Texte complet téléchargeable en version pdf (110 pages), voir ci-dessus. Ci-dessous sont reportés l’Introduction et le Chapitre 1.
Introduction 1
"Personne ne nous sait gré de ce qui est dessous." Balzac, Le chef-d’œuvre inconnu
Conformément à son titre, l’ouvrage de Descartes (inachevé, qu’il n’aura pas publié lui-même de son vivant, et dont il n’a jamais explicitement parlé 2 ) se présente comme un ensemble de règles visant à diriger l’esprit dans la recherche de la vérité. Le philosophe enseigne « une méthode » pour acquérir la science, science qu’il nomme « Sagesse », entendant la connaissance de tout ce dont l’humain est capable. C’est le but qu’il lui assigne dans la Règle IV :
« […] par méthode, j’entends des règles certaines et aisées, grâce auxquelles ceux qui les auront exactement observées n’admettront jamais rien de faux pour vrai, et sans se fatiguer l’esprit en efforts inutiles, mais en augmentant toujours comme par degrés leur science, parviendront à la connaissance vraie de toutes les choses dont leur esprit sera capable. »
L’acquisition de la Sagesse est rendue possible par la méthode. Mais ailleurs dans les Regulae, un mouvement inverse semble se produire. En effet, dans la Règle VIII la méthode n’apparaît pas comme le moyen d’acquérir la Sagesse. C’est au contraire la recherche de la Sagesse qui se montre comme le moyen d’acquisition de la méthode. Comment comprendre cette relation circulaire entretenue par la méthode et la Sagesse au sein des Regulae ? Et que nous apprend-elle sur le dessein de l’oeuvre (ou avant-oeuvre) ? Je partirai d’une lecture des Règles I à VIII pour résoudre cette question.
Il sera établi dans le premier chapitre que la conception de la science comme « Sagesse humaine et universelle » dans la Règle I résulte corrélativement du développement de la méthode dans les Règles suivantes. Une fois cette trame relevée dans le livre, de la Règle I à la Règle VIII, le second chapitre en effectuera l’étude détaillée. Il apparaîtra plus précisément que l’ouvrage renferme une construction épistémologique de la science accomplie par le sujet connaissant à partir d’un examen de sa connaissance, les premières opérations de l’esprit (l’intuitus et la deductio) se confondant avec les « premiers principes » de la méthode. Dans la continuité du chapitre précédent, il sera souligné que la question de l’étendue de la connaissance humaine exposée dans la Règle VIII, à la façon d’une mise en abyme, commande cette construction méthodique au sein du livre. Le troisième et dernier chapitre poursuivra l’étude de sa résolution jusqu’à la Règle XII. Au sujet de « la connaissance des choses », l’universalité de la méthode (affirmée dans la Règle IV) sera remise en doute suivant la question de son adéquation au réel.
Chapitre 1 - L’instauration corrélative de la Sagesse et de la méthode
Le premier étonnement : « la fin générale » des études (Règle I)
Dès l’ouverture des Regulae 3 , la Sagesse est posée comme « la fin générale » vers laquelle il convient impérativement de diriger nos études. Descartes en remarque l’importance cruciale pour la recherche de la vérité :
« Ce n’est donc pas sans raison que nous avançons et posons cette règle comme la première de toutes, puisque rien ne nous détourne davantage du droit chemin pour rechercher la vérité que de ne point diriger nos études vers cette fin générale, mais vers quelques autres particulières. » 4
Choisirait-on d’étudier chaque science à part au lieu de viser l’acquisition de toutes les sciences ensemble, la recherche de la vérité s’en trouverait compromise dans son projet même. Pourquoi ? En raison de la nature de la science. Aussi, Descartes commence par dissiper une confusion faite entre les sciences et les arts.
Si les arts sont dans la pratique difficilement conciliables entre eux, « les mêmes mains [ne pouvant] point se faire aussi commodément aux travaux des champs et au toucher de la cithare, ou à d’autres offices différents, qu’a un seul d’entre eux » 5 , c’est en raison de « certain usage et disposition du corps » 6 requis par les activités artisanales. L’artisan tend à spécialiser l’usage de son corps en vue d’une certaine pratique et au dépens d’une autre, ce qui explique qu’« un seul homme ne [puisse] apprendre ensemble tous les arts » 7 . Rapportant indûment le domaine des sciences à celui des arts, les humains ont déduit qu’on ne saurait non plus apprendre toutes les sciences ensemble, « et les distinguant l’une de l’autre suivant la diversité de leurs objets, ils pensèrent qu’il fallait poursuivre chacune d’elles séparément et en omettant toutes les autres. » 8 Ils se sont dès le départ fourvoyés dans la recherche de la vérité. En comparaison des arts relevant du corps, l’exercice de la connaissance n’engendre justement pas de spécialisation, tout au contraire.
Les sciences « consistent toutes entières en ce que connaît l’esprit » 9 , (« totae in animi cognitione consistunt »), or l’esprit connaît toujours d’une seule et même façon, quelles que soient sa discipline d’étude et la diversité des objets qu’il se soumet (ce que va confirmer la Règle IV au travers de la Mathesis universalis, « science universelle de l’ordre et de la mesure »). Leurs objets étant tous soumis à la même lumière de la connaissance, toutes les sciences sont solidaires. Il ne faut donc pas imposer de frontières entre elles. Bien plutôt, il faut les considérer toutes solidairement au point de n’en former qu’une.
Cette science générale, qui rassemble et unifie toutes les sciences particulières au regard de l’esprit, Descartes la dénomme « Sagesse humaine et universelle », embrassant par ces mots la totalité du savoir accessible à la connaissance humaine :
« En effet, comme toutes les sciences ne sont rien d’autre que la sagesse humaine, qui demeure toujours une et semblable à soi, si différents que puissent être les sujets auxquels elle s’applique, et qu’elle n’en reçoit pas plus de diversité, que la lumière du soleil de la variété des choses qu’elle illumine, il n’est point nécessaire de contenir nos esprits dans aucune borne ; car la connaissance d’une vérité ne nous détourne point de l’invention d’une autre, comme il en est pour l’usage d’un seul art, mais nous y aide plutôt 10 (…). Que si donc quelqu’un se résout à rechercher sérieusement la vérité des choses, il ne doit pas choisir une science particulière : car elles sont toutes conjointes entre elles et dépendent les unes des autres. » 11
Puisque la connaissance éclaire toute chose d’une lumière immuable, la Sagesse humaine forme une unité homogène. Il n’y a pas lieu de penser que la recherche de la vérité dans une discipline puisse entraver la recherche dans les autres, justement non, car suivant la logique d’un enchaînement démonstratif, c’est au sein de cette unité que toute vérité peut mener à la connaissance d’autres vérités. Écarter par avance un domaine d’objets est l’attitude intellectuelle la plus nuisible qui soit, car l’on risque alors d’omettre « de nombreuses choses qui sont nécessaires à la connaissance de quelques autres. » 12 Pour prémunir contre ce défaut de méthode, dès le commencement « il se faut donc convaincre que toutes les sciences sont entre elles si étroitement liées, qu’il est bien plus aisé de les apprendre toutes ensemble que d’en détacher une des autres. » 13 Comme les diverses sciences entretiennent un rapport transversal d’interdépendance, la distinction marquée entre les disciplines apparaît, en un sens, secondaire : rechercher la Sagesse humaine et universelle, c’est chercher tout ce qu’il nous est possible de connaître dans les sciences comprises comme une seule.
Voici donc le premier enseignement. Il est nécessaire de connaître la véritable nature de la science pour ne pas se fourvoyer d’avance dans la recherche de la vérité. Dès le commencement, il faut ambitionner l’acquisition de la Sagesse et tourner ses études vers cette fin générale. Toutefois, cette première prescription semble présenter aussitôt un caractère problématique à la lecture. En effet, à ce moment d’ouverture des Regulae, saurait-on faire autrement que s’étonner de cette conception de la science que Descartes nous impose ? Car d’où vient qu’elles soient toutes si solidairement unies entre elles, « étroitement liées, conjointes, dépendantes les unes des autres » ? « Il faut se convaincre que... », écrit-il, mais rien ne justifie qu’il en soit ainsi, ou en quoi on aurait raison de s’en convaincre ? 14
Que la Règle I se montre d’un abord si difficile considérée dans sa situation inaugurale tient à une raison précise : les principes épistémologiques qui la déterminent, implicitement, ne seront explicités qu’au cours des Règles suivantes. Pour exemple ce passage dont la compréhension paraît impossible sans la lecture des Règles II à VIII :
« Et certes, il me paraît étonnant que la plupart des hommes scrutent avec le plus grand soin les vertus des plantes, les révolutions des astres, les transmutations des métaux, et les objets des disciplines de cette sorte, cependant que presque personne ne pense au bon sens, ou Sagesse universelle dont il s’agit ici, alors que toutes les autres choses ne se doivent pas tant estimer pour elles-mêmes, que pour ce qu’elles lui apportent quelque chose. » 15
En quel sens Descartes identifie-t-il le « bon sens » (bona mens) et la Sagesse universelle dont il s’agit ici ? Quel sens accorde-t-il exactement à cette universalité de la science ? Et que veut dire que toutes les choses à connaître ne sont à considérer qu’en tant qu’elles ont part à la Sagesse universelle, et non isolément au sein d’une discipline ?
Pour mener à la possibilité d’une réponse, dans un premier temps nous tâcherons de comprendre comment Descartes en est venu à concevoir la science sous cette forme, quelle a été sa démarche intellectuelle. Ainsi, premièrement, quelle relation la Sagesse entretient-elle avec la méthode exposée dans le livre ?
La méthode : le moyen d’acquérir la Sagesse
Si la Sagesse est la fin visée, la méthode est le moyen d’atteindre cette fin. L’acquisition de la Sagesse est entendue dans la définition de la méthode donnée dans la Règle IV :
« Par méthode, j’entends des règles certaines et aisées, grâce auxquelles tous ceux qui les auront exactement observées n’admettront jamais rien de faux pour vrai, et sans se fatiguer l’esprit en efforts inutiles, mais en augmentant toujours comme par degrés leur science, parviendront à la connaissance vraie de toutes les choses dont leur esprit sera capable [je souligne, C.D.] » 16
Quiconque accomplira ses études au moyen des règles exposées dans le livre augmentera progressivement sa science jusqu’à pouvoir atteindre la Sagesse, la connaissance de tout ce qu’il nous est possible de connaître. La Sagesse est la finalité ultime de la méthode, et la méthode ce qui conditionne cette finalité : elle n’a pas d’autre but que de permettre l’acquisition de toutes les connaissances possibles. Sagesse et méthode s’articulent inséparablement dans le même projet général de recherche de la vérité.
Mais alors, revenons à notre étonnement de départ : comment Descartes est-il parvenu à concevoir la Sagesse humaine et universelle, en laquelle toutes les sciences particulières entretiennent une relation connexe d’interdépendance ? Une question s’impose au sujet de la méthode : puisqu’elle se montre comme la condition sine qua non de l’acquisition de cette science-là précisément, « celle dont il s’agit ici », quel rôle joue-t-elle dans la conception du projet de la Sagesse ?
Posons abstraitement l’alternative : ou bien Descartes aurait d’abord eu en vue d’acquérir la Sagesse, et ensuite seulement élaboré une méthode dans ce but ; ou bien la méthode est dès l’origine inhérente à ce projet d’acquisition, de sorte qu’elle commanderait intimement sa conception.
Le contenu de la Règle VIII s’avère ici très éclairant. Descartes enseigne la démarche à suivre pour rechercher la Sagesse depuis l’origine. Or, à ce commencement, la relation entretenue par la méthode et la Sagesse n’apparaît pas identique à ce qui en est dit dans la définition de la méthode. En effet, la méthode n’apparaît pas comme le moyen d’acquérir toutes les connaissances possibles, mais comme le moyen de définir ce qu’elles sont, ou autrement dit ce qu’est la Sagesse humaine et universelle.
La méthode : le moyen de définir ce qu’est la Sagesse
Qui recherche la vérité doit préalablement s’interroger sur l’étendue de la connaissance humaine. A trois reprises dans la Règle VIII, Descartes écrit que cette recherche doit être faite « semel in vita », une fois dans sa vie avant toute étude particulière dans les sciences :
« Si quelqu’un se propose pour question d’examiner toutes les vérités à la connaissance desquelles suffit la raison humaine (ce que doivent entreprendre, il me semble, une bonne fois dans la vie [je souligne], tous ceux qui étudient sérieusement pour parvenir au bon sens), il trouvera certainement, d’après les règles que nous avons données, qu’on ne peut rien connaître avant l’entendement, puisque la connaissance de toutes les autres choses en dépend, et non le contraire […]. » 17
La remarque glissée par Descartes dans la parenthèse retiendra toute notre attention : la « bona mens » que la Règle I rend synonyme de Sapientia universalis, nous la retrouvons ici posée comme la fin ultime des études. Or, Descartes souligne à cet endroit que la première chose à accomplir (par qui projette d’acquérir la Sagesse universelle) est de déterminer l’étendue possible de la connaissance. Dans la recherche générale de la vérité, que comprendre sinon qu’il faut en premier lieu définir ce qu’est la Sagesse humaine, en sorte d’aboutir aux conclusions délivrées dans la première Règle ?
En effet, la première Règle a de fait déjà répondu à la question de l’étendue de la connaissance : « toutes les sciences [qui entretiennent un rapport transversal et conjoint] ne sont rien d’autre que la Sagesse humaine ». Que fait alors le philosophe dans la Règle VIII ? Il se met dans l’état d’esprit de celui qui ne possède pas encore le savoir des Regulae, de celui qui entreprend juste de rechercher la vérité, sans savoir encore de quelle science nous sommes capables. Si donc « Sagesse » est à ce commencement synonyme de « science », elle n’est encore qu’un concept épistémologique sans contenu. Mais que quelqu’un s’interroge sur son étendue et il en viendra à définir la science comme Descartes le fait dans le livre. Notons que la nécessité préalable de cette recherche première recoupe exactement l’importance de la Règle I : il faut d’abord connaître la nature générale de la science pour pouvoir entreprendre de l’acquérir adéquatement dans le particulier. Considérons la démarche que Descartes préconise :
« Mais pour que nous ne restions pas toujours incertains de ce que peut notre esprit, et que nous ne travaillions point vainement ni témérairement, avant de nous appliquer à connaître les choses dans le particulier, il faut une bonne fois dans la vie [je souligne] avoir cherché avec soin de quelles connaissances la raison humaine est donc capable. Pour parvenir à un meilleur succès, entre des choses également aisées, il faut toujours chercher premièrement les plus utiles. » 18
Descartes vise dès le commencement une appropriation maîtrisée du savoir, méthodique : comment entreprendre de rechercher la vérité si l’on ignore les capacités de notre connaissance, sans savoir que chercher et comment le chercher, et jusqu’où peut s’étendre notre science ? Nombreux sont les passages où il s’étonne de la hardiesse des savants qui tentent de résoudre des questions très difficiles sans s’être assurés de pouvoir seulement y parvenir :
« Rien au contraire ne me semble plus inepte, que de disputer audacieusement des secrets de la nature, de l’influence des mouvements des cieux sur nos régions inférieures, de la prédiction des choses à venir, et choses semblables, comme font beaucoup, sans pourtant s’être jamais demandés si la raison humaine suffisait à trouver ces matières. » 19
Contre les recherches hasardeuses et téméraires, qui risquent de n’être que stériles et improductives, le premier souci de Descartes est de connaître les capacités de notre esprit en tant qu’il est l’auteur et la source de toute science possible (rappelons l’enseignement de la première Règle : les sciences « consistent toutes entières dans la connaissance qu’a l’esprit »). Ce n’est qu’à partir de là que la recherche de la vérité pourra être féconde et efficace. Nous chercherons simplement à acquérir notre science, celle pour laquelle notre esprit est fait et de la manière qui lui correspond. Pour savoir de quelle science la raison humaine est capable, il faut interroger la raison même, et entreprendre ainsi préalablement de connaître notre connaissance. 20
La recherche générale de la vérité menée par le sujet connaissant porte tout d’abord sur sa propre connaissance, sur la manière dont il connaît. Le passage cité précédemment le souligne : la première connaissance acquise dans la recherche de l’étendue de la connaissance humaine est celle de l’entendement, dont dépend la connaissance de toutes choses. Ses deux opérations cognitives sont mises en évidence dans la Règle III 21 , l’intuitus et la deductio, qui sont « les deux seules voies pour parvenir à la science ». Maintenant, est-il suffisant d’avoir découvert en soi-même ces opérations cognitives garantes de vérité pour commencer à acquérir la science, « trancher les débats des philosophes et défaire les nœuds des mathématiciens » ? Non, assure Descartes dans la Règle VIII. Il convient mieux de les utiliser préalablement pour « rechercher avec le plus grand soin tous les autres [préceptes] qui peuvent être plus nécessaires pour faire l’examen de la vérité […] » 22 . L’intuitus et la deductio, entendus comme les « principes de notre méthode qui sont naturellement en nous » 23 dans la Règle IV, servent premièrement à mieux connaître et développer la connaissance de la méthode en son entier.
Descartes use d’une comparaison inspirée des arts mécaniques pour expliciter la plus grande utilité de cette première recherche - soit l’auto-connaissance ou auto-développement de la méthode :
« On peut donc comparer cette méthode à ceux d’entre les arts mécaniques, qui n’ont nul besoin du secours de quelques autres, mais tirent d’eux-mêmes la manière dont il convient de fabriquer leurs propres instruments. Si quelqu’un voulait en effet exercer l’un d’entre eux, par exemple celui du forgeron, mais qu’il soit démuni de tous les instruments, au début il serait certes contraint d’employer une pierre dure, ou quelque masse grossière de fer en guise d’enclume, de se choisir un caillou en lieu de maillet, d’assujettir des bois en tenailles, et d’en rassembler selon la nécessité d’autres de cette sorte : ceux-ci une fois préparés, il n’entreprendra point aussitôt de forger des épées ou des casques, ni rien de ce qu’on fabrique avec du fer, à l’usage d’autrui ; mais avant toutes choses, il se forgera des maillets, une enclume, des tenailles, et tout le reste des outils nécessaires. Cet exemple nous instruit, puisque dans ces premiers commencements nous n’avons pu trouver que quelques préceptes mal fondés, et qui paraissent naturellement mis en nos esprits plutôt qu’obtenus par notre art, de ne pas aussitôt employer leur secours pour tenter de trancher les débats des Philosophes, ou de défaire les nœuds des Mathématiciens : mais d’abord de les utiliser à rechercher avec le plus grand soin tous les autres, qui peuvent être plus nécessaires pour faire l’examen de la vérité […]. » 24
Dans les deux situations mises en parallèle, celle de la science et celle de l’artisanat visant à l’éclairer, l’individu dispose au départ d’instruments naturels, « non obtenus par notre art », d’un usage encore grossier et limité. De même que le forgeron jugera plus utile d’utiliser ces instruments primitifs pour s’en fabriquer de meilleurs qui serviront mieux son activité (tirant de son art de forgeron « la manière dont il convient de fabriquer [ses] propres instruments »), les « premiers principes » de méthode naturels à l’esprit ne doivent pas servir aussitôt l’activité de connaissance qui leur revient, que ce soit philosophie ou mathématique. Préalablement, il est plus utile d’user de nos premières opérations cognitives pour connaître tous les préceptes nécessaires à la recherche de la vérité, acquérant pour commencer, ou pré-commencer, la science de la méthode.
« Ainsi donc rien ne peut être ici plus utile que de chercher ce qu’est la connaissance humaine et jusqu’où elle s’étend […] et c’est ce que doivent faire une bonne fois dans la vie [je souligne] chacun de ceux qui aiment tant soit peu la vérité, parce que cette recherche renferme les vrais instruments du savoir et la méthode toute entière. » 25
Dans ce troisième passage, pourquoi la recherche de l’étendue de la connaissance humaine apparaît-elle tout d’abord la « plus utile » à accomplir, semel in vita ? Parce qu’elle renferme la connaissance des vrais moyens dont nous disposons pour acquérir la science, à savoir nos facultés cognitives et la méthode complète. Notons que le contenu de la méthode s’identifie premièrement au développement d’une des facultés, à savoir l’activité de l’entendement. Il est à partir de là effectivement possible de déterminer quelle science nous sommes capables d’acquérir : la méthode a pour tâche de développer l’usage des opérations de l’entendement pour permettre l’acquisition de toutes les connaissances possibles (la Règle XII apportera un complément, en examinant les autres facultés dans leur apport à l’entendement - l’imagination, le sens commun et la mémoire). Le déploiement de la méthode est ce qui permet de déterminer, en virtualité certes, jusqu’où s’étend la connaissance : tout ce que l’esprit peut connaître au moyen de la méthode délimite cette étendue.
Après qu’ont été données les règles de méthode les plus fondamentales, la Règle VIII impose en conséquence de reconnaître les limites de la connaissance dans la recherche de la vérité :
« Mais à ceux qui auront parfaitement pris connaissance des sept règles précédentes, elle montre en quelle raison ils se pourront en n’importe laquelle des sciences si bien satisfaire eux-mêmes, qu’ils ne désireront plus rien : car quiconque aura exactement observé les règles précédentes, touchant la résolution de quelque difficulté, et à qui pourtant celle-ci ordonnera de s’arrêter en quelque endroit, connaîtra alors avec certitude qu’il ne peut trouver absolument par aucun biais industrieux la connaissance qu’il demandait, et cela non point par la faute de son esprit, mais parce que s’y oppose la nature même de la difficulté, ou la condition humaine. » 26
La connaissance de l’étendue de la science se confond avec celle des limites de notre connaissance : la Sagesse universelle, c’est tout ce qu’il est possible de connaître au moyen de la méthode et dans les limites de celle-ci (il peut y avoir des vérités outrepassant la portée de l’esprit humain, c’est qu’elles ne sont pas du ressort de la Sagesse humaine). La méthode conditionne par conséquent la science humaine dans son étendue en même temps que dans sa forme.
Les trois moments de la recherche de la Sagesse
Pour rappeler les différentes étapes du projet de recherche de la Sagesse jusqu’ici entrevues, je propose une vue d’ensemble où « trois moments » sont distingués. Soulignons qu’il ne s’agit que d’un schéma : la distinction de ces trois moments ne donne pas une description exacte et chronologique du cheminement suivi par Descartes en réalité. Son but est de décomposer le projet général de la Sagesse, pour mieux discerner les éléments qui le composent.
I. Moment de la conception : quelle est la science dont l’homme est capable ?
- 1. Rechercher de quelle science l’humain est capable
- 2. Chercher quelle est l’étendue de la connaissance humaine
- 3. Chercher ce qu’est la connaissance humaine (pour déterminer jusqu’où elle peut s’étendre)
II. Moment inverse de la réalisation : qu’est ce que la connaissance humaine et jusqu’où s’étend-elle ?
- 1. Déterminer ce qu’est la connaissance humaine (« premiers principes » de méthode - R. II-III)
- 2. Déterminer jusqu’où elle peut s’étendre (élaboration de la méthode - R. V à VII)
- 3. Détermination de l’étendue de la Sagesse (science dont l’humain est capable - R. VIII + I)
III. Moment final, visé ultimement : l’acquisition de la Sagesse en ayant la connaissance de la méthode
La recherche méthodique de la vérité dans le particulier permettra d’acquérir la Sagesse humaine et universelle, la connaissance de tout ce dont l’esprit est capable.
On en conviendra tout d’abord, ces « trois moments » obéissent à une logique successive :
- - Dans la Règle VIII, Descartes évoque le premier moment de la conception du projet : comment procéder pour progresser dans la recherche de la vérité, alors qu’on ne sait pas de quelle science l’homme est capable ?
- - Le second moment est l’envers du précédent, sa réalisation. Cette recherche est accomplie par Descartes entre la Règle I et la Règle VIII, tandis qu’il élabore les principes fondamentaux de la méthode. Elle mène à reconnaître l’étendue et les limites de la science.
- - Le troisième moment est celui de la recherche de la Sagesse prise au sens de son acquisition, une fois la méthode connue et appliquée. Pour Descartes, c’est celle qui doit venir après les Regulae, après qu’il aura rassemblé par écrit ses connaissances sur la méthode (au moins en théorie). Mais, chose à souligner, c’est en même temps déjà celle du lecteur à qui la méthode est exposée.
La recherche de la Sagesse prescrite dans la Règle I (rechercher « la » science unifiée) et celle évoquée dans la Règle VIII (rechercher préalablement quelle est l’étendue de la connaissance humaine) ne sont donc pas identiques. Elles font partie du même projet, mais à deux moments distincts qui se répondent. Dans la Règle VIII, qui retrace le projet depuis son origine, il s’agit au préalable de déterminer l’étendue possible de notre science (premier et second moments). La première Règle donne d’emblée le résultat : « toutes les sciences ne sont rien d’autre que la sagesse humaine, qui demeure toujours une et semblable à soi, si différents que puissent être les sujets auxquels elle s’applique ». S’appuyant sur ce résultat, la Règle I considère la recherche de la Sagesse du point de vue de son acquisition (troisième moment) : une fois son unité reconnue quelle que soit la diversité des objets, il n’y a plus qu’à entreprendre son acquisition de façon adéquate, suivre « le droit chemin » en ne posant pas de frontières entre les disciplines.
« La recherche de la Sagesse » recouvre donc cette double signification au sein des Regulae : dans un cas, il est question de son acquisition (Règle I à VIII) ; dans un autre cas, de sa détermination préalable (Règles II à VIII + Règle I).
Dès lors, une difficulté apparaît. En effet, si logiquement le moment de détermination de la Sagesse précède celui de son acquisition, comment comprendre alors que ces deux moments se déroulent simultanément dans les Regulae ? L’explicitation de ce dernier point fera voir en quoi le contenu de la première Règle, nous le disions au début, est d’un abord si difficile en ouverture du livre.
L’instauration corrélative de la méthode et de la Sagesse
Le discours philosophique, ou plus généralement rationnel, doit pouvoir rendre compte de ce qu’il dit à partir de ses propres ressources et principes. Les grandes philosophies parlent du monde en se référant à leurs propres critères de vérité sur le monde, le discours se norme lui-même, ce qui rejoint l’exigence de cohérence interne attendue des grands « systèmes », aussi nommés tels à ce titre. Le discours épistémologique des Regulae est construit sur ce mode auto-référentiel ou auto-normatif.
Dans la partie du livre étudiée dans ce premier chapitre, de la Règle I à la Règle VIII, le pôle référentiel du discours est « la Sagesse ». La première Règle la pose comme la fin générale de nos études, tandis que la Règle IV l’assigne comme finalité ultime de l’exercice de la méthode. Cependant, sa détermination effective résulte du développement de la méthode accompli de la Règle II jusqu’à la Règle VIII (cf. « second moment »). Ce qui rend difficile la lecture de la première Règle est ainsi que la Sagesse humaine et universelle n’a pas concrètement de référent assignable avant que la méthode n’instaure progressivement celui-ci au cours des règles suivantes.
Qu’est-ce que la Sagesse humaine et universelle ? L’ensemble des connaissances pouvant être produites au moyen et dans les limites de la méthode. En étant le moyen d’acquérir la Sagesse, la méthode détermine par là même ce qu’est cette science. Cette articulation de la méthode et de la Sagesse s’opère suivant une dynamique corrélative : dans le cours de son développement, de la Règle II jusqu’à la Règle VIII, la méthode détermine et conditionne la totalité du savoir accessible à la connaissance humaine ; corrélativement, la Sagesse s’identifie à cette totalité. Le pôle référentiel du discours recoupe ainsi la ligne discursive de l’exposition de la méthode, son instauration prend place sur cette ligne : le texte construit le concept de Sagesse au moment même où il développe la méthode. Aussi bien, lorsqu’il assigne dans la Règle I la Sagesse humaine et universelle comme étant la « fin générale » de nos études, le discours philosophique se réfère à ce qu’il est en passe d’instaurer lui-même jusqu’à la Règle VIII.
La méthode est donc déjà inhérente au projet d’acquisition de la Sagesse que Descartes préconise dans la première Règle, elle commande sa conception. Alors, que conclure sur les Regulae ? Elles font intégralement partie du projet de recherche de la Sagesse. Elles le mettent en place, semel in vita, en accomplissant la recherche première et préalable. Ce n’est rien moins que l’objet du livre. La genèse du projet, déjà entérinée par la première Règle, est accomplie dans le cours même de l’écriture : de la Règle II jusqu’à la Règle VIII, Descartes développe les éléments de la méthode par lesquels la science - celle dont il s’agit ici (Règle I) - se constitue.
La recherche méthodique de la Sagesse est de la sorte mise en miroir dans le livre, mise en abyme 27 : dans la Règle VIII, Descartes décrit exactement la démarche méthodique qu’il est lui-même en train de mettre en oeuvre dans l’écriture des Regulae.
La démarche intellectuelle ayant mené Descartes à concevoir la science comme Sagesse humaine et universelle est maintenant comprise. La trame générale d’une construction épistémologique vient d’être relevée dans les Regulae. Mais dans le détail, tout n’est pas éclairci encore. Comme nous le demandions au début, d’où vient que toutes les sciences sont étroitement liées entre elles, conjointes, dépendantes les unes des autres ? En quel sens la Sagesse humaine est-elle dite « universelle » ?
L’articulation corrélative est celle de la connaissance prise dans son application (la méthode) et de la science générale qui en résulte virtuellement (la Sagesse humaine et universelle). Si donc la Sagesse est la science que produit la méthode, c’est de cette dernière que doivent provenir ces déterminations. Dans le second chapitre, nous examinerons par conséquent le détail du développement de la méthode, comprise sous le nom de Mathesis universalis dans la Règle IV.
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Ce texte est la version remaniée d’un travail de maîtrise en philosophie soutenu en novembre 2001 à l’Université de Caen, sous la direction de Vincent Carraud. Une première version électronique est parue à Sens Public en avril 2006. La présente republication comporte quelques variantes et reprécisions. ↩
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Sur les conditions particulières de la publication des Regulae, voir l’introduction du livre de Jean-Luc Marion, Sur l’ontologie grise de Descartes, Paris, Vrin, [1975], 2000. ↩
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Notes sur la traduction des Regulae : la traduction utilisée ici est celle de Jean-Luc Marion, René Descartes, Règles utiles et claires pour la direction de l’esprit en la recherche de la vérité, La Haye, Nijhoff, 1977. A de rares endroits ont été apportées de légères altérations. Nous reproduisons en notes de bas de page le texte original en latin de l’édition Adam et Tannery, Volume X (Œuvres de Descartes par Ch. Adam et P. Tannery, 11 vol., nouvelle présentation par B. Rochot et P. Costabel, Paris, Vrin-CNRS, 1964-1974 ; édition reprise en 11 vol. en format de poche, Paris, Vrin, 1996). La numérotation de référence par A. & T. est également indiquée dans la traduction française de Ferdinand Alquié in Œuvres philosophiques de Descartes, 3 vol., Paris, Garnier, 1963-1973 ; ou encore dans la traduction de Jean Sirven, Règles pour la direction de l’esprit, Paris, Vrin, 1996. ↩
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Regulae, AT X, 360, 22-26 : « Ac proinde non immerito hanc regulam primam omnium proponimus, quia nihil prius a recta quaerendae veritatis via nos abducit, quam si non ad hunc finem generalem, sed ad aliquos particulares studia dirigamus. » ↩
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Ibid., AT X, 360, 1-3 : « […] eadem manus agris colendis & citharae pulsandae, vel pluribus ejusmodi diversis officijs, non tam commode quam vnico ex illis possunt aptari […]. » ↩
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Ibid., AT X, 359, 13 : « aliquem corporis vsum habitumque » ↩
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Ibid., AT X, 360, 14-15 : « non omnes artes simul ab eodem homine esse addiscendas » ↩
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Ibid., AT X, 360, 3-6 : « […] idem de scientijs etiam crediderunt, illasque pro diversitate objectorum ab invicem distiguentes, singulas seorsim & omnibus alijs omissis quaerendas esse sunt arbitrati. » ↩
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Ibid., AT X, 360, 11-12 : « scientias, quae totae in animi cognitione consistunt » ↩
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Ibid., AT X, 361, 14-18 : « Si quis igitur serio rerum veritatem investigare vult, non singularem aliquam debet optare scientiam : sunt enim omnes inter se conjunctae & a se invicem dependentes […]. » ↩
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Ibid., AT X, 360, 7-15 : « Nam cum scientiae omnes nihil aliud sint quam humana sapientia, quae semper vna & eadem manet, quantumvis differentibus subjectis applicata, nec majorem ab illis distinctionem mutuatur, quam Solis lumen a rerum, quas illustrat, varietate, non opus est ingenia limitibus vllis cohibere ; neque enim nos vnius veritatis cognitio, veluti vnius artis vsus, ab alterius inventione dimovet, sed potius juvat. » ↩
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Ibid., AT X, 361, 9-10 : « […] vt multa, quae ad aliarum rerum cognitionem necessaria sunt […] » ↩
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Ibid., AT X, 361, 12-14 : « Credendumque est, ita omnes inter se esse connexas, vt longe facilius sit cunctas simul addiscere, quam vnicam ab alijs separare. » ↩
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Notons que l’idée d’une connexion des sciences semble avoir été pensée par Descartes depuis une période antérieure à celle des Regulae. On en trouve quelques traces dans les premiers écrits : « A celui qui voit complètement la chaîne des sciences, il ne semblera pas plus difficile de les retenir dans son esprit que de retenir la série des nombres. » (Cogitationes Privata, AT X, 215, 2-4. Trad. F.Alquié) ; « Il jugea que le Dictionnaire ne voulait dire autre chose que toutes les Sciences ramassées ensemble ; et que le Recueil de Poésies, intitulé Corpus Poetarum, marquait en particulier et d’une manière plus distincte, la Philosophie et la Sagesse jointes ensemble »(Baillet, Olympica, AT X, 184, 15-19) ; et encore dans ce fragment de Poisson : « c’est que toutes les sciences sont enchaînées ensemble, et on ne peut en posséder parfaitement une, sans que s’ensuivent de soi toutes les autres, et que soit appréhendée ensemble toute l’encyclopédie »(Fragment de Poisson , AT X, 255. Trad. J.L. Marion). ↩
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Regulae, AT X, 360, 15-22 : « Et profecto mirum mihi videtur, plerosque hominum mores, plantarum vires, siderum motus, metallorum transmutationes, similiumque disciplinarum objecta diligentissime perscrutari, atque interim fere nullos de bona mente, sive de hac vniversali Sapientia, cogitare, cum tamen alia omnia non tam propter se, quam quia ad hanc aliquid conferunt, sint aestimanda. » ↩
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Ibid., AT X, 371, 25 - 372, 4 : « Per methodum autem intelligo regulas certas & faciles, quas quicumque exacte servaverit, nihil vnquam falsum pro vero supponet, & nullo mentis conatu inutiliter consumpto, sed gradatim semper augendo scientiam, perveniet ad veram cognitionem eorum omnium quorum erit capax. » ↩
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Ibid., AT X, 395, 17-24 : « Si quis pro quaestione sibi proponat, examinare veritates omnes, ad quarum cognitionem humana ratio sufficiat (quod mihi videtur semel in vita faciendum esse ab ijs omnibus, qui serio student ad bonam mentem pervenire), ille profecto per regulas datas inveniet nihil prius cognosci posse quam intellectum, cum ab hoc caeterorum omnium cognitio dependeat, & non contra […]. » ↩
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Ibid., AT X, 396, 26 - 397, 3 : « Atqui ne semper incerti simus, quid possit animus, neque perperam & temere laboret, antequam ad res in particulari cognoscendas nos accingamus : oportet semel in vita diligenter quaesivisse, quarumnam cognitionum humana ratio sit capax. Quod vt melius fiat, ex aeque facilibus, quae vtiliora sunt, semper priora quaeri debent. » ↩
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Ibid., AT X, 398, 5-10 : « Nihil autem mihi videtur ineptius, quam de naturae arcanis, coelorum in haec inferiora virtute, rerum futurarum praedictione, & similibus, vt multi faciunt, audacter disputare, & ne quidem tamen vnquam, vtrum ad illa invenienda humana ratio sufficiat, quaesivisse. » ↩
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Edgar Morin développe précisément ce thème dans le Tome 3 de La méthode, Paris, Seuil, 1986, qui porte ce sous-titre : La connaissance de la connaissance. ↩
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Regulae. AT X, 368, 7 - 370, 19 : « […] nous allons faire ici la revue de toutes les actions de notre entendement, par lesquelles nous puissions parvenir à la connaissance des choses sans la moindre crainte d’être déçus : il n’en faut recevoir que deux, à savoir l’intuitus et l’inductio. […] Et ces deux voies sont les plus certaines pour parvenir à la science, et pour ce qui est de l’esprit, on n’en doit point recevoir plus, mais toutes les autres comme réputées suspectes et chargées d’erreur, sont à rejeter. » Nous reviendrons sur la distinction entre deductio et inductio lors de l’étude des Règles III et VII - les deux termes peuvent être tenus ici comme équivalents. ↩
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Ibid., AT X, 397, 21-23 : « […] sed ijdsem prius vtendum ad alia [precepta] , quaecumque ad veritatis examen magis necessaria sunt, summo studio perquirenda […]. » ↩
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Ibid., AT X, 373, 18-20 : (à propos de l’arithmétique et de la géométrie) « […] haec duo nihil aliud sunt, quam spontanae fruges ex ingnitis hujus methodi principjs natae […]. » « […] ces deux sciences ne sont rien d’autre que des fruits mûris d’eux-mêmes à partir des principes de méthode qui sont naturellement en nous […]. » ↩
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Ibid., AT X, 397 4-24 : « Haec methodus siquidem illas ex mechanicis artibus imitatur, quae non aliarum ope indigent, sed tradunt ipsaemet quomodo sua instrumenta facienda sint. Si quis enim vnam ex illis, ex. gr., fabrilem vellet exercere, omnibusque instrumentis esset destitutus, initio quidem vti cogeretur duro lapide, vel rudi aliqua ferri massa pro incude, faxum mallei loco sumere, ligna in forcipes aptare, aliaque ejusmodi pro necessitate colligere : quibus deinde paratis, non statim enses aut cassides, neque quidquam eorum quae fiunt ex ferro, in vsus aliorum cudere conaretur ; sed ante omnia malleos, incudem, forcipes, & reliqua sibi ipsi vtilia fabricaret. Quo exemplo docemur, cum in his initijs nonnisi incondita quaedam praecepta, & quae videntur potius mentibus nostris ingenita, quam arte parata, poterimus invenire, non statim Philosophorum lites dirimere, vel solvere Mathematicorum nodos, illorum ope esse tentandum : sed ijdsem prius vtendum ad alia, quaecumque ad veritatis examen magis necessaria sunt, summo studio perquirenda […]. » ↩
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Ibid., AT X, 397, 27-398, 5 : « At vero nihil hic vtilius quaeri potest, quam quid sit humana cognitio & quousque extendatur […] ; idque semel in vita ab vnoquoque ex ijs, qui tantillum amant veritatem, esse faciendum, quoniam in illius investigatione vera instrumenta sciendi & tota methodus continentur. » ↩
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Ibid., AT X, 393, 10-18 : « Sed illis, qui praecedentes septem regulas perfecte noverint, ostendit qua ratione possint in qualibet scientia sibi ipsis ita satisfacere, vt nihil vltra cupiant ; nam quicumque priores exacte servaverit circa alicujus difficultatis solutionem, & tamen alicubi sistere ab hac jubebitur, tunc certo cognoscet se scientiam quaesitam nulla prorsus industria posse invenire, idque non ingenij culpa, sed quia obstat ipsius difficultatis natura, vel humana conditio. » ↩
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L’expression fut d’abord employée en littérature. Elle apparaît pour la première fois sous la plume d’André Gide, qui écrit dans son Journal (1893) : « J’aime assez qu’en une œuvre d’art on retrouve ainsi transposé, à l’échelle des personnages, le sujet même de cette œuvre par comparaison avec ce procédé du blason qui consiste, dans le premier, à mettre le second en abyme ». La mise en abyme est un effet de miroir à l’intérieur d’une oeuvre qui consiste à réfléchir ce que Gide nomme « le sujet même de cette œuvre ». Ainsi dans les Faux monnayeurs, le roman est mis en réfractions successives, à la façon d’un roman dans le roman. Pierre La fille propose des expressions équivalentes dans André Gide romancier (1954) : métaphore spéculaire, miroir intérieur du récit, composition en abyme, construction en abyme. Gérard Genette proposa également structure en abyme. - Nous ne dirons cependant pas que Descartes emploie ici un procédé de style littéraire ou artistique. L’effet de mise en abyme qu’il instaure dans la recherche méthodique de la Sagesse a des causes à la fois épistémologiques et pédagogiques. ↩