La connaissance approfondie de l’opinion ou des opinions des sondés, permet au directeur de recherches à la Fondation Nationale des Sciences Politiques et au directeur de l’institut CSA, de souligner les nuances se dégageant des enquêtes.
Ainsi par exemple, la réforme des services publics n’est pas rejetée, pas plus que l’idée plus globale de changement ; dans les entretiens qualitatifs, précise le sondeur, les exigences relatives à la « mondialisation », à l’« Europe », aux « marchés financiers », sont citées comme raisons incontournables d’adaptations. Mais la majorité des enquêtés ne veut renoncer à l’identité nationale et conserver des services publics forts, dont ils pensent qu’il s’agit d’un atout, d’une ressource, pour la France. « Dans toutes les catégories socioprofessionnelles et politiques, l’attachement au service public est majoritaire » 1 . Les enseignants, les policiers, les juges,..., sont appréciés. Les services et les images des institutions, liés à EDF-GDF, SNCF, RATP, La Poste, France Télécom, Météo-France, les Hôpitaux publics,..., sont bien perçus. Il en est de même des services publics locaux. Le service public parvient d’après évaluation rétrospective et dans la durée, à garantir sa mission : adaptation aux réalités notamment technologiques et œuvre d’intérêt général.
La question des privatisations laisse alors partagée ; pensée comme positive par la majorité des enquêtés pour les marchés financiers, négative pour les agents des entreprises, la nuance surgit à propos de l’intérêt que peuvent en dégager les usagers-clients. Au regard du rapport qualité/prix, la majorité semble donner l’avantage au privé. Mais la culture du service public caractérise la citoyenneté à la française et ne se préoccuper que d’efficience, serait au mieux une étourderie, au pire une faute politique ; les sondés exigent d’être impliqués dans le management participatif, et de contribuer à la définition des objectifs de ce service public réformé. Est ainsi trouvé le moyen de renforcer dans le cadre démocratique contemporain, un pilier de la définition éthique et juridique du service public, le but d’égalité.
Ce chapitre est central dans l’ouvrage, car notamment à partir de cette exigence, sont relevées les lacunes et les carences, de l’offre politique. Par rapport à cette aspiration démocratique, l’auteur remarque à quel point, les politiciens sont perçus comme appartenant à un monde à part, éloignés des préoccupations, éloignés aussi des administrés. Roland Cayrol remarque que l’inachèvement de la progression du non-cumul des mandats lancée par Lionel Jospin, est une erreur manifeste. Il souligne à quel point les élus donnent une image négative de leur travail, non seulement à l’assemblée, mais aussi dans leurs relations de proximité. Il note l’artificialité de cette dernière, faite de participations honorifiques et rapides à des réunions, enchaînées les unes après les autres. Cette remarque vaut surtout pour les élus nationaux et responsables exécutifs de premier plan.
Il souligne aussi le manque de temps passé à comprendre à étudier les dossiers de fond au bénéfice de la communication instantanée et artificielle. Et si la « proximité » était un leurre, qui saturait les agendas politiques au risque de briser toute cohérence de pensée dans l’action ? Que dire encore de cette remarque à propos de la « téléphonite », maladie grave du manager politique : au fil d’une réunion, la personnalité citée passe 3/4 d’heure rivé à son mobile. Qui d’autre se permet un tel comportement ? Roland Cayrol mentionne encore comme déviance, l’utilisation impulsive des instruments de l’opinion, et avec de moins en moins de pudeur, des outils de la démocratie médiatique...
Par rapport au sérieux des enjeux de la période, les comportements et même les attitudes des décideurs, semblent souvent déplacés. La perception par la majorité des enquêtés des responsables politiques est désormais durablement négative. Le manque de courage est relevé. L’action politique miroir renonce à toute clarification assumée des orientations, et à trop de prises de risque.
Dans ce contexte, l’auteur trouve cependant sain que les partis politiques soient dépassés par l’opinion dans la construction d’un leadership (Ségolène). Il relève comme une chance la déstructuration idéologique. Il souligne l’engouement associatif comme signe de la vitalité de la pratique démocratique... Dans quelle mesure est-il ainsi tenable de voir les partis être dépossédés de leur fonction ? Et comment faire pour pratiquer une bonne communication politique, réconcilier le temps court de l’action avec le temps moyen et long de la définition d’une stratégie, élément identitaire du politique par rapport à l’administratif ? Il s’agit bien alors de mieux associer démocratie représentative et démocratie du public. Peu de pistes sont proposées à cet égard.
L’ouvrage invite cependant à penser que « Dieu gît dans les détails » et que les pratiques, l’éthique de la responsabilité, sont au cœur du problème, bien davantage que des changements mirifiques et globaux. L’heure n’est pas à la mystification, comme le rappelle le premier chapitre : le malentendu principal vient de l’incapacité et du renoncement politiques à résoudre l’enjeu du chômage et à inventer un modèle de « flexibilité-sécurité », ainsi qu’à développer un discours clair à cet égard.
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Cayrol Roland, La nuit des politiques, Paris, Hachette, 2006. ↩