A la mémoire de S.K
« On ne peut pas souhaiter un héritier ou une héritière qui n’invente pas l’héritage, qui ne le porte pas ailleurs, dans la fidélité. Une fidélité infidèle. On retrouve cette double injonction qui ne me quitte pas. » 1
Jacques Derrida
En guise d’introduction pour situer mon propos dans le cadre de ce colloque « Que faire de Sartre ? » et plus précisément de cette session Sartre philosophe, deux remarques préliminaires s’imposent. Une double chance nous est offerte par ces mots donnés que nous lèguent les organisateurs. Il nous faut donc hériter de cette question dont la simplicité n’est qu’apparente : Que faire de Sartre ? Que nous donne à penser Sartre par cet héritage ? La déconstruction hérite de Sartre, mais réciproquement, comme l’indique le double génitif de mon sous-titre, le texte de Sartre hérite aussi de l’apport de cette démarche philosophique sur laquelle je reviendrai.
Disons, en un premier temps, que Sartre est aujourd’hui refait, au sens argotique, il est un peu dépossédé de lui-même par les multiples commentaires que son oeuvre suscite, il perd un peu la maîtrise de son texte mais aussi, en un autre sens plus positif, il est fait à nouveau, son corpus est aujourd’hui en effet, défait et relu, c’est-à-dire réactivé.
Faire, défaire, refaire, on aura reconnu les opérations en jeu dans la lecture et l’écriture, en d’autres termes, la relation productrice entre l’auteur, l’oeuvre et le lecteur. Faire et se refaire, au double sens du terme, cette opération scande indissociablement la vie et l’oeuvre de Sartre, héritant de lui-même, mais de la façon la plus libre qui soit, grâce à un rapport à l’Histoire mais aussi à sa propre histoire très particulier. Entre faire et fiction, travail théorique et autobiographie, je tenterai de le montrer, la frontière peut-être passée, en contrebande, métaphore d’un passage caché, hors-la-loi, qui ne surprendra pas tout lecteur de Saint Genet 2 et surtout de Glas 3 de Derrida.
La seconde remarque préliminaire que j’aimerais indiquer a trait au titre de notre session. Il isole, de façon certes légitime et pédagogique, Sartre en tant que philosophe mais on doit aussi garder en mémoire que cette frontière entre philosophie et littérature demeure, elle aussi, fragile. Le philosophe Sartre a en vérité publié plus de commentaires littéraires que d’ouvrages proprement philosophiques, ce déséquilibre des genres est compensé par une approche du texte littéraire saturée d’éléments philosophiques. Héritier de sa formation philosophique et d’un corpus en formation (les oeuvres de... Sartre), celui-ci aura su les trahir (au sens positif du terme), c’est-à-dire se donner la liberté d’inventer des voies nouvelles sans trop se préoccuper de ses théories passées. L’entretien de Sartre avec Michel Contat intitulé Autoportrait à soixante-dix ans est, à cet égard, remarquable de lucidité et de contradictions assumées 4 .
Sartre est donc bien fait mais aussi défait non seulement par lui-même mais par des lectures nouvelles en l’occurrence, celles de Sarah Kofman (1934-1994) et de Jacques Derrida (1930-2004). Nous lisons avec eux Sartre en tant que philosophe mais aussi écrivain, double pratique qu’il partage avec ces deux commentateurs, surtout connus pour avoir proposé des lectures novatrices des textes de la tradition. En effet, chacun d’une manière différente, propose des interprétations attentives aux détails qui contredisent les thèses de Platon, Descartes, Rousseau, Kant, Hegel, Nietszche, Husserl, Heidegger 5 . L’une des façons de caractériser ce qu’on appelle la déconstruction 6 est l’attention portée au style des grands philosophes. Les métaphores, les exemples, les notes en bas de page, la forme du texte (dialogue, aphorisme, traité, système, discours), son hétérogénéité originaire (le discours philosophique vise l’univocité mais ne peut faire l’économie des fictions et des mythes, c’est-à-dire de l’ambiguïté). Tous ces éléments permettent à Kofman et à Derrida de lire le texte philosophique au-delà du discours déclaré de l’auteur. L’autorité du discours de vérité, propre au texte philosophique, est ainsi questionnée, en ses fondements, par les marques du style qu’il soit affirmé ou sous-évalué par les auteurs.
La déconstruction accepte l’héritage de Sartre mais ne contresigne pas, pour autant, les thèses exhibées par son texte. Hériter d’un contemporain pose un problème spécifique d’autant plus que l’engagement politique de Sartre implique pour Kofman et Derrida une articulation particulière entre autobiographie, histoire et théorie de la littérature.
De quoi héritent-ils donc après la mort de Sartre ? Pourquoi ont-ils écrit sur celui avec qui aucun dialogue n’a eu lieu ? Pour répondre à ces questions, nous devons donc articuler la notion de commentaire avec celle de l’autobiographie. Écrivant sur Sartre, Kofman et Derrida écrivent aussi des fragments de leur autobiographie respective, genre qu’ ils ont pratiqué dans d’autres livres. Sarah Kofman avec Rue Ordener, rue Labat 7 et Paroles suffoquées 8 . Derrida, en de plus nombreux ouvrages parmi lesquels La carte postale 9 , Circonfession 10 , Monolinguisme de l’autre 11 .
La théorie et le commentaire des oeuvres d’autrui participent en effet de l’autobiographie dans la mesure où les lectures ont des effets déterminants sur la constitution du sujet. En tant que lecteur, je n’échappe d’ailleurs pas à cette articulation puisqu’il se trouve que Sarah Kofman fut ma directrice de maîtrise à la Sorbonne, ce qui justifie que cette modeste étude lui soit dédiée d’autant plus que c’est par elle que j’ai découvert Derrida en 1980.
Les articles de Kofman consacrés à Sartre jouent aussi sur cette dimension personnelle. Ma lecture ne peut ignorer non plus le suicide de Sarah Kofman, celui-ci aura laissé des traces dans mes relectures de ses deux livres autobiographiques, mais aussi du premier article qu’elle a publié ayant pour titre : Le problème moral dans une philosophie de l’absurde (1963). Dans cette étude consacrée à Sartre, on peut lire ceci :
« […] en effet, si rien n’a de sens, dit-on, tout est vain ; aucune action ne saurait valoir plus qu’une autre. Bien plus, toute action, de quelque valeur qu’elle soit, paraît inutile - seul le suicide s’imposerait. » 12
Kofman ne soutient pas cette thèse (« dit-on ») mais l’exemple qu’elle choisit comme sa conséquence - « le suicide » - n’est pas anodin au regard de son propre destin. Peut-être, avons-nous ici affaire à une autoprophétie 13 ?
Kofman insère en tout cas, en l’évaluant de façon ambivalente, ce premier article de 1963 dans un livre publié vingt-sept ans plus tard et dont le titre met en jeu la temporalité du sujet d’écriture et de l’histoire de la philosophie : Séductions. De Sartre à Héraclite.
Par ce geste de reprise et le titre de son livre, elle conteste une conception linéaire de l’histoire de la philosophie et, par voie de conséquence, toute notion de dépassement de telle sorte que la temporalité de l’auteur se trouve questionnée. Dans une note en bas de page, Kofman tient ainsi à montrer l’altérité de cet article de 1963 au regard de sa pratique ultérieure de la déconstruction. Pourtant, et cela est significatif, elle tient à insérer cette étude non pas au début mais à la fin de ce volume. Celle-ci est désignée en tant :
« […] [qu’une] d’une sorte de vestige étrange d’un passé philosophique dans lequel « je » ne « me » reconnais plus guère : manière de tourner en dérision l’idée convenue d’un corpus dont la signature de « l’auteur » suffirait à garantir l’identité et l’homogénéité. »
p. 167
Cette note et le statut d’Appendice de cette étude de 1963 montrent, selon la logique du déplacement et du supplément pratiquée par Kofman dans tous ses livres, son importance. Le passé sartrien de Kofman n’est pas dépassé au sens où rien n’en resterait après les travaux novateurs de Derrida, il fait plutôt retour et à plusieurs reprises puisque un autre long article consacré à Sartre a connu deux versions. La première, sous le titre Il y a quelqu’un qui manque, fut publiée dans la revue Le temps de la réflexion 14 , la seconde, plus longue, est éditée, sous un autre titre, dans Séductions. De Sartre à Héraclite qui comporte donc deux articles sur cet auteur. Le nouveau titre de cette étude est significatif du mode de présence spectrale du fondateur des Temps Modernes : « SARTRE : FORT ! ou DA ? ». Le sous-titre indique que cet intérêt pour Sartre passe par un détour, peut-être obligé, le livre d’un autre : « A propos de Politique de la Prose. Jean Paul Sartre et l’an quarante de Denis Hollier. » L’oeuvre de Sartre n’est donc pas dépassée, elle repasse plutôt par plusieurs chemins autobiographiques dont l’amitié est l’une des composantes, celle qui fait lien autour de Derrida. En effet, Hollier a participé au numéro spécial consacré à Derrida des Lettres françaises en 1972 et à l’un des colloques Derrida ayant eu lieu à Cerisy, Les fins de l’homme, en 1982.
Relire Sartre pour ceux qui l’ont lu dans les années cinquante, c’est aussi revenir sur leur passé, s’écrire, en quelque sorte, remarquer ce qui en eux a changé mais aussi est demeuré en attente d’une reprise transformatrice. Ce qui me paraît remarquable, c’est l’opposition entre la manière joueuse, vivace de Hollier et la problématique étrangement privilégiée par Kofman qui justifie le titre de la première partie de la seconde version de son article : Variation sur un thème mélancolique 15 . Kofman, rappelle certes le premier titre de La Nausée, Mélancholia, mais je crois que le choix de cette problématique a aussi un fondement autobiographique puisqu’elle a publié un livre intitulé précisement Mélancolie de l’art 16 .
La mélancolie, pour une lectrice de Freud telle que Kofman 17 , s’oppose à la notion de deuil et d’incorporation. Être mélancolique, c’est ne pas pouvoir faire table rase du passé. Le disparu, dans ce cas précis, ne se laisse jamais oublier. Il est, tel un fantôme, entre mort et vie. On ne peut en faire son deuil. Le mort, Sartre, mais surtout le père de Kofman (disparu en déportation, sans sépulture, n’ayant pas de crypte où demeurer, c’est-à-dire errant interminablement dans la mémoire de sa fille Sarah 18 ) fait écrire 19 mais peut aussi, dans certaines circonstances, inciter au suicide. Car alors la mélancolie envahit tout et l’absurde revient avec force s’échappant du lieu clos - de la crypte - que lui avait assigné, en 1963, Kofman, sous la forme d’un exemple 20 .
Mais Kofman pratique aussi, d’une façon ironique, en accord avec le ton de Denis Hollier, une psychanalyse existentielle 21 de Sartre, couplée avec une lecture qui prend aussi en compte la leçon de la déconstruction. Il s’agit de savoir lire le texte de Sartre en tant que système de signes qui met en question l’assurance imperturbable et le ton d’autorité de son auteur. Kofman affirme donc ainsi que : « Le projet fondamental sartrien qui contredit sa volonté déclarée, c’est d’écrire pour survivre […] » (p. 142). Elle souligne, dans sa lecture précise, que nous ne pouvons reconstituer ici dans toute sa rigueur « l’unité indivisible du théorique et du biographique » . Or, cette exigence vitale d’écrire et cette articulation valent autant pour Sartre que pour sa commentatrice puisque celle-ci, par exemple, comprend, dans un récit autobiographique 22 , la portée du dessin de Léonard de Vinci qu’elle avait choisi, vingt-quatre ans auparavant, pour illustrer son premier livre théorique L’enfance de l’art. Le biographique - la fin tragique du père de Sarah Kofman - par sa hantise, à proprement parler (dont témoignent les deux livres autobiographiques de la fin de sa vie), ouvre à une réflexion politique qui prend avant tout la forme d’une réflexion sur l’antisémitisme. Celle-ci fait écho, mais par une voie très singulière, aux problématiques de l’engagement sartrien, lues puis oubliées, dans les années de formation de cette femme philosophe.
Si on considère la bibliographie complète de Sarah Kofman, on doit donc prendre en compte la façon dont l’antisémitisme devient un enjeu central de la dernière partie de son oeuvre notamment avec Paroles suffoquées qui est, en grande partie, un commentaire de L’espèce humaine, ce récit de déportation de Robert Antelme 23 , et avec Le mépris des Juifs. Nietzsche, les Juifs et l’antisémitisme 24 . Enfin, les références, de plus en plus nombreuses, à Blanchot méditant sur le judaïsme et la Shoah, sont le signe d’un souci politique croissant qui fait écho à Sartre mais selon un tout autre style de pensée. Ce rapport à Blanchot est encore plus fort chez Derrida 25 mais selon une écriture différente dont nous voudrions analyser les traits les plus saillants en soulignant, au préalable, qu’un nom propre fait lien entre la pensée de la Shoah et Sartre, celui de Claude Lanzmann, auteur du film Shoah mais aussi directeur de la revue Les temps Modernes.
* * *
Un peu plus âgé que Kofman, Derrida, né en 1930, a une histoire plus longue et plus complexe avec l’oeuvre de Sartre, notamment parce qu’il a publié sur les mêmes auteurs que ce dernier dès le début de son oeuvre. La traduction et le long commentaire de L’origine de la géométrie de Husserl date en effet de 1962 26 . La lecture de Husserl aura ainsi été commune à ces deux philosophes de la modernité puisque Sartre a publié lui aussi ses premiers essais sur ce penseur allemand.
J’ai reconstitué une petite anthologie des textes de Derrida évoquant Sartre. On peut y lire une évolution entre l’attaque assez violente de Glas contre Saint Genet et ce que Derrida dit, en 1991, à François Ewald dans le Magazine Littéraire puis à Antoine Spire, en 1999, dans Sur parole 27 . Dans ce livre récent, Derrida fait l’histoire de sa manière d’hériter :
« […] Husserl, Heidegger, Blanchot, Bataille. Tous ces gens-là, comme Sartre, je les ai lus, à la suite de Sartre bien sûr, mais comme je les lisais autrement, je n’ai pas voulu faire la guerre, justement, j’aurais pu faire la guerre et polémiquer. Je ne l’ai fait qu’une fois à propos de Genet, je crois, dans Glas, où j’ai fait comparaître la lecture de Genet par Sartre […]. Quiconque habite le paysage français sait bien que quelqu’un de mon âge n’a pas ignoré Sartre, n’est pas passé à côté de Sartre, ce n’est pas possible. » 28
En effet, Glas indique en quoi l’approche de la littérature est, aux yeux de Derrida, manqué par Sartre :
« Dans le Saint Genet, la question de la fleur, la question anthologique, entre autres, est infailliblement évitée. Avec celle de la "psychanalyse" et celle de la "littérature", par la plus agile et la plus intelligente des leçons d’ontologique phénoménologique de l’époque, à la française. Un développement pourtant la manque de peu. Notez qu’il commence ainsi : "Reste qu’on peut tout simplement ne pas le lire . C’est le seul risque qu’il court et il est grand. Mais, dans le fond, c’est de lui, de lui seul, qu’il dépend d’être lu." Voire. Deux figures de la fleur sont alors réduites au contenu sémantique le plus conventionnel, écrasées, au cours de la dissertation, entre une lecture ontologique et une lecture poético-rhétorique dont chacune vérifie son homologie à l’autre : "La structure de la phrase poétique reflète très exactement la structure ontologique de la sainteté." Qu’il s’agisse des fleurs dont on couvre la pauvre vieille ("peut-être ma mère") ou d’un paradoxe "logique" du type "le jardinier est la plus belle rose de son jardin", la question de savoir pourquoi la fleur est, comme dit Sartre, "l’objet poétique par excellence", cette question fuit entre un méontologisme pré-heideggerien et un mallarméisme vague. On évoque la "disparition vibratoire" et la fleur absente de tous bouquets, "voilà toute la poésie de Genet". Mais qu’est-ce que la poésie, dès lors que la fleur est "l’objet poétique par excellence" ? […] Pourquoi la fleur domine-t-elle tous les champs auxquels pourtant elle appartient ? […] ».
Glas, pp. 20-21.
Dans un entretien ultérieur à Glas, Derrida généralise sa critique :
« J’avais beaucoup appris de Qu’est-ce que la littérature ? et de Situations qui m’a introduit à des oeuvres que je n’ai pas cessé d’admirer (Ponge, Blanchot, Bataille) mais au début des années 60, cela ne me satisfaisait plus.[…] Je trouve la question sartrienne nécessaire mais insuffisante, à la fois trop socio-historique et trop métaphysique, extérieure à la spécificité de la structure littéraire que Sartre n’interroge pas, ou qu’il pré-interprète à partir de modèles littéraires très déterminés (dans la méconnaissance aussi d’écritures littéraires de ce siècle, soit qu’il n’en parle à peu près jamais - Joyce, Artaud -, soit qu’il en parle de façon, je crois, très courte - Mallarmé, Genet - […]. Pour donner leur mesure à des questions socio-politiques ou socio-historiques sur la littérature (quelle est la fonction de la littérature ? Que fait l’écrivain dans la société ? etc.), il faut lire la littérature autrement et construire une autre axiomatique. »
Magazine littéraire, Dossier Derrida, n° 286, mars 1991, p. 22.
Attentif à des écrivains et à un rapport à la langue peu étudiés par Sartre, la conception du texte littéraire de Derrida 29 semble incompatible avec celle de Sartre 30 . Dans les limites de cette courte étude, je cite la parole même de Sartre qui dit beaucoup sur sa conception lorsqu’il évoque son dernier grand ouvrage consacré à Flaubert :
« Tout de même, ce Flaubert inachevé me pèse comme un remords […]. Je voulais le terminer. Et, en même temps, ce quatrième tome était à la fois le plus difficile pour moi et celui qui m’intéressait le moins : l’étude du style de Madame Bovary. Mais, je vous le dis, l’essentiel est fait, même si l’ouvrage reste en suspens. » 31
Mais qu’est ce qu’un écrivain si ce n’est celui qui, au-delà de sa vision du monde, travaille les mots en inventant une poétique ? Or Sartre, avec sa franchise habituelle, un peu désarmante, ne cache pas son peu d’intérêt pour cet aspect pourtant fondamental de l’usage littéraire du langage lorsque il évoque Flaubert. Cette remarque est aussi valable pour les deux écrivains qu’il a, à la fois, rendu célèbres mais dont il a éclipsé l’originalité stylistique : Ponge et Genet, sans parler de Bataille. Cette petite anthologie inviterait à plus ample commentaire mais, par manque de place, je vais plutôt esquisser une analyse du long texte - 46 pages - que Derrida a confié aux Temps Modernes pour son numéro spécial (n° 587) 32 , consacré au cinquantenaire de cette revue.
L’article de Derrida 33 est remarquable par sa forme - celle de la lettre adressée à Claude Lanzmann - et par une manière d’hommage très retorse à Sartre qui problématise la notion d’amitié dans la mesure où la critique la plus frontale alterne avec la reconnaissance de la dette, l’admiration et les voeux d’une longue vie, voire d’un avenir commun.
Le titre choisi par Derrida : « Il courait mort » : Salut, salut est constitué d’une citation de Sartre suivi de la double occurrence de « salut » qui fait entendre la signification contradictoire de ce mot synonyme, à la fois, de bonjour et d’adieu. Le sous-titre, Notes pour un courrier aux Temps Modernes et les deux premières lignes présentent cet article sous la forme d’une lettre : « Le 22 mars 1996 » et « Cher Claude Lanzmann» 34 . Au dernier paragraphe de sa lettre de vingt-neuf pages, Derrida conclut en ouvrant cependant cette fin à une série de notes (de quinze pages !) ainsi introduites :
« Voici quelques notes éparses, vous pouvez en faire ce que vous voulez, y compris de la lettre primesautière qui précède et qui, à cette date, n’est ni privée ni publique encore […] Bien à vous, cher Claude Lanzmann, et aux Temps Modernes. Jacques Derrida »
T.M, p. 36.
Quinze pages plus loin, l’article s’achève donc vraiment par ces mots :
« Salut !
Jacques Derrida »
T.M, p. 36.
Mimant ainsi la forme de la lettre et signant deux fois son texte, Derrida ne croit pas pour autant à une identité unifiée du sujet. Le signataire et le destinataire font, au contraire, problème tout au long de ces quarante pages :
« Anniversaire ? mais de qui ? de quoi au juste ? d’un vivant ? d’un mort ou d’un spectre ? Qui est-ce, Les Temps Modernes ? […] au fond j’aimerais bien savoir à qui je m’adresse en écrivant aux Temps Modernes, à T.M […] pour lui dire à cette « personne » non seulement anonyme désormais mais clivée (il faudra reparler de ce clivage plus tard, qui compta plus pour moi que l’unité ou l’identité supposées) […] »
T.M, pp. 37-38.
Ce que mettent en scène ces questions, c’est l’historicité et la division de Sartre et de sa revue mais aussi du sujet qui écrit. La multiplicité des notes en bas de pages et les quinze pages de notes ayant statut de post scriptum sont autant d’indices non seulement du caractère insaisissable du destinataire et de l’objet nommé Temps Modernes, mais aussi du signataire :
« Ici qui parle à qui ? […] Qui est-ce, « Les Temps Modernes » ? Si je le savais clairement, ce n’est pas seulement une longue séquence de ma vie que je commencerais à comprendre, identifier, m’approprier (j’ai découvert et commencé à lire cette revue avant tout autre, en 1947, en Algérie, et oui, à l’ENS qui, c’est trop connu, fut indissociablement liée à l’histoire des T.M […]) »
T.M, p. 40.
Tout comme Sarah Kofman, Derrida souligne indirectement le lien entre autobiographie et théorie. Pour Derrida, relire Sartre implique d’interpréter son passé de jeune lecteur. Des zones d’ombre se sont déplacées, les jugements ont changé pour des raisons à la fois historiques, idéologiques et autobiographiques. En 1996, rédigeant son article d’hommage à la revue de Sartre, Derrida a alors soixante-six ans ; si je précise ce point biographique, c’est que l’âge constitue un motif que Derrida souligne :
« […] et il faut tenir ici le compte le plus sérieux de l’âge, du moment, et donc de la "situation" dans les trajectoires de toutes ces "vies" : je n’aurais pas osé ni même pensé déclarer tout cela de cette façon désarmée de vieil enfant il y a quelques décennies), une affection narcissique qui me porte à aimer tout mon passé, et même ce qui dans ce passé me rapporte à ce qui apparemment ne me revient en rien ni ne m’appartient en rien : en vérité, cela me revient, par voie de phantasme, dès lors que j’en ai été ou cru être le contemporain. »
T.M, pp. 38-39, note 3.
Depuis une dizaine d’années, l’aspect autobiographique des textes de Derrida s’accentue notamment au regard de la scène algérienne 35 . Par cette expression, j’évoque ici non seulement les événements des années 1990 en Algérie mais aussi la mise en scène, par l’écriture autobiographique, du pays où Derrida est né et qu’il n’a quitté qu’en 1949. Or, évoquer la lecture de Sartre est une façon pour Derrida d’écrire son autobiographie. Son article des Temps Modernes évoque ainsi à plusieurs reprises l’Algérie 36 par le biais d’ un souvenir de lecture de la Nausée :
« […] cette grande fiction (que j’admire encore et que je me rappelle avoir lue dans un certain éblouissement extatique à dix-sept ans, à Alger, en classe de philo, assis sur un banc du square Laferrière, en levant parfois les yeux vers des racines[…] mais aussi avec d’intenses mouvements d’identifications "littéraires" : comment écrire comme ça et surtout pas comme ça ?) […] ».
T.M, pp. 16-17.
En mimant ironiquement un passage de La Nausée, Derrida indique en quoi, en Algérie, la première lecture conduisit le jeune homme qu’il fut à imiter dans sa vie ce que disait le roman. Manière donc de souligner la relation entre lecture et autobiographie, à cette époque naïve, et ultérieurement plus cryptée dans son oeuvre. L’Algérie n’est donc pas simplement du passé. Les événements des années 1990 en Algérie ont ainsi conduit Derrida à s’engager par la publication d’un article Parti pris pour l’Algérie 37 dans la revue même de Sartre. Or Claude Lanzmann, héritier de la direction des Temps Modernes est avant tout, pour Derrida « L’auteur de Shoah » 38 . Ce film de Lanzmann, pour Derrida et son ami Michel Deguy (entré depuis quelques années au comité de rédaction), est l’oeuvre qui a su trouver une forme inouïe pour dire l’holocauste en modifiant par cela même la notion d’engagement. Qui a vu Shoah est en situation de se poser, dans toute son ampleur, la question du politique, de la responsabilité, de façon radicale, tout en constatant la puissance d’une oeuvre d’art, inédite à tous points de vue. La figure de Claude Lanzmann, en son double statut, d’auteur et de directeur de revue, incite Derrida à réactiver des mots apparemment datés mais qui sont promis, par une nouvelle pensée du politique, à un avenir auquel il veut participer : « […] [vous] gardez, les sauvant ainsi, ces beaux mots encore tout neufs dont je reparlerai plus bas, « engagement et résistance » . » T.M, p. 9, n. 2. Comment Derrida fait-il fructifier l’héritage du mot si sartrien « engagement » ? Plutôt que d’inventer une notion plus moderne, Derrida reprend le même mot mais en sollicitant des prédicats, des articulations, des termes proches, oubliés par Sartre, afin de faire jouer toutes les variations signifiantes parfois restées en réserve 39 . Hériter pour Derrida, c’est donc produire une lecture active proposant des articulations nouvelles qui déplacent le sens du texte hérité :
« […] le gage donné, tout autant que la gageure de l’engagement. Bien qu’on en ait si souvent parlé, parfois à satiété, comme d’une modalité passée de la responsabilité des « intellectuels » , je trouve que « engagement » reste un mot très beau, juste et encore neuf, si l’on veut bien l’entendre, pour dire l’assignation à laquelle répondent et dont répondent ce qu’on appelle encore des écrivains et des intellectuels. »
T.M, p. 18.
L’engagement met en jeu un rapport au temps particulier qui ne se réduit pas à un prophétisme vague. Une telle conception, celle de la thèse de Anna Boschetti dans Sartre et Les Temps Modernes,Une entreprise intellectuelle 40 , qui consiste à penser que le discours de Sartre relève du « discours prophétique » (p. 150 de son livre), est très fortement critiquée par Derrida pendant les neuf dernières pages de son article. Derrida pense que ce critère sociologique n’est pas pertinent pour caractériser Les Temps Modernes car tout écrit contient une dimension prophétique. De plus, il convient de bien définir de quel prophétisme on parle. Le prophétisme hébraïque, celui de Sartre, celui des Temps Modernes, celui des poètes ou des hommes politiques ont des qualités et des effets propres si spécifiques que cette catégorie demande à être utilisée avec une précaution terminologique philosophique que l’analyse sociologique de Boschetti, qui s’affirme pourtant scientifique, ignore. Le propos de Derrida est plus modeste, il ne cherche pas à définir un « champ » du prophétisme dans lequel serait inscrit, à une époque donnée, Les Temps Modernes mais plutôt à insister sur le non-savoir sur lequel se développe le discours de Sartre selon un rapport au passé et futur particulier dans lequel le lecteur est impliqué sans le vouloir :
« […] un pari sur fond d’indécidable et dans un espace hétérogène au savoir. L’engagement, c’est à la fois l’être-engagé dans une situation non-choisie et, en elle, le gage d’une gageure singulière. »
T.M, p. 12.
On ne choisit pas d’hériter de Sartre, Derrida fut donc d’emblée confronté à une oeuvre polymorphe dont les thèses contradictoires ont pu, un temps, la faire oublier. Mais la relecture de Sartre surprend celui qui en avait une autre image car lui-même était autre. Après coup, une partie du destin de Derrida semble être inscrite dans le texte ancien et oublié de Sartre. Par un tel rapport au temps et au lecteur la notion de prophétisme change de portée en se rapportant à une biographie singulière et non à une classe ou à un champ social qui occulterait la singularité du sujet d’écriture. Ce que Derrida souligne, c’est que relire Sartre aujourd’hui, à propos de l’engagement et de la critique de l’idéologie de la fraternité, c’est aussi percevoir comment les frontières de sa mémoire se déplacent ou retrouvent des traces oubliées de l’ancien dans ses recherches les plus récentes :
« En multipliant récemment, dans Politiques de l’amitié, les questions sur l’autorité de ce schème fraternaliste et sur tout ce qu’il implique dans notre culture, j’avais oublié que de façon certes différente à tous égards, Sartre avait déjà mis en cause la rhétorique de la fraternité. Cet oubli, qui doit m’arriver plus souvent que je ne peux m’en rendre compte parfois, après coup, c’est au fond le thème de cette lettre : une étrange transaction entre l’amnésie et l’anamnèse dans l’héritage qui nous fait ce que nous sommes et que nous n’avons pas encore pensé, comme si notre héritage était toujours un spectre à venir, un revenant qui court devant nous, après lequel nous nous essoufflons […] » .
T.M, p. 11, n. 4.
Derrida nous fait comprendre comment l’expérience de la seconde lecture de Sartre, celle de 1996, le constitue héritier de l’inconnu.
Hériter, c’est donc non pas simplement recevoir quelque chose de défini du passé, c’est aussi percevoir, toujours après coup, les signes de l’autre dans son oeuvre et son autobiographie. Ainsi, non seulement, on ne choisit pas son donateur, en l’occurrence Sartre, mais de plus, celui-ci se révèle hanter des problématiques qui semblaient les plus éloignées de celui qu’on avait cru abandonner.
Conclusion
Que faire de Sartre ? A cette question, j’ai tenté de répondre par une réflexion consacrée à l’héritage de la déconstruction, expression entendue en son double sens : la déconstruction hérite de Sartre mais l’oeuvre de Sartre hérite de la déconstruction. Être contemporain de Sartre, de façon active, implique cette relation réciproque. La déconstruction est l’une des démarches philosophiques les plus importantes de l’après-guerre avec celles, très différentes, de Jean-François Lyotard, Gilles Deleuze, Michel Foucault. Si les textes de Sarah Kofman et de Jacques Derrida marquent bien une rupture avec la manière de Sartre, leurs articles critiques consacrés au fondateur des Temps Modernes n’obéissent cependant pas à une simple logique du parricide.
Le mort fait écrire en mettant en question le signataire et le destinataire du texte à lui consacré. En tant qu’élément moteur d’écriture, le disparu permet, par cela même, de situer ce qui, en son oeuvre, antérieurement lue puis oubliée, est revenu par des détours inconnus du sujet. Cette reprise, longtemps différée, des traces de l’autre, n’obéit ni à une logique de l’imitation ou ni à celle, inverse, de l’exclusion. La présence spectrale de celui qu’on avait cru disparu - Sartre et les années cinquante - permet en fait d’accéder, rétroactivement, à des thèmes et des thèses qui ont donné lieu à des suites imprévisibles. Ainsi certains des intérêts théoriques de Kofman et de Derrida se révèlent, après coup, avoir pour une part, une origine autobiographique.
En donnant à lire des textes peu connus, signés Sarah Kofman, et en montrant la complexité de la relation de Derrida à Sartre, j’ai tenté d’indiquer que cette relecture ne pouvait avoir lieu que par le biais de l’écriture autobiographique dans la mesure où celle-ci fait signe vers un passé, qui d’une façon ou d’une autre, renvoie à la Shoah, d’autant plus que l’homme du passage avec Sartre se nomme Claude Lanzmann.
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Sur paroles. Instantanés philosophiques. Entretiens de Jacques Derrida avec Antoine Spire, Éditions de l’Aube et France Culture, 1990, p. 60. ↩
-
Gallimard, 1952. Cet ouvrage a un statut particulier dans la mesure où il s’agit de la préface aux Oeuvres Complètes de Jean Genet mais qu’elle occupe tout le premier volume de sorte que les oeuvres de Genet commencent, à proprement parler, au second tome ! La position de maîtrise de Sartre est inscrit dans ce qui est peut être unique dans l’histoire littéraire : une préface de près de 700 pages. ↩
-
Galilée, 1974. ↩
-
Situations X, Gallimard, 1975, pp. 133-226. Entretiens publiés partiellement dans le Nouvel Observateur du 23, 30 juin et 7 juillet 1975. ↩
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Mais aussi de Freud. La démarche de la déconstruction prend en compte la psychanalyse, non pas pour y plaquer des concepts sur le texte lu, mais pour être plus attentif aux détails, aux déplacements, aux désirs contradictoires. ↩
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Sur ce terme, on peut lire la définition de Derrida dans Positions, Minuit, 1972, p. 56 et l’essai de Sarah Kofman Lectures de Derrida, Galilée, 1984. ↩
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Galilée, 1987. Puisque mon étude s’insère dans les Actes d’un colloque qui s’est tenu au Japon, je tiens à signaler que ce livre a été traduit en japonais par Tsunekatsu Shoda en 1995. D’autres textes de Kofman ont été traduits dans cette langue par Kenzo Akaba, Sumie Kôyama et d’autres collègues japonais dont je n’ai pu trouvé malheureusement le nom. ↩
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Galilée 1994. ↩
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Flammarion, 1980. ↩
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Seuil, 1991. ↩
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Galilée, 1996. ↩
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D’abord publié dans la Revue de l’enseignement philosophique, oct-nov 1963 puis dans Séductions. De Sartre à Héraclite, Galilée, 1990, pp 167-181. Notre citation se situe à la page 170 de ce volume. ↩
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Au sens où l’oeuvre littéraire semble annoncer le destin de l’auteur par anticipation. Selon Jean Genet, dans un entretien donné à Antoine Bourseiller, repris dans L’ennemi déclaré, Gallimard, 1991, p. 220, l’amputation de la jambe de Rimbaud semble annoncée dans « O ma quille éclate » du Bateau ivre puisque le mot quille signifie, en argot, jambe. Chez Paul Celan, certains commentateurs ont émis l’hypothèse que son suicide dans la Seine était, lui aussi, inscrit dans tel poème, sous une forme allusive. ↩
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Gallimard, 1984, n°5, pp. 430-441. ↩
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Séductions, op. cit, pp. 141-149. ↩
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Galilée, 1985. ↩
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Kofman a en effet consacré plusieurs livres à Freud : L’enfance de l’art, Payot, 1970 ; Quatre romans analytiques, Galilée, 1974 ; L’énigme de la femme, Galilée, 1980 ; Un métier impossible, Galilée, 1983 ; Pourquoi rit-on ?, Galilée,1986. ↩
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Dans Paroles suffoquées, op. cit, pp. 18-19, Sarah Kofman montre la seule place qui a été donnée à son père : celle de l’inscription de son nom - Bereck Kofman - dans l’immense liste des victimes d’Auschwitz. ↩
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Dans Paroles suffoquées, op. cit, Kofman indique que le seul objet hérité de son père est un stylo plume qui a statut de symbole de son propre destin, lié essentiellement à l’écriture critique et autobiographique. ↩
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La démarche de Kofman et de Derrida quant aux textes philosophiques implique de montrer que les exemples ne sont jamais donnés au hasard, ils sont, au contraire, surdéterminés (suivant ainsi la leçon de Freud) . ↩
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Sartre utilise cette notion dans Saint Genet mais pour lui‚ l’inconscient n’existe pas donc ce qu’il entend par « psychanalyse » a peu de rapport avec la théorie de Freud. L’usage de la psychanalyse par Kofman et Hollier est, par contre, issue d’une lecture approfondie des écrits de Freud et en accord avec ses principes mêmes. ↩
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Dans Rue Labat, rue Ordener, op. cit, p. 73. ↩
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Le livre de Robert Antelme a été commenté par Maurice Blanchot dans L’entretien infini, Gallimard, 1969. Sarah Kofman en dédiant Paroles suffoquées à Blanchot crée ainsi une filiation, après coup, qui est aussi une manière de s’accorder avec les critiques de Blanchot consacrées à l’essai de Sartre : Réflexions sur la question juive. ↩
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Galilée, 1994. ↩
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Derrida a publié un livre sur Blanchot : Parages, Galilée, 1986. ↩
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Presses Universitaires de France, 1962. ↩
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Livre d’entretiens édités par les Editions de L’aube et France Culture. ↩
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Sur parole, op. cit, pp. 82-83. ↩
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Sur la conception du texte littéraire chez Derrida, je me permets de renvoyer à mon article Genet recomposé, dans Magazine littéraire, op. cit, pp. 46-48, où j’analyse son art du commentaire littéraire, au-delà du cas Genet. ↩
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Mais l’intérêt aujourd’hui plus visible de Derrida pour le politique lui fait cependant écrire : « Qu’est-ce que la littérature ? je l’avais lu il y a près d’un quart de siècle. Et je ne l’avais pas ouvert depuis lors. Ce texte avait beaucoup compté pour moi ; j’ai cru ensuite devoir m’en éloigner, sans doute le juger très insuffisant et même en dire publiquement les limites quant à ce qui passe et se fait, selon moi, avec et par la littérature, sinon quant à ce qu’elle est en son essence supposée […] le temps de cette lettre, je tiens à dire ici, au moment où je relis ce texte dans Situations II que je trouve Qu’est-ce que la littérature ? d’une admirable et impressionnante lucidité, d’une actualité, comme on dit, presque intacte, parfois encore devant nous, exemplaire […] » T.M, p. 23, n. 16. ↩
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Autoportrait à soixante-dix ans (1975), entretien avec Michel Contat, Situations X, op. cit, p. 151. ↩
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Numéro 587, mars-mai 1996, l’article de Derrida, pp. 7-54, sera désigné ici par T.M. ↩
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Je ne peux malheureusement ici rendre compte précisément des nombreux thèmes de cet article : du salut, de l’époque, du goût afin de rester dans les limites de mon propos centré sur la problématique de l’héritage. ↩
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L’insistance de l’écriture réflexive de Derrida ayant trait au code la lettre participe au questionnement concernant l’identité du destinataire : « Cher Claude Lanzmann, comme on ne doit pas multiplier les notes en bas de page dans une lettre[…] » 17, « Cher Claude Lanzmann, dans une lettre écrite en voyage[…] » 24, « J’en fais un peu le thème de cette lettre » 30, « Donc, cher Claude Lanzmann […]» 33, « Comment les ferais-je tenir, dès lors, en un article ou moins encore, dans une lettre ? » 35 . La question de l’identité du destinataire fait pendant avec celle du signataire. ↩
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Sur ce pays, considéré comme matrice de l’écriture autobiographique, je me permets de renvoyer à mon étude L’autobiographie et l’Algérie dans l’oeuvre de Jacques Derrida publiée dans Études de langue et littérature françaises,Tokyo,1999, pp.197-213. ↩
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Dans son séminaire consacré à l’hospitalité en 1997, Derrida a évoqué L’hôte de Albert Camus dont l’intrigue se situe, comme le plus souvent, dans le pays natal de Derrida. Camus, comme Sartre, a été lu, oublié, puis, récemment, relu tout autrement. L’Algérie fait donc retour par la littérature et les essais d’Albert Camus, auteur qui fut, un temps, c’est essentiel, membre du comité de rédaction des Temps Modernes. ↩
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Les Temps Modernes, N °580, Janvier-février 1995, pp. 233-244. ↩
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Sur ce film, on lira le recueil des études (entre autres, de Claude Lanzmann et de Shoshana Felman) éditées par Michel Deguy : Au sujet de Shoah, Belin, 1990. Dans ce volume, Deguy est l’auteur d’un article remarquable intitulé : Une oeuvre après Auschwitz., pp. 21-48. ↩
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Cette pratique de lecture et d’interprétation des textes qui évite la multiplication des nouveaux concepts (au contraire de Deleuze) est nommée , par Derrida, « paléonymie » dans Positions,op. cit, pp. 95-96. Il s’agit d’une des opérations du travail de la déconstruction dont on peut apprécier l’apport important, par exemple, sur les mots « supplément » (Rousseau), ou « pharmakos » (Platon). ↩
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Minuit, 1985. ↩