Devenu une réalité en Europe, Internet marque fortement l’environnement cinématographique. Si cette mutation est souhaitée transparente pour le spectateur, elle implique de profonds changements dans la chaîne de production, de distribution et d’exploitation des films.
L’Europe a un potentiel de « consommation audiovisuelle » énorme, avec 450 millions de spectateurs éventuels. Mais en moyenne chaque pays passe 70 % de films américains, 20 % de films nationaux et 10 % à peine de films d’un autre pays européen 1 . Le spectateur n’est peut-être pas très curieux de ce que fait son voisin, mais encore faudrait-il lui montrer les films.
Or, le réseau de distribution dans l’UE n’existe pas vraiment. « Les systèmes de distribution ne sont pas paneuropéens mais nationaux, voire régionaux 2 », regrette Viviane Reding, commissaire européen en charge de l’audiovisuel. « Et quand, miraculeusement, ça circule, ça met du temps : un an et demi, deux ans 3 ». La Commission européenne cherche donc depuis plusieurs années à identifier et lever les obstacles à cette mauvaise circulation. Les obstacles sont économiques, juridiques et « psychologiques » ou culturels chez le public.
Alors que l’idée de regarder un film sur un ordinateur est séduisante, les stratégies de distribution par Internet ne sont pas très convaincantes. Cela peut être attribué à plusieurs facteurs : le manque de confort pour regarder un film pendant une heure, assis au bureau devant l’écran d’ordinateur ; la technologie, pas encore adaptée (la résolution n’est pas parfaite, l’ADSL et le câble demeurent instables).
L’explosion du partage de films sur les réseaux peer-to-peer (P2P) montre cependant qu’il existe véritablement une demande pour le visionnage de films par Internet. Les différentes offres de distribution de vidéo via Internet s’efforcent de répondre aux diverses attentes d’un public toujours plus varié. Mais il ne faut pas confondre ce qui devient possible grâce à la technologie et ce qui est utile, qui répond à un besoin, et peut donc être la base d’une activité rentable.
Jusqu’aux années 1980, les interventions de la Communauté dans ce domaine sont restées marginales. Le secteur du cinéma européen, aujourd’hui confronté à des problèmes de distribution face à l’industrie américaine et marqué par une évolution extrêmement rapide et complexe, doit adapter sa réglementation et sa politique de soutien, afin d’encadrer et d’encourager au mieux la distribution de films par Internet. Quels sont ces nouveaux réseaux de distribution de films ? Dans quelle mesure la politique audiovisuelle prend-elle en compte ce nouveau secteur ? Comment l’Union européenne légifère et subventionne la distribution de films par Internet ?
Différents modes de distribution de films par Internet se développent
Lancé en 1999, le cinéma numérique achève le mariage entre l’audiovisuel et les nouvelles technologies, à tous les niveaux de la production d’un film. La distribution et l’archivage des œuvres sont considérablement simplifiés. Une seule copie du film converti en numérique est réalisée puis transmise aux salles sur support informatique (une sorte de super-DVD avec différents choix de langues et sous-titres possibles) ou par réseau à haut débit Internet. Cela permet d’éliminer la lourde et onéreuse multiplication des copies, leur transport, leur stockage. En outre, la qualité est indépendante du nombre de projections, ce qui permet d’éviter les problèmes d’usure et d’obtenir une image relativement meilleure. Il est alors possible de montrer des œuvres à tous, y compris en des lieux reculés. Il suffit juste aux salles de télécharger le film avant sa projection.
Cette solution est cependant très peu généralisée pour le moment. Seules 150 salles dans le monde sont équipées en D-Cinema (dont 2 en France : à Paris, au Gaumont Aquaboulevard, et à Grenoble, au multiplexe Nef Chavant). Première difficulté, l’adaptation d’un standard universel pour exploiter le procédé. Ensuite, le coût élevé du passage des salles actuelles au D-Cinema (l’investissement demeure 5 fois plus élevé qu’une installation traditionnelle) ainsi que le piratage des données qui transitent sur les réseaux destinés aux salles de projection, représentent un frein supplémentaire.
Le D-Cinema bouleverse néanmoins le secteur du cinéma. La possibilité de retransmettre des événements sportifs, culturels ou locaux, filmés en caméras numériques, peut élargir le marché. Il s’agit d’une évolution du cinéma vers le « tout numérique ». À terme, le cinéma argentique pourrait être appelé à disparaître, même si est notable une perte de qualité .La demande est réelle, mais il reste à régler les économies d’échelle et le cadre juridique.
Les sites Internet constituent pour leur part une nouvelle stratégie de distribution de films. Internet représente pour les distributeurs un outil incontournable de marketing. Si l’impact sur la fréquentation cinématographique n’est pour l’instant pas spectaculaire, des milliers de sites consacrés au cinéma se multiplient pour toucher l’internaute-consommateur. En complément des informations classiques (textes, photos) consacrées au film et à sa production, extraits en avant-première, making-off, interviews exclusives, bandes-annonces viennent alimenter les sites officiels de films.
On observe également l’émergence d’une nouvelle industrie de programmes spécialement conçus pour Internet, baptisée la « cyber-création ». Les sites proposent aussi de la vente en ligne de DVD. Certains producteurs amortissent d’ailleurs leur sortie en salle par la vente de DVD.
Les sites multimédias apportent une plus-value à la distribution traditionnelle dans le sens où ils prennent en compte l’interactivité. Il est possible de faire un commentaire sur le film, en ligne, de discuter avec d’autres cinéphiles, de poser des questions aux réalisateurs. Avec la généralisation du « tout numérique » il est maintenant possible de produire son propre film en numérique, de faire le montage sur son ordinateur, d’en faire la promotion et la distribution directement par Internet. Cela réduit considérablement la chaîne de production et donc les coûts. Les majors doivent ainsi adapter leur structure et la rendre plus flexible.
Des sites de téléchargement légaux commencent à proposer des vidéos à télécharger, comme la fnac.com ou itunes.com. Mais, hormis la vente de DVD, les modes de distribution de films sur les sites Internet ne semblent pas avoir rencontré le succès escompté. Les stratégies doivent vraisemblablement être mieux adaptées aux mutations socio-économiques induites par le nouveau média qu’est Internet. La généralisation de l’utilisation des systèmes d’échange et de partage P2P incite à considérer les nouveaux comportements des internautes comme le symptôme d’une culture qui veut naître.
La télévision interactive (TVi) est quant à elle le résultat de la convergence entre la télévision et Internet. Ce média offre divers services : guides électroniques des programmes, services de paiement-à-la-séance , de vidéo-à la-demande 4 [4], ou de télévision enrichie, par le biais de set-top boxes (Modems comme la Freebox de Free ou la Livebox de Orange). L’heure est désormais à la personnalisation des services. Il s‘agit, à partir des profils de consommation de chacun des individus du foyer, d’identifier les goûts des téléspectateurs et d’anticiper leur choix de programmation, afin de pouvoir proposer les programmes qui sont les plus susceptibles de rencontrer leurs attentes. Le téléspectateur peut alors choisir ce qu’il veut voir, faire une transaction, voter, passer une commande.
Cette stratégie de distribution est intéressante car elle prend en compte l’interactivité, spécificité d’Internet. Cependant, la télévision est un média passif, Internet un média (inter)actif. L’un et l’autre correspondent à deux comportements radicalement différents de l’utilisateur, et répondent à deux besoins distincts. Ainsi, contrairement aux attentes des opérateurs, les services de TVi ont connu un développement assez modéré.
Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour ce relatif échec. La transmission ne change pas de nature, elle est simplement rendue plus performante ou véhiculée via de nouveaux tuyaux. Il s’agit en fait d’une télévision payante ou d’un vidéoclub amélioré. En outre, le spectateur n’est pas le même. Actif, cinéphile et connaissant les applications d’Internet, il va être tenté d’aller télécharger gratuitement les films proposés par la TVi sur des réseaux P2P.
Le P2P est une forme de distribution décentralisée très intéressante. Pour les multinationales c’est « un instrument diabolique qui a mis le piratage à la portée de tous 5 ». Pour d’autres, un nouveau moyen révolutionnaire d’accès à la culture. Cette technologie, qui se développe depuis une dizaine d’années de façon fulgurante, a été rapidement adoptée pour procéder au partage illégal de fichiers.
Plus de 4 millions d’individus dans le monde troquent ainsi, à toute heure de la journée, quantité de morceaux de musique, d’images, de logiciels, de jeux vidéo et de plus en plus de films. Il s’agit d’une véritable révolution sociale, économique et juridique. Le P2P est une technologie jeune et en constante évolution. De multiples études sur le sujet, parfois contradictoires, ouvrent la voie à une nouvelle perception du public, des pratiques et de l’économie.
La gratuité, le libre accès à l’information a été promu tout au long de l’évolution d’Internet comme une de ses qualités essentielles. Les promoteurs de cette « culture du gratuit » à ses débuts sont ceux-là mêmes qui la dénoncent aujourd’hui.
Le coût élevé du matériel informatique et la prospérité du commerce en ligne montrent cependant que l’internaute n’est pas forcément un pirate en quête de gratuité. Les internautes sont prêts à payer et sont d’ailleurs consommateurs de DVD ou vont au cinéma. « Pour un bon film, le plaisir de la salle de cinéma est sans commune mesure, ensuite pour sa vidéothèque personnelle le DivX est presque parfait, mais le DVD offre trop de bonnes choses en plus pour passer à côté » répond un internaute interrogé sur ce qu’il fait de ce qu’il télécharge.
Il apparaît que les internautes disposent d’une conscience assez aiguë des mécanismes économiques. Il ne s’agit pas de l’émergence d’une culture de la gratuité mais d’une autre façon d’appréhender la rétribution de la création et du travail intellectuel : la considération, la fierté de contribuer à une œuvre collective, l’échange en nature.
Parmi l’ensemble des éléments avancés par les utilisateurs des réseaux P2P, trois causes principales sont souvent évoquées comme justifiant le téléchargement d’œuvres, notamment cinématographiques.
Un grand nombre d’internautes critiquent le coût de vente, dans les circuits de distribution actuels, des œuvres cinématographiques. Pour beaucoup, si l’internaute pirate, c’est qu’il a choisi de commettre un acte illégal face à la pression du prix actuel de la culture et que dans tous les cas, certains n’ont pas les moyens financiers d’acquérir ces produits.
Autre argument avancé : le choix proposé sur les réseaux P2P. Beaucoup d’utilisateurs critiquent la sélection des films distribués en Europe. Ils découvrent, grâce aux listes de discussions sur les réseaux P2P notamment, des films peu connus qu’il est impossible de se procurer et d’acheter dans le commerce. Certains utilisent également ces systèmes afin d’obtenir des œuvres épuisées et donc impossibles à acquérir par les réseaux traditionnels. Le travail d’internautes pour sous-titrer les films permet en outre de diffuser à un public plus large des films rarement traduits ou exportés (comme par exemple des films d’animation japonais). Au final, les internautes tiennent à marquer une volonté de « non-alignement culturel ».
Enfin, le besoin de tester les nouveaux produits incite à télécharger. Cela précède, en théorie, l’achat. L’utilisation des réseaux P2P serait le meilleur moyen de se faire une idée de ce que l’on veut acheter.
On voit cependant que le public a du mal à faire abstraction du support. Il est toujours possible de graver les fichiers téléchargés par les systèmes de P2P sur CD, mais les services associés qu’offrent les DVD sont déterminants. Il ne faut pas négliger la valeur de services comme le support physique, les compilations à la demande, la recherche, le filtrage, etc.
La production et la mise à disposition d’un contenu coûtent de moins en moins cher. La distribution en ligne est un acte assez simple. Reste à créer notoriété, crédibilité et trafic, ce qui est sans doute l’une des justifications majeures de la présence et du coût de l’intermédiaire. Le P2P est le symptôme d’une relation différente à l’œuvre, à l’art, à l’artiste, à l’industrie. Tout cela est en mutation.
Certains industriels perçoivent le P2P comme un nouveau réseau diffusant des versions gratuites destinées à engendrer, par un relèvement de l’espérance d’utilité, un consentement à payer pour des versions payantes. Cependant, les réseaux numériques diffusent des contenus en contournant les droits de propriété intellectuelle. Les réactions des industriels sont donc de plus en plus répressives. Le risque de procès est censé abaisser l’utilité du gratuit et doit idéalement relever le consentement à payer du consommateur pour des offres payantes en ligne. Il est néanmoins illusoire de prétendre réprimer tous les utilisateurs de P2P. Les différents secteurs tentent de trouver des solutions intermédiaires pour faire payer les utilisateurs de P2P.
Le P2P révèle l’évolution du rôle du public, aujourd’hui beaucoup plus actif dans l’acte de « consommation » des films. On est loin de la vision classique du droit d’auteur et des droits voisins d’un public se contentant passivement de regarder une œuvre. Bien au contraire, on tente dorénavant de responsabiliser de plus en plus les utilisateurs lambda des œuvres, au travers spécialement des dispositions contractuelles.
L’UE tente d’encadrer et de soutenir ces nouveaux modes de distribution
Même si l’audiovisuel s’est inscrit tardivement au nombre des compétences communautaires, l’Union européenne a su mettre en place un cadre réglementaire et un système de soutien qu’elle a adapté au fil des évolutions technologiques. Les enjeux ont d’abord été d’ordre économique, technique et commercial.
La dimension culturelle est apparue ensuite avec le traité de Maastricht en 1992. La prise en compte de l’impact culturel des films bouleverse alors la nature de la politique audiovisuelle communautaire. Sa double dimension économique et culturelle reflète ainsi la dualité des films en tant que produits commerciaux et expression d’une culture donnée. La Communauté européenne opère d’ailleurs en permanence un glissement dans son discours, consistant à présenter un bénéfice culturel à sa politique industrielle.
Jusqu’au début des années 90, il était relativement aisé de suivre les développements de la politique audiovisuelle communautaire, les initiatives prises étant relativement restreintes dans leur nombre et objet. Aujourd’hui en revanche, la liste des activités de la Commission européenne, qui de manière directe ou indirecte concernent le secteur audiovisuel, apparaît impressionnante. À tel point qu’il apparaît difficile de saisir les grandes lignes directrices d’une politique de l’audiovisuel européenne cohérente. Cette politique apparaît tantôt influencée par les évolutions du secteur des télécommunications, de l’audiovisuel au sens strict, des nécessités du marché intérieur, de la politique de concurrence, et surtout diluée au sein du chantier des autoroutes de l’information.
L’industrie audiovisuelle européenne souffre d’un problème de circulation des films à l’extérieur comme à l’intérieur de ses frontières. La domination de l’industrie américaine révèle les faiblesses d’une industrie européenne fragmentée. Pour répondre à ces défis, la Communauté européenne a donc mis en place une politique audiovisuelle en deux volets. Tout d’abord, la directive TSF instaure un cadre législatif afin d’harmoniser le secteur audiovisuel. Le programme MEDIA vient quant à lui soutenir l’industrie en amont et en aval.
Au début, le système d’aide de l’Union européenne a été confronté au problème de l’incompatibilité des aides d’État avec le principe de libre concurrence. L’article 87, paragraphe 1, du traité de Maastricht, interdit ainsi les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État qui faussent ou menacent de fausser la concurrence et le commerce entre les États membres.
L’audiovisuel, domaine en pleine expansion et mettant en cause d’importants enjeux, à la fois économiques et culturels, est source d’une grave opposition entre les États-Unis et l’Union européenne, et plus particulièrement la France. Cela révèle une vision du cinéma totalement différente entre les États-Unis et l’Union européenne. L’Europe s’attache plus au côté artistique, porteur de message, tandis que le cinéma américain correspond prioritairement à l’aspect économique, d’où une divergence d’opinion sur les aides d’État en faveur du cinéma.
En mêlant des considérations économiques et culturelles, pas toujours compatibles, et en considérant les médias audiovisuels comme un instrument d’intégration européenne, l’approche des responsables européens prête le flanc à la critique. L’Union européenne, à l’instar de la France, a cependant réussi à maintenir ses systèmes de soutien nationaux face aux pressions internationales, en plaidant l’exception culturelle lors des négociations du GATT entre 1947 et 1993. Il en ressort une prise de conscience aiguë des enjeux économiques et culturels du cinéma, amplifiés par l’arrivée des nouvelles technologies.
Les nouvelles possibilités de distribution numérique des films ne seront prises en compte par les politiques que tardivement et en premier lieu sous un angle purement technique. Cela n’a cependant pas transformé la nature et les objectifs fondamentaux de la politique audiovisuelle européenne.
Le programme MEDIA Plus, qui couvre les années 2000 à 2005, soutient la distribution numérique de films à travers la formation des professionnels et les « projets pilotes ». La nature de la politique est toujours orientée vers une meilleure circulation des films et une harmonisation des structures. « Si "le contenu est roi", la distribution reste la clé du royaume 6 . »
La maîtrise des nouvelles technologies de distribution numérique ne modifie pas vraiment l’essence de la politique audiovisuelle communautaire qui reste basée sur la réglementation et les subventions. Ses objectifs fondamentaux restent également toujours axés autour de la maximisation du potentiel de croissance et de la promotion de la diversité culturelle. Les nouvelles technologies n’entraînent qu’une définition plus détaillée des objectifs et des principes de la politique audiovisuelle communautaire.
La distribution de films par Internet reste donc encore peu prise en compte. La politique audiovisuelle communautaire, conformément au principe de subsidiarité, parvient cependant à être assez complète, en cumulant ses effets avec l’action des États membres.
Recherche de complémentarité entre les niveaux national et communautaire
La caractéristique la plus spécifique au cinéma européen est l’intervention des institutions, que ce soit par l’intermédiaire de l’État ou de l’Union européenne. Conformément au principe de subsidiarité, les questions relatives aux contenus audiovisuels étant par nature essentiellement nationales, leur régulation et leur soutien relèvent en premier lieu de la responsabilité des États membres. En effet, aucun intérêt commun n’existe véritablement entre des pays où la création et la production cinématographiques varient. Ainsi, la Communauté européenne agit en amont et en aval de l’action des États membres.
L’action des pouvoirs publics au niveau national prend deux formes essentielles. Afin de sécuriser l’activité de production, ils ont tout d’abord, chacun à leur rythme et à leur façon, mis en place un cadre réglementaire régissant les rapports entre les principaux intervenants. En complémentarité avec cet encadrement juridique, les pouvoirs publics ont mis en place des dispositifs hétérogènes plus directs, destinés essentiellement à soutenir l’activité de production. La distribution, secteur clé, demeure relativement peu aidée, ainsi que la distribution numérique, qui reste attachée au domaine de la recherche et de l’innovation.
Les États ont cependant été les premiers à adopter des mesures d’aide, suivis ces dernières années par les institutions européennes. L’Union européenne s’efforce alors de renforcer la complémentarité entre les politiques et l’aide au niveau national et communautaire afin de parvenir à de meilleurs résultats et à une visibilité accrue de l’Union européenne sur la scène internationale.
Si tous les pays aident leur industrie cinématographique, les mécanismes de soutien financier mis en œuvre sont cependant fort différents d’un pays à l’autre : aides directes financées sur le budget de l’État comme au Danemark, ou par les Länder comme en Allemagne ; affectation d’une partie des recettes de la loterie en Grande-Bretagne ; avantages fiscaux en Allemagne et en Irlande ; aides à l’exportation aux États-Unis...
De plus, mais en Europe seulement, ces dispositifs s’accompagnent dans de nombreux pays d’obligations réglementaires ou d’engagements contractuels associant les chaînes de télévision à la production cinématographique. L’action de l’Union européenne s’avère alors complémentaire de celle des États membres, dans un souci d’harmonisation et de valeur ajoutée. Les disparités entre les réglementations et les systèmes d’aide nationaux soulignent ainsi la nécessité du niveau supranational.
L’aide à la distribution cinématographique est en principe l’apanage du niveau communautaire, même si, au niveau national, elle commence à être prise en compte par les politiques. La distribution numérique de films, quant à elle, est un domaine en pleine expansion. Tandis que les États encouragent la recherche et le développement dans ce domaine, l’Union européenne propose de l’autre côté une aide pour les projets mis en place. Cependant, malgré les synergies qui résultent de cette double action, la politique audiovisuelle européenne semble encore peu prendre en compte la distribution de films par Internet.
La politique des pairs VS la politique des communautés européennes
Grâce à l’aide apportée par le programme MEDIA Plus, la distribution traditionnelle est stimulée et la distribution numérique est prise en compte. Au premier abord, les évaluations effectuées par et pour la Communauté européenne montrent que le programme MEDIA Plus a permis à de nombreux films européens de circuler hors de leur territoire national. Le bilan est positif en terme de distribution et l’effet d’entraînement du programme permet à l’Union européenne d’atteindre ses objectifs de compétitivité. Il est cependant encore assez prématuré d’évaluer les résultats quant à l’aide à la distribution numérique dans le cadre des projets pilotes.
Malgré des résultats encourageants, la politique audiovisuelle européenne à l’ère numérique se heurte à certains obstacles. Le budget alloué au programme MEDIA Plus demeure trop faible pour avoir un impact suffisant. Les 513 millions reçus semblent inestimables. Aucun autre secteur économique de l’Union ne bénéficie d’un programme sectoriel de cette ampleur. Pourtant, le montant octroyé reste insuffisant au vu des objectifs affichés, et ce malgré l’effet multiplicateur escompté. Il est cependant difficile d’augmenter le budget de façon exponentielle étant donné que des divergences existent au sein des pays membres 7 .
De plus, les effets pervers de l’aide européenne sont nombreux. En effet, MEDIA Plus permet à des films sans réel potentiel économique d’être produits. Ces films éprouvent donc par la suite des difficultés à être distribués, dans la mesure où le public n’est pas forcément intéressé. Les mécanismes d’obtention de l’aide sont également parfois décourageants, ou tout du moins encouragent une certaine « bureaucratisation ». En outre, les films manquent de visée internationale, dès la phase de conception. Enfin, Internet est très peu pris en compte. La distribution en ligne de films apparaît encore au stade expérimental.
Afin de surmonter les obstacles et parvenir à un soutien approprié à la distribution de films par Internet, l’Union européenne tente d’encourager la complémentarité de MEDIA Plus avec les autres programmes communautaires dans le domaine du cinéma et des nouvelles technologies : INFO 2000, eContenu, TEN-Telecom, IST et Eurêka qui tendent tous, entre autres, vers une meilleure exploitation de l’outil Internet pour la diffusion et la distribution de contenu.
Cependant la complémentarité entre ces divers programmes européens et la coopération entre le niveau national et européen demeure insuffisante. De plus, l’UE n’encourage encore que trop peu le développement d’un savoir-faire concernant Internet. Enfin, l’environnement réglementaire au niveau communautaire n’est pas encore assez stable et prévisible, pour encourager de façon optimale la distribution numérique de films.
La Communauté européenne a tenté de remédier à ces lacunes avec le vote en juin 2001 d’une directive, que les Etats devaient transposer dans le droit national à partir de décembre 2002 pour adapter la législation sur le droit d’auteur à l’ère des nouvelles technologies. Petit rappel : une directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en lui laissant la compétence quant à la forme et aux moyens. En d’autres termes, la directive montre la direction mais les États membres décident de l’application nationale. Chaque État a donc adapté sa législation suivant ses priorités, ses orientations, sa philosophie.
Alors qu’en France, le Parlement a récemment opté pour le renforcement des systèmes de protection de droit (DRM), en laissant de côté la licence globale qui aurait légalisé les échanges via les systèmes de peer-to-peer 8 , la commissaire européenne chargée des médias et de la société de l’information a suggéré une piste qui pourrait élargir le débat.
Viviane Reding propose d’opter pour une réglementation européenne unique et d’abandonner le principe de territorialité de la protection du copyright. « Il ne peut y avoir une industrie du contenu forte sans des règles de propriété intellectuelle fortes. Or nous en avons aujourd’hui 25 différentes en Europe ! Cela ne nous aide pas à créer un marché unique 9 . » Un diffuseur britannique, par exemple, pourrait alors vendre ses services de vidéo à la demande dans toute l’Europe en se fondant sur la seule législation britannique, et sans avoir à se préoccuper des 24 autres.
Cependant, aujourd’hui, les barrières sont nombreuses. L’obtention des droits pour la diffusion numérique des œuvres est déjà très complexe. Il faut refaire les contrats, retrouver tous les ayants droits, obtenir les autorisations. Si l’on ajoute à cela les dissemblances juridiques entre États, la distribution de produits culturels via Internet, transnational par essence, devient périlleuse. D’où la prolifération et le succès des systèmes P2P.
Il serait certes plus facile, d’un point de vue économique, d’harmoniser le droit d’auteur au niveau européen. Cela enlèverait beaucoup de freins pour les diffuseurs et distributeurs de contenu. Les 25 États membres sont d’ailleurs d’accord sur les fondements de la directive européenne. Mais comment unifier les deux visions du droit d’auteur français et du copyright anglo-saxon qui divergent dans leurs fondements ? Comment allier l’exception culturelle et le libéralisme ? Comment soutenir et aider les nouveaux systèmes de distribution payante de films par Internet ? Que faire de la chronologie des médias ?
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Henry Michel, « Vitesse de croisette - Le cinéma européen fait de la figuration - Dix-huit ministres de la Culture constatent, Bruxelles propose et Godard rigole ». Libération, 19 mai 2004. ↩
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Ibid. ↩
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Ibid. ↩
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Le paiement-à-la-séance, en anglais pay-per-view (PPV), et la vidéo-à-la-demande, en anglais video-on-demand (VOD), sont des offres de distribution numérique adressées au grand public où le spectateur peut commander depuis son domicile l’œuvre de son choix parmi le catalogue offert par un prestataire de services, la recevoir dans les minutes qui suivent et ne payer que cette œuvre particulière, commandée à l’unité. ↩
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Philippin Yann, À quoi sert vraiment le peer-to-peer ? , Internet Actu.net/Fing, 8 septembre 2003. ↩
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Oreja Marcelino (présidé par), L’ère numérique et la politique audiovisuelle - Rapport du groupe de réflexion à haut niveau sur la politique audiovisuelle, Bruxelles : Commission européenne, 1998. ↩
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En effet, les petits pays, comme les Pays-Bas, qui ont une industrie du cinéma, distribuent très peu de films à l’étranger, et ne sont pratiquement engagés dans aucune coproduction. Ils ne bénéficient donc pas de la grande partie de l’aide européenne en faveur de la distribution cinématographique. Quant à des pays comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne, ceux-ci invoquent des contraintes budgétaires. ↩
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Le Conseil constitutionnel a validé, le 27 juillet 2006, l’essentiel du texte relatif aux droits d’auteur sur Internet, adopté par le Parlement le 30 juin, après que les débats aient divisé les partis politiques et l’opinion publique. ↩
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Robert Virginie, « Viviane Reding veut mettre fin à la territorialité des droits d’auteur », Les Echos, 1er février 2006. ↩