Une orientation émanant des travaux de la Commission Avril chargée de réfléchir au statut pénal présidentiel et ayant nourri le projet de loi du Gouvernement 1 , conduit à séparer strictement responsabilité politique et responsabilité judiciaire au nom de la séparation des pouvoirs.
Les « sages » de la Commission assument donc le caractère politique de la construction qu’ils proposent : la Haute Cour et non plus la Haute Cour de Justice est composée par des parlementaires et fonctionne en deux temps : d’abord l’opportunité d’engager la procédure, ensuite la prise de décision de destitution ; cette sanction relève de la responsabilité politique infligée par des élus à un élu et ne rentre pas en compte l’instruction d’un dossier sous une forme plus ou moins judiciaire.
La notion de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice du mandat » retenue à propos de la responsabilité présidentielle peut renvoyer implicitement à l’article 5 de la Constitution, qui implique l’arbitrage en faveur du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, la garantie de la continuité de l’État et de l’autonomie nationale, enfin la veille au respect de la Constitution. Il y a alors glissement de ce que la doctrine considère comme responsabilité pénale et civile sous le terme de Haute trahison à une responsabilité quasi-politique, ou à tout le moins couplage entre les deux responsabilités.
Les critiques qui remarquent que le dispositif de responsabilité juridictionnelle imaginé, exige des conditions trop restrictives pour avoir valeur opérationnelle ne sont pas infondées ; en effet, imaginer qu’une majorité de parlementaires et de sénateurs s’accorde pour impulser une procédure de destitution laisse peu de chances à la gauche gouvernementale d’obtenir gain de cause vis-à-vis d’un Président de droite, alors que le cas inverse devient tout à fait probable. De sorte que les conditions de l’équité institutionnelle ne sont pas respectées.
Ceci est un problème. Peut donc être plutôt envisagé de modifier les conditions de l’élection des sénateurs, afin de laisser ses chances à la gauche pour la première fois depuis le début de la Ve République, d’y obtenir une majorité ; ou bien au regard du bicamérisme inégalitaire, de ne pas placer les deux chambres au même niveau dans la procédure de destitution.
Par ailleurs, un avis conforme du conseil constitutionnel sur les raisons de la mise en cause parlementaire pourrait légitimer au nom de l’Etat de droit, l’activation de la responsabilité présidentielle afin qu’elle ne devienne politicienne plutôt que politique.
Sur le plan de la responsabilité pénale, la Commission Avril fait honneur à la jurisprudence de la Cour de cassation promise à la consécration législative et institutionnalise l’inviolabilité. Ainsi, l’idée de poursuite judiciaire pendant la durée du mandat est abandonnée. Ce faisant, l’emporte la considération qu’au nom du principe de garantie de continuité de l’État et de séparation des pouvoirs, la fonction permet à son titulaire de ne plus répondre pendant la durée de son mandat, des crimes et délits ordinaires commis avant comme pendant cet exercice.
L’opinion et les citoyens peuvent-ils accepter à un tel point, que le premier Magistrat de France chargé par la Constitution de garantir autant que l’autonomie de la Nation, celle de l’indépendance de la Justice, déroge ainsi au droit commun, alors que le même texte proclame encore que « la force publique... est instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de quelques uns... » et surtout que « la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle punisse, soit qu’elle protège » ?
Du reste, le devoir présidentiel au regard de la continuité de l’État est non pas celui de la garantie, mais celui de l’arbitrage. Son autorité est donc ici moindre que dans le cadre de l’autonomie nationale. En conséquence, sa protection au premier titre doit être moins totale qu’au second.
Un dispositif plus gradué couplant, d’une part respect de séparation des pouvoirs et garantie de la continuité de l’État, d’autre part, respect du principe d’égalité devant la Loi, reste plausible. En effet, l’empêchement de l’article 7 permet d’envisager une procédure qui détache le titulaire élu de la fonction pour raison de mise en cause judiciaire, tout en laissant la fonction intacte (intérim) ; et d’organiser pendant la durée du mandat, une mise en cause judiciaire du citoyen par des juridictions de droit commun, en filtrant par un organisme spécifique composé à la fois par des magistrats constitutionnels et issus du CSM (réformé), l’opportunité des poursuites, et en imposant un délai rapide de traitement.
Une loi organique institue les garde-fous afin que la procédure judiciaire proportionnelle au privilège de juridiction, ne puisse dériver en mise en cause politique du chef de l’État et qu’elle ne soit déclenchée que pour des motifs opportuns et en temps voulu. Il s’agit bien là d’une mise en cause judiciaire indépendante du « motif de manquement manifestement incompatible avec l’exercice du mandat ».
Cette voie, qui tient compte de l’apport de la commission des sages en reprenant ses propositions sur la séparation entre responsabilité strictement judiciaire et responsabilité pour manquement (article 68 réécrit), ne se satisfait pas pour autant de la reprise en l’état de la jurisprudence de la Cour de cassation en organisant une autre conciliation entre les deux rationalités (garantie de la continuité de l’État et respect de l’égalité des citoyens face à la Loi), conformément aux exigences démocratiques.
Il semble cependant que majorité et opposition aient décidé d’adopter la réforme à minima du statut présidentiel, sans véritablement clarifier la distinction des responsabilités et en s’en tenant en terme d’inviolabilité, à l’impunité en cours de mandat...
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Cf. notamment PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE PORTANT MODIFICATION DU TITRE IX DE LA CONSTITUTION, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 juillet 2003 étant examiné à partir du 16 janvier 2007. ↩