de « cavalier législatif » est souhaitable dans un débat portant sur sa constitutionnalité. On peut la présenter comme une limitation du droit d’amendement dont disposent le Gouvernement et les deux chambres au titre de l’article 44 de la Constitution. Cette limite repose sur une appréciation au fond de l’amendement visé, car « on appelle "cavalier législatif", dans le langage parlementaire, une disposition étrangère à l’objet de la loi dans laquelle elle est incluse » 6 . Le « cavalier » a ceci de particulier que c’est du fond dont dépend la validité de la forme, l’objet de la loi constituant une restriction des conditions d’admission d’un amendement. Pour autant, l’interdiction du « cavalier législatif » ne va pas de soi, elle n’est en tout cas pas expressément prévue par notre Constitution. Pour comprendre l’apparition de la notion, il faut, dans une sorte d’archéologie constitutionnelle, remonter à la Troisième République. On trouve les premières traces d’irrecevabilité de ce type d’amendement dans le Règlement de la Chambre des députés, modifié par une résolution du 22 janvier 1935. Cette disposition a ensuite été reconduite, de République en République, dans les règlements des deux assemblées. C’est précisément parce qu’ils étaient prévus par les règlements des assemblées - exclus du bloc de constitutionnalité - que le Conseil constitutionnel a longtemps refusé de contrôler la constitutionnalité de ces amendements. Ce n’est qu’en 1985 7 qu’il se déclare compétent pour connaître de la recevabilité des amendements en fonction de leur objet. Dans un premier temps, le Conseil n’estime pas nécessaire de légitimer son contrôle. Ce n’est que lors de sa troisième reconnaissance de compétence 8 qu’il recourt à une interprétation comparative des articles 39 9 et 44 10 de la Constitution. Le Conseil fonde alors son contrôle du droit d’amendement sur une distinction entre le droit d’initiative législative et le droit d’amendement en tant que tel. L’amendement pour être recevable ne doit pas être assimilable au dépôt d’un projet ou d’une proposition de loi.
Ce rappel établi, il convient de resituer la notion dans la procédure d’adoption de la loi pour l’égalité des chances. Plus précisément, l’insertion en tant qu’amendement de l’article 8 créant le CPE participe du comportement général du Gouvernement entourant le vote de la loi pour l’égalité des chances. L’attitude volontaire, pour procéder par euphémisme, de l’exécutif dans l’élaboration de cette loi concourt à l’écrasement du rôle et de la place du Parlement dans l’espace institutionnel et, pour tout dire, constitutionnel. Dès l’origine de la Cinquième République, la prépondérance de l’exécutif résulte de fait de l’article 20 de la Constitution, attribuant au Gouvernement la détermination et la conduite de la politique nationale. Pour ce faire, le Gouvernement dispose de nombreux outils constitutionnels lui permettant de diriger la procédure législative. Dans le cadre de la loi pour l’égalité des chances, le Gouvernement en a utilisé bon nombre, le recours à l’amendement n’étant qu’une procédure parmi d’autres. Le Gouvernement est d’abord, comme dans la très grande majorité des cas, à l’initiative de la loi, en application de l’article 39. C’est ensuite, alors qu’il le ne figurait pas dans le texte initialement déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, que le CPE a été introduit dans la loi pour l’égalité des chances, en première lecture. Le 10 février, le recours à l’article 49 alinéa 3 permet au Gouvernement, sur engagement de sa responsabilité, de faire adopter le texte proposé par lui, sans modification, et donne à l’Assemblée Nationale l’occasion de réduire son propre rôle et d’infléchir son influence sur le vote de la loi. La chambre basse est aussi responsable de son déclin que l’exécutif. Le texte est alors transmis au Sénat, qui vote le texte dans des conditions de transparence contestables 11 . L’urgence ayant été déclarée par le Gouvernement 12 , la navette entre les chambres cesse aussitôt et la commission mixte paritaire (CMP) adopte le projet de loi sans revenir dessus, le texte ayant été approuvé dans les mêmes termes par les deux chambres. Et l’Assemblée nationale et le Sénat de voter finalement le compte rendu de la CMP.
Durant cette procédure, l’amendement, à défaut d’avoir été reconnu comme « cavalier » par le Conseil constitutionnel, a pour le moins servi la chevauchée de l’exécutif. Ce type d’agissement est intéressant dans le sens où il renverse la finalité de l’amendement dans la procédure parlementaire. Face à la prééminence de l’exécutif, à la fois dans l’initiative et dans la rédaction de la loi, le droit d’amendement doit en théorie permettre au Parlement, sans aller jusqu’à dire à l’opposition, de faire entendre sa voix en aménageant le texte qui lui est soumis, et de contrebalancer le déséquilibre d’initiative législative jouant en sa défaveur. Dans ce cas de figure, non seulement l’initiative de l’amendement échappe au législateur mais, en plus, l’utilisation qui en est faite se retourne contre lui. L’amendement en tant qu’élément le plus efficace de l’initiative législative des parlementaires est ici fortement à relativiser, le recours aux articles 49 alinéa 3 les ayant en outre privés de cette capacité. Le législateur se voit donc dessaisi de l’initiative et de l’usage de l’amendement, quand son contrôle revient quasiment de façon exclusive au Gouvernement. La pratique de la Cinquième République dépasse la lettre et l’esprit de sa Constitution. Celle-ci prévoit déjà une prépondérance de l’exécutif, notamment à travers ses articles 40 13 , qui ne prévoit pas d’inconstitutionnalité des amendements de l’exécutif préjudiciables au budget de l’État, et 44 alinéa 2 14 , qui laisse au Gouvernement toute latitude d’appréciation des amendements non soumis à la commission. Pour autant, peut-on considérer que la lettre comme l’esprit de la Constitution permettent cette étroite restriction du droit d’amendement parlementaire ? Le conseil constitutionnel n’y a rien trouvé à redire.
La validation contestable de l’amendement par le Conseil constitutionnel
Dans leur saisine du Conseil constitutionnel, les requérants développent trois principaux griefs relatifs à la procédure d’adoption de l’article 8 établissant le CPE. Le premier tient à l’amendement de façon intrinsèque. Les auteurs de la saisine estiment que l’article 8 « par sa nature, sa portée et son ampleur aurait dû figurer dans le projet de loi initial soumis à l’examen du Conseil d’État en application de l’article 39 de la Constitution 15 ». Le deuxième grief considère l’amendement de manière extrinsèque, pour le situer dans le cadre restrictif de la procédure d’adoption législative mentionnée ci-dessus. Les parlementaires estiment que l’insertion de l’amendement ajoutée à l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, a empêché toute discussion, notamment devant la CMP en raison du vote confirmatif du Sénat. Enfin, le troisième grief concerne les conditions d’adoption de la loi devant le Sénat, l’opposition estimant avoir été lésée dans son droit d’amendement en raison de l’application de dispositions du règlement du Sénat.
Le Conseil n’a retenu aucun des moyens présentés par les requérants. Concernant le premier grief, le plus important, le Conseil commence par rappeler le droit d’amendement dont bénéficient les parlementaires et le Gouvernement en première lecture d’un projet ou d’une proposition de loi. Et de préciser que l’exercice de ce droit ne peut être limité que par des règles de recevabilité et « par la nécessité pour un amendement, quelle que soit sa portée, de ne pas être dépourvu de tout lien avec l’objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 16 . Les juges de la rue Montpensier annoncent ici qu’ils souhaitent s’en tenir à leur jurisprudence de « l’entonnoir », élaborée lors de la décision du 19 juin 2001 17 , et dont on a ensuite souligné le « triomphe » 18 . C’est dans cette décision que les juges ont pour la première fois vérifié que les dispositions d’un amendement n’étaient pas « dépourvues de tout lien » avec le projet de loi 19 . La jurisprudence de l’entonnoir cherche donc à vérifier l’existence d’un lien entre l’amendement et le texte d’accueil, et est censée dépasser la simple distinction entre amendement et initiative législative que prévoyait la jurisprudence de 1985 envisagée précédemment. Le contrôle s’est intensifié avec la décision du 19 janvier 2006 qui a cherché l’existence d’une « relation directe » 20 entre l’amendement et la loi d’accueil, le Conseil faisant cette fois expressément référence aux règlements de l’Assemblée nationale et du Sénat. Dans cette décision, il décide même de l’inconstitutionnalité de la procédure d’adoption d’un amendement 21 , s’orientant vers un contrôle de plus en plus poussé des amendements gouvernementaux. Cette orientation est d’ailleurs confirmée, deux mois plus tard, par la décision du 16 mars 2006, dans laquelle le Conseil conclut à l’inconstitutionnalité de cinq articles due à l’insertion d’amendements dépourvus de tout lien avec le projet de loi, en première comme en seconde lecture 22 . Dans cette décision, le Conseil précise à nouveau que la notion de lien étroit entre amendement et projet de loi repose sur l’existence d’une relation directe entre les deux. Dans cette perspective jurisprudentielle, la décision relative au CPE marque un net fléchissement du Conseil dans sa recherche d’une relation directe entre amendement et projet de loi. Certes, le Conseil justifie toujours sa position par le fait que l’amendement n’était pas dépourvu de tout lien avec le projet de loi 23 . Néanmoins, et ceci est extrêmement révélateur de l’ambiguïté de la décision du Conseil, la référence à l’existence d’une relation directe entre l’amendement et le projet de loi a été supprimée. Le Conseil s’est montré dans son interprétation relative au CPE beaucoup plus souple que dans sa décision intervenue quinze jours plus tôt. Ce fléchissement est juridiquement difficilement explicable, mais l’explication relève peut-être moins du domaine juridique que politique. Sans doute le Conseil n’a-t-il pas pu totalement faire abstraction du contexte politique et social extrêmement tendu autour de sa décision.
Les deuxième et troisième griefs peuvent être analysés communément. Le Conseil a rejeté les arguments concernant de manière extrinsèque « l’amendement CPE ». Les neuf sages ont estimé que la superposition de l’amendement et des articles 49 alinéa 3, et 45 alinéa 2 concernant l’urgence, n’est pas de nature à entacher d’inconstitutionnalité l’article 8 de la loi 24 . De même, ils estiment que l’accumulation de conditions restrictives du droit d’amendement prévues par le règlement du Sénat ne saurait invalider la procédure législative 25 . Cette analyse cumulative des procédures d’accélération de l’examen de la loi par le Conseil constitutionnel est intéressante, mais frustrante en même temps, car elle ne paraît pas aller au bout de sa logique. Même si cela paraît peu vraisemblable, le Conseil aurait pu retenir que l’accumulation des procédures d’accélération avait pour but de paralyser les débats parlementaires et, finalement, « la discussion » du projet de loi défendue par l’article 42 26 . Surtout, le Conseil aurait pu étendre son interprétation cumulative à l’ensemble des griefs déposés par les requérants. En les considérant un par un, le Conseil a restreint son interprétation, alors qu’il aurait pu intensifier son contrôle en les examinant cumulativement. Ce ne sont pas les accélérations des procédures considérées de façon individuelle et hermétique qui rendent compte de l’étouffement du pouvoir législatif. C’est la considération de toutes ces accélérations, prises globalement et non individuellement, qui aurait pu amener le Conseil à une jurisprudence plus audacieuse et peut-être plus respectueuse de l’esprit de la Constitution. C’est l’addition des griefs, dont le « cavalier législatif » constitue le pilier central, qui aurait pu inciter le Conseil à relever et sanctionner l’avènement de véritables « pouvoirs exceptionnels du Gouvernement », pour paraphraser l’article 16. Ces pouvoirs sont d’ailleurs en contradiction avec la différence de légitimité existant entre le Premier ministre - et le gouvernement de façon générale - et l’Assemblée nationale. Il faut rappeler à toutes fins utiles qu’en application de l’article 8, le Premier ministre n’est pas élu par les citoyens, mais nommé par le Président de la République. Une lecture approximative de la Constitution accorderait tout au plus que le gouvernement ne bénéficie que d’une légitimité indirecte, là où l’Assemblée nationale est directement désignée par le peuple.
Le Conseil aurait pu développer un contrôle de proportionnalité entre toutes les procédures d’accélération utilisées par le Gouvernement et le respect du droit d’amendement. Concrètement, il aurait pu davantage contrôler la proportionnalité du recours à l’amendement par rapport à l’ampleur et l’importance du CPE dans l’ensemble de la loi. Mais le Conseil a ici exclu ce type de contrôle, relevant « la nécessité pour un amendement, quelle qu’en soit la portée, de ne pas être dépourvu de tout lien avec l’objet du texte » 27 . Cette décision indique que le Conseil entend contrôler de la même façon tous les amendements gouvernementaux, quelles que soient leur place, leur longueur, leur importance et leur portée dans l’ensemble de la loi. Cette position du Conseil n’est pas satisfaisante, tant elle encourage de fait les recours aux « cavaliers législatifs ». Elle constitue en outre un recul par rapport à une jurisprudence de 1986 28 , qui appréciait la validité d’un amendement en fonction de deux critères cumulatifs, à savoir, d’une part, que l’amendement ne doit pas être sans lien avec le texte en discussion et que, d’autre part, l’amendement ne doit pas dépasser, par son objet et sa portée, les « limites inhérentes » à ce droit. Dans une décision concomitante, le Conseil s’était même concentré sur la recherche de proportionnalité, omettant l’examen la recherche d’un lien entre amendement et texte d’accueil : « Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’à raison tant de leur ampleur que de leur importance, les dispositions (…) excèdent les limites inhérentes à l’exercice du droit d’amendement ; que, dès lors, elles ne pouvaient être introduites dans le projet de loi portant diverses mesures d’ordre social, par voie d’amendement, sans que soit méconnue la distinction établie entre les projets et propositions de loi visés à l’article 39 de la Constitution et les amendements dont ces derniers peuvent faire l’objet en vertu de l’article 44, alinéa 1 » 29 . Précisons que les dispositions incriminées avaient alors pour but de modifier le code du travail... Pour le CPE, le juge constitutionnel a abandonné son examen de la consistance de l’amendement et sa distinction entre projet de loi et amendement. S’il avait maintenu sa jurisprudence antérieure, la procédure d’adoption de l’article 8 instituant le CPE aurait sans doute été invalidée. Il est curieux que le juge constitutionnel refuse d’envisager la proportionnalité dans un domaine juridique où son contrôle est en réalité plus poussé que cela, pour se rapprocher du contrôle d’opportunité.
L’instauration d’un contrôle d’opportunité du Conseil constitutionnel
Le type de contrôle que le Conseil constitutionnel effectue en matière d’amendements s’avère tout à fait particulier, rapprochant de fait sa décision d’un contrôle d’opportunité de la loi (A). On s’aperçoit que le Conseil se trouve dans une position ambiguë, voire paradoxale, son contrôle pouvant être à la fois paraître insuffisant et exagéré (B).
Du contrôle de proportionnalité au contrôle d’opportunité de la loi
Le but de cette étude n’est pas de revenir sur l’indépassable débat autour de la nature politique 30 ou juridictionnelle 31 du Conseil constitutionnel. Il n’est pas non plus d’abonder dans le sens d’une solution de facilité en estimant que le Conseil constitue une institution hybride, mi politique-mi juridictionnelle, malgré la recevabilité relative de cet argument. La raison d’être de cette partie se trouve plutôt dans la recherche d’un dépassement éventuel par le Conseil de l’interdiction du contrôle d’opportunité de la loi, à travers sa jurisprudence sur le droit d’amendement. Ici, ce n’est pas tant le fait de savoir de quel côté penche la décision du Conseil - validation ou inconstitutionnalité du CPE - qui nous intéresse, que la façon dont le Conseil construit sa décision. Il est ici davantage question des moyens juridiques utilisés par le Conseil constitutionnel pour aboutir à sa décision que du résultat de cette dernière. Au sens de la décision, préférons l’existence du contrôle.
Selon une jurisprudence relativement ancienne, le Conseil constitutionnel s’interdit tout contrôle d’opportunité de la loi. Cette position se fonde sur la perception que le Conseil a de lui-même. Dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, il se considère comme une juridiction et non comme une institution politique. Ceci ressort de sa décision I.V.G. de 1975, dans laquelle il affirme que « l’article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen » 32 . Le Conseil ne se prononce pas sur l’opportunité du vote d’une loi, seule l’intéresse sa conformité à la norme suprême. Mais cette position de principe va évoluer, et le Conseil d’instaurer un « "contrôle minimum" de la volonté du législateur » 33 , à travers la recherche d’une erreur manifeste 34 de ce dernier.
Il est intéressant d’inscrire les décisions du Conseil liées au droit d’amendement dans cette perspective jurisprudentielle. Le contentieux relatif au dépôt d’amendements est une étape du durcissement du contrôle de l’intention du législateur. Le contrôle des « cavaliers législatifs » oblige de fait le Conseil à dépasser la simple recherche d’une erreur manifeste du législateur. La nature même de l’examen des amendements rapproche le Conseil constitutionnel d’un contrôle d’opportunité. On pouvait parler, à propos de l’erreur manifeste, d’un contrôle de proportionnalité, le juge vérifiant simplement que le législateur ne commettait pas d’atteintes excessives ou disproportionnées au but poursuivi ou à un droit constitutionnellement garanti. Avec le contentieux des amendements, il semble que le Conseil ait dépassé cette position timorée. Cela tient à la nature même de l’exercice. Le Conseil ne doit plus seulement rechercher une erreur grossière dans l’intention du législateur, mais doit en plus opérer une comparaison sur le fond entre l’objet du projet ou de la proposition de loi et l’amendement proposé par le Gouvernement ou le Parlement. Le critère d’appréciation est double, alors qu’il était simple dans l’appréciation de l’erreur manifeste. Non seulement le juge constitutionnel doit analyser l’intention générale entourant un projet ou une proposition de loi, mais il doit en outre considérer l’existence d’un lien, d’une relation directe entre ce projet et un amendement. Or, pour pouvoir opérer cette comparaison, le Conseil est obligé d’examiner au fond les dispositions du texte d’accueil et celles contenues dans l’amendement. Les critères dégagés par le Conseil constitutionnel sont d’ailleurs de nature à lui assurer une large marge de manœuvre dans l’appréciation de la relation devant exister entre le texte et l’amendement.
Comme il a été mentionné précédemment, le Conseil a développé plusieurs critères pour contrôler l’existence de « cavaliers législatifs ». La « zone d’incertitude » 35 les entourant peut être de nature à maintenir ce contrôle dans les limites de la proportionnalité, ou de favoriser son extension à l’opportunité d’un amendement. Il en va ainsi du respect des limites inhérentes au droit d’amendement comme du lien devant unir l’amendement au texte d’accueil : « la notion de "lien" avec le texte peut être élargie ou restreinte à volonté, plus que de lien, c’est d’élastique qu’il faudrait parler ! » 36 . La seule certitude concernant les éléments d’appréciation de ces critères est qu’ils sont tout à fait incertains. Le Conseil fait tantôt référence à l’objet 37 de l’amendement, tantôt à sa portée 38 , tantôt à son ampleur et son importance 39 , sans tenir compte du fait qu’il le utiliser parfois cumulativement et parfois individuellement. Il est, en l’état actuel de la jurisprudence, impossible de déterminer si le Conseil favorise une analyse quantitative ou qualitative des amendements pour apprécier leur caractère de « cavalier législatif ». Qui plus est, force est d’admettre qu’en la matière la frontière entre les deux types de contrôle est extrêmement ténue, voire inexistante. Distinguer entre la recherche de proportionnalité et le contrôle de l’opportunité d’un texte constitue un exercice des plus délicats. On passe aisément de l’un à l’autre, simplement parce que chercher l’existence d’un lien entre deux textes revient forcément à envisager l’opportunité d’une disposition par rapport à une autre. Cette comparaison n’est plus seulement d’ordre juridique, mais bel et bien politique. L’analyse du contentieux relatif aux amendements montre que le contrôle du Conseil, en plus d’entraîner d’inévitables conséquences politiques, constitue en soi un contrôle politique de la norme. Cette analyse est confortée par certaines justifications du Conseil, dans lesquelles il établit une comparaison au fond, de manière plus ou moins poussée selon les décisions, entre l’amendement et le projet de loi. Dans sa décision sur la loi pour l’égalité des chances, le juge précise que « cet amendement n’était pas dépourvu de tout lien avec un projet de loi qui, lors de son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale, première assemblée saisie, comportait déjà des dispositions destinées à favoriser l’accès à l’emploi des jeunes » 40 . Quoi que l’on pense de cette décision, une interprétation a contrario montre que si le Conseil n’avait pas estimé suffisant le lien entre le CPE et la loi pour légalité des chances, il aurait annulé le premier. La démarche du Conseil s’apparente ici à une appréciation de l’intention du Gouvernement, et revient à effectuer un contrôle d’opportunité de l’inclusion du CPE dans la loi pour l’égalité des chances. Sous des apparences scrupuleusement juridiques, le Conseil constitutionnel procède à des choix politiques pour affirmer sa décision. Il n’est pas si certain que le Conseil se soit contenté de « rester sur son terrain : le droit » 41 . Ce contrôle d’opportunité se retrouve dans d’autres justifications du Conseil, que ce soit dans la décision sur l’égalité salariale 42 ou celle sur la lutte contre le terrorisme 43 . On pourrait contester cette émancipation du juge par rapport à sa jurisprudence IVG si cette étude ne soulevait pas en fin de compte un paradoxe concernant l’étendue de son contrôle.
La portée contradictoire du contrôle du Conseil constitutionnel
Le contentieux des amendements laisse l’observateur perplexe dans son appréciation de la portée du contrôle du Conseil constitutionnel. Cette étude atteste des contradictions que peut ressentir l’analyste de la jurisprudence du Conseil, en souhaitant qu’elles ne soient pas entièrement imputables à l’analyste lui-même... On peut estimer le contrôle du Conseil à la fois insuffisant et trop poussé. Ce paradoxe n’épargne pas la récente décision sur la loi pour l’égalité des chances.
On pourrait opposer au Conseil la trop grande souplesse de son contrôle. Il fait dans sa décision sur le CPE une appréciation très lâche de la relation entre l’amendement et le projet de loi. En retenant que « cet amendement n’était pas dépourvu de tout lien » avec le projet de loi, le Conseil a infléchi sa jurisprudence de manière doublement insatisfaisante. Tout d’abord parce que cette rédaction laisse au Gouvernement une trop grande marge de manœuvre dans l’introduction d’amendements. Cette tiède formulation revient à enterrer l’exigence d’un lien effectif entre amendement et projet de loi. Ensuite parce que le Conseil abandonne ainsi son argumentation fondée sur la distinction entre les articles 39 et 44 de la Constitution, c’est-à-dire entre l’initiative législative et le droit d’amendement qui, avec le recul, s’avère être la plus pertinente. L’utilisation de cette jurisprudence aurait sans doute amené le Conseil à sanctionner le CPE, au lieu de trancher en faveur du Gouvernement. En refusant de sanctionner « l’amendement CPE », le Conseil constitutionnel a admis qu’il pouvait constitutionnellement surgir après le dépôt du projet de loi sur le bureau de l’Assemblée nationale, sans passer devant le Conseil d’État 44 . Le Conseil d’État n’émettant qu’un avis, on pourrait se demander pourquoi le Gouvernement a introduit le CPE sous forme d’amendement, une procédure classique ne l’ayant pas désavantagé. Ni l’avis du Conseil d’État, ni la délibération du Conseil des ministres, ni le passage devant une commission législative, ni l’inscription à l’ordre du jour n’auraient été problématiques. On saisit néanmoins l’exceptionnelle opportunité que constitue pour l’exécutif la possibilité d’intégrer le CPE, dont il appréhendait l’impopularité, dans un projet de loi déjà en débat, et dont la longueur pouvait idéalement servir de cache. La présente décision du Conseil n’est donc pas de nature à décourager les futurs gouvernements de glisser dans un projet préexistant des amendements pouvant constituer un projet de loi à part entière.
Mais on pourrait aussi reprocher au Conseil une jurisprudence trop ambitieuse. Son rapprochement vis-à-vis du contrôle d’opportunité pose la question de la légitimité de son intervention. L’argument célèbre du « gouvernement des juges » n’est pas loin, et le bien-fondé de l’incursion des neuf sages dans l’initiative législative est aisément contestable. D’aucuns parleraient alors du Conseil constitutionnel comme d’une troisième chambre parlementaire, sinon d’un droit d’initiative législative de fait à son actif. L’appréciation par le juge d’un lien suffisant entre un texte en discussion et un amendement, surtout si elle implique l’examen de l’ampleur et de la portée de l’amendement, lui confère un pouvoir quasi-discrétionnaire finalement peu éloigné du vote d’une assemblée parlementaire. Le contrôle juridique servirait alors de vecteur à une décision politique du Conseil, dont il pourrait adapter l’intensité au fil de sa jurisprudence.
Cette disparité d’analyses de la jurisprudence du Conseil en matière d’amendements tient sans doute en grande partie à son ambiguïté. Mais il est possible de dépasser ce paradoxe en considérant que si la nature du contrôle du Conseil est ambitieuse et contraignante pour le législateur, son appréciation sur le fond est en revanche beaucoup plus souple. À une forme de contrôle contraignante correspondrait une appréciation au fond plus flexible.
Pour n’avoir pas été invalidée par le Conseil constitutionnel, la procédure d’adoption de la loi pour l’égalité des chances et, par là même, de l’amendement instaurant le CPE n’en est pas moins très contestable. D’abord en raison de son archaïsme. Il s’agit d’une loi imposée par l’exécutif au législatif, sans véritable discussion ni débat, à l’Assemblée nationale du moins. Ses conditions de vote ne sont pas sans rappeler la procédure législative de régimes anciens, pas forcément des républiques. L’initiative intégrale de l’exécutif n’est pas si éloignée des prérogatives consulaires de l’an VIII 45 . La saisine de l’Assemblée nationale par le biais de l’article 49 alinéa 3, réduisant au maximum les modifications de la loi lors du vote, ne lui laissent pas plus d’alternatives que la procédure observée devant le Tribunat 46 . De l’avis même du Conseil constitutionnel, « il est incontestable que le droit d’amendement des députés a été singulièrement amoindri » 47 . Enfin, l’utilisation du vote bloqué devant le Sénat, comme elle avait été initialement envisagée par le Gouvernement, n’aurait rien eu à rien à envier à l’ancien Corps législatif 48 . Même si le Gouvernement n’a pas jugé utile d’y recourir, l’ensemble de cette procédure trahit le déphasage de son action avec notre époque, dite « postmoderne », préférant la discussion de la norme à son imposition unilatérale 49 .
Ensuite, l’amendement concernant le CPE ne doit d’échapper à la qualification de « cavalier législatif » qu’à un assouplissement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui abandonne sa distinction entre initiative législative et droit d’amendement, et relâche quelque peu son appréciation du lien entre amendement et texte d’accueil. À peine achevée, cette procédure législative est déjà remise en question. La promulgation de la loi par le Président de la République 50 est concomitante à la suspension (définitive ?) des décrets d’application et au projet de vote d’une nouvelle loi. Le comportement de l’exécutif, tant lors du vote de la loi que de sa promulgation, décrédibilise la norme législative, qui n’avait pas besoin de cela. Toutefois, à l’heure où il est question de renvoyer l’avenir du CPE devant le Parlement, l’affaiblissement de ce dernier pourrait être relativisé. Par un renversement des vases communicants, l’affaiblissement de l’exécutif au sortir de la crise pourrait rehausser son influence dans le jeu institutionnel. La procédure de vote du CPE aura en tout cas souligné les imperfections institutionnelles dans l’élaboration de la norme législative. La nécessaire réforme de l’État réapparaît au jour de la crise du CPE. De là à penser que le CPE aura un effet accélérateur sur cette réforme, rien n’est moins sûr.
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Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006. ↩
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Roger-Gérard Schwartzenberg, Le CPE inconstitutionnel à plus d’un titre, Libération du 23 février 2006 ↩
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Dominique Chagnollaud, Le CPE n’est pas hors la loi, Libération du 17 mars 2006. ↩
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Guy Carcassonne démonte les arguments constitutionnels anti-CPE, Libération du 30 mars 2006. ↩
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Les griefs tirés de la violation de la Charte sociale européenne, de la Convention internationale du travail n °158 et de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 étaient dès l’origine très contestables, le Conseil constitutionnel refusant traditionnellement d’examiner la conformité d’une loi au contenu d’un traité international ou à une directive européenne. ↩
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Bruno Baufumé, « Le droit d’amendement et la Constitution sous la Cinquième République », LGDJ, 1993, p. 253. ↩
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Décision n° 85-191 DC du 10 juillet 1985 et décision n° 85-198 DC du 13 décembre 1985. ↩
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Décision n° 85-199 DC du 28 décembre 1985. ↩
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Article 39, al 1er de la Constitution de 1958 : « L’initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement ». ↩
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Article 44, al 1er de la Constitution de 1958 : « Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d’amendement ». ↩
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Le Sénat a voté la loi pour l’égalité des chances dans la nuit du dimanche 5 mars. ↩
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En application de l’article 45, al 2 de la Constitution de 1958. ↩
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Article 40 de la Constitution de 1958 : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». ↩
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Article 44, al 2 de la Constitution de 1958 : « Après l’ouverture du débat, le Gouvernement peut s’opposer à l’examen de tout amendement qui n’a pas été antérieurement soumis à la commission ». ↩
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Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, cons. 4. ↩
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Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, cons. 6. ↩
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Décision 2001-445 DC du 19 juin 2003, loi organique au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature. ↩
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À propos de la décision n°2005-532 DC du 19 janvier 2006 : Pierre Avril, Jean Giquel, Le triomphe de "l’entonnoir", Les petites affiches, 15 février 2006 (33), pp. 6-9. ↩
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Décision 2001-445 DC du 19 juin 2001, cons. 49 : « Considérant, en l’espèce, que les dispositions en cause, qui ont pour but d’améliorer le fonctionnement de la Cour de cassation, ne sont pas dépourvues de tout lien avec un projet qui, dès son dépôt sur le bureau du Sénat, comportait des dispositions statutaires propres à la Cour de cassation ; qu’il suit de là que les articles 26, 27 et 29 ont été adoptés selon une procédure conforme à la Constitution ». ↩
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Décision n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, cons. 26 : « (…) comme le rappellent d’ailleurs les règlements de l’Assemblée nationale et du Sénat, les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées après la première lecture par les membres du Parlement et par le Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion. ↩
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Ibid., cons. 30 : « Considérant que, contrairement aux autres dispositions de la loi déférée, l’article 19 précité est dépourvu de tout lien avec un projet de loi qui, lors de son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale, première assemblée saisie, comportait exclusivement des mesures relatives à la lutte contre le terrorisme, à la sécurité et aux contrôles aux frontières ; qu’il suit de là que cet article 19 a été adopté selon une procédure contraire à la Constitution ». ↩
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Décision n° 2006-533 DC, Loi relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, cons. 8 : « Considérant, en premier lieu, que l’amendement dont est issu l’article 30 de la loi déférée était dépourvu de tout lien avec un projet de loi qui, lors de son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale, première assemblée saisie, comportait exclusivement des mesures relatives à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; qu’il suit de là que cet article 30 a été adopté selon une procédure contraire à la Constitution ». Ibid, cons. 9 : « Considérant, en second lieu, que l’amendement dont est issu l’article 14 de la loi déférée a été adopté en deuxième lecture ; que cette adjonction n’était pas, à ce stade de la procédure, en relation directe avec une disposition restant en discussion ; qu’elle n’était pas non plus destinée à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d’examen ou à corriger une erreur matérielle ; qu’il s’ensuit qu’il y a lieu de regarder l’article 14 de la loi déférée comme ayant été adopté selon une procédure contraire à la Constitution ». ↩
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Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, cons. 7 : « Considérant, dès lors, que ne peut être utilement invoqué le grief tiré de ce que les dispositions de l’article 8 de la loi déférée, issues d’un amendement adopté au cours de l’unique lecture ayant précédé la réunion de la commission mixte paritaire, auraient dû figurer, du fait de leur portée, dans le projet de loi initial ; que cet amendement n’était pas dépourvu de tout lien avec un projet de loi qui, lors de son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale, première assemblée saisie, comportait déjà des dispositions destinées à favoriser l’accès à l’emploi des jeunes ». ↩
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Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, cons. 9 : « Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution aient été utilisées cumulativement pour accélérer l’examen de la loi déférée n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à son adoption ». ↩
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Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, cons. 10 : « Considérant, en troisième lieu, que l’utilisation combinée des différentes dispositions prévues par le règlement du Sénat pour organiser l’exercice du droit d’amendement ne saurait davantage avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution ». ↩
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Article 42, alinéa 1er de la Constitution de 1958 : « La discussion des projets de loi porte, devant la première chambre saisie, sur le texte présenté par le gouvernement ». ↩
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Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, cons. 6. ↩
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Décision n°86-221 DC du 29 décembre 1986, Loi de finances pour 1987. ↩
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Décision n° 86-225 DC du 23 janvier 1987, Loi portant diverses mesures d’ordre social, cons.11. ↩
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Quelques références bibliographiques non exhaustives : ↩
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On peut citer, entre autres : ↩
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Décision n°74-54 DC du 15 janvier 1975, cons. 1, Rec. 19. ↩
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Philippe Ardant, « Institutions politiques et Droit constitutionnel », L.G.D.J., 17ème édition, 2005, p.126. ↩
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Décision n°81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation, Rec. 18 : « Considérant que l’appréciation portée par le législateur sur la nécessité des nationalisations décidées par la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ne saurait, en l’absence d’erreur manifeste, être récusée par celui-ci (…) ». ↩
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Bruno Baufumé, « Le droit d’amendement et la Constitution sous la Cinquième République », LGDJ, 1993, p. 266. ↩
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Frédéric Rolin, Le débat sur la constitutionnalité du Contrat première embauche : quelques observations sur l’usage du droit d’amendement et ses limites, http://frederic-rolin.blogspirit.com ↩
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Décision n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers. ↩
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Décision n°86-221 DC du 29 décembre 1986, Loi de finances pour 1987. ↩
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Décision n° 86-225 DC du 23 janvier 1987, Loi portant diverses mesures d’ordre social. ↩
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Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, cons.7. ↩
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Dominique Rousseau, Non, diraient les juges, Libération du 23 mars 2006. ↩
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Décision n° 2006-533 DC du 16 mars 2006, Loi relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, cons.8 : « Considérant, en premier lieu, que l’amendement dont est issu l’article 30 de la loi déférée était dépourvu de tout lien avec un projet de loi qui, lors de son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale, première assemblée saisie, comportait exclusivement des mesures relatives à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; qu’il suit de là que cet article 30 a été adopté selon une procédure contraire à la Constitution ». ↩
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Décision n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, cons. 30 : « Considérant que, contrairement aux autres dispositions de la loi déférée, l’article 19 précité est dépourvu de tout lien avec un projet de loi qui, lors de son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale, première assemblée saisie, comportait exclusivement des mesures relatives à la lutte contre le terrorisme, à la sécurité et aux contrôles aux frontières ; qu’il suit de là que cet article 19 a été adopté selon une procédure contraire à la Constitution ». ↩
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En application de l’article de l’article 39 de la Constitution, seuls les projets de loi nécessitent la consultation du Conseil d’État, non les amendements situés en aval du dépôt sur le bureau de la chambre saisie. ↩
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Article 25 de la Constitution du 22 frimaire an VIII : « Il ne sera promulgué de lois nouvelles que lorsque le projet en aura été proposé par le Gouvernement, communiqué au Tribunat et décrété par le Corps législatif. » ↩
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Article 28, alinéa 1er de la Constitution du 22 frimaire an VIII : « Le Tribunat discute les projets de loi : il en vote l’adoption ou le rejet ». ↩
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Cahiers du Conseil constitutionnel n°20, Décision n° 2006-535 DC - 30 mars 2006, www.conseil-constitutionnel.fr ↩
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Article 34 de la Constitution du 22 frimaire an VIII : « Le Corps législatif fait la loi en statuant par scrutin secret, et sans aucune discussion de la part de ses membres, sur les projets de lois débattus devant lui par les orateurs du Tribunat et du Gouvernement ». ↩
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Jürgen Habermas, « De l’éthique de la discussion », Cerf, Paris, 1992. ↩
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La loi a été promulguée le 31 mars 2006 et a été publiée au Journal officiel du 2 avril 2006. ↩