La campagne des présidentielles de 2007 a été caractérisée par une inflexion en termes de volonté de rupture sur le plan institutionnel. L’idée de changement de République a été assumée par différents candidats. La volonté d’instituer une VIe République est présente à l’extrême-droite, au centre 1 , chez les écologistes et les communistes ainsi que chez la candidate socialiste. C’est en ce sens que la question institutionnelle devient une question de changement de régime accompagnée par l’invocation référendaire. En quoi cette perspective annonce-t-elle un changement de style de présidence ?
Nous nous proposons de décrire d’une part la façon dont cette rupture institutionnelle est inscrite au cœur des programmes et d’autre part la manière dont les candidats valorisent au sein de leurs discours ce changement comme un marqueur politique. Ainsi, la façon dont les candidats se représentent l’organisation des pouvoirs publics devient un socle permettant de définir les priorités pour les politiques publiques à conduire. Si la campagne est marquée par l’absence de confrontations directes, la question institutionnelle permet de ménager une place au débat sur les formes adéquates à l’évolution de la République. Le caractère de cette campagne illustre le constat de Pierre Rosanvallon selon lequel « nous sommes […] passés de démocraties de confrontation à des démocraties d’imputation » 2
L’inscription de la rupture institutionnelle
C’est sans aucun doute la première élection présidentielle où le thème de la VIe République a été partagé par le plus grand nombre de candidats : celle-ci se veut plus proche des citoyens et comporte un usage plus important du référendum, une dose de proportionnelle, la modification du statut du chef de l’État ainsi qu’un cabinet ministériel resserré, un Parlement rénové et associé de manière plus étroite aux décisions et la transformation du rôle du Sénat. Le candidat de la LCR a proposé dans son programme « d’abattre la Ve République » avec les mesures suivantes :
« il faut abroger la Constitution de la Ve République et mettre en place une Assemblée unique constituante, élue à la proportionnelle intégrale, qui désigne un exécutif responsable devant elle. Pour renforcer le contrôle citoyen, les élus et l’assemblée doivent pouvoir être révoqués, même avant la fin du mandat prévu, s’il apparaît que les décisions prises contredisent les programmes sur lesquels ils ont été choisis et s’opposent aux souhaits populaires. Par exemple, en organisant une nouvelle élection si un nombre déterminé d’électeurs le demande […]. Il faut remplacer la pratique référendaire contrôlée d’en haut par le droit à des référendums d’initiative populaire, sur proposition des citoyens eux-mêmes. Enfin, il faut interdire le cumul des mandats et supprimer le Sénat » 3 .
Arlette Laguiller, Olivier Besancenot et José Bové insistent sur le contrôle des représentants en réintroduisant une forme de mandat impératif. On remarque que la pratique référendaire est associée aux dérives plébiscitaires des institutions de la Ve République alors que le référendum d’initiative populaire est connoté positivement, sans qu’il n’y ait de précisions sur la façon dont ce référendum pourrait être mis en place. Pour José Bové, il faut également convoquer une constituante et proposer un référendum sur une nouvelle Constitution « démocratique et sociale, représentative et participative, laïque et émancipatrice » 4 . Il remet en cause l’élection du chef de l’État au suffrage universel et la subordination de l’exécutif à l’Assemblée nationale. Autrement dit, son souhait est de rétablir une République strictement parlementaire. La révocation y est évoquée tout comme la nécessité d’un statut de l’élu et le référendum d’initiative populaire. Marie-George Buffet, candidate du PCF, plaide pour une élection du président au suffrage universel indirect tous les cinq ans et la limitation du rôle du président de la République. Le Sénat sera supprimé au profit d’une deuxième chambre assurant le lien entre initiatives citoyennes et collectivités territoriales, la proportionnelle sera généralisée à toutes les élections 5 . Pour Gérard Schivardi, candidat indépendant soutenu par le parti des travailleurs, la proportionnelle intégrale figure également comme l’une des priorités en matière de réforme institutionnelle 6 . Pour la gauche antilibérale française, les propositions de rénovation institutionnelle sont radicales et conjuguent référendum d’initiative populaire, usage de la proportionnelle et limitation du rôle du président. Le contrôle des élus et la mise en place d’une forme de démocratie de défiance sont caractéristiques de ces propositions 7 . Le Front National propose l’institution d’un référendum d’initiative populaire national pour contourner l’incapacité des structures politiques traditionnelles. Les projets de Constitution de la VIe République se sont accumulés ces dernières années, aussi bien du côté des rénovateurs socialistes tels qu’Arnaud Montebourg que du côté des écologistes indépendants et des centristes. Pour les rénovateurs socialistes, l’article 37 du projet de constitution de la VIe République reprend les éléments de l’article 11 de la Constitution (avec l’extension du champ référendaire de la loi du 4 août 1995) en y ajoutant une initiative législative de 10% des électeurs 8 .
Le 4 octobre 2006, des parlementaires UDF ont proposé un projet de VIe République 9 . Pour le projet des centristes, l’article 11 inclut une initiative législative pour 5% des électeurs (avec le contrôle de la Cour constitutionnelle), l’article 75 rappelle l’article 88-5 de la Constitution actuelle avec un référendum pour chaque nouvelle adhésion 10 . Dans le projet de Corinne Lepage, écologiste indépendante, on retrouve aux articles 13 et 45 l’idée d’une initiative législative de 5% et l’article 89 interdit au préfet de contrôler la légalité de l’objet d’un référendum local 11 .
Les candidats écologistes ont toujours été attachés aux pratiques de démocratie directe permettant d’aérer le système représentatif et d’introduire de nouvelles problématiques. De ce point de vue, la revendication de l’initiative populaire et des référendums locaux a constamment été au cœur de leurs programmes successifs. Dominique Voynet, candidate des Verts aux présidentielles de 2007 est dans la continuité de ses déclarations lorsqu’elle était candidate en 1995 : elle milite pour une dose de proportionnelle et l’usage d’instruments de démocratie directe. Les écologistes se sont appuyés sur l’institutionnalisation d’outils de démocratie participative et de démocratie directe.
« Le référendum d’initiative populaire (aujourd’hui réduit à une simple consultation qui ne s’impose pas à l’exécutif) doit être inscrit dans la loi, à tous les niveaux de collectivités publiques […] Par ailleurs, un droit d’initiative législative devrait être conféré aux citoyens : toute proposition de loi contresignée par 500 000 citoyens devrait être automatiquement inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale » 12 .
La nécessité d’une consultation plus forte et d’une meilleure représentation est le thème récurrent des campagnes des écologistes que celles-ci soient locales 13 , nationales ou européennes. Le programme des écologistes prévoit également l’instauration d’une VIe République basée sur un régime primo-ministériel avec la modification du mode de scrutin 14 . Arlette Laguiller ne s’est pas intéressée au référendum en tant que tel, puisqu’elle revendique le principe de révocabilité des élus dans une perspective conseilliste et refuse le système majoritaire. Sur les questions institutionnelles, elle a donc les positions les plus radicales sans que ces dernières ne soient précisément développées 15 .
La reconnaissance du vote blanc, la réclamation du vote obligatoire sont partagées par le candidat de l’UDF, celui du CNPT et la candidate socialiste. Le pacte présidentiel proposé par Ségolène Royal assume l’idée de VIe République qui provient d’une synthèse des débats. Dans son pacte présidentiel, il est annoncé pour ce chapitre les idées suivantes : « les citoyens veulent prendre la parole plus souvent et plus directement pour décider eux-mêmes. « Référendum ou proposition d’initiative citoyenne », « droit de pétition », voire « référendum perpétuel » 16 , etc. Tous les outils de la démocratie participative ont été explorés » 17 . Il est assez évocateur de voir figurer dans ce chapitre des instruments de démocratie directe à la place d’instruments de démocratie participative. L’originalité de la candidate reste d’avoir introduit l’idée de jury citoyen à certains niveaux de décision (conférence sur l’indice des prix, jurys citoyens territoriaux) 18 . La proposition 75 du pacte présidentiel accorderait le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidant régulièrement en France depuis cinq années 19 . Tous les partis de gauche s’accordent sur ce point, le débat ayant peu évolué en la matière sur cette thématique. Le PCF propose la reconnaissance du droit de vote et d’éligibilité des étrangers à toutes les élections 20 . L’UDF y est également favorable pour les étrangers résidant depuis 10 ans 21 alors que le MPF de Philippe de Villiers y est très hostile 22 .
Pour Nicolas Sarkozy, la proposition à retenir est celle d’une revalorisation du Parlement en matière de politique étrangère et d’affaires européennes, remettant en cause implicitement l’idée d’un domaine réservé sur ces questions 23 . Le nombre de mandats présidentiel successifs est limité à deux et le Président doit être en mesure d’expliquer sa politique devant le Parlement qui voit ses prérogatives renforcées en matière d’élaboration des lois et de contrôle administratif. Une dose de proportionnelle sera introduite au Sénat pour permettre une meilleure représentation des partis. François Bayrou souhaite une revalorisation considérable du Parlement face à une dérive présidentialiste des institutions qu’il condamne fermement sans pour autant s’engager dans une discussion sur l’usage du référendum. Le candidat de l’UMP est hostile à l’instauration d’une VIe République qu’il juge dangereuse parce qu’elle reconstruirait une architecture institutionnelle semblable à la IVe République 24 . Il est favorable à la responsabilité du président de la République engagée devant le Parlement.
On pourrait regrouper l’ensemble de ces propositions institutionnelles suivant plusieurs thèmes, à savoir le référendum, l’initiative populaire, le statut de l’assemblée nationale, celui du Sénat, la délimitation du rôle du président. Il s’agit de comparer les détails des propositions institutionnelles 25 , sachant que les propositions ont été formulées par les partis politiques en vue des présidentielles et des législatives de 2007.
Pour toutes ces propositions, on remarque que l’usage du référendum est évidemment fréquent chez les candidats souhaitant modifier considérablement les institutions, sauf pour le candidat de l’UMP qui ne retient que l’initiative populaire législative et Lutte Ouvrière qui vise une révocation systématique des élus et l’installation d’une démocratie de type conseilliste. Les propositions convergent parmi les grands candidats quant à la nécessité de revaloriser le rôle du Parlement et de l’associer aux décisions engageant l’ensemble de la nation. On retiendra notamment l’idée que le Parlement doit avoir son mot en matière de politique étrangère. Le Parlement retrouve une fonction de décision et de contrôle et n’est plus réduit à un simple outil d’élaboration des lois. Pour le candidat de l’UMP, les hauts fonctionnaires travaillant au sein des cabinets ministériels seront nommés après auditions au Parlement. « Les candidats à ces nominations seront auditionnés publiquement par le Parlement et celui-ci pourra mettre son veto à leur nomination » 27 . Pour la candidate socialiste, le président ne doit plus être à la tête du Conseil de la magistrature. La transformation du Conseil constitutionnel en cour constitutionnelle où ses membres sont élus par le Parlement se retrouve également dans certains programmes à l’instar de celui du Front National. Dans un style plus vif, François Bayrou s’est prononcé pour la suppression de l’ENA comme Jean-Marie Le Pen et Philippe de Villiers 28 , tandis que Frédéric Nihous souhaite limiter le poids des énarques dans les cabinets ministériels et les inviter à suivre régulièrement des stages de formation dans les administrations locales.
Il existe un dénominateur commun qui est d’aménager les institutions vers une dimension plus collégiale des décisions, ce qui tend à corriger la prééminence du président de la République. Le rôle du Parlement est rééquilibré et le président devient plus responsable, à la fois devant la nation et ses représentants. Il importe néanmoins de souligner une divergence entre l’UMP, le FN et le MPF qui soutiennent la vision d’une République présidentielle plus forte et notamment plus plébiscitaire pour le MPF et le FN, alors que du centre à l’extrême-gauche, la majorité des candidats souhaitent une inflexion plus parlementaire. Le Front National revendique de son côté la paternité de l’idée de la VIe République depuis 1995 29 .
Pour la plupart des candidats, le mode de scrutin doit également être changé et inclure une dose de proportionnelle. Plus le candidat se rapproche des extrêmes de l’échiquier politique, plus la demande d’une proportionnelle intégrale est réclamée. On retrouve des thématiques chères à la gauche, telles que l’idée d’une assemblée constituante qui devrait définir un nouveau contenu constitutionnel ou comme le candidat soutenu par le PT, une constituante qui désigne un gouvernement responsable. Les partis d’extrême-gauche réaffirment la volonté de supprimer le président de la République dans une tradition conseilliste alors que les partis d’extrême-droite insistent sur la nécessité d’avoir une présidence de type plébiscitaire. La candidate socialiste a également rappelé la façon dont elle proposerait un nouveau texte constitutionnel aux suffrages des Français.
« Je mettrai en place, sous l’autorité du Premier ministre, un conseil consultatif constituant, avec des parlementaires, des représentants du Conseil économique et social, des élus locaux, des constitutionnalistes, ainsi qu’un jury de citoyens tirés au sort. La charte de laïcité que j’appelle de mes vœux sera, pour sa part, adossée à la Constitution » 30 .
Au-delà des programmes, on ressent une volonté de rupture institutionnelle soit dans un sens présidentialiste avec un usage fréquent du référendum soit dans un sens plus parlementariste avec les revalorisations de ses fonctions de contrôle et de décision.
Du style en politique
Plusieurs éléments permettent de définir un style discursif en politique, à savoir le lien qui unit le candidat à son parti et la façon dont il s’en distingue. Il semble que le fait de dire librement ses idées soit une thématique partagée par de nombreux citoyens, comme si cette prise de distance était nécessaire pour correspondre aux vœux des électeurs défiants. La promotion de slogans permet aux candidats d’afficher une image qui est construite au fil des discours. L’analyse de discours n’est pas purement quantitative 31 , elle a été effectuée grâce au logiciel Tropes qui permet de détecter les propositions remarquables des discours et d’offrir une vue statistique des équivalences thématiques et des catégories de mots 32 .
a) La fonction présidentielle au crible des images
Nous pouvons établir une certaine image de la présidence à partir des discours-clés des candidats à la présidentielle. Nous nous limiterons aux candidats ayant maintenu une position forte au fil des sondages, à savoir Nicolas Sarkozy, François Bayrou, Jean-Marie Le Pen et Ségolène Royal. Il s’agit de retenir les discours qui affirment les thèmes forts de la campagne du candidat. Ainsi, nous analyserons en détail le discours de Villepinte de Ségolène Royal (11/02/2007, 11 968 mots), celui de Valmy de Jean-Marie Le Pen (20/09/2006, 2789 mots), celui de Nicolas Sarkozy au congrès de l’UMP du 14/01/2007 (9417 mots) et enfin celui de François Bayrou lors de la réunion publique de Lille (14/12/2006, 7319 mots). Certes, tous ces discours sont prononcés à des circonstances différentes et sont de longueur variable, mais tous esquissent le style politique du candidat.
Le discours de Jean-Marie Le Pen est caractérisé par l’usage du symbole de Valmy dans l’histoire française pour dramatiser le rôle du président qui est le sauveur de la Nation face aux ennemis de l’extérieur (la mondialisation) et de l’intérieur (les élites qui abandonnent la France). Cette solennité du discours est marquée par un usage fréquent des pronoms personnels Je (61 occurrences soit 28,8%) et Nous (48 soit 22,6%). La souveraineté nationale est retrouvée dans un unanimisme incarné par son président (« Je vous appelle à communier sur nos valeurs », « je vous appelle à cette pacifique et décisive bataille », « je vous convie à ce rendez-vous historique », « je réponds que les peuples ont besoin de symboles afin de rassembler les familles »). Le discours est très subjectif et personnel, centré sur la solennité du moment et la mission du président qui doit guider le pays et le monde. La fonction du président est essentiellement cernée dans sa dimension d’incarnation.
Pour le candidat de l’UMP, le discours du congrès de Versailles est marqué par une inspiration forte dans l’histoire du pays et de ses figures marquantes, dans le but de croiser son histoire personnelle avec celle du pays et de donner une forte légitimité à sa position. C’est ainsi que tous ses mentors politiques sont remerciés (notamment Edouard Balladur pour lui avoir confié ses premières responsabilités ministérielles et Jacques Chirac pour lui avoir donné la possibilité de faire son premier discours en 1975), car l’objectif est de réconcilier sa famille politique. Le discours est marqué par une ferveur spirituelle et une volonté de marquer l’avenir de la Nation par son action spécifique. La présence du pronom personnel je est fortement marquée dans la volonté de témoigner d’une certaine sincérité et d’un engagement profond. On part des visages de la France (« elle a 17 ans la visage de Guy Môquet quand il est fusillé », « elle a 50 ans et la voix du Général de Gaulle le 18 juin 1940 »…). La première partie du discours est marquée par la présentation du candidat, la deuxième par la présentation du patrimoine commun avant une dernière partie qui met en avant la spécificité de la rencontre entre le candidat à l’élection et le nouveau visage qu’il souhaite donner au pays (marqué par les répétitions « je veux être le président… »). Le discours est marqué par la nécessité d’une exigence (une « démocratie irréprochable ») et le rappel des valeurs communes qu’il faut respecter. Le slogan du candidat, le projet, est mis en avant : « la République n’est pas une religion. La République n’est pas un dogme. La République est un projet toujours inachevé ». À travers une série d’anaphores, le candidat oppose la République réelle à la République virtuelle, permettant de mettre en avant la nécessité d’une action énergique.
Dans le discours de Villepinte de Ségolène Royal, on remarque l’importance des pronoms personnels Je et vous, comme si cette élection était un dialogue direct entre les Français et la candidate. Il est vrai que ce discours inaugure une nouvelle phase dans la campagne de la candidate socialiste, qui rappelle constamment la façon dont les débats participatifs ont été au cœur de sa démarche («c’est pourquoi j’ai voulu prendre le temps de vous écouter », « vous êtes venus très nombreux dans cette phase de démocratie participative »). La phase d’écoute sert ainsi à légitimer la série de propositions (le pronom nous est réaffirmé dans la suite du discours). Contrairement au candidat de l’UMP qui engage sa responsabilité et déroule un projet, la candidate s’appuie sur cette phase préliminaire de dialogue pour alimenter son pacte (le terme apparaît quatorze fois dans le discours). Le terme pacte, aux connotations juridiques, rappelle cette convention ou cet accord signé avec les Français lors de cette phase participative. Elle résonne avec d’autres termes juridiques (« jurys » citoyens) pour montrer à quel point la candidate a tenu compte de la méfiance et de la défiance des citoyens vis-à-vis de la politique. Le slogan retenu pour la campagne (« La France Présidente » 33 ) permet à la fois de mettre en avant cette démarche participative tout en s’appuyant sur le renouvellement de la figure de Marianne. Tous les intermédiaires entre la candidate et les Français sont oubliés, comme si l’image d’une présidence de proximité impliquerait de sous-entendre la manière dont elle a fait ses preuves en politique contrairement au candidat de l’UMP qui rappelle son parcours politique pour l’inscrire en phase avec l’histoire de la Nation. La candidate ne revisite jamais le patrimoine de la Nation pour s’inscrire en continuité avec ses figures, mais fait ressortir sa nouveauté et le fait que pour la première fois dans l’histoire française, une femme est la candidate d’un grand parti.
Dans le discours du candidat centriste, on remarque un usage moins important des pronoms personnels « Je » et « Vous ». Le « Nous » et le « On » sont assez importants, ce qui s’explique par la démarcation que souhaite le candidat par rapport à ses adversaires. L’idée est que les citoyens subissent depuis trop longtemps les querelles des grands partis et donc qu’ils se désintéressent de la politique. La négation est fortement présente dans ce discours, dans la mesure où le candidat du centre doit à la fois nier les actions des candidats sur sa gauche et des candidats de sa droite (« je ne le crois pas et je crois que vous ne le croyez pas non plus »). Aucun des grands sujets n’ont été abordés par les partis traditionnels (« Ni la réforme de la fiscalité, ni la réforme des universités », « ni la réforme de l’État […] ni la réforme des finances publiques »). La vision de la Nation est exprimée en des termes modestes, le champ lexical des valeurs spirituelles n’est pas présent dans ce discours et le slogan « la France de toutes nos forces » se trouve explicité à la fin du discours. Ainsi, le style des candidats est très différent et se trouve défini dans chacun des discours analysés. Si le candidat de l’extrême-droite affirme la vision d’une France éternelle portée par le président, le candidat de l’UMP inscrit sa légitimité au sein d’une narration plus longue alors que le candidat centriste propose une vision équilibrée et concrète des grands sujets à traiter et que la candidate socialiste s’appuie sur sa démarche participative.
b) Les succès des promesses référendaires
Le statut du référendum est un indicateur intéressant des débats institutionnels qui se posent à chaque élection présidentielle. Il n’est pas au centre de la campagne, mais son invocation permet aux candidats de dégager l’image d’un président responsable et d’un système représentatif quelque peu aéré. On sait que depuis le début des années 1980, la demande référendaire s’est accrue, l’opinion publique réclamant des référendums sur des sujets de société 34 . Ainsi, l’idée de référendum constituant pour avaliser une VIe République ainsi que l’annonce d’un référendum sur un nouveau traité européen sont partagées par de nombreux candidats. La candidate socialiste a inscrit au cœur de sa campagne l’exigence d’une nouvelle République qui s’appuie sur des instruments participatifs (jurys citoyens, budgets participatifs) et qui mette en place un certain nombre de contrepouvoirs destinés à surveiller les comptes de l’État.
La redéfinition du cadre des institutions donne une place plus large aux droits populaires (initiative législative, référendum d’initiative populaire) chez tous les candidats. Les promesses de référendum se sont accumulées chez beaucoup de candidats, puisque la candidate socialiste en a promis au moins deux (un sur un nouveau traité européen ainsi qu’un référendum constituant), de même que les candidates écologistes et communistes. Le candidat centriste 35 a pour sa part annoncé de nombreux référendums y compris en mobilisant les sujets possibles depuis l’extension de la loi du 4 août 1995 élargissant le référendum (régimes spéciaux des retraites 36 ). Son discours de Lille ménage une place centrale au référendum :
« Je prends devant vous l’engagement - qui est au contraire du choix de mes concurrents - qu’aucun texte ne sera adopté par la France qui ne le soit aussi par les Français. Ce qu’un référendum a décidé s’impose tant qu’un autre référendum n’est pas intervenu. Ce principe est pour moi un impératif et je n’y manquerai pas » 37 .
Le référendum se retrouve au cœur de la démarche de Jean-Marie Le Pen et de Philippe de Villiers, le premier se référant à la mise en œuvre d’une « République référendaire » et le second en appelant au « patriotisme référendaire ». La 62e proposition de Philippe de Villiers est la suivante :
« Un État qui ne cède pas, c’est un État qui ne soumet pas aux féodalités idéologiques. Mettre en place un « patriotisme référendaire » en multipliant les référendums présidentiels sur les grands sujets de société (éducation, immigration…) et instaurer le référendum d’initiative populaire » 38 .
Cette méthode est encore plus développée dans le projet final du candidat puisque les grandes réformes doivent pouvoir être proposées par référendum (proposition 214) sans que les élites « politico-médiatiques » puissent contourner le débat. Le référendum d’initiative populaire (seuil de 2 millions de signatures) est clairement affirmé dans la proposition 215 sans que le référendum local ne soit mentionné par la suite dans le volet « démocratie locale » 39 .
Le candidat de l’UMP est plus réservé quant à l’usage du référendum, en raison du quinquennat et du calendrier électoral chargé.
« Le quinquennat a beaucoup changé les choses. Il y a la présidentielle, puis les législatives, se profilent ensuite les municipales, les cantonales et les régionales. Croyez-vous que, si je suis élu, je vais aussitôt dire aux Français : « Excusez-moi, j’ai besoin de vous demander votre avis sur un autre sujet ? » » 40 .
Dans ces propos, le candidat effectue une analogie entre consultations référendaires et électorales. Une élection est un avis général auquel il serait difficile d’ajouter un avis particulier. En moyenne, parmi les candidats, deux référendums nationaux sont annoncés, ce qui est bien supérieur à la fréquence des référendums nationaux depuis le début de la Ve République. L’invocation référendaire témoigne d’une certaine forme de prudence, de façon à renvoyer à un avenir proche et à neutraliser le débat. On remarque que certains petits candidats et les candidats plus contestataires ont largement investi la méthode référendaire à la fois par prudence (le peuple-juge devient alors la figure ultime de la décision) et par volonté de contourner les gros appareils politiques.
* * *
Si l’idée de VIe République s’impose à un certain nombre de candidats, ce n’est pas tant en raison d’une crise institutionnelle que d’un changement de comportement des électeurs politiques : l’idée est d’installer des contre-pouvoirs et de surveiller l’activité des gouvernants pour les inciter à plus de responsabilité. Le rôle du président est visé par cette volonté de rénovation institutionnelle, dans la mesure où le Parlement retrouverait une fonction de contrôle. Cette surveillance des élus est assumée par la candidate socialiste qui propose d’instituer des jurys citoyens censés évaluer certaines politiques publiques : il est admis que les hommes politiques doivent rendre encore plus de comptes alors même que le quinquennat a accéléré le temps de la politique et des décisions à prendre. On peut se demander si cette tension entre deux types de temporalité (le temps des décisions et le temps de surveillance) ne risque pas de diminuer l’autonomie du politique par rapport à d’autres mécanismes. Selon Pierre Rosanvallon, nous avons atteint l’âge de la contre-démocratie caractérisée par des formes disséminées de contrôle et de rabaissement des pouvoirs que l’on ne cherche plus à conquérir.
« Les divers mécanismes ou comportements en jeu ont pour première conséquence de dissoudre les expressions de l’appartenance à un monde commun. D’essence réactive, ils ne peuvent pas servir à structurer et à porter une proposition collective » 41 .
Si des éléments de contre-démocratie sont intégrés à la question de rénovation institutionnelle, l’idée de VIe République a le mérite de redéfinir les règles d’un pouvoir politique plus responsable.
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François Bayrou, 2006, Au Nom du Tiers-État, éditions Hachette, « Pour la VIe République », pp. 137-158. ↩
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Pierre Rosanvallon, 2006, La contre-démocratie, la politique à l’âge de la défiance, Paris, éditions du Seuil, p. 23. ↩
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http://besancenot2007.org/spip.php?article756 Site consulté le 29/03/2007 ↩
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http://josebove2007.org/spip/spip.php?article52#inter7 Site consulté le 29/03/2007 ↩
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http://www.mariegeorge2007.org/IMG/pdf/brochure_programme_mail.pdf, p. 33. Site consulté le 29/03/2007. ↩
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« Le programme de Gérard Schivardi », Le Monde, 19/03/2007. ↩
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http://www.mariegeorge2007.org/IMG/pdf/brochure_programme_mail.pdf, p. 33 : « des comités et des conseils territoriaux veilleront à l’information, à l’exercice de la participation citoyenne et au contrôle de l’activité des élus ». ↩
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Arnaud Montebourg, Bastien François, 2005, La Constitution de la VIe République, Réconcilier les Français avec la démocratie, Paris, éditions Odile Jacob. ↩
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http://www.udf.org/actualites/actu_site/2006/appel_6e_republique.pdf Site consulté le 30/03/2007 ↩
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http://www.udf.org/actualites/actu_site/2006/projet_constitution_6erepublique.pdf Site consulté le 01/03/2007. ↩
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http://www.cap21.net/infos/constitution.pdf Site consulté le 01/03/2007. ↩
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Programme des Verts à la présidentielle de 2007. http://lesverts.fr/IMG/pdf/pr2007_d.pdf Site consulté le 30/03/2007, chapitre D, « des institutions et une société à démocratiser, vers une sixième République », pp. 62-66. ↩
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Dans le programme des Verts adopté en décembre 2003 et en janvier 2004, on remarque l’idée d’un droit de pétition locale permettant aux habitants de soumettre une question au conseil municipal ainsi que le souhait d’élaborer d’autres instruments de participation (panels de citoyens). http://programme.lesverts.fr/article.php3?id_article=292 site consulté le 01/12/2006. ↩
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Les positions sont plus développées dans le précédent programme des Verts, volet « Institutions et Démocratie », programme adopté en décembre 2003 et en janvier 2004, http://programme.lesverts.fr/article.php3?id_article=292, site consulté le 01/12/2006. ↩
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Les questions institutionnelles ne sont pas abordées en tant que telles, puisque Lutte ouvrière se base sur un rejet du système politique tout entier. Cf « Lutte de classe », Texte d’orientation, Union communiste internationaliste, décembre 2005, motion approuvée par les délégués présents au congrès. http://www.union-communiste.org/?FR-archp-show-2005-1-641-3601-x.html, texte consulté le 01/12/2006. ↩
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Cette expression est très ambiguë et assez rare, elle rappelle l’idée de démocratie permanente chère à l’extrême-gauche. ↩
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« Le pacte présidentiel », p. 21 dans http://www.desirsdavenir.org/actions/telecharge_pacte.php, site consulté le 05/04/2007. ↩
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Christophe Prémat, « Malentendus sur la démocratie participative, réflexion sur les primaires socialistes », Sens Public, article mis en ligne le 05/12/2006. ↩
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Cette position avait été défendue par le PCF le 5 novembre 1999 dans un projet de loi constitutionnelle pouvant s’appliquer dès les élections municipales de 2001. Le PRG, l’UDF, une majorité du PS et certains membres du RPR y étaient favorables. ↩
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Cela constitue le 11e engagement de Marie-Georges Buffet dans sa campagne (15 engagements principaux). Les étrangers présents sur le sol français depuis trois ans pourront voter et être éligibles aux élections locales. Après dix années de résidence, ce droit s’étend aux élections nationales. ↩
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http://www.bayrou.fr/propositions/election-modes-scrutin.html Site consulté le 05/04/2007 ↩
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http://www.pourlafrance.fr/5.php Site consulté le 05/04/2007, proposition 181: « proscrire le droit de vote des étrangers proposé par Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou. Le droit de vote est indissociable de la nationalité ». ↩
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Nicolas Sarkozy, 2006, Témoignage, Paris, éditions XO, p. 166. ↩
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Congrès de Versailles, le 14/01/2007. Le slogan du candidat est celui d’une « démocratie irréprochable ». « Notre démocratie n’a pas besoin d’une révolution constitutionnelle ». ↩
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Pour la comparaison avec les programmes des candidats de 2002, nous renvoyons à notre article « Les promesses de rénovation institutionnelle des candidats à la présidentielle », Sens Public, article mis en ligne le 28 février 2007, http://www.sens-public.org/spip.php?article392 ↩
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En attente des négociations sur une éventuelle candidature antilibérale unique, nous avons considéré les positions du PCF qui a déjà ébauché un programme en vue des prochaines échéances électorales. ↩
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Nicolas Sarkozy, 2007, « Ensemble tout devient possible, mon projet », http://www.sarkozy.fr/lafrance/?mode=programme&id=53, p. 4. ↩
-
Philippe De Villiers, proposition 221, http://www.pourlafrance.fr/7.php Site consulté le 05/04/2007. ↩
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Thomas Clay, 25 mars 2007, « La Ve République est morte, vive la VIe République », http://www.renover-maintenant.org/article.php3?id_article=766 Site consulté le 06/04/2007. ↩
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Ségolène Royal, 05/04/2007, « Si je suis élue… », L’Express, 05/04/2007, p. 40. ↩
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Pour une analyse quantitative des discours présidentiels, nous renvoyons à l’article suivant : Damon Mayaffre et Xuan Luong, « Les discours de Jacques Chirac (1995-2002) », Histoire et mesure, XVIII - N° 3/4 - Mesurer le texte, mis en ligne le 3 avril 2007, référence du 8 avril 2007, disponible sur : http://histoiremesure.revues.org/document831.html. ↩
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On pourrait approfondir l’évaluation des styles rhétoriques des candidats dans leurs discours en s’aidant d’une analyse assistée par ordinateur que développe par exemple Pascal Marchand pour les déclarations de politique générale des Premiers ministres. Voir http://pascal-marchand.fr/matignon/index.htm. Site consulté le 08/04/2007. ↩
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Ce slogan a été explicité tout au long du discours prononcé au Parc des Expositions de Bordeaux le 05/04/2007. ↩
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Olivier Rouquan, 2005, Régulations et stratégies présidentialisées sous la Ve République, Paris, éditions Connaissances et Savoirs, p. 56. ↩
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Clémence Pène, 01/03/2007, « Bayrou se convertit au référendum », L’Express. La journaliste fait remarquer que François Bayrou était très hostile aux référendums lorsqu’il était ministre de l’éducation nationale, en témoignent ces propos : « un référendum est forcément passionnel. Cela coupe le pays en deux. Je ne crois pas que l’école ait besoin d’affrontements brutalement antagonistes ». ↩
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François Bayrou, 07/04/2007, « Pour une réforme de fond sur les retraites », Journal des Finances : « je suis pour une réforme de fond et je la soumettrai au référendum des Français ». ↩
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François Bayrou, 14/12/2006, Réunion publique de Lille, http://www.bayrou.fr/discours/bayrou-lille-141206.html, site consulté le 02/04/2007. ↩
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Philippe De Villiers, « Mes cinq priorités politiques, cinq ans pour remettre la France en ordre , 100 premières propositions», http://www.pourlafrance.fr, site consulté le 12/02/2007. Depuis le projet politique de Philippe de Villiers a été développé, puisqu’il contient le record de propositions (337). ↩
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Philippe De Villiers, http://www.pourlafrance.fr/7.php, site consulté le 06/04/2007. ↩
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Nicolas Sarkozy, 29/03/2007, “Quel président je serai…’, L’Express, p. 46. ↩
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Pierre Rosanvallon, 2006, La contre-démocratie, la politique à l’âge de la défiance, Paris, éditions du Seuil, p. 29. ↩