Conférence prononcée au Colloque de Presov « Tolérance et différence » organisé par le Département de langue et de littérature françaises de la Faculté des Lettres de l’Université de Presov, les associations Jan Hus et Sens Public, avec le soutien de l’Ambassade de France en Slovaquie, en septembre 2006.
Textes recueillis et édités par Carole Dely.
Tolérance et différence, ces deux notions si importantes au sein de toutes les relations humaines peuvent être aussi bien analysées dans le domaine de la littérature en général que dans celui des littératures francophones en particulier. Nous allons ainsi entreprendre une analyse succincte, en partie historique, en partie thématique, de l’inscription de ces deux attitudes dans le texte littéraire, tout en nous bornant à quelques exemples choisis. Si notre choix se limite présentement au domaine des littératures francophones, c’est parce qu’elles nous semblent particulièrement propices à une telle analyse. Car, non seulement les textes eux-mêmes, mais aussi de nombreux discours critiques voire politiques témoignent de la présence incontournable de certaines oppositions en rapport étroit avec la tolérance et la différence, désignées par toute une série de dénominations telles que « dominants et dominés », « le même et l’autre », pour ne citer que ces deux couramment usitées.
Il n’y a pas lieu ici de creuser tous les aspects de cette problématique très large et bien complexe. Déjà l’utilisation du pluriel, les littératures francophones, pour délimiter un certain corpus, ne va pas sans poser de problèmes. Tout récemment, c’est Jean-Louis Joubert qui a attiré l’attention des chercheurs sur la complexité du massif francophone. 1 Pour cette conférence, il nous a fallu choisir, dans l’ensemble de la francophonie littéraire, une aire plus restreinte, et même à l’intérieur de celle-ci une oeuvre précise. C’est ainsi que nous avons choisi, dans le domaine de la littérature francophone du Liban, le roman de Charif Majdalani intitulé Histoire de la Grande Maison. 2 Ce roman nous paraît suffisamment riche de manifestations textuelles montrant des attitudes fondamentalement en rapport avec notre problématique. Nous allons donc proposer, dans ce qui va suivre, une illustration de la mise en texte d’aspects historiques et socioculturels relatifs aux divergences et convergences identitaires, telles qu’elles fonctionnaient à l’intérieur de différentes communautés vivant ensemble au Liban, à partir du milieu du 19e siècle jusqu’à une époque récente. Les exemples choisis serviront, espérons-le, non seulement d’illustrations mais aussi de modèles de fonctionnement pour un texte littéraire particulier, se situant dans l’entre-deux de la fiction et de la réalité.
La spécificité de la littérature francophone du Liban ne nous semble pas avoir été suffisamment mise en avant dans les textes canoniques du corpus sans doute immense de la francophonie littéraire. Or notre auteur, Charif Majdalani 3 , professeur et écrivain, vient récemment d’en brosser un tableau plus complexe sous le titre La littérature libanaise face à elle-même et face aux autres . La première remarque qu’il formule concerne la présence de trois littératures au Liban : à côté de la littérature francophone, il y a une littérature arabophone (assez importante) et une littérature anglophone (plutôt marginale). C’est pour cette raison qu’il constate :
« Il est nécessaire de signaler au départ que tout en possédant des particularités propres, les littératures libanaises font aussi partie d’ensembles plus vastes - les littératures française, arabe ou anglo-saxonne. Autrement dit, parler de la littérature libanaise, c’est parler en même temps, et avec toutes les précautions d’usage, de littérature nationale et transnationale (…). Un tel travail se doit donc de passer par trois étapes : le questionnement de chaque littérature (arabophone, francophone et anglophone) dans le triple rapport qu’elle entretient : avec les autres, avec l’ensemble linguistique dont elles relèvent et, pour finir, (leur réception dans) la littérature universelle. » 4
Tout d’abord, il faut alors faire l’inventaire de ce qui existe et peut être considéré comme appartenant à la littérature libanaise de langue française. Ramy Zein, dans son Dictionnaire de la littérature libanaise de langue française réunit, en choisissant la formule « dictionnaire », 134 écrivains dont il présente brièvement la bio-bibliographie, accompagnée de courts extraits des oeuvres et de leur évaluation rapide, même parfois trop sommaire. D’après l’auteur, cette littérature, née il y a plus d’un siècle « s’est épanouie (…) dans de nombreuses directions tant il est vrai que la création littéraire francophone au Liban s’est toujours définie en termes de cheminements individuels, non de courants ou d’écoles ». 5 Pourtant, le répertoire thématique ajouté à la fin du volume offre, à notre avis, suffisamment de points de repère pour établir des filiations, pour reconstituer certains regroupements possibles, non seulement d’après les thèmes abordés, mais aussi d’après d’autres critères, et ceci d’autant plus facilement qu’un registre chronologique complète entre autres la présentation alphabétique des auteurs.
Afin de nous rapprocher de notre sujet proprement dit, une mise en contexte linguistique semble nécessaire. Dans le contexte de la francophonie littéraire, la question linguistique est capitale. Sans vouloir entrer dans les détails, il est important de se rappeler des enjeux linguistiques qui définissent la naissance et le fonctionnement des littératures francophones en question. Or, ici aussi, nous pouvons constater que, dans la plupart des ouvrages traitant des questions linguistiques en général, le statut de la langue française au Liban ne mérite que des mentions éparses, des raccourcis et des simplifications. Il est vrai que le français a été introduit au Liban de longue date et sans déchirures. Il est vrai aussi que le français y est pratiqué sans être ni menacé ni représenter une menace pour les autres langues - ce qui explique peut-être les omissions et les négligences. L’auteur du dictionnaire mentionné plus haut déclare à propos de l’usage des langues au Liban :
« Le choix du français n’implique pas le rejet de l’arabe. Il peut arriver qu’on choisisse le français "sans" l’arabe. Il arrive plus souvent qu’on choisisse le français "avec" l’arabe. Mais il est rare qu’on choisisse le français "contre" l’arabe. » 6
On est donc loin des « voleurs de langue », ceux qui se sont appropriés le français pour des raisons politiques et l’ont considéré comme un trésor de guerre. D’après Jean-Louis Joubert :
« Les voleurs de langue forment de gros bataillons de la francophonie littéraire : ce sont tous ceux qui ont hérité du français parce que leur pays a été, à un moment donné, colonisé ou dominé par la France. » 7
A ce propos, les gros titres parus dans le numéro spécial du journal Libération consacré à la francophonie illustrent bien la situation linguistique diversifiée selon les régions. 8 Pour désigner la situation au Maghreb, le journal n’hésite pas à prononcer le mot schizophrénie, avec le sous-titre « entre arabisation et bilinguisme », tandis que la situation linguistique du Liban reçoit une qualification moins dramatique : Arabité French touch - le Liban vers un trilinguisme désiré. Mais la question linguistique n’y est pas pour autant simple.
« Autrefois langue de la bourgeoisie, le français a dû faire de la place à l’anglais dans un pays d’abord arabophone. Mais il reste un marqueur social dont s’est emparé la classe moyenne musulmane comme chrétienne. Omniprésent, il incarne l’éternel dilemme des Libanais : sommes-nous oui ou non des Arabes ? » 9
Voici donc une première manifestation, au niveau de l’usage du français, de différence et de tolérance, ancrée dans le réel, dans ce pays si gravement marqué naguère par des oppositions autres que linguistiques. Au Liban, menacé, tout récemment encore, par des événements dont les origines et la portée ont largement dépassé les frontières strictement géographiques du pays.
Nos propos ne voulant être ni strictement politiques ni strictement historiques, nous allons essayer de cerner, par ce qui suit, les notions de tolérance et de différence telles qu’elles se trouvent fictionnalisées dans l’exemple choisi. Au lieu de proposer une mise en contexte historique, nous allons nous contenter de quelques remarques concernant le genre « roman historique ». Une première remarque s’impose : les romans historiques sont relativement nombreux dans le corpus littéraire francophone du Liban. 10 Parmi les auteurs qui pratiquent ce genre, c’est sans doute Amin Maalouf qui est le plus connu, même en dehors des limites de la francophonie littéraire. Traduits en plus de vingt langues, ses ouvrages retracent les épisodes de l’histoire du Liban. 11
Il est pourtant évident que plusieurs genres de littérature se prêtent à faire un usage littéraire des événements historico-politiques. Raconter des événements de façon plus ou moins fidèle, ou encore inventer, imaginer des récits sur un ton soit personnel soit impersonnel, ces formes de récit appartiennent aux canons littéraires depuis longtemps déjà. D’une manière générale, un très grand nombre de romans proposent, sous une forme ou sous une autre, de grands tableaux historiques, on pourrait même dire d’épopées modernes. Les exemples sont nombreux et on constate même un regain d’intérêt pour ce genre, non seulement dans les régions où les confrontations ethniques ou différences religieuses créent des situations spécialement difficiles voire douloureuses, mais un peu partout. Or, les « sagas », les récits de famille dans lesquels l’individuel rejoint le collectif, peuvent être considérés comme un sous-genre du roman historique.
Comme nous l’avons indiqué plus haut, Histoire de la Grande Maison de Charif Majdalani servira d’exemple pour ce métissage de roman historique et de saga. Par ailleurs, ce roman, en tant qu’il évoque une série d’épisodes autour d’une personne, d’une famille et d’une collectivité, présente toute une série d’inventions narratologiques. Ainsi, il nous semble suffisamment original pour proposer une analyse, même rapide, montrant des écarts significatifs par rapport au canon du roman historique. De plus, le roman a pu satisfaire, en partie du moins, quelques-unes des exigences formulées par Majdalani lui-même et mentionnées plus haut. Notamment celle de pouvoir entrer en contact avec les autres littératures du pays, et aussi de pouvoir franchir les frontières en s’assurant une réception et une insertion dans la littérature universelle.
L’inscription historique du roman se réalise par l’évocation d’un milieu multiethnique et multiconfessionnel. Au départ de l’histoire racontée, nous sommes à Beyrouth vers 1840. La ville est présentée comme « une grosse bourgade enclose dans ses remparts, fermée sur elle-même (…) pour des raisons diverses (la ville...) voit ses limites débordées et ses enfants éparpillés dans ses alentours comme les grains d’une grenade trop mure (…). Les grecs orthodoxes s’installent sur les collines de l’est, les musulmans sur celles de l’ouest, reproduisant ainsi les découpages confessionnels déjà inscrits, comme un gêne, dans la composition initiale de la ville intra-muros. » (p. 52)
La famille du personnage principal, Wakim Nassar, fait partie de la communauté orthodoxe. Wakim exerce le métier de simsar en ville, jusqu’à un événement qui ne sera jamais raconté. Il devra alors quitter Beyrouth, mais il n’ira pas très loin et s’installera dans un territoire intégré à l’Empire ottoman, habité par des maronites avec qui il s’entend bien. Wakim a donc vécu une première crise, une confrontation, qui sera la cause de l’exode inaugurale. L’épisode des Bédouins réclamant leur droit d’occuper certaines terres au cours de leurs déplacements annuels pourrait être la cause d’une nouvelle confrontation, mais Wakim, fort de son droit, ne leur permettra plus de s’installer, même provisoirement, sur son territoire. Contrairement aux maronites, cultivateurs de mûriers, il opte pour la culture de l’orange. Il s’enrichit, se marie et fonde une grande famille. C’est alors le moment de la construction de la grande maison. Il accède au rang de zaim, une sorte de fonction prestigieuse et héréditaire. Tout va bien jusqu’à l’éclatement de la guerre. Car l’Empire ottoman s’allie à l’Allemagne et tous ceux qui sont plutôt du côté des Français sont persécutés. La famille de Wakim doit quitter le Liban et s’installer dans un village misérable, moitié kurde, moitié arménien, où la majeure partie de la population est partie et où ceux qui sont restés leur sont hostiles. Mais la famille survit, revient à son domaine. Or, malgré la réussite économique, pour des raisons inexplicables, le clan ne pourra pas éviter d’être ruinée. Car ici, ce ne sont plus uniquement les circonstances historiques qui entrent en jeu, mais aussi l’ultime secret. On apprendra néanmoins quelques détails sur la lutte acharnée des deux branches de la même famille. Elle sera la cause de la perte de leur fortune et du départ des uns après les autres, des fils de Wakim, pour aller gagner leur vie ailleurs.
Cette histoire, réunissant par ses éléments l’individuel et le collectif, tout en s’inscrivant dans l’histoire d’un pays (histoire non seulement événementielle mais aussi économique) se donne à lire à travers toute une série de jeux, ou plutôt de je(ux). Il est assez facile d’identifier le discours et le jeu, d’identifier la parole non seulement en tant que don mais aussi en tant que donne. 12 Pour cela, il suffit de lire les premières phrases du roman, c’est-à-dire l’incipit, en prenant ici le terme en un sens plus général. Les voici :
« A nouveau il se taisait, protestait et s’adossait au fauteuil, l’air vague et lointain, marmonnant qu’il n’en parlerait jamais, que c’était une histoire d’un autre âge, que rien ne valait que l’on réveillât les morts. Il reprenait ensuite le paquet de cartes, qu’il se remettait à battre sans fin, pour occuper ses mains, un paquet qui lui avait servi initialement à faire des patiences avant qu’il ne renonce même à cette activité inutile, se contentant de battre les cartes à longueur de journée (…) reprenant alors le paquet de cartes, les battant une fois, deux fois, puis les reposant et se taisant toujours jusqu’à ce que je lui repose une autre question sur quelqu’un d’autre, sur une autre histoire saugrenue, ou lointaine, ou invraisemblable. »
(p. 13)
Malgré les réticences de ce personnage-narrateur, mis en scène par cette introduction un peu énigmatique, nous pourrons lire l’histoire d’une famille et celle d’une grande maison. Nous allons lire une véritable saga, transposée d’abord oralement, puis reconstituée petit à petit par le personnage-narrataire du livre. Le véritable protagoniste du roman sera Wakim Nassar, le père du narrateur, le grand-père du narrataire. Mais la vie de Wakim ne sera pas racontée d’une façon spontanée, elle sera plutôt imaginée, reconstituée à partir d’éléments disparates. Bien que le récit suive grosso modo une temporalité linéaire, les épisodes seront quand même mis en lumière selon le jeu du hasard, comme l’apparition de telle ou telle carte au cours du jeu, ou au cours de cette cérémonie du battage qui précède le jeu. Ainsi, la même histoire, dont les éléments sont déjà connus dès le début, sera développée, voire modifiée - au cours de ces séances de parole, entrecoupées de silences, de l’écoute et de l’interprétation qui s’organisent en présence du père et du fils.
Le personnage-narrataire, ce « je » dont on sent constamment la présence tout au long du roman, ne participe évidemment pas aux événements qui se déroulent sous nos yeux. Son rôle est de poser des questions à son interlocuteur. Son mérite est d’avoir rompu le silence, d’avoir surmonté la résistance et la réticence du personnage-narrateur. C’est donc lui qui mène le jeu, et c’est lui qui nous permet de voir le passé. Grâce à sa donne, il nous sera permis d’entrevoir les cartes de ce jeu et même de participer à son « jeu ». Voici une citation bien caractéristique de ce procédé :
« Puis, je m’aperçus que j’avais imaginé les choses exactement comme ça, que, à partir des bribes de ce qu’il m’avait concédé avec les années, j’avais reconstitué l’histoire telle qu’il me la disait, sans savoir toutefois s’il m’en avait lui-même très adroitement suggéré tous les éléments à mon insu (…). Toujours est-il qu’à ce moment il me sembla que je possédais enfin toutes les pièces du jeu... »
(p. 15)
Il se présente donc comme une sorte d’intermédiaire - simsar. Le métier du futur protagoniste lui sert d’indice important pour commencer son histoire. « Un mot bizarre, un métier bizarre, et encore plus dans ses syllabes arabes ». (p. 17). Mais qu’est-ce qu’un simsar ? C’est un homme qui ne possède rien, il « n’a rien, il est toujours à l’écoute du monde autour de lui, et son lieu de travail, c’est tout simplement l’extérieur, la ville, les gens » (p. 18). Après le battage des cartes, nous arrivons ainsi à une deuxième métaphore fondatrice de la mise en texte. Après l’introduction du jeu des cartes, c’est le métier d’intermédiaire qui définit la position du narrateur (ou des narrateurs), aussi bien celle du père que celle du fils, par rapport au passé qui doit être évoqué, par rapport à l’histoire de Wakim Nassar qui doit être reconstituée. Or, dans ce contexte, « traverser la ville », « rencontrer les gens », « être à l’écoute des gens » ne suffit pas pour remplir leur tâche. Il faut aussi s’imaginer la vie des gens, leur passé, leur entourage, les décors dans lesquels ils vivent.
« Et c’est curieux, voilà que cette armoire normande me permet de pénétrer chez lui, d’imaginer un peu la maison d’avant, quoiqu’il me sera toujours très difficile de croire qu’il ait pu habiter ailleurs que dans la Grande Maison qu’il fondera à Ayn Chir. »
(pp. 18-19)
Quels sont alors les indices qui aideront ce travail de reconstruction ? Les photos, bien sûr, mais aussi et surtout l’imagination, provoquée et dirigée à l’aide des indices. C’est pour cette raison que les premières pages du récit sont parsemées d’interventions du genre : « je vois soudain », « je décide », etc. Tout ce travail de reconstruction du passé (celle de l’édifice immense du souvenir - comme dirait Proust) aboutira à la conclusion, du moins partielle :
« Et il me sembla aussi que les ponts, les jointures et toute la dentelle vertigineuse de détails, je pourrais aisément les imaginer, sûr maintenant que ce que j’inventerais pourrait aussi bien avoir existé, que les différences entre le vrai deviendrait légendaire et le légendaire acquerrait authenticité au sein d’un seul et même édifice. »
(p. 15)
Dès la première page, la question de la vérité se trouve donc posée non pas en tant que souvenir complet (impossible) ou lacunaire (naturel), mais en tant que récit véridique et/ou légende.
Le narrateur se rend compte :
« Dès lors, il va falloir travailler comme un archéologue disposant de deux tessons à partir desquels il doit reconstituer le dessin d’un vase, il va falloir revoir l’ordre des deux bribes d’informations que l’on possède sur l’événement et les inverser pour que l’histoire soit plus cohérente. »
(pp. 26-27)
Effectivement, la cohérence sera assurée par la structure tripartite du roman : le temps des héros, le temps du zaim, le temps de l’exil. Au départ c’est l’exode, à la fin c’est le retour, en suivant la structure proustienne du temps perdu et du temps retrouvé. Mais la cohérence est aussi assurée par d’autres moyens narratifs. Nous allons en répertorier quelques-uns dans ce qui va suivre.
Rappelons tout d’abord que les « cartes » sont connues dès le début : l’exode initial, les orangers, les réfractaires en fuite, le bannissement du père, le village détruit d’Anatolie, les déserts d’Égypte, le canal de Suez, le soldat éthiopien, la disette, la Grande Maison, les vergers. Tous ces éléments racontés par le père « en cercles concentriques » seront « mis en ordre » et repris chronologiquement par le narrateur :
« Toujours est-il qu’à ce moment il me sembla que je possédais enfin toutes les pièces du jeu, que je pouvais désormais recréer l’histoire de la phratrie, depuis le temps de la Grande Maison et des terres couvertes d’orangers jusqu’à l’exil des trois frères en Égypte et à leur retour, une histoire qui venait finalement s’aboucher à la mienne, après avoir croisé celle, tout aussi tourmentée, de ma mère. »
(p. 15)
Les éléments de cette saga familiale s’énumèrent comme une introduction au développement des thèmes majeurs. Or, il ne sera jamais possible de reconstituer tous les morceaux de ce puzzle. Il restera toujours toute une série de lacunes, de non-dits, d’éléments secrets, occultés.
Parmi les facteurs constituant l’histoire de Wakim et celle de sa famille, le premier concerne l’opposition des chrétiens et des musulmans. Pour bien saisir l’importance de cet « arrêt sur l’image », il faut s’attarder sur l’épisode du départ, car c’est une des scènes-clé de toute l’histoire, celle de Wakim et celle des communautés opposées. Il faut donc bien « observer » cette fuite inaugurale, suivre, avec le narrateur, les pistes possibles, formuler avec lui des suppositions. Car, dans cette histoire, rien ne sera jamais complètement élucidé. Pour cette affaire, les suppositions valent mieux que les certitudes, elles sont à la fois significatives et révélatrices. Écoutons le texte : qu’est-ce qui a mené les deux frères de quitter la ville ? Une simple rixe ? Ou une affaire de femmes, des jeunes musulmanes jetant des oeillades malicieuses par-dessus leur voile à de jeunes chrétiens ? Ou bien une autre possibilité : la trahison d’un associé, qui aurait été été un musulman.
« Et petit à petit, inévitablement, la bête immonde ressort, jaillit, le mépris du chrétien pour les musulmans et celui du musulman pour les chrétiens pointent la tête, deviennent de plus en plus évidents... »
(p. 24)
En tout cas, « ce fut quelque chose qui menaça la paix civile qui faillit remettre le feu aux poudres, rallumer les guerres confessionnelles » (p. 25). Une histoire individuelle va rejoindre ainsi une histoire collective, les deux instances étant inséparables l’une de l’autre. L’individu est solidement ancré dans l’histoire collective dont les épisodes se perdent dans la nuit des temps, mais qui sont marqués, ici-même, par le flux ininterrompu de guerres confessionnelles. Les souvenirs passés de génération en génération décident du sort des individus, sans plus jamais être compris, « comme ces bouts de rites, ces fragments de croyances que les hommes continuent de répéter, de mettre en scène après que leur origine et leur signification se sont perdues... » (p. 25).
Une fois installés dans un domaine qui n’appartenait à personne, ayant été auparavant une propriété communautaire, ils doivent mener leur lutte contre les Bédouins :
« Mais ce qui importe ici, c’est que les habitants qui s’installent autour de Beyrouth repoussent chaque fois les Bédouins qui, depuis des siècles, vivent à la périphérie de la ville, campant une partie de l’année au pied de ses remparts, au milieu des figuiers de barbarie et des antiques oliveraies, cultivant de petits lopins de terre, regardant les caravanes entrer et sortir et contribuant, selon les fantasmes des habitants, à l’insécurité chronique de la région toute entière dès la nuit tombée »
(p. 53)
Ils deviennent très rapidement le cauchemar des fermiers de Ayn Chir. C’est en livrant une véritable bataille contre eux que Wakim se sentira, enfin, en sécurité. C’est ainsi que les deux frères entrent « en juridiction autonome du Mont Liban », ils débarquent dans la communauté des maronites. Wakim sera considéré par les maronites « un peu comme un héros », car « il a tenue la dragée haute aux musulmans. » (p. 28)
Le deuxième volet de la reconstruction du passé est consacré à l’histoire économique. La fortune du personnage principal résultera de sa décision de changer la culture traditionnelle des mûriers, qui suit celle plus ancienne des oliviers, et de se lancer dans la culture des orangers.
« Les mûriers, eux, vinrent plus tardivement, c’est-à-dire aux alentours de 1850, conformément au recyclage général de l’économie du Mont-Liban, qui s’introduisit ambitieusement dans le circuit économique mondial en produisant de la soie pour les manufactures lyonnaises. »
(p. 31)
D’après les procédures de la fictionnalisation, Wakim exige d’obtenir, en contrepartie d’une ancienne affaire avec un personnage dont l’identité ne sera jamais totalement révélée, un certain nombre d’orangers. C’est ainsi qu’il passe à la modernité.
« Il va planter des centaines et des centaines d’orangers, comme en Turquie et en Algérie. Il prétend que l’orange, c’est l’avenir. Qu’elle remplacera le mûrier. »
(p. 40)
Cette décision est d’une importance capitale. Tout autant que la réponse à la question, tout à fait logique du narrateur, sur la raison pour laquelle le père n’était pas revenu à Marsad, plus tard, quand les hostilités provoquant son départ étaient déjà depuis longtemps oubliées :
« Lorsque, cent ans plus tard, il m’arrivait de demander à mon père les raisons qui avaient poussé le sien à ne pas revenir à Marsad, il me répondait vaguement (…). Mais ses frères prétendaient tout simplement que c’était l’orange qui avait poussé leur père à rester à Ayn Chir. »
(p. 43)
L’évocation de ces étapes successives des cultures des oliviers, des mûriers et enfin des orangers correspond à l’évolution économique du Liban. Cet arrière-fond économico-historique inscrit le récit dans le réel, cet aspect étant aussi important que les oppositions et les confrontations ethniques, religieuses et/ou familiales.
Sa situation stabilisée, Wakim remplira, quasi naturellement le zaimat. Il arrive ainsi à l’apogée de sa vie, il fonde une grande famille, construit la Grande Maison, vit tranquillement dans un milieu apparemment stable. Mais cette situation d’équilibre financier et personnel est plus précaire qu’on ne le pense. L’histoire de la grande maison et de ses habitants suit une courbe ascendante puis descendante, leur histoire est présentée comme celle de la grandeur et de la décadence.
Or, le récit de la réussite n’est qu’une partie de cette histoire dans l’Histoire. Elle sera complétée d’une autre histoire, celle d’une opposition ou plutôt d’une hostilité qui se manifeste, cette fois-ci, à l’intérieur de la même communauté, de la même famille, entre le « nous » et le « ils ». Tandis que le premier incident, l’exode initial, aura des effets plutôt bénéfiques, aboutira à la fondation d’un véritable domaine et à la construction de la Grande Maison, le dernier secret aura des effets néfastes. « Ils » vont l’emporter par la ruse et par la mauvaise volonté. Pour développer ce motif, le texte fonctionne également sur le registre du dire et de la suggestion. Le dernier secret est évoqué dès le début :
« c’est qu’ils l’avaient fait jeter en prison après lui avoir tendu un piège honteux, à charge pour moi de comprendre qu’eux c’étaient ceux de la branche aînée, et lui l’un de ses frères, un de mes oncles ».
(p. 14)
On apprendra plus tard que la victoire « des autres » sera sinon rendue possible, du moins facilité par le fils prodigue, par sa faiblesse et par sa veulerie, par ses actes de dissipation de la fortune familiale.
La branche aînée de la famille réussit, mais les autres ne sont pas tout à fait anéantis non plus. Leur force est dans leur faculté d’adaptation aux temps modernes : se reconvertir dans les affaires, abandonner le statut de gentleman-farmer, devenir hommes d’affaires quitte à s’exiler. La toute dernière page du roman est une évocation poétique (et proustienne) des scènes « du quotidien » qui se déroulent autour de la Grande Maison. C’est aussi l’évocation des saveurs et des odeurs : « les mille petits riens qui sont la trame du quotidien » (p. 317). Avant de lire cette conclusion thématique et rétrospective, nous avons déjà appris que le père, le fils cadet de Wakim, réussit bel et bien ses affaires en Egypte et « il reviendra vingt ans après pour tout restaurer de fond en comble » (p. 316). Nous apprenons également que les autres fils réussissent aussi à refaire leur vie, leur départ sera chaque fois considéré comme un recommencement. Ainsi, la lignée ne s’éteint pas, l’histoire de la Grande Maison n’est pas terminée. La toute dernière phrase, l’explicit du roman, est tout à fait rassurante :
« Et une fois tout cela dit, avec lui accoudé maintenant au bastingage du navire qui est parti depuis une heure et d’où on ne peut plus voir les montagnes du Liban, avec lui qui s’en est détourné et qui regarde droit devant, regardons maintenant nous aussi du côté d’où vont surgir, dans vingt-quatre heures, les nouvelles terres de l’exil, regardons nous aussi du côté du pays des pharaons, des vice rois et des khédives, du côté de l’Égypte, et songeons avec lui que là-bas tout va devoir bientôt recommencer. »
(p. 317)
« Songeons avec lui » - c’est-à-dire avec le fils cadet, avec celui qui doit partir en dernier, et qui nous racontera l’histoire de la Grande Maison. Son récit restera lacunaire, d’où les incertitudes du narrateur, ses hésitations constantes sur sa capacité de reconstitution d’une histoire qu’il n’a pas vécue, dont il était forcément exclu puisque les événements se sont déroulés avant sa naissance. Tout cela aboutit à une mise en texte métaleptique, dans le sens que les travaux narratologiques ont attribué récemment à cette figure du discours. Car le narrateur se sent obligé d’intervenir. Le récit reçu comme don/ne nécessite des modifications du contrat de lecture, fondé non plus sur la vraisemblance, mais sur un savoir partagé de l’illusion.
On connaît aujourd’hui la fortune extraordinaire de cette figure de discours dans les analyses narratologiques. 13 Mais on connaît moins bien les usages que l’on en peut encore faire, hormis les exemples présentés et analysés par certains critiques. Sans aller dans le détails de ces travaux, nous pouvons désormais constater que Majdalani produit un texte métaleptique, dans les deux sens proposés, dans celui de la rhétorique et celui de la narratologie, de la théorie de la fiction. Pour illustrer ces procédés, nous allons proposer quelques exemples, pris dans la dernière partie du roman.
A propos de la chronologie des événements nous pouvons lire ceci :
« La chose, donc est entendue, comme est entendu le fait que sa position de zaim s’est trouvée renforcée avec la mort de Wakim et l’effritement de la position de ses fils. Lorsqu’il entre ce matin-là dans la joaillerie Tufenkjian, nous sommes en 1926 ou à peu près... »
(p. 281)
Ou encore :
« Par un paradoxe qui causera toujours mon étonnement, la décadence irrémédiable du domaine des Nassar de Ayn Chir débuta au moment même, aux alentours de 1925, la culture extensive de l’oranger se mit petit à petit remplacer partout dans le pays, et systématiquement, celle des mûriers. »
(p. 301)
Les incertitudes et les suppositions du narrateur sont souvent exprimées par les formules suivantes : « Je crois que Farid, mon oncle Charlus, l’oncle scandaleux, était littéralement poète » (p. 285). Dans une scène qui se déroule dans une boutique : « (…) l’un des deux demande à voir, je ne sais pas moi, des broches en diamant » (p. 282). Une formule encore plus explicite de l’intrusion du narrateur dans son récit : « On peut imaginer qu’un jour (c’est peut-être dans un café de l’avenue de France, et la mer, en face...) », café où a lieu la première rencontre de Farid et « de cette femme au prénom d’Amélie ou d’Émilie (peut-être) qui finira par le ruiner matériellement ».
Nous avons brièvement parcouru ce roman-fresque, dans lequel le passé et le présent s’enchevêtrent et les épisodes de la vie de la famille surgissent dans la conscience du narrateur qui se présente comme le petit-fils du personnage principal. L’évocation du passé s’organise principalement autour de la Grande Maison, emblème de la grandeur et du déclin de la famille. Le récit, obtenu difficilement, doit être arraché comme on arrache des secrets - car il y a un don, un premier secret, puis un dernier, le premier étant nommé l’exode initial et le dernier le dernier secret. Le début, l’exode initial est étroitement liée à la vie publique, aux confrontations des communautés religieuses, tandis que le dernier secret est illustrée comme une lutte entre la branche aînée et la branche cadette de la même famille. Ainsi, parallèlement aux tableaux représentant le milieux multiethniques du pays, le récit biblique de Jacob et de Joseph se dessine, dès les premières pages du livre.
On a souvent rapproché Charif Majdalani de Proust. Effectivement, non seulement par sa recherche du temps perdu, l’évocation des scènes d’un passé lointain, mais aussi par son style, il semble être inspiré de l’univers romanesque proustien. Il réussit à imaginer des séries d’épisodes, des instantanées, des arrêts sur l’image qui formeront une reconstruction cohérente de l’histoire de sa famille, de son père, de ses oncles, de son grand père et de toute cette tribu vivant au coeur du Liban, à partir du milieu du 19e siècle jusqu’aux années 1920.
S’agit-il alors d’un roman familial traditionnel ? Ou bien s’agit-il d’un roman historique dont les spécificités bien établies depuis longtemps déjà seront ici bouleversées ? La réponse peut être à la fois oui et non, car les jeux de la narration le rapprochent des deux formes et rendent cet ouvrage tout à fait original, même par rapport aux modèles dont l’auteur a pu, éventuellement, s’inspirer.
Paul Ricoeur dans La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli 14 résume à la fin de son parcours magistral l’importance de ces trois catégories dans tous les contextes dans lesquels nous vivons. La tolérance implique le pardon et parfois l’oubli. La différence crée les liens et les défait, lier et délier étant aussi les éléments de la réflexion du philosophe.
« Parce que nous a-t-il semblé, la mémoire reste le gardien de l’ultime dialectique constitutive de la passéité du passé, à savoir le rapport entre le "ne plus" qui en marque le caractère révolu, aboli, dépassé, et "l’ayant-été" qui en désigne le caractère originaire et en ce sens indestructible. »
(p. 648)
Puis, l’auteur conclut :
« Le travail de mémoire aurait atteint son but si la reconstruction du passé réussissait à susciter une sorte de résurrection du passé. (…). Ce serait là le voeu le plus dissimulé de la connaissance historique. Mais son accomplissement toujours différé n’appartient plus à ceux qui écrivent l’histoire, il est entre les mains de ceux qui font l’histoire. »
(p. 649)
Évidemment, nous ne pouvons avoir la prétention d’avoir répondu à toutes les questions. Il faudrait poursuivre nos recherches, élargir notre champs d’analyse. Nous nous sommes contentés ici d’esquisser quelques grandes lignes, de formuler quelques conclusions, peut-être trop hâtives, à propos des questions soulevées par le sujet proposé pour le colloque : tolérance et différence dans l’expression littéraire, à partir d’un seul exemple, celui de l’Histoire de la Grande Maison de Charif Majdalani.
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Jean-Louis Joubert, Les voleurs de langue. Traversée de la francophonie littéraire, Éd. Philippe Rey, 2006. « Cette francophonie littéraire forme décidément un ensemble hétéroclite et la diversité semble bien être son caractère essentiel. Impossible de lui assigner les frontières bien gardées : littératures francophones et littérature française s’interpénètrent comme elles l’ont toujours fait. » - cf. Conclusion, p. 125. ↩
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Charif Majdalani, Histoire de la Grande Maison, Seuil, 2005. ↩
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Charif Majdalani, né en 1960, dirige le département de lettres françaises de l’université Saint-Joseph de Beyrouth. Adepte du métissage culturel, amoureux du baroque, il se définit volontiers comme « méditerranéen » (cf. quatrième de couverture de l’ouvrage cité plus haut). ↩
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Source Internet : Une étude de Charif Majdalani, La littérature libanaise face à elle-même et face aux autres (site www.biblib.com), 2001. ↩
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Ramy Zein, Dictionnaire de la littérature libanaise de langue française, L’Harmattan, Paris, 1998, p.8. ↩
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Ibid. p. 11. ↩
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Jean-Louis Joubert, ouvr. cit. pp. 8-9. ↩
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Voici la page-titre : Francophonie, ma langue vivante. Cette année, le Salon du livre fête la francophonie. A cette occasion, Libération illustre les mille et une manières de fréquenter le français dans le monde à travers paroles d’écrivains et d’artistes, jeux de langages et reportages. Supplément à Libération, No. 7730, (16 mars 2006). ↩
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Ibid. p. 59. ↩
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De nombreux ouvrages répértoriés dans le Dictionnaire de la littérature libanaise (cf. Note) traitent du thème de l’histoire. L’emir à la croix de Jeanne Arcache (1938) retrace le parcours de Fakhreddine Ma’n, fondateur de la nation libanaise moderne. Louis Ingea, dans son roman Par-delà fiel et miel, publié en 1991, raconte l’histoire presque contemporaine du Liban. D’après l’auteur du Dictionnaire, les années 60 et le début des années 70 y sont évoquées comme « Une tranche d’une quinzaine d’années idylliques ».Vahé Katcha, dans son roman intitulé Poignard dans le jardin, publié en 1981, propose une fresque historique centrée sur la tragédie arménienne dans ces deux grands actes : les massacres de 1896 et de 1915. Sont également mentionnés deux romans de Gérard D. Khoury, Mémoire de l’aube, Chroniques libanaises (1987) et La Maison Absente (1991). Le premier a pour cadre les deux années qui ont précédé la naissance du Grand-Liban au lendemain de la Grande Guerre. De nombreux projets politiques s’affrontaient alors, portés par une multitude d’aspirations souvent contradictoires (Liban indépendant, confédération avec la Syrie tous les pays arabophones, etc.). Le deuxième roman raconte, via un narrateur journaliste, les reproches qu’il adresse à ceux qui ont causé la ruine de ce pays. Georgine Mallat dans son roman L’Émeraude était bleue (1995) insère maintes digressions dans sa narration, sur l’histoire du Liban durant la première moitié du 20e siècle. Jacqueline Massabki dans un roman fait « à quatre mains » et publié en 1989 sous le titre La Mémoire des cèdres, dresse un grand tableau familial et collectif de plusieurs étapes de l’histoire du Liban. En 1926 l’année où fut adoptée la Constitution libanaise, le pays semble prendre la voie du progrès et de la prospérité, mais la jeune république est minée, déjà, par la corruption des élites et des tensions intercommunautaires. Puis y sont évoqués les problèmes surgis à l’issue de la deuxième guerre, l’arrivée en masse des réfugiés palestiniens, la crise de 1958, la militarisation effrénée des partis politiques. Le Liban sombre dans la guerre. Salut Jérusalem de Béchara Ménass remonte au 12e siècle, à l’époque des croisades et à l’arrivée de Mamelouks. Son mérite, toujours d’après l’auteur du Dictionnaire, d’avoir « ambitionné de transcender son cadre historique pour suggérer des similitudes entre l’époque décrite et la nôtre. Salut Jérusalem nous renvoie en quelque sorte le reflet lointain de nos conflits actuels. Comme si des siècles après les croisades, l’ histoire hésitait encore à faire un pas en avant. » ↩
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Samarcande, éd. J. C. Lattès 1988, Le Rocher de Tanios, éd. Grasset, 1993, Le périple de Baldassare, éd. Grasset, 2000. Ces ouvrages ont été publiés en hongrois également ↩
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Cf. Le Dictionnaire Robert. Donne : distribution des cartes au jeu ; cartes distribuées. Nouvelle donne : situation nouvelle résultant de changements importants dans un domaine quelconque. ↩
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Gérard Genette, Métalepse. De la figure à la fiction, Éd. Du Seul, Paris, 2004. ↩
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Paul Ricoeur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Éd. du Seuil, Paris, 2000. ↩