A Jacques, l’autre
Que deviennent les lettres de Paul ? Comment ses lettres, en grec des épîtres, pensent-elles la lettre, l’écriture, les Ecritures, l’inscription, y compris celle dans la chair, la circoncision ? Cette question, loin d’avoir une portée philosophique ou historico-politique restreinte, est peut-être la matrice ou le tissu général qui permet de comprendre l’apparition des chrétiens parmi les juifs et à l’intérieur d’un certain judaïsme. L’analyse de ce qu’on peut appeler « l’équivoque juive de Paul » - son « marranisme avant la lettre » - permet peut-être d’approcher la possibilité du christianisme ainsi que du destin des juifs en Europe comme ailleurs. Cette équivoque participe à l’envoi et au programme des dispositifs historico-politiques de la tolérance et des différences.
Comment les lettres de Paul ont-elles donné naissance - à travers l’universalisme apparent de son monothéisme - à l’idée européenne de tolérance en même temps qu’elles ont ouvert la possibilité de l’intolérance et de l’inhospitalité à l’égard de la différence juive ? Comment la tolérance peut-elle en effet procéder de la même source textuelle juive que l’intolérance à l’égard des juifs ? Et comment l’hospitalité des synagogues envers les païens a-t-elle pu se retourner contre l’hôte juif, après la destruction du Temple du Jérusalem en 70, et le démantèlement de la caste sacerdotale des Sadducéens ? La passe judéo-chrétienne, décisive dans le rapport de la tolérance et des différences, advient dans les textes du second Testament et dans les Épîtres de Paul, en deçà de la christologie et du dogme chrétien, elle procède donc par avance et rétrospectivement à leur déconstruction.
Paul, juif hellénisé originaire de Tarse et d’obédience pharisienne, s’explique avec le judaïsme des prêtres Sadducéens qui font la loi dans le Temple de Jérusalem. Sa controverse avec la caste sacerdotale ne peut en aucune manière être comprise comme une rupture ou un schisme avec « le » judaïsme. Paul n’abolit pas plus le judaïsme qu’il ne fonde le christianisme, il ne se sépare pas davantage des juifs qu’il ne persécute les chrétiens quand il se dénomme Saül. Lorsqu’il devient celui qui se surnomme Paul, il ne passe pas de l’intégrisme judaïque à l’apostasie, puisque ni l’un ni l’autre ne sont possible tant qu’il n’existe pas ce qu’on pourrait appeler « le » judaïsme. A l’époque de Paul, et avant lui, il n’y a ni unité ni identité religieuse juive qui permettrait de définir une quelconque orthodoxie. C’est pourquoi il n’y a sans doute aucun sens à penser que Saül a pu littéralement « persécuter » une communauté chrétienne originelle, au titre d’une prétendue police juive, puisque les prêtres Sadducéens, dont Paul n’était d’ailleurs pas membre, n’avait aucune autorité ni aucun pouvoir en dehors de Jérusalem. Lorsqu’on lit alors « avez-vous entendu parler de mon comportement naguère dans [en ton] le judaïsme, avec quelle frénésie je persécutais à outrance l’Église de Dieu [hyperbolèn ediokon tèn ekklesian tou théou]. 1 » Il est parfaitement absurde d’identifier cette ecclésia de Dieu avec la communauté chrétienne, qui n’existait de toute façon pas comme une entité unifiée et séparée des communautés synagogales. Il faut plutôt penser, contre toute attente et toutes les conventions, que dans le judaïsme ce sont les prêtres Sadducéens que le pharisien Saül persécutait. La persécution hyperbolique de ce juif zélé et excessif se tournait contre le centre de l’autorité et non pas vers une secte minoritaire.
Si une telle hypothèse a quelques pertinences, il faut alors penser que Paul ne se sépare pas non plus du judaïsme lorsqu’il se fait moins zélé et change de stratégie à l’égard de la caste sacerdotale et de la Loi que ses membres incarnent. Il n’y a en ce sens aucune sortie du judaïsme de sa part, mais une rhétorique retorse qui bouleverse les frontières entre judaïsme et son dehors. Paul va opérer une extension de ce dehors qui passe par un marranisme avant la lettre. Les différences dedans/ dehors, juif/ non-juif, juif/ grec vont s’en trouver déplacées et profondément troublées, et la tolérance instituée et compliquée avant son concept.
En apparence l’explication et la controverse semblent se jouer d’abord autour de la question de la Loi et de la transgression. On sait que les prêtres Sadducéens étaient justement réputés pour leur intransigeance vis à vis de toute transgression des préceptes, et qu’ils exigeaient une observance rigoureuse de ces règles rituelles. Même si Paul était un juif hellénisé qui lisait les Écritures juives dans la traduction grecque des Septante, il dit être « plus avancé dans le judaïsme que beaucoup de ceux de mon âge et de ma nation, étant animé d’un zèle excessif pour les traditions de mes pères. 2 » Il est donc impensable qu’il ait pu confondre la Thora avec le Nomos, autrement que du point de vue de sa controverse avec la communauté sadducéenne. Cette traduction de la Thora - plus proche de signifier Paideia que Nomos - va river les juifs à la prétendue « Loi » et en faire un peuple à la nuque raide, incapable de s’ouvrir à la venue de l’Esprit saint. La « Loi » selon Paul ne signifie donc pas littéralement la Thora, mais plutôt la réduction de la Thora à la Loi par les prêtres sadducéens.
On sait quelle est la limite de la Loi juive pour Paul ; elle ne permet pas d’accéder à l’ordre messianique du salut. Elle ne donne que la connaissance des péchés et non la rédemption, car la Loi a été donnée non pas pour le salut, mais « pour la connaissance du péché. 3 » Si on considère que les judaïsmes de l’époque sont inséparables d’une perspective messianique, la Loi juive apparaît alors comme ineffective du point de vue judaïque même. La Loi ne permet pas en elle-même à la vie juive de s’accomplir mais la rive à la finitude que représente la connaissance du péché sans la rédemption. La critique paulinienne de la Loi fait donc apparaître les frontières de celle-ci et ses limites.
La connaissance du péché ne permet en effet pas d’être « justifié » par Dieu parce qu’elle ne fait pas agir ; d’un point de vue pratique, elle est donc marquée d’impuissance. C’est pourquoi les œuvres de la Loi restent, dans la pensée de Paul, séparées de l’ordre du salut et ne permettent pas d’accéder à la grâce de Dieu. Paul écrit : « Voilà pourquoi personne ne sera justifié devant lui par les œuvres de la Loi [ergon nomou] ; la Loi en effet ne donne que la connaissance du péché. 4 » Les œuvres appartiennent au domaine économique de l’échange et sont étrangères au don anéconomique qu’est la grâce : « à celui qui accomplit des œuvres, le salaire n’est pas compté comme une grâce, mais comme un dû. 5 » Et d’autre part il faut comprendre que les œuvres qui procèdent de l’obéissance à la Loi et qui résultent donc de la connaissance du péché, ne permettent pas d’accomplir la Loi : les œuvres de la Loi ne sont pas des mises en oeuvre effectives de la Loi, mais elles sont au contraire impuissante.
Paul écrit : « Tous ceux qui ont péché sans la Loi périront aussi sans la Loi ; tous ceux qui ont péché sous le régime de la Loi seront jugés par la Loi. Ce ne sont pas en effet ceux qui écoutent [akroatai] la Loi qui sont juste devant Dieu - ceux-là seront justifiés qui la mettent en oeuvre [poiètai]. 6 » Écouter la loi ne permet donc pas de la mettre en œuvre et d’être juste, c’est pourquoi les païens, qui n’ont jamais entendu la Loi et ne peuvent donc l’écouter, sont privés de la Loi écrite, leurs agissements ne peuvent par conséquent pas être comptés au nombre des œuvres de la Loi. Ceux qui mettent la Loi en œuvre et l’accomplissent dans leur vie, juifs comme païens, sont dit justes, et ils n’agissent comme tels que pour autant qu’ils partagent le don de la grâce.
Les frontières et l’existence de la Loi juive sont donc profondément bouleversées par tout ce discours qui opère une véritable révolution topologique et tropologique de la différence juive. Ceux des juifs qui vivent avec la Loi qu’ils écoutent, savent déterminer ce qu’est le péché ; leurs actes et leur vie peuvent donc être comptés au nombre des œuvres de la Loi, bien qu’ils soient impuissants à mettre effectivement celle-ci en œuvre, à l’accomplir. Nombre de juifs écoutent la Loi mais n’y entendent rien, ils sont impuissant à mener la Loi à son Telos messianique. Mais qui sont ces juifs ? Combien sont-ils et comment les différencier ? Leur nombre est sans doute incalculable, comme celui des païens qui vivent sans la Loi et peuvent pourtant être dit justes - en tant qu’ils ne commettent pas le péché et ne transgressent donc pas la loi - , ils accomplissent la Loi juive sans le savoir et à leur insu. La Loi n’est donc pas mise en œuvre là où elle est en œuvre, et elle est accomplie là où elle est littéralement absente ; elle est donc retranchée de nombre de vies juives en même temps qu’elle est étendue au-delà de ces vies et de la lettre.
Cette nouvelle topologie de la Loi n’est pas du tout une « universalisation indifférente aux différences », puisqu’elle est l’extension indéfinie de la Loi et de la vie juive au-delà d’elle-même, en même temps qu’une certaine rétention ou un certain retranchement en soi-même. La Loi et la vie juive acquierent ainsi une existence virtuelle et non plus seulement réelle, qui déplace toutes les places et tous les partages, qui transgresse toutes les différences en les potentialisant infiniment. Cette virtualisation de la Loi s’opère au nom de son effectivité, ce qui produit une dangereuse équivoque et une inversion des signes. En régime messianique de la grâce, qui sont les Justes qui mettent la Loi en œuvre ? Et qui est juif ? Répondre Dieu seul le sait n’interdit pas de penser qu’en même temps, devant Dieu, peut être juif celui qui ne le sait pas et qui ne l’est pas à la lettre, c’est-à-dire charnellement par sa généalogie. De même celui qui croit l’être, et qui vit pieusement dans l’observance de sa Loi, pourrait ne pas être ce qu’il croit. Terrible tropologie juive inséparable de la topologie de la Loi, qui vient inquiéter sans limite toute identification religieuse ainsi que toute position anti-judaïque ou anti-sémite.
Ce principe invisible qui correspond à la mise en œuvre secrète et juste de la Loi, et qui inverse potentiellement tous les signes, toutes les marques et toutes les œuvres, s’appelle la Foi : « nous croyons en effet que l’homme est justifié par la foi [pistis] sans les œuvres de la Loi. 7 » La foi y - étrangère à toute croyance en des dogmes - précède la Loi mosaïque, elle aurait, selon Paul, justifié Abraham devant Dieu qui en retour lui aurait alors promis la terre en héritage. La foi est justice, c’est-à-dire accomplissement de la Loi mosaïque, et elle précède chronologiquement cette Loi. Avant Moïse le péché et la transgression existaient déjà par la chair, bien que la Loi n’ait pas encore été connue ni révélée. Paul écrit : « Pourtant d’Adam à Moïse la mort a régné[ ébasileusèn ] sur ceux qui n’avaient pas péché d’une transgression [parabaseos] semblable à Adam. 8 »
Mais comment pourrait-il y avoir une transgression avant la Loi et sans elle, si la Loi ne se précédait pas toujours elle-même hors d’elle-même et en l’absence d’elle-même ? Sans cette hypothèse paradoxale de la préséance de la Loi sur elle-même, comment comprendre en effet ce que Paul écrit dans une autre Épître : « la Loi ne procède pas de la foi. 9 » En effet, si la foi est la mise en œuvre de la Loi, c’est qu’elle en est la fin et que la Loi précède donc en ce sens la foi, ce que confirme Ga, 3, 23 : « Avant la venue de la foi nous étions enfermés sous la garde la Loi, en vue de la foi qui devait être révélée. »
Lorsque la foi a été donnée à Abraham avant que la Loi ne le soit à Moïse, elle a été reçue sans être révélée, autrement dit sans être connue. Si les hommes peuvent être justes grâce à la foi et sans la connaissance que donne la Loi, c’est pourtant la Loi qu’ils transgressent par avance tant que la foi ne leur est pas révélée. Que peut-on transgresser d’autre qu’une Loi ou une limite, une frontière ? Peut-on parler de transgression sans loi ? « Là où il n’y a pas de Loi, écrit Paul, il n’y a pas non plus de transgression [parabasis ]. 10 » Seule la connaissance messianique de la foi permet donc de ne pas transgresser la Loi et de l’accomplir. Si la foi d’Abraham précède la Loi de Moïse, la Loi mosaïque précède quant à elle la révélation de la foi par Jésus, elle se précède donc toujours elle-même, alors que la foi se répète dans la révélation après la Loi.
Mais que dit la Loi ? Elle est le trait le plus concis de toute l’éthique juive : « Car la Loi toute entière trouve son accomplissement en cette unique parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 11 » Cette Loi va-t-elle être interrompue par la révélation de la foi ? La révélation rend-elle la Loi inutile ? Lorsque Paul écrit : « car moi, c’est par la loi que je suis mort à la loi, afin de vivre pour Dieu. 12 », il semble que l’entrée dans la vie messianique signifie la sortie de la Loi hors d’elle-même. L’accomplissement de la Loi juive passe-t-il par l’abolition du judaïsme ? Cela serait sans doute le pire contresens, qui n’a pas évité de se produire, puisque Paul affirme aussi, dans la synagogue de Rome où il s’adresse à une communauté juive qui ne connaît pas encore sa parole messianique : « Anéantissons-nous la loi par la foi ? Loin de là ! Au contraire nous confirmons la loi. 13 » Ce qui sera répété par Matthieu, comme un des logoï de Jésus : « Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir. 14 »
On peut donc dire que Jésus et Paul ont le désir de rendre effective et accomplie la Loi juive, de la porter à son terme messianique pour Paul. Quel sens alors y a-t-il pour Paul à dire qu’il est mort [apèthanon] à la loi et par elle, alors qu’il écrit que tout non-juif peut mettre la loi juive en œuvre et constituer ainsi un juste en puissance ? La pensée paulinienne de la différence et le programme de la pensée de la tolérance qu’il nous lègue est inséparable d’une méditation sur la vie et la mort, qui passe par la différenciation de la chair et de l’esprit. Paul écrit en effet : « Ignorez-vous, frères - car je parle à des gens qui connaissent la loi - que la Loi exerce son pouvoir sur l’homme aussi longtemps qu’il vit? » Cette injonction est à double sens, elle dit d’abord que le temps de la vie est le temps de la Loi, et que cette dernière règne tant que dure la vie ; la vie en ce sens a lieu sous l’empire, si on peut dire, de la Loi. Mais d’autre part il s’agit d’une limitation : la Loi n’a plus de pouvoir sur l’homme lorsque celui-ci ne vit plus et qu’il est mort. La loi n’a donc plus de portée, comprenons ce dont il s’agit, là où commence l’autorité messianique du salut. Le temps de la loi reste donc hétérogène au temps du messie, interdisant à l’un et à l’autre d’appartenir à un même rapport au temps.
La Loi fait connaître le péché, en quelque sorte elle est comme l’arbre de la connaissance du jardin du bien et du mal, qui serait à l’origine de l’exclusion du jardin d’Eden. La Loi, pourrait-on dire, institue le péché en le révélant, elle lui donne vie en permettant la transgression : « car sans la loi le péché est mort [nekra]. 15 » Or la Loi est impuissante à contredire le péché, car elle n’a pas d’effet sur la chair. La révélation de la foi par la venue du messie va rendre effective la loi au-delà de la loi : « chose impossible à la loi, parce que la chair la rendait sans force - Dieu a condamné le péché dans la chair, en envoyant, à cause du péché, son propre Fils dans une chair semblable à celle du péché. 16 » La question que nous posons ici est celle de savoir si la loi juive est sacrifiée et si la vie juive est condamnée, lorsque dans le judaïsme s’ouvre la possibilité d’un autre rapport à la loi et à la Thora. Nous nous demandons comment un certain judaïsme a pu se retourner contre sa différence, sortir d’elle et s’étendre en devenant indiscernable.
Si c’est la chair qui est pécheresse et que le péché vient de la chair - il consiste en la transgression de la loi, la transgression qu’elle est -, la Loi qui fait connaître le péché, et le fait alors exister en le faisant apparaître, ne peut agir sur lui car elle est d’un ordre hétérogène à la chair. Il y a donc dissymétrie entre la Loi et le péché de chair : celui-ci n’apparaît que sous la loi et par elle en interdit l’accomplissement, alors qu’à l’inverse la Loi n’a pas d’effet ni de force sur la chair. La Loi juive est-elle en ce sens abolie par le messie ? Paul écrit : « Nous savons, en effet, que la loi est spirituelle ; mais moi, je suis charnel, vendu au péché. 17 » La Loi, loin de me libérer met en lumière ma servitude charnelle et mon absence de force pour contrecarrer la chair. C’est ici que la morale paulinienne opère un coup de force extraordinaire pour unifier la loi juive avec les concepts de la langue grecque, elle procède à une scission de la loi, ou plutôt à une division : « En effet, la loi de l’esprit de vie en Jésus Christ m’a affranchi de la loi du péché et de la mort. 18 » La traduction française qui efface le pneuma grec et la ruah hébraïque sous l’« esprit » - qui vient du « spiritus » latin - falsifie tout autant le texte que la traduction de christoi par « Christ » qui efface irrémédiablement le « messie » grec et hébraïque.
La loi se divise en deux lois, celle de la vie et celle de la mort - et non pas celle d’un prétendu esprit qui se distinguerait de la chair - qui n’en font qu’une, mais selon deux perspectives ou deux rapports au temps. Si la vie après la mort est celle d’un salut messianique non charnel, auquel croyaient les juifs pharisiens, c’est bien la même Loi qui donne le souffle de vie dans le messie et qui fait mourir à la loi du péché et de la chair. Le messie ne vient donc pas abolir la Loi puisqu’il est l’accomplissement de son souffle de vie. Le midrash paulinien cesse pourtant d’être compris comme judaïque à partir du moment où il est « spiritualisé » par la traduction d’origine latine lorsque le messie et la dimension messianique du texte disparaît dans le nom propre « Christ ». L’ouverture de la possibilité de quelque chose comme le christianisme commence avec cet événement de la langue et du texte grec. Mais ces effacements du texte n’empêchent pas les rabbinages de Paul de réapparaitre, ni le messie de se révèler être l’autre nom de la loi-puisqu’il est pour Paul la loi qui n’est plus séparée de ce qu’elle peut par la chair, en un certain sens la loi absolue.
En régime messianique la loi devient ce qu’elle est et cesse d’être scindée en loi écrite et non écrite. La loi non écrite inscrite en droit dans le cœur de tout homme, ce que Paul nomme la foi, est la Loi absolue, aussi bien sa disparition. Sa particularité juive se retire pour devenir infinie. Si la vie juive acquiert une dimension absolue par le messie, elle peut alors devenir universelle en passant dans l’inapparence, elle est alors indiscernable dans l’immanence de la foi. Dans ces conditions que doit-il advenir de la nation juive, et du signe d’appartenance à cette nation, la circoncision ? Comment le problème de l’inscription charnelle de l’alliance avec Dieu est-il réglé ou déréglé dans la folie des discours pauliniens ? La disparition de la loi juive dans un devenir messianique absolu peut-il tolérer l’inscription dans la chair d’une telle différence ? Que peut signifier encore, en régime messianique, la différence du peuple juif, sa dite « élection » ?
La circoncision de la chair et le problème de l’élection d’Israël sont inséparables de la grande question paulinienne de la Loi et des lois. Le messie - Chrestos - met le temps chronologique hors de ses gonds : « Avant que la foi vînt, nous étions enfermés sous la garde de la loi, en vue de la foi qui devait être révélée. Ainsi la loi a été comme un pédagogue pour nous conduire à Christ, afin que nous fussions justifiés par la foi. 19 » La loi garde les juifs enfermés et protégés, elle les guide et les élève jusqu’à la foi donnée dans le messie. Avec Abraham, la foi se précède elle-même, avant la loi, , et la loi se succède à elle-même dans le messie. On peut essayer de s’approcher de la folie de ce double chiasme messianique à partir du fameux « incident d’Antioche » avec Pierre. Incident qui permet de compliquer d’un tour supplémentaire le dédoublement de la loi et sa disparition dans un devenir absolue. Chargé d’annoncer l’événement messianique auprès des juifs hellénisés, Pierre rencontre Paul, qui aurait eu quant à lui la responsabilité des païens, des ethnè ou des nations dans leur pluralité. Paul invective alors Pierre et lui reproche de transgresser la loi juive qui, en vertu de l’élection, interdirait de partager les nourritures sacrées et de se mettre à table avec les non-juifs lors des rituels. Cette loi élective prescrit en un certain sens l’inhospitalité à l’égard des étrangers, mais on peut dire aussi qu’elle rend possible la pluralité des hospitalités et qu’elle interdit l’instrumentalisation de l’hospitalité par le prosélytisme et l’impérialisme. L’élection est peut-être la condition de possibilité de l’hospitalité ; que serait en effet une hospitalité qui serait absolue et sans principe de différenciation : si tous étaient des hôtes, plus personne ne le serait. Il faut en ce sens peut-être se demander si la tolérance ne contient pas en elle, tendanciellement, un principe de destruction de l’hospitalité.
Que dit Paul ? « Je dis à Céphas, en présence de tous : Si toi qui es Juif, tu vis à la manière des païens et non à la manière des Juifs, pourquoi forces-tu les païens à judaïser ? Nous, nous sommes Juifs de naissance, et non pécheurs [amartoloi ] d’entre les païens. 20 » Là encore la folie du texte de Paul déconstruit sans limites tous les dogmes qui l’ont enseveli et sédimenté. Paul demande à Pierre de vivre comme le juif de naissance qu’il est, et de se mettre sous la Loi. Autrement dit il lui reproche de se faire prosélyte et de ne pas respecter le principe de l’élection qui sépare rigoureusement les juifs des non-juifs. Paul demande à Pierre de ne pas dissimuler sa naissance en prenant le masque des païens pour qui l’élection et la séparation des juifs avec les autres nations ne fait pas loi. Paul dit à Pierre de ne pas faire ce qu’il dit de faire à tous les juifs de toutes les synagogues qu’il visite. Il est donc interdit à Pierre, par Paul, de faire ce que dit Paul. Paul doit rester l’apôtre élu qui annonce aux nations la disparition de l’élection des juifs dans l’élection de tous.
Paul demande donc à Pierre de maintenir, pour sa part, le principe de l’élection, et de tenir séparés les juifs des païens, de manières à obliger ces derniers à vivre comme les juifs, mais séparés d’eux : sans eux et hors du judaïsme rabbinique. Il s’agit de faire que les païens « judaïsent » sans en être forcés ni « péchés » par Pierre ou par Paul. Seul le respect de l’élection par les juifs de naissance - les juifs par la phusis - peut permettre aux païens de devenir juifs sans force et sans le savoir grâce à la technè paulinienne, qui est une stratégie d’inclusion des païens par exclusion. La question est de savoir si l’inclusion de la différence juive dans la foi messianique s’accompagne de leur exclusion. La pensée de Paul produit ici le paradoxe d’une élection de tous et du tout, en quelque sorte une élection sans sélection, doublé d’une généralisation d’une différence de nature dans la technè ou le deus ex machina qu’est la grâce de la foi.
Il faut lire ici le grand texte de Paul quant à la circoncision : « La circoncision est utile, si tu mets en pratique la loi ; mais si tu transgresses la loi, ta circoncision devient incirconcision.
Si donc l’incirconcis observe les ordonnances de la loi, son incirconcision ne sera-t-elle pas tenue pour circoncision ? L’incirconcis de nature, qui accomplit la loi, ne te condamnera-t-il pas, toi qui la transgresses, tout en ayant la lettre de la loi et la circoncision ? Le Juif, ce n’est pas celui qui en a les dehors ; et la circoncision, ce n’est pas celle qui est visible dans la chair. Mais le Juif est celui qui l’est intérieurement ; et la circoncision, est celle du cœur, selon l’esprit et non selon la lettre [en pneumati ou grammati]. La louange de ce Juif ne vient pas des hommes, mais de Dieu. 21 »
Ce texte, qui contient le programme d’un marranisme avant la lettre, distingue la pratique de la loi et sa transgression, séparant une nouvelle fois ce qui est effectif de ce qui est charnel ou visible. Mais dans ce texte ce n’est pas seulement la pratique de la loi qui devient en droit virtuelle pour tout homme, c’est le signe charnel de la circoncision. Ce qui pose un problème plus redoutable encore que celui de la pratique invisible de la loi : comment un incirconcis peut-il être dit circoncis du point de vue du pneuma, en contradiction avec ce qui est visible dans la chair ? Autrement dit comment une inscription, une coupure, une blessure autour du prépuce [peritomé] peut-elle devenir effective alors qu’elle n’a pas eu lieu dans la chair ? Et comment peut-elle se déplacer vers le cœur [kardias ] ? Paul l’explique, cela doit être entendu selon le pneuma, le souffle, et non selon la lettre, gramma. Mais faut-il prendre cette distinction de la lettre et du souffle à la lettre ? Et si l’on accepte de traduire pneuma par « esprit », quel serait l’esprit de cet esprit si la lettre de Paul ne doit pas être lue à la lettre ?
Comment en même temps un circoncis peut-il cesser de l’être effectivement alors qu’il l’est dans sa chair ? Cet effacement de la lettre de la circoncision dans la chair des juifs ne peut pas être dite imaginaire ou symbolique par commodité. Il faut prendre au sérieux ce jeu de l’effacement et de l’inscription de la marque ou de la lettre de chair, redoublé et compliqué par le jeu de la lettre et du souffle dans la lettre des lettres de Paul. Ce qui se joue dans cette logique abyssale, dont on se demande si elle n’a pas piégé Paul lui-même, c’est la possibilité de souffler ou de dérober la circoncision aux juifs en soufflant à Paul sa parole marrane.
Qu’est-ce donc en effet qu’une circoncision, une élection ou une judéité invisibles ? Que penser d’autre part d’une élection et d’une judéité infinie, ou à la mesure de la terre - sinon de l’univers - ? La circoncision est un signe, qui est un sceau, qui peut être reçue avant d’être circoncis. La question de la circoncision oriente vers la foi d’Abraham et sa multiple paternité. « Il n’était pas encore circoncis, il était incirconcis. Et il reçut le signe de la circoncision, comme sceau de la justice qu’il avait obtenue par la foi quand il était incirconcis, afin d’être le père de tous les incirconcis qui croient, pour que la justice leur fût aussi imputée, et le père des circoncis, qui ne sont pas seulement circoncis, mais encore qui marchent sur les traces de la foi de notre père Abraham quand il était incirconcis. 22 » Dans cet extrait, le peuple juif se divise en deux. : l’ensemble des juifs circoncis d’une part, et ceux qui marchent sur les traces de la foi d’Abraham, d’autre part. Une partie des juifs est donc retranchée, celle qui porte la trace de la foi d’Abraham dans sa chair, mais qui ne marche pas dans les traces de sa foi. On se demande ici encore comment cette métaphore qui appartient au champ de la lettre pourrait ne pas contaminer dangereusement l’esprit de l’esprit, ou le souffle du souffle, comme on veut traduire.
Pour comprendre le rapport entre la circoncision et le messianique, il faut peut-être partir de l’extrait suivant : « Mais maintenant, nous avons été dégagés de la loi, étant morts à cette loi sous laquelle nous étions retenus, de sorte que nous servons dans un esprit nouveau, et non selon la lettre qui est ancienne. 23 » Le messie produit donc comme une réduction phénoménologique de la circoncision, dont la thèse naturelle est suspendue, ce qui laisse apparaître les conditions de la donation dans le messie. Non seulement la circoncision charnelle ou « naturelle » est autant impuissante et ineffective que la loi littérale, mais de plus elle annule l’usage du messie lorsqu’elle est pratiquée chez les incirconcis : « Voici, moi Paul, je vous dis que, si vous vous faites circoncire, Christ ne vous servira de rien. 24 » En tant qu’elle appartient à l’ordre de la chair, la circoncision est inutile du point de vue de la justice du messie. C’est la croix, signe pour Paul de la résurrection de Jésus, qui succède à la circoncision lors de l’entrée en régime messianique. 25
Mais la croix n’abolit pas la circoncision, elle l’accomplit en la rendant absolue. Le messianique est donc bien le régime dans lequel on accède à la donation ou à la re-création du monde, ce que les juifs appellent aussi le royaume messianique. En conclusion de l’Épître aux Galates on peut lire : « car ce qui importe ce n’est ni la circoncision, ni l’incirconcision, mais la nouvelle création [ou la nouvelle créature]. 26 » Cette nouvelle création est la re-création en régime messianique, qui suspend toute élection et toute circoncision pour les redonner selon la justice de la foi plutôt que selon l’appartenance à un peuple par la chair. Ce n’est donc plus la circoncision qui décide du salut et le gagne, mais la foi en la résurrection du messie. Est-ce la tolérance qui est ainsi préparée avec la disparition de la différence juive ? Et qu’advient-il des différences en régime messianique ?
Loin de prêcher une laïcité universelle indifférente aux différences, Paul approfondit les différences jusqu’à l’invisibilité et leur donne une extension mondiale et équivoque qui est sans doute la traduction de son monothéisme. Paul demande de manière violemment provocatrice : « Ou bien Dieu est-il seulement le Dieu des Juifs ? Ne l’est-il pas aussi des païens ? Oui, il l’est aussi des païens, puisqu’il y a un seul Dieu, qui justifiera par la foi les circoncis, et par la foi les incirconcis. 27 » C’est donc l’unité de Dieu qui va transcender la différence entre les circoncis et les incirconcis, afin de re-marquer tous les hommes d’une circoncision invisible et secrète : la grâce de la foi.
De même que la différence entre circoncis et incirconcis est suspendue parce qu’elle devient inessentielle au regard de la différence invisible marquée par la justice divine, de même « il n’y a pas de différence entre Juif et Grec, tous ont le même seigneur. » La tentation est grande ici de penser que Paul annule toute différence dans l’universelle tolérance, c’est peut-être la tentation même du christianisme dans sa tendance catholique. Mais on se demande alors pourquoi Paul parle encore de circoncision et de Loi, c’est-à-dire de ce qui différencie et marque le judaïsme, et pourquoi il les divise et les dédouble, si ce n’est pour leur donner une puissance d’autant plus effective qu’elle est équivoque, et une extension sans frontières ?
Le texte de Paul se prête d’autant plus à la falsification dogmatique et à tous les détournements, qu’il n’évite aucune complication et emprunte la voie de la plus grande sophistication littérale. On peut lire en effet : « Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Jésus Christ ; vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus Christ. 28 » Paul prêche aux antipodes de Jérusalem, et sa parole comme ses Épîtres sont adressés à des synagogues où on rencontre des juifs hellénisés en exil, des craignant-Dieu et des juifs prosélytes d’origine païenne. Paul, qui se présente comme le ministre des païens, prêche donc dans le judaïsme excentré à des juifs de multiples provenances, parmi lesquels des païens convertis ou aimantés par le judaïsme, en tout cas des païens entrés dans la synagogue.
A ce titre le baptême dont il est question n’est pas le baptême chrétien, mais celui qu’on rencontre fréquemment dans les sectes juives, notamment chez les Esséniens dont Jean, dit le baptiste, était vraisemblablement un membre, et à laquelle Jésus s’apparente par plus d’un trait. Si le baptême est un rite de purification par l’eau, l’expression « revêtir le messie » est d’autant plus intéressante que le messie ou le roi d’Israël devait être enduit ou recouvert d’huile, oint, d’où vient l’hébreu mashiah et le grec chrestos, qui donne Christ. Lorsque vient le messie, les hommes sont sauvés ou couronnés - oints - et les différences religieuses - monothéisme juif, polythéisme grec -, politiques - esclave, homme libre -, sexuelles disparaissent sous le manteau royale du messie. Cette unité messianique n’est pas une suppression des différences mais une suspension, comparable à une réduction phénoménologique. Aucune différence n’est réellement supprimée ; pour s’en convaincre il faut lire le passage suivant : « Quelqu’un a-t-il été appelé étant circoncis, qu’il demeure circoncis ; quelqu’un a-t-il été appelé étant incirconcis, qu’il ne se fasse pas circoncire. La circoncision n’est rien, et l’incirconcision n’est rien, mais l’observation des commandements de Dieu est tout. Que chacun demeure dans l’appel où il était lorsqu’il a été appelé. 29 » Avec la venue du messie, chacun doit donc demeurer dans l’appel qu’il a reçu, puisque la justice effective des uns ou le péché et l’injustice des autres ne deviennent phénoménale que devant Dieu, c’est-à-dire là où il n’y a plus aucun phénomène.
Dieu seul à le pouvoir de faire la différence. S’il n’y a plus de différence entre les hommes qui vivent en régime messianique - tous sont sauvés, c’est-à-dire absous du jugement qu’ils peuvent porter les uns sur les autres - il y a plus de différences devant Dieu. Dans le messie, il y a plus ce qu’il n’y a plus. Cette absence de frontières entre les hommes est donnée par la lumière de Dieu qui s’étend jusqu’aux extrémités de la terre, conformément à ce qu’écrit le prophète Isaïe : « Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre. 30 » Cette exhaustion des différences dans le messie est une unité divine, qui provient de sa lumière, c’est l’unité même du monde. A la prophétie d’Isaïe fait écho la parole que les Actes attribuent à Paul : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, en Judée et en Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. 31 » Cette extension ne réapparaîtra dans le christianisme qu’à partir du retournement de l’équivoque paulinienne contre elle-même, elle sera alors transformée en sortie et séparation d’avec le judaïsme.
L’impossibilité pour le juif Paul ou pour le juif Jésus de faire coïncider le judaïsme avec lui-même dans une orthodoxie, va servir de point d’entrée pour faire sortir le judaïsme de lui-même et peut-être même l’exproprier. Venus avant la destruction du Temple de Jérusalem en 70, ces deux juifs messianiques que sont Paul et Jésus n’appellent pas à un schisme avec le judaïsme, mais à l’accomplissement et à l’effectivité de la Loi de Moïse, au-delà des préceptes surveillés par les prêtres. Il s’agit pour l’un et l’autre de restaurer, de délivrer et de conquérir la royauté perdue d’Israël. Mais la royauté messianique, encore nationaliste pour Jésus, est étendue au-delà des frontières par Paul. Toutes les controverses et les contradiction qui constitue le IIème Testament ont lieu dans le judaïsme, même s’il s’agit d’un judaïsme ouvert, d’extension mondiale, secret et ne coïncidant jamais avec soi. La pensée de Paul se présente ainsi comme une hérésie juive, mais sans orthodoxie.
Peut-être que la résistance de cette différence juive, à force d’être intolérable à la tolérance, contraint à l’invention d’une hospitalité au-delà de toute tolérance, ce que Jacques Derrida a nommé l’hospitalité de visitation, qu’il distinguait d’une hospitalité d’invitation, pour dire son excès sur les calculs et les attentes de l’hospitalité. Cette résistance prend sans doute sa plus grande intensité dans ce que nous nous sommes risqués à appeler « un marranisme avant la lettre » L’impossibilité pour le juif véritable de coïncider avec le juif apparent, de même que l’impossibilité de discerner les juifs des non-juifs, peuvent-elles expliquer la fureur que les pratiques d’inquisition ont mis à chasser et à démasquer les juifs ?
L’ouverture cosmopolite du judaïsme, qui a peut-être donné naissance à la possibilité du mouvement chrétien, est inséparable chez Paul de la disjonction judaïque entre les juifs et les ethnoï ou nations ; si en effet Paul transforme l’élection du peuple juif en dissémination cosmopolite des élus par leur foi, cela ne fait qu’aggraver la déconstruction du nationalisme déjà active avec la non-appartenance des juifs à la multitude des nations. Si on ne pense pas que le marranisme procède d’abord de l’inquisition mais que peut-être tout juif est marrane - double, caché, faux - on s’aperçoit alors que dans la logique de Paul, tout membre de la communauté messianique est un juif caché ou un crypto-juif, peut-être un marrane avant la lettre. On peut alors se demander à bon droit pourquoi les juifs ont toujours refusé de communier et de manger de l’agneau pascal, alors que les premières communautés judéo-chrétiennes étaient d’abord des communautés judaïsantes ? Ont-ils toujours résisté à la traduction du souffle sacré en esprit saint, parce qu’attachés à la dimension charnelle de la vie, ils ont refusé d’intérioriser autre chose que la lettre et la Loi ?
Faut-il pour cela conclure avec Paul : « Que dirons-nous donc? Les païens, qui ne cherchaient pas la justice, ont obtenu la justice, la justice qui vient de la foi, tandis qu’Israël, qui cherchait une loi de justice, n’est pas parvenu à cette loi. Pourquoi ? Parce qu’Israël l’a cherchée, non par la foi, mais comme provenant des oeuvres. 32 » ? Ou faut-il avec Jacques répondre à Paul : « Mes frères, que sert-il à quelqu’un de dire qu’il a la foi, s’il n’a pas les oeuvres? La foi peut-elle le sauver ?[ ...] Il en est ainsi de la foi : si elle n’a pas les oeuvres, elle est morte en elle-même. 33 » ?
Pourquoi Paul oppose-t-il la foi et les œuvres, alors qu’il pense la foi comme accomplissement de la Loi et mise en œuvre effective de celle-ci ? Sans doute parce qu’il la pense comme une mise en œuvre de l’esprit de la Loi et non de sa lettre. Mais cette mise en œuvre advient-elle autrement qu’à la lettre ? L’esprit du marrane peut-il venir sans la lettre ou revenir avant la lettre ? Inhospitalière au marranisme juif, la tolérance chrétienne, inséparable de l’histoire de l’Europe, saura-t-elle un jour inventer une hospitalité ouverte à cet intrus juif et à sa lettre. Acceptera-t-elle un jour d’écouter sa Loi ?
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Ga, 1, 13. Voir aussi, Ac, 6, 1 : « Il y eu des murmures chez les Héllenistes contre les Hébreux », Ac, 8, 3-4, Ac, 9, 1-2. ↩
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Ga, 1, 14. ↩
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Rm, 3, 20. ↩
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Ibid. ↩
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Rm, 4, 4. ↩
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Rm, 2, 12-13. ↩
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Rm, 3, 28. ↩
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Rm, 5, 14. ↩
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Ga, 3, 12. ↩
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Rm, 4, 15. ↩
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Ga, 5, 14. ↩
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Ga, 2, 19. ↩
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Rm, 3, 31. ↩
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Mt, 5, 17. ↩
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Rm, 7, 8. ↩
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Rm, 8, 3. ↩
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Rm, 7, 14. ↩
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Rm ; 8, 2. ↩
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Ga, 3, 23-25. ↩
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Ga, 2, 14-15. ↩
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Rm, 2, 25-29. ↩
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Rm, 4, 10-12. ↩
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Rm, 7, 5-6 ↩
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Ga, 5, 2. ↩
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Voir Rm, 6, 11 et 13. ↩
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Ga, 6, 15. ↩
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Rm, 3, 29-30. ↩
-
Ga, 3, 27-28. ↩
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I Cor, 7, 18-19. ↩
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Is, 49, 6 ↩
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Ac, 1, 8. ↩
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Rm, 9, 30-32. ↩
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Jac, 2, 14 et 17. ↩