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Les approches de la participation des femmes en Europe post-communiste : enjeux et débats

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      • Mot-clésFR Éditeur 96 articles 3 dossiers,  
        96 articles 3 dossiers,  
        Mot-clésFR Éditeur 46 articles 1 dossier,  
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        Mot-clésFR Éditeur 53 articles 2 dossiers,  
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        Mot-clésFR Éditeur 184 articles 4 dossiers,  
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        Mot-clésFR Éditeur 72 articles 3 dossiers,  
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        Mot-clésFR Éditeur 485 articles 14 dossiers,  
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        Mot-clésFR Éditeur 29 articles 1 dossier,  
        29 articles 1 dossier,  
      Texte

      Continent vierge des études féministes au début des années 1990, l’Europe centrale et orientale a fait l’objet d’un grand nombre de programmes d’études et d’échanges intellectuels, qui ont cherché à définir la signification de l’expérience communiste du point de vue du genre et, tout à la fois, à mesurer l’influence des débats suscités par les féministes dans le monde occidental au cours des trois dernières décennies. Cependant, la vive discussion qui s’est rapidement instaurée entre spécialistes du genre de l’Est et de l’Ouest, de même que les paradigmes spécifiques développés par les sciences sociales dans l’étude des sociétés communistes, puis post- communistes, invitent à une vigilance méthodologique riche d’enseignements.

      La variété des approches disciplinaires auxquelles cette manifestation est ouverte permet de soulever à peu près toutes les problématiques qui se posent quant aux rapports entre genre et espace public. À travers des notions telles que la valence différentielle des sexes, chère à Françoise Héritier, ou la domination masculine décrite par Bourdieu - et ce indépendamment des controverses que génèrent nécessairement tout effort de théorisation - apparaît en effet la trame complexe du rapport entre l’identité des genres et l’organisation de la vie sociale. Une trame qui repose en premier lieu sur une catégorisation, largement analogique, des rôles et vertus imputés à chaque sexe et qui les inscrivent, de manière fonctionnelle, comme deux des points cardinaux de l’espace social. Si les termes premiers de la problématisation sont communs à toute approche et à toute discipline, à l’unique condition que l’on ne tienne pas l’identité des genres pour seul reflet de la nature, les problèmes méthodologiques sont propres à chacune d’elles. La sociologie politique et la science politique doivent ainsi compter avec les caractéristiques spécifiques au champ politique. L’espace public est de fait le lieu où le tissage des représentations sociales sur la division des rôles et des aptitudes entre les sexes est le plus serré. L’enjeu de la lutte que se livrent les acteurs au sein de ce champ est considérable, puisqu’il ne s’agit pas d’un pouvoir, mais du pouvoir. Pour aborder l’état des représentations sociales sur le rapport des femmes au politique, et mesurer leur influence sur la présence des femmes sur l’agora, prendre pour point de départ le constat de l’absence ou de la marginalisation politique des femmes ne suffit pas. Il faut, avec Habermas, retenir l’hypothèse du caractère constitutif que revêt l’exclusion des femmes dans la structuration de la sphère publique. Prendre ce parti n’exonère en rien d’aborder d’autres aspects de l’absence des femmes du politique, ni de se pencher sur d’autres éléments constitutifs de l’édification d’un espace public. En revanche, il nous semble un point de départ intéressant, en particulier si l’on entreprend d’étudier du point de vue du genre les recompositions qui affectent depuis dix ans les espaces publics post-communistes.

      Quelles ont été les grandes approches du rapport genre/politique dans ces sociétés au cours de la décennie écoulée ? J’établirais d’emblée un clivage entre les approches féministes ou rassemblées sous l’intitulé « gender », et celles menées pour le compte des sciences politiques et de la sociologie politique. Ce clivage ne doit pas masquer les passages de plus en plus nombreux, auxquels je reviendrai plus loin, entre ces deux catégories d’approches, au sein desquelles concourent naturellement plusieurs paradigmes. En revanche, il souligne qu’elles affrontent des enjeux et des questionnements de nature différente sur le terrain centre-européen. J’évoquerai dans un premier temps les recherches de type féministe. Leur apport, qui se mesure à l’aune du grand nombre d’études menées dès 1990, demeure marqué par deux articulations différentes du rapport entre genre et politique ; la première, sous l’angle principal des politiques de gestion des corps, la seconde, à travers le rôle des femmes au sein de la société civile. De nombreux travaux ont ainsi abordé le rapport des femmes au politique à travers leur situation d’objet des politiques publiques en matière de procréation, d’éducation des jeunes enfants, d’accès au travail, etc. Cette approche est elle-même marquée par les réflexions menées dès avant 1989, à l’Ouest, sur l’impact du socialisme pour la situation des femmes, et ce dans le cadre particulier du développement des mouvements féministes occidentaux. À l’heure où ceux-ci reconnaissaient pour slogan « le personnel est politique », l’accent était naturellement mis sur une vision de l’État comme puissance répressive, cherchant à assurer son contrôle sur les corps. L’évaluation de l’influence des politiques menées par les États communistes sur la situation des femmes fut donc essentiellement conduite dans ces termes, sans accès au terrain. Les années 1980 ont été riches en colloques et ouvrages adoptant ce biais. De fait, les politiques successives et contradictoires choisies par les régimes communistes dans ces domaines (correspondant aux différentes phases des processus de soviétisation des sociétés et des économies) offraient matière à de nombreux questionnements. Plusieurs auteurs ont alors cru voir dans l’État communiste, souvent pris comme un modèle très stable et uniforme, une autre forme du state patriarchalism dénoncé à l’Ouest 1 .

      Ces approches expliquent qu’il se trouvait donc, après 1989, un certain nombre de spécialistes préparés à un travail sur le terrain. De fait, nombre de travaux entrepris au début des années 1990 ont repris la même articulation du rapport genre-politique, mettant l’accent sur la position économique des femmes et l’impact des évolutions rapides suivies par les politiques sociales dans les différents pays de la région. Quant à la place des femmes dans l’espace public renaissant, elle fut davantage le terrain d’un autre type de démarches. Le militantisme féministe actif dans plusieurs pays d’Europe occidentale, au cours des années 1960-1970, qui est à l’origine du développement de l’Histoire des femmes et des études sur le genre, avait en outre validé, chez la plupart des auteurs, l’idée que le rapport des femmes au politique pouvait très largement être médiatisé par leur engagement au sein de la société civile, en marge des institutions politiques et notamment dans une logique subversive. Aussi, nombreux sont les travaux qui ont cherché à déceler, dans la nouvelle donne post-communiste, les acteurs de telles mobilisations et le rôle des femmes dans l’édification de sociétés civiles. Cette ambition faisait également écho aux vives réactions des féministes de l’Est contre le sombre tableau décrit par certaines de leurs collègues de l’Ouest, qui dénonçait le conservatisme et l’apathie politique des « femmes de l’Est ». De leur côté, certains auteurs centre-européens ont au contraire voulu valoriser l’image d’une grassroots democracy 2 , d’une société civile foisonnante, à laquelle les femmes seraient largement associées. D’où l’intérêt de nombreuses enquêtes pour la présence des femmes dans le tissu associatif et au niveau politique local. L’influence des gender studies sur la réflexion menée au niveau des institutions européennes sur la sous-représentation des femmes dans la sphère publique a eu pour effet notable d’imposer l’idée selon laquelle l’engagement des femmes dans ces deux formes de l’action publique est déterminant pour leur participation politique. Les fonds européens ont ainsi financé plusieurs études sur cette dimension du rapport entre genre et politique.

      Cependant, l’ensemble de ces démarches se sont trouvées confrontées à un terrain inattendu, imprévisible, par ailleurs labouré par l’arsenal épistémologique de la « transitologie », elle-même en perpétuelle quête d’une validation de ses paradigmes concurrents. La nouveauté représentée par le post-communisme induisait des problèmes inédits et la période allait considérablement mettre à l’épreuve les outils développés jusque là aussi bien par les sciences sociales que par les gender studies. Ainsi, les études s’intéressant aux femmes comme objet des politiques publiques, lesquelles s’étaient laissées abuser par l’image de sociétés plates, où la masse des individus était modelée par un État-parti tout puissant, se virent répondre par des sociologues locaux, que cette vision manichéenne avait perdu toute validité, dès les années 60, sauf peut-être dans la Roumanie de Ceausescu. Ainsi, les politiques natalistes et les politiques d’incitation à demeurer au foyer des années 1970-1980 n’avaient-elles eu que des effets très limités, la sphère privée étant largement perçue comme lieu de résistance aux intrusions de l’omniprésence publique. Les analyses de la position économique des femmes ont en outre subi l’influence des théories de la stratification sociale. La sur-représentation des femmes parmi les chômeurs et les pauvres a incité à les classer dans le clan des « perdants », selon l’une des interprétations hâtives des premiers résultats de la transition économique et politique. Au-delà des démarches féministes, les travaux de sociologues sont venus valider ces premières conclusions, pointant du doigt la plus grande fragilité frappant des populations féminines par ailleurs bien formées, face aux coûts sociaux des restructurations en cours. Pour ceux que la diversité sociale de l’après 1989 ne surprenait guère, l’une des clés d’analyse se posait en terme de mobilité au sein de cette diversité. Dans cette optique, la faible présence des femmes dans la sphère publique, aussi bien économique que politique, a pu s’expliquer notamment en fonction de l’insuffisance de leur capital dans ces deux domaines sous l’Ancien régime. Sans nécessairement céder à l’économisme, ces démarches n’en rejoignent pas moins les tenants de la path dependency , en cela qu’elles font dériver les données présentes de réalités sociales antérieures. Les travaux féministes consacrés à l’engagement des femmes au sein de la société civile rejoignent quant à eux certaines théories des sciences sociales appliquées à la transition, soit par l’importance donnée aux acteurs, soit par un biais fonctionnaliste, voire culturaliste.

      Dès les années 1980, certains auteurs féministes avaient été attentifs à l’émergence d’initiatives anti-totalitaires, analysées en tant que mouvements sociaux, et à la place qu’y tenaient les femmes. Le rôle joué par des personnalités féminines au sein des KOR (comités ouvriers de défense, en Pologne) et de Solidarnosc a ainsi été analysé tandis que l’on pouvait remarquer l’importance de l’engagement féminin au sein de la Charte 1977. Aussi, à l’image d’une sociologie à la recherche de nouveaux acteurs, porteurs d’un nouveau sens politique, l’intérêt de certaines recherches féministes s’est-il tourné vers la participation des femmes aux milieux dissidents. Mais, tout comme les analyses inspirées des travaux d’Alain Touraine et de son équipe, de telles approches n’ont pu que connaître un brutal désenchantement après 1990, lorsqu’il s’est avéré que ces acteurs du changement de régime ne seraient pas ceux du nouveau. Toutefois, la volonté d’identifier des acteurs, individus ou minorités agissantes, n’a pas abandonné les gender studies dans leur intérêt pour l’Europe post-communiste. Une partie de celle-ci demeure porteuse d’une analyse du rapport entre genre et politique, selon laquelle les groupes féministes, notamment, constituent le plus sûr levier social pour parvenir à un accès massif des femmes à la sphère publique. Cette optique n’est pas sans lien avec l’approche proposée par nombre de sociologues et politistes pour étudier les changements intervenus depuis 1989. Cette dernière s’est affirmée dans le sillage d’un retournement de perspective, opéré à la fin des années 1970, qui a fait émerger une vision des sociétés soviétisées en tant que sociétés mobiles. Les initiatives anti-totalitaires de l’après Helsinki ont alors suggéré l’hypothèse de l’existence de sociétés civiles, malgré la puissance de l’État. Le rôle prêté à ces sociétés civiles étroites, mais actives, dans le changement de régime, sembla valider une hypothèse ultérieure : celle du rôle déterminant qu’allaient jouer ces sociétés civiles libérées du carcan soviétique dans l’édification de régimes démocratiques. Le développement du non-profit sector constitue un indicateur prisé des sociologues politiques. Mais c’est semble-t-il une vision fonctionnaliste qui l’a emporté aussi bien dans la « transitologie » qu’au sein des gender studies, dans leur approche des sociétés désoviétisées. Une acception de la société civile comme secteur distinct intermédiaire entre les individus et l’État, qui a conduit à mesurer le développement des sociétés civiles est-européennes après 1990, par rapport à l’étalon représenté par les sociétés occidentales, accréditant l’idée d’un modèle universel de développement démocratique. Cette optique, qui est en définitive celle proposée par Almond et Verba dans leur ouvrage fondateur, a été reprise dans des travaux adoptant la perspective du genre, avec ce souci supplémentaire (ou complémentaire), de mesurer l’accès des femmes à cette nouvelle sphère publique. Par conséquent, le constat de sociétés civiles introuvables, établi par de nombreux chercheurs, s’applique également à ces études. Pour Dominique Colas, ce désenchantement invalide même, a posteriori, l’hypothèse de l’existence de sociétés civiles sous le communisme. En tout état de cause, il invite à davantage de prudence dans l’usage du concept de société civile et cela vaut aussi bien pour les études centrées sur le genre. Mais les démarches que nous avons évoquées ne sont pas les seules à avoir intégré le facteur genre.

      En effet, le paradigme dominant du corpus hétéroclite que représente la transitologie, au cours des années 1990-2000, la théorie de la path-dependency, a également pris en compte la situation différenciée des femmes dans les sociétés post-communistes. Issue de l’économie, étendue à la sociologie et à la science politique, cette approche conceptuelle a mis l’accent sur l’importance des structures héritées de la période précédente et des choix politiques et économiques opérés à la sortie immédiate de l’ancien régime. De fait, cet angle d’analyse répondait aux questionnements essentiels qu’affrontaient alors les sciences sociales et faisaient écho aux analyses métaphoriques produites « à chaud » par certains spécialistes des sociétés communistes : dans quelle mesure ces sociétés, désormais désoviétisées, hériteraient de leurs traits antérieurs à la seconde guerre mondiale, quel serait le rôle des anciennes élites communistes et des anciens leaders dissidents, quels chemins emprunteraient la transition dans tel ou tel pays, quelle durée serait nécessaire pour parachever la construction de sociétés libérales-démocratiques ? Dans une perspective féministe, de telles questions trouvaient une formulation similaire : quel rôle joueraient les actrices du changement de régime, de quelle façon le lien entre l’État et les femmes, sujets de ses politiques sociales, serait-il reformulé, quel impact l’engagement des femmes dans la société civile aurait-il sur leur présence dans la sphère publique dans son ensemble ? De fait, à la fois les approches mettant l’accent sur les mouvements de femmes, et celles soulignant l’impact des politiques publiques sur le statut des femmes, pouvaient envisager un rapprochement théorique avec le courant de la path dependency. Les passerelles entre gender studies et sociologie politique demeurant fragiles, il fallut en définitive attendre la fin du règne de ce paradigme pour que paraissent des travaux imposant le genre dans l’agenda de la « transitologie ».

      Ce long retour croisé sur les sciences sociales et les études du genre à l’épreuve du post-communisme répondait à plusieurs objectifs. Tout d’abord, souligner les différents désenchantements auxquels cet ensemble de disciplines a été confronté. Pour les études consacrées aux effets de la valence différentielle des sexes, le premier a résidé dans le mauvais accueil fait aux théories occidentales par celles et ceux en qui les féministes de l’Ouest voyaient leurs relais et alter ego naturels. Cette réaction ne fut pas tant celle d’acteurs et spécialistes confrontés à une certaine condescendance, qu’une remise en cause de l’adéquation des outils développés à l’Ouest ou à l’épreuve d’autres terrains avec une situation inédite. Ce fut aussi le rejet d’un vocabulaire marqué par le marxisme et à ce titre inacceptable, du moins pour l’heure. Ces retrouvailles manquées entre féministes de l’Ouest et de l’Est n’ont pas été sans conséquence pour la discipline, dans la mesure où elles ont mobilisé pour leur explication une énergie considérable et que les blessures ouvertes alors ne sont pas encore entièrement cicatrisées. Ce furent ensuite les fortunes diverses rencontrées par les espoirs placés tantôt dans les nouveaux acteurs sociaux, tantôt dans la société civile et un fonctionnalisme inopérant.

      Il s’agissait aussi de démontrer, en dépit de légitimités et de parcours historiques différents, que les gender studies et le reste des sciences sociales ont été mis à l’épreuve de questionnements et de dilemmes comparables au cours de la décennie écoulée et qu’à ce titre au moins, les solutions qu’elles y apportent sont dans une certaine mesure indissociables. Enfin, cette évocation me permet de brosser à grands traits le contexte de ma propre expérience de chercheur.

      Celle-ci est récente – à peine trois années – et ne me permet en aucun cas de répondre aux défis mentionnés plus haut. En revanche, ceux-ci me semblent plaider en faveur d’une approche autorisant des passages plus nombreux entre gender studies et sociologie politique. Les enjeux d’une telle approche sont multiples : passé le désenchantement, il est important d’insérer pleinement la perspective du genre dans l’agenda des sciences sociales à l’épreuve du post-communisme. Ceci est à la fois une nécessité pratique, de nombreuses équipes s’étant localement constituées autour de cette question, et épistémologique, dans la mesure où, que l’on examine l’héritage de l’Ancien régime, les éléments comparables aux sociétés occidentales et les situations inédites spécifiques au post-communisme, partout il est possible de suggérer des perspectives différenciées en fonction du genre. Celui-ci est donc une clé d’analyse nécessaire aux politologues et sociologues pour saisir l’ensemble des phénomènes complexes intervenus depuis 1989. Ensuite, le terrain offert par l’Europe post-communiste nous semble fécond pour l’exploration de nouveaux paradigmes et la validation d’autres, encore sous-utilisés, en particulier dans le domaine de l’analyse de la participation politique des femmes. Notre travail tente de s’inscrire dans ce projet.

      Nous nous sommes intéressés à un aspect, peu développé en Europe, de ce domaine de recherche, celui de l’influence du facteur genre sur le travail des femmes parlementaires. Se pencher sur ce groupe particulièrement restreint de personnes (32 pour la seule République tchèque, moins de 150 à l’ échelle centre-européenne), ne revient en rien à restreindre l’espace public à la seule politique institutionnalisée. Il existe un grand nombre de niveaux de responsabilité politique, de même qu’un certain nombre de déclinaisons différentes à la notion d’engagement politique, dont fait partie l’investissement associatif lorsqu’il défend un objectif politique ou para-politique. Néanmoins, la détention d’un mandat électif national, dans des régimes parlementaires modernes, est l’une des formes de cet engagement qui octroie le plus grand niveau de responsabilité et de rétributions diverses, et qui suggère une grande expérience politique. La majorité des députées sont aussi des membres actifs de leurs formations, parfois des responsables locales, voire des ministres. Mais encore, l’hémicycle d’une assemblée demeure, dans nombre de pays, l’un des espaces politiques les plus masculins. Il ne s’agit pas tant cependant d’aborder l’appartenance des femmes à une élite (la transitologie, dans son ensemble, s’est beaucoup intéressée aux nouvelles élites), que de se pencher, comme en négatif, sur l’expérience de personnes qui échappent au constat de l’absence des femmes du politique.

      Les analyses institutionnalistes constituent une part importante des études consacrées à la présence – ou l’absence – des femmes dans les corps élus. Ceci s’explique à la fois par l’existence de nombreux outils pour appréhender les mécanismes électoraux (ceci vaut tout particulièrement pour la France) et, au niveau des gender studies, par la prédominance d’une perspective anglo-saxonne, dotée d’un imposant arsenal conceptuel dans l’analyse du fait minoritaire. Cette approche, reprise également en Scandinavie, met l’accent sur les divers obstacles qui entravent l’accès des femmes aux mandats. Sont ainsi principalement désignés les procédures de désignation des candidats au sein des partis et les modes de scrutins retenus aux niveaux locaux et nationaux. Plus les dites procédures seraient stables et transparentes (élections primaires, par exemple), plus important serait le nombre de femmes investies. Quant au mode de scrutin, il serait déterminant, instituant des rapports candidat-électeur et des agendas politiques différents, plus ou moins favorables aux candidates. Cet angle d’analyse est l’un des passages les plus empruntés entre études sur le genre et sociologie dite « classique », car les outils utilisés en la matière ont été clairement validés par ces dernières, même s’ils demeurent naturellement réfutables. Néanmoins, cette convergence, associée à l’activisme des mouvements féministes, a permis à ce type d’études de fonder nombre de dispositions politiques, dont la loi sur la parité française est un exemple. Néanmoins, les débats suscités par cette dernière ont entre autres choses souligné combien le fait minoritaire, comme objet des sciences sociales, demeurait contesté en France.

      Cependant, si l’on retient l’hypothèse que l’exclusion des femmes est constitutive de la structuration de la sphère publique bourgeoise au 19e siècle – laquelle demeure le modèle des démocraties libérales –, la perspective institutionnaliste paraît incomplète pour rendre compte de cette exclusion. En dernière analyse, ces procédures techniques ne font en effet que renvoyer différemment aux structures sociales, exprimées par les prescriptions sur le genre. De nombreux travaux ont souligné combien l’agenda d’un scrutin, étroitement lié au mode de scrutin et au niveau électif, pouvait être plus ou moins favorable aux femmes candidates. Ce sont les ressorts de ces perceptions inégales (et non seulement différenciées) des candidats en fonction de leur sexe, ainsi que les stratégies qu’elles induisent chez les femmes politiques, qui constituent le cœur de notre enquête. Car il faut rappeler combien le facteur genre n’est pas isolable d’autres facteurs déterminants, et combien les prescriptions qu’il véhicule ne s’imposent pas de manière unilatérale et uniforme. La preuve est là : il y a bien des femmes sur l’agora.

      Ce groupe restreint est donc un objet singulièrement intéressant pour la compréhension de la sous-représentation féminine en politique. Mais encore, le terrain offert par une société post-communiste place d’emblée cette analyse dans le contexte d’une refonte de l’espace public. Or, dans ce contexte, il est également nécessaire d’appréhender ce que met en œuvre une carrière politique, en termes de mobilisation de ressources : quelles sont les qualités requises par l’époque, ainsi que permettent de le mesurer les enquêtes d’opinion et l’image de l’homme politique véhiculée par les média. Plusieurs travaux se sont attachés à interpréter les expériences politiques de femmes élues. Sur la base d’entretiens semi-directifs, ces études évoquent des expériences largement partagées, bien qu’en elles-mêmes contradictoires. Mais cette contradiction n’est-elle pas le propre de l’expérience de femmes au cœur d’une agora, là où dominent les symboles masculins ? Au-delà de ces expériences, que nous avons nous-mêmes indirectement relevées dans nos entretiens, il nous a semblé judicieux de tenter de mesurer l’impact du genre sur la pratique politique des parlementaires : leur accès à la parole, aux responsabilités, aux gratifications afférentes, à la visibilité politique. Une manière de reformuler la question de la participation politique des femmes ; la frontière se trouve-t-elle seulement au niveau de leur accès aux mandats ? L’absence des femmes aux niveaux gouvernementaux plaide pour une réponse négative. Mais comment, au niveau de quelques individus, écarter l’hypothèse de choix personnels ou de compétences insuffisantes ?

      Le personnel plus nombreux et complexe (et à la durée de vie plus longue) que représentent les parlements nous semble être le terrain adéquat.

      L’assemblée nationale tchèque, qui compte 200 députés, comprenait 32 femmes durant la législature 1998-2002. La nouvelle assemblée élue en juin dernier en compte 2 de plus, soit 17 %. C’est davantage qu’en France (12 % malgré les lois sur la parité), mais ce chiffre place néanmoins la République tchèque en queue de peloton parmi les pays européens. La première assemblée tchécoslovaque post-communiste comptait en 1990 moins de 10 % de femmes, la proportion augmentant par la suite à 12,5 puis 15 %. Le recul de la représentation féminine par rapport aux parlements communistes, au sein desquels des quotas maintenaient souvent entre 1/4 et 1/3 de femmes, a été commun à l’ensemble des pays de la zone. En 1990-1992, la scène politique a vu la rapide disparition de la plupart des personnalités issues du forum civique de 1989. La refonte de celui-ci en formations politiques plus classiques, aux orientations idéologiques et programmatiques relativement marquées, a accéléré le retrait de la vie politique de certains acteurs qui se voulaient les porteurs d’une autre morale civique, ainsi qu’elle avait été définie, notamment par Havel et Pato. Placées à des postes significatifs au lendemain de la révolution de velours, des femmes issues des milieux de la Charte 77 ont cédé la place, tout comme leurs collègues masculins, à des personnalités moins associées au changement de régime, se référant à des canons politiques occidentaux. Dès lors, sur la nouvelle scène politique tchèque, se sont succédés des gouvernements presque exclusivement masculins et des chambres parlementaires comptant entre 83 et 91 % d’hommes.

      Au cours des deux dernières législatures, c’est le KSM qui a envoyé la plus forte proportion de femmes (25 % en 1998, près de 30 % en 2002), devant le SSD (14,2 et 16,2 %) et les partis de droite et du centre droit (autour de 13 %). En 2002, le KSM, qui a vu son club parlementaire presque doubler, passant de 24 à 41 élus, a en outre envoyé siéger le plus grand nombre de députées (12). Plus de 3/4 des femmes élues ou réélues sont titulaires d’un diplôme supérieur – contre les 2/3 en 1996 –, cette tendance rejoignant celle observable pour les hommes. Leur âge moyen (45 ans) est demeuré approximativement le même, légèrement inférieur à celui des hommes. Parmi les députées de la nouvelle législature, environ un quart sont des juristes, tandis que seuls 5 % des députés hommes sont titulaires d’un doctorat en Droit. Il faut également noter que la proportion d’élus reconduits dans leurs mandats est identique pour les hommes et les femmes (respectivement 57,7 % et 56,25 %). Ces derniers chiffres (à l’exception de la proportion de juristes, à laquelle nous allons revenir) dénotent dans l’ensemble une convergence générale du profil des hommes et femmes députés, ce qui écarte d’emblée, pour ce qui suit, l’hypothèse d’un déficit d’expérience ou de compétence.

      Pourtant, l’analyse du travail quotidien des femmes parlementaires, à travers leurs interventions en séance ou leurs participations aux travaux des différents organes de l’assemblée, semble démontrer la marginalisation de la majorité d’entre elles dans des domaines de compétences à faible valeur politique ajoutée. Pour nous guider dans cette étude, nous nous sommes dans un premier temps appuyés sur les recherches conduites en Europe et aux États-Unis, cherchant à définir les agendas électoraux favorables et défavorables aux femmes. De ces études, il ressort que le champ politique admet généralement une répartition « genrée » des domaines de compétence. Les femmes seraient jugées plus capables dans des domaines relevant du soin à autrui (santé, éducation, social, environnement), les hommes étant reconnus plus à même d’affronter des problèmes économiques ou de sécurité. Ces deux domaines généraux, séparés du point de vue du genre, rejoignent d’autres oppositions binaires procédant de la construction sociale des identités sexuelles et dont les interventions dans cette université d’été nous ont fourni nombre d’exemple ; aussi n’y reviendrai-je pas. En revanche, dans le cours de mon travail, j’ai été amené à souligner que dans le champ politique (d’une société en transition, même si quelques données suggèrent un constat identique en Europe occidentale, notamment), ces domaines se voient affecter de valeurs politiques et de prestige inégaux, selon le principe de la fameuse valence différentielle des sexes. Puisqu’il s’agit de se confronter aux conséquences directes de stéréotypes, il convient ici de rappeler qu’aller à la rencontre des opinions communes ne suppose nullement de les embrasser.

      Entre 1998 et 2002, les députées tchèques ont consacré le tiers de leurs interventions en séance au domaine social, recouvrant les questions liées aux retraites, à la santé, à la législation sur le travail, à la protection de l’enfance et à la politique familiale. Sur la même période, ce vaste domaine, comprenant des questions comptant au nombre des principales préoccupations des Tchèques, selon des enquêtes d’opinion, n’a représenté que 12 % du travail de l’assemblée, hommes et femmes confondus – et un peu plus de 8 % de l’activité des députés hommes. Dans le même temps, les femmes ne consacraient que 4,6 % de leurs adresses devant leurs pairs aux questions économiques, thème de plus de 21 % du travail de l’assemblée. Si l’on ajoute les domaines législatifs définis par ailleurs comme « féminin » car relevant, selon l’opinion commune, de compétences imputées aux femmes, à savoir l’éducation, la défense des libertés publiques, l’environnement et la culture, cette proportion s’élève à 44,4 % des prises de position des députées. L’ensemble des élus n’y accordent pourtant que 18,5 % de leurs adresses en séance. Le différentiel est également important pour le domaine de la santé (14 % de l’activité plénière des femmes élues, mais 5,2 % du travail de l’assemblée). Il est important de souligner que chaque domaine de spécialisation d’un sexe est un domaine de sous-spécialisation pour l’autre. On peut néanmoins préciser qu’à ce niveau, les questions environnementales échappent à la classification en fonction du genre, à condition de ne pas établir de sous-distinctions dans ce domaine. Enfin, la sur-représentation des juristes parmi les députées, et ce, comparativement aux juristes hommes siégeant à l’assemblée (5/8 en 1998 et 8/8 en 2002), se répercute très nettement dans la mise en valeur des domaines de compétence : les questions juridiques, en incluant celles qui sont relatives aux droits de propriétés, capitales dans une société post-collectiviste, ont représenté, sur la période considérée, plus de 15 % des interventions des députées. Il s’agit là du champ législatif auquel elles ont consacré le plus de prises de positions (132).

      L’autre grand aspect du travail parlementaire, celui réalisé au sein des conseils et commissions, tend à accentuer la cohérence de cette apparente division sexuelle, ainsi que l’existence d’un domaine de compétence qui échappe à cette division. Les conseils de l’assemblée tchèque réalisent le travail attribué aux commissions du parlement français, les komise tchèques correspondant à des domaines d’intervention plus étroits et précis du législateur. Les domaines de compétences déjà mentionnés peuvent être assez clairement dégagés, avec toutefois quelques évolutions. Ne représentant que 16 % des élus en 1998, les femmes occupaient pourtant 50 % des sièges du conseil pour la politique sociale et la santé et près de la moitié également de celui chargé de la transmission des pétitions. En 2002, ce dernier comprend la même proportion de femme que sous la précédente législature, tandis que le conseil pour les sciences, l’éducation, la jeunesse et la culture physique en compte désormais 38 %, celui pour la santé et la politique sociale, à peu près un quart. Pratiquement aucune évolution en revanche pour les domaines de sous-représentation des femmes : les conseils au budget, pour l’économie et les questions de défense et de sécurité, ne comprennent, comme en 1998, une seule – voire aucune – femme parmi leurs 19 ou 21 membres. Ces tableaux soulignent la sur-représentation des femmes dans d’autres conseils que ceux relevant du domaine « féminin ». En 1998 comme en 2002, les femmes occupent plus du quart des sièges du conseil aux questions juridiques et constitutionnelles. Leur sur-représentation dans les conseils aux pétitions, des mandats et immunités et à l’organisation relèvent d’une autre logique, que permet d’éclairer une enquête réalisée en 2000 par une sociologue tchèque.

      Cette étude, effectuée auprès des 200 députés, portait sur le prestige accordé par ceux-ci aux différents conseils. Les motivations des réponses de ces derniers n’ont pas été consignées, mais rappelons entre autres critères, que les travaux des conseils n’ont pas les mêmes répercussions sur le travail gouvernemental, selon le type d’expertise qu’ils supposent, de même que sur l’opinion publique. Auprès de celle-ci, certains n’existent tout simplement pas. Le conseil aux pétitions n’est ainsi mentionné comme prestigieux que par 1,7 % des députés interrogés (soit un nombre bien inférieur à ses 17 membres !). En 2002, les 3 conseils où siègent le plus de femmes étaient, en 2000, cités comme prestigieux par moins de 3,5 % des députés interrogés. Seul le conseil pour les questions juridiques et constitutionnelles, où siègent plus d’un quart de députées, appartient aux trois conseils les plus prestigieux, derrière celui au budget (aucune femme en 2002) et devant celui à la défense (1 femme). Ainsi, en dehors des conseils consacrés à des domaines réputés « féminins », les femmes députées tchèques sont bien représentées au sein de conseils sans prestige et qui n’appartiennent pas à proprement parler au domaine législatif. Elles sont en revanche quasi-absentes des conseils identifiés comme les plus importants, à la fois par le prestige qui leur est conféré et par la part du travail en séance à laquelle ils correspondent, exception faite du domaine juridique et constitutionnel. Cette division du travail parlementaire, dans laquelle le genre semble être un facteur pour le moins important, n’est pas sans conséquences. En outre, elle appelle à être approfondie et évaluée, quant à sa signification pour les structures sociales.

      Je ne détaillerai pas ici l’impact direct de ce constat sur l’activité de ces professionnelles de la politique. Signalons simplement qu’une spécialisation dans les domaines dits féminins ne semble en rien être le gage d’une expertise reconnue par ses pairs. Au contraire, les députées consacrant la majeure partie de leur travail à ces thèmes sont moins souvent appelées à s’exprimer au nom de leurs clubs parlementaires respectifs. Elles exercent en outre une trop forte concurrence entre elles sur ces thèmes pour dégager une autorité quelconque. A contrario, les femmes juristes bénéficient de plus-values évidentes, qui ne sont toutefois pas imputables à cette seule qualité. Il n’en demeure pas moins qu’elles s’expriment en moyenne deux fois plus que l’ensemble de leurs collègues femmes, président en 2002 deux des trois conseils dirigés par des femmes (3 sur 4 avant la crise gouvernementale de septembre 2002), qu’une majorité d’entre elles exercent au moins une vice-présidence, et que la seule femme présente au sein des conseils relevant du domaine « masculin » est une juriste.

      Cet exemple, qui échappe en quelque sorte à une influence déterminante du facteur genre, offre par contraste une image assez juste de la situation des femmes cantonnées dans des domaines délaissés par leurs collègues pour d’autres raisons, dirait-on, qu’une préséance féminine.

      Évaluer la signification de cette division et de ses conséquences, dégager l’articulation entre les prescriptions liées au genre et un mode de répartition mesurable des compétences politiques au sein d’un parlement, incite à resituer ce constat dans une certaine durée, qui est celle d’un espace politique en recomposition. Cela engage aussi à le replacer dans un espace qui peut –doit– être à la fois celui de l’Europe post-communiste, laquelle offre des possibilités de comparaison immédiates, et celui de l’Europe occidentale, ne serait-ce que pour mesurer la distance qui les sépare et l’applicabilité comparée de telle ou telle analyse à ces espaces. L’amertume des retrouvailles ratées entre féministes de l’Est et de l’Ouest a renforcé, chez les secondes, l’idée que ces sociétés, et notamment la société tchèque, étaient conservatrices. Je ne ferai pas ici un périlleux historique du rapport qu’ont les femmes tchèques à la politique, me bornant à souligner qu’outre une expérience du communisme somme toute comparable à celle de ses voisins, celui-ci se distinguait plutôt, au niveau européen, parmi les plus développés. En tout état de cause, hors d’une perspective culturaliste, l’influence d’un tel héritage (différé, qui plus est), semble devoir être minime sur des choix individuels, dans un espace politique en recomposition. Il faut aussi préciser, dans le cas tchèque, que le repli conservateur observé ailleurs sur les législations sociales et familiales, ne s’est pas produit dans des proportions comparables. La prégnance des stéréotypes sur les rôles attribués aux genres, à laquelle semble renvoyer aussi bien notre analyse que la perception, par la presse, de la participation féminine à la politique, n’est pas à chercher du côté d’une explication aussi globalisante.

      De plus, une ouverture comparatiste semble plaider dans le même sens. Ainsi, des études mettent en valeur une répartition hommes/femmes des domaines de compétence comparable au sein des conseils du Conseil national slovaque (1998-2002) et des commissions de la diète polonaise (1998-), qui exercent des fonctions identiques. Certes, les proportions se distinguent légèrement pour le domaine « féminin » et une partie de ce domaine (environnement pour la Pologne, affaires sociales pour la Slovaquie) s’avère moins visiblement « genré », tandis qu’un autre champ du travail législatif le rejoint ici ; la protection des minorités, reflet de la composition démographique de ces pays. En revanche, le domaine « masculin » (affaires étrangères, économie, défense) demeure un domaine d’exclusion. La diète polonaise révèle aussi une bonne représentation des juristes. Cette convergence globale est très importante pour asseoir la fonction heuristique du concept de genre dans l’appréhension des sociétés post-communistes. En effet, elle s’affirme en dépit de pourcentages de femmes différents au sein de ces corps élus (12 % et 20 % dans les cas de la Slovaquie et de la Pologne), d’héritages différents pour la culture politique, de différentes « voies » empruntées au cours de la transition et d’une donnée souvent avancée dans l’analyse de la place des femmes au sein de la société : le poids de l’église.

      Mais l’enjeu central d’une telle analyse demeure de mettre à jour les modalités concrètes de l’articulation entre genre et politique, dans le travail de femmes parlementaires, dont la spécialisation et la marginalisation observées ne sont que les ultimes avatars. Or, pour répondre à une telle ambition, il paraît nécessaire de croiser plusieurs perspectives, dont certaines ont été mentionnées dans la première partie de cette contribution. Il est évidemment indispensable de recueillir l’expérience ressentie par ces professionnelles de la politique. C’est ce que nous tentons de faire à travers une série d’entretiens semi-directifs, lesquels ont pour objectif de confronter la vision qu’ont ces femmes de leur travail au parlement avec un certain nombre de réalités observées et auxquelles elles ne font pas spontanément référence.

      Il faut également s’efforcer de démêler l’écheveau des représentations qui exclut des choix, a priori, la suggestion d’une femme, pour faire face à telle ou telle situation ou faire valoir la position de son groupe politique sur un sujet précis. Il est cependant essentiel de ne pas céder à un certain pessimisme épistémologique, en se gardant d’intégrer ces données à un système d’interprétation fermé. Ce qu’est susceptible de révéler un travail de ce type, n’est ainsi pas le résultat d’une domination masculine univoque et générique. Le terrain particulier de l’Europe post-communiste semble au contraire montrer combien les « arrangements des sexes » s’inscrivent dans des contextes spécifiques, qui en modifient le contenu. Des espaces publics en voie de constitution, des héritages divers, une expérience collective du communisme, révèlent des ressources chez les acteurs, dont la mobilité sociale peut être un indicateur. De ce point de vue, les ressources mobilisées par des acteurs politiques-femmes ne sont pas seulement importantes pour mesurer leur capacité à dépasser – voire faire évoluer – l’arrangement des sexes, mais sont l’un des révélateurs de la nature des évolutions connues par les sociétés dans lesquelles elles se déploient.

      L’Europe post-communiste, de par la nature des enjeux qu’elle impose aussi bien à la sociologie politique, à la science politique, à l’anthropologie sociale qu’aux études centrées sur le genre, nous paraît constituer un terrain favorable au développement d’une réflexion commune à ces disciplines. La mise à l’épreuve connue par celles-ci au cours de la dernière décennie favorise un décloisonnement méthodologique et incite à la multiplication des angles d’approche, face à une réalité sociale complexe, bien éloignée des simplifications premières des uns et des autres. Sans qu’ils émergent ex-nihilo, les espaces publics centre-européens présentent souvent, sous forme d’accélérés, les tendances suivies sur de plus longues périodes par les espaces publics occidentaux. Ils offrent peut-être ainsi une occasion unique de saisir dans quelle mesure l’exclusion des femmes est constitutive de la structuration d’un espace public libéral-démocratique, et de comprendre le rôle que jouent les femmes tolérées sur l’agora.

      N.B. : KSM (communiste non réformé), SD (social-démocrate), ODS (droite libérale), KDU-SL et US (centre-droit).

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      La présence des femmes au sein des organes politiques est davantage abordée sous forme de recueils d’expérience ou sous un angle historiographique. Voir, notamment, SINEAU, Mariette, (1988), Des femmes en politique, Economica, coll. « La vie politique », Paris

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      1. Voir les travaux dirigés par Sharon Wolchik et Alfred Meyer à l’université de Duke ; notamment Women, state and party in Eastern Europe , Duke university press, 1985

      2. Heitlinger, Alena, (1993), Women’s equality, demography and public policies , St. Martin’s Press Inc.

      Forrest Maxime
      masculin
      Wormser Gérard masculin
      Les approches de la participation des femmes en Europe post-communiste : enjeux et débats
      Forrest Maxime
      Département des littératures de langue française
      2104-3272
      Sens public 2003-10-06
      La différence des sexes : enjeux et débats contemporains
      Politique et société
      Europe
      Milieu politique
      Démocratie
      Espace public
      Socialisme et Communisme
      Éducation et enseignement