D’après ce que nous enseignent les livres de sciences naturelles, des millénaires ont été nécessaires à la Terre pour donner naissance à Oscar Wilde. La gestation a été longue. Les époques et civilisations qui ont précédé sa naissance n’ont pourtant pas été inutiles. Elles ont fourni un parfait compost. Bien sûr, il y eut un choix à faire. Pour qu’Oscar Wilde naisse les dinosaures ont dû disparaître. Ils n’auraient pu co-exister, Wilde n’aurait pas toléré leurs manières grossières et leur habitude de piétiner les fleurs des champs. Il fut aimé et haï pour une même raison : on comprenait ses livres parfaitement mal. La haine est là, il faut vite la dévoiler sous les baisers et les applaudissements. Sans doute il aurait été plus heureux et aurait vécu plus longtemps si on l’avait haï plus tôt. La haine vaccine quand elle est injectée dans l’enfance, laissant aux anticorps de l’indifférence le loisir de se développer. Trop habitué à séduire ses auditeurs pour trouver grâce auprès d’un auditoire, il fut surpris de voir la société se retourner contre lui. Car il maniait la langue comme le plus efficace des fouets, un fouet capable aussi bien de gifler que de caresser, il pensait avoir dompter l’Angleterre. Mais le vieux lion cessa de s’amuser et le dévora dans un tribunal. On porta les restes de l’ancien prince dans une cellule de la prison de Reading où, pendant deux ans, ses derniers muscles furent rongés par la fatigue et les rats. Né en Irlande, il acheva de mourir en France. L’Angleterre n’eut que sa vie. Oscar Wilde est aimé aujourd’hui et il ne peut rien contre cet amour. On aime les artistes morts, car ils sont sans défense. La société les tue pour qu’ils deviennent le symbole de ce dont elle les accuse. Homosexualité et débauche étaient des accusations imparables sous le règne de Victoria. Les crimes de Wilde sont ailleurs. Son génie passe pour une génération spontanée d’idées brillantes. L’horrible vérité est qu’Oscar Wilde travaillait énormément. Il travaillait avec acharnement et jouait la facilité par provocation. Il faisait trop de bruit pour qu’on remarque combien il était humble. Il parlait trop de lui pour qu’on comprenne combien il était préoccupé des autres. Il prenait trop soin de son apparence pour qu’on voie à quel point il ne s’en souciait guère. Le grand scandale d’Oscar Wilde est le plaisir qu’il donne, plus que celui dont il parle. Il y a une étonnante morale en littérature qui permet de parler de la sensualité sans sensualité. Au contraire, et bien plus scandaleux, réellement scandaleux, Oscar Wilde est aphrodisiaque quand il parle de politique. Il est aphrodisiaque quand il écrit sur les fleurs, les costumes de scène, l’amour ou la morale. On ne pardonne pas à un écrivain d’avoir un style si excitant. Le faible lecteur se sent coupable, habitué qu’il est à souffrir pour apprendre, il en déduit que s’il jouit cela ne doit pas être bien sérieux. Wilde a réussi la fusion de l’intellect et du dionysiaque. On trouve Wilde drôle, brillant et inventif, on le couvre de qualités secondaires, pour ne pas voir qu’il est avant tout un artiste tragique et un penseur. Il y a des artistes qui éloignent le public par leur inaccessibilité. L’inaccessibilité de Wilde est son accessibilité. Il est si plaisant et évident de génie que l’on oublie de le voir vraiment. Peu ont comprit son désespoir et sa mélancolie. S’il n’était défendu de rire dans les amphithéâtres de philosophie, il serait considéré comme un des plus grands philosophes. Il faut lire ses contes, voir ses pièces et lire ses essais pour se rendre compte qu’il fait partie de ce petit nombre d’artistes capables à la fois de nous émouvoir, de nous faire rire, de nous donner du plaisir et de changer notre regard sur le monde. Je repense à cette phrase du prince Paul dans Véra et les Nihilistes qui pourrait servir d’exergue à l’essai que vous vous apprêtez à lire : « Dans une bonne démocratie, chacun devrait être un aristocrate ». Il est mort aussi. Ce n’est pas le moindre de ses talents. Peu de gens meurent. Le propre des grands artistes n’est pas d’être immortel, mais de mourir. Dire que seuls les grands artistes sont immortels est une bêtise. La vérité est que seuls les grands artistes meurent. Le reste de l’humanité arrête seulement de respirer. Pour vous en convaincre, vous pouvez aller voir la tombe d’Oscar Wilde au Père Lachaise. Toucher la pierre et regarder le Sphinx. Vous comprendrez alors, peut être, que cette tombe est le seul endroit de la planète où Oscar Wilde ne se trouve pas.
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Oscar Wilde
Table des matières
Abstract
D’après ce que nous enseignent les livres de sciences naturelles, des millénaires ont été nécessaires à la Terre pour donner naissance à Oscar Wilde. La gestation a été longue. Les époques et civilisations qui ont précédé sa naissance n’ont pourtant pas été inutiles. Elles ont fourni un parfait compost. Bien sûr, il y eut un choix à faire. Pour qu’Oscar Wilde naisse les dinosaures ont dû disparaître. Ils n’auraient pu co-exister, Wilde n’aurait pas toléré leurs manières grossières et leur habitude de piétiner les fleurs des champs.
Oscar Wilde
- Résumé
- Mots-clés (3)
Page Martin
Département des littératures de langue française
2104-3272
D’après ce que nous enseignent les livres de sciences naturelles, des millénaires ont été nécessaires à la Terre pour donner naissance à Oscar Wilde. La gestation a été longue. Les époques et civilisations qui ont précédé sa naissance n’ont pourtant pas été inutiles. Elles ont fourni un parfait compost. Bien sûr, il y eut un choix à faire. Pour qu’Oscar Wilde naisse les dinosaures ont dû disparaître. Ils n’auraient pu co-exister, Wilde n’aurait pas toléré leurs manières grossières et leur habitude de piétiner les fleurs des champs.
According to what books on natural sciences teach us, millennia were necessary for the Earth to give birth to Oscar Wilde. The gestation period was lengthy. The epochs and civilizations preceding his birth were nevertheless not unuseful. They generated the perfect mixture. Certainly, there was a choice to be made. For Oscar Wilde to be born, dinosaurs had to disappear. They could not have coexisted, Wilde would not have tolerated their crude manners nor their habit of trampling prairie flowers.