Duels à répétition, enlèvements et chevauchées où la ruse et l’adresse du héros-spadassin déjouent complots et manigances : le roman historique a ses rites, rituels et ingrédients résumés par la formule « sexe, sang et sabots » ... Il se nourrit aussi de stéréotypes : l’ingénue amoureuse, le héros sans peur et sans reproche, le conseiller du prince ou son âme damnée, ainsi que cette variation sur le thème de la « femme fatale » qu’est la Reine, dans sa version séductrice - Marie-Antoinette - ou maléfique - Catherine de Médicis - . Genre à succès, en matière de tirage et de diffusion commerciale, et ce à toutes les époques, le roman historique est inauguré en 1814 par le Waverley de Walter Scott, monument commémoratif d’une Écosse légendaire de brumes et de sauvages Highlanders ; il se répand à travers l’Europe romantique fascinée par le genre « troubadour » qui l’arrache à la morosité des temps.
L’avènement du feuilleton - « la suite au prochain numéro » - fera le reste : Alexandre Dumas, candidat en 1848 aux élections législatives, se présente aux électeurs comme « prolétaire de la plume » auteur de 646 titres et père de 7267 personnages ! Au XXe comme au XIXe siècle, le roman historique, chez Walter Scott, Vigny, Dumas, Mérimée, comme chez Aragon, Chantal Thomas ou Patrick Rambaud, vise à divertir- au sens propre et figuré - grâce à son parti pris d’excentricité narrative et temporelle. La reconstitution d’une époque passée relève de la volonté de brouiller les repères du lecteur, de lui procurer l’illusion qu’il voyage à travers le temps, qu’à l’instar de Flaubert, il est batelier sur le Nil, leno à Rome au temps des guerres puniques, qu’il est mort pendant les Croisades pour avoir mangé trop de raisins sur la plage de Syrie...
Mais le roman historique donne aussi à lire l’identité des communautés, sociales ou nationales, telles qu’elles s’expriment dans les stéréotypes, symboles et mythes - l’âge d’or, la conspiration - qui constituent les rituels de communication d’une culture partagée. Ainsi prennent voix les préoccupations qui nourrissent l’imaginaire dans des sociétés troublées ou simplement lassées par leur situation « objective » (les effets de la démocratisation, la construction des États-nations sur fond de querelles idéologiques ou de conflits d’intérêts) ou par la trivialité d’une modernité désenchantée.
Roman du peuple, romans des peuples, le roman historique européen invente la tradition. Grâce à des jeux de miroirs, il propose une résurrection du passé qui en rend possible et surtout accessible l’explication. Peu importe que la Jeune fille à la perle supplante ou non d’Artagnan, cette figure sublimée du héros « à la française » qui incarne les destinées des peuples promus acteurs de l’histoire : instituteur du peuple, le roman historique constitue un genre propre à l’âge démocratique que hantent la perte d’identité et l’angoisse du nivellement. La diffusion de mythes nationaux - Saxons et Normands, Polonais et Cosaques, Français et Anglais... - conjure alors la menace de dissolution des repères. Lié à l’avènement du peuple et des peuples, le roman historique, chez Balzac, Heinrich Mann, Walter Scott, Sienkiewicz, Gogol, Dickens et tant d’autres, exploite et produit les représentations culturelles de chaque époque.
A l’heure actuelle, la vogue du genre biographique, la ferveur commémorative et le succès du roman historique sous toutes ses formes participent du même souci : affirmer l’égale légitimité des mémoires particulières - les « témoins » - et opposer aux incertitudes de la modernité le recours au passé et à un problématique « devoir de mémoire ».