« L’inhumain, excusez-moi, cela n’existe pas. Il n’y a que de l’humain, et encore de l’humain. […] La nécessité, les Grecs le savaient déjà, est une déesse non seulement aveugle, mais cruelle »
(p. 542)
L e roman de Jonathan Littell publié chez Gallimard est un roman-phénomène qui a cumulé les deux prix littéraires les plus prestigieux à l’automne 2006 (Grand Prix de l’Académie Française, Prix Goncourt), fait déjà rare (pour un premier roman, de surcroît), mais surtout un énorme succès de librairie qui a commencé dès septembre, bien avant l’attribution de ces deux prix, ce qui est encore plus rare, d’autant qu’il s’agit d’un roman-fleuve de 900 pages imprimées serré par Gallimard, sur papier plus léger qu’à l’accoutumée pour éviter le surpoids. Roman, certes, mais surtout document historique, annoncé comme tel par l’auteur (Américain, autre originalité, puisqu’il a écrit son livre directement en français), et reconnu comme tel également par la plupart des historiens spécialisés sur cette période considérée comme une des plus noires de l’histoire européenne (1941-1945). Comme on le sait, l’Histoire est une science qui a comme finalité l’édification des hommes pour un avenir plus humain, enrichi de l’expérience politique du passé. C’est bien ce type de leçons qu’il s’agit de tirer dans cet article, sauf que l’Histoire peut aussi montrer, à l’inverse, que l’homme n’a rien appris ou, pire encore, qu’il « perfectionne » ses travers, et notamment ses comportements destructifs. Il s’agit donc bien ici de s’appuyer sur une oeuvre à validité historique pour se poser la question suivante : n’est-on pas fondé à penser qu’il y a aujourd’hui plus de faits et d’événements inacceptables que dans ces années-là, de par le monde, et que tout est organisé pour les faire accepter ? Et si la guerre, qui était dans le passé une période transitoire, épisodique, devenait au 21e siècle un état permanent, que ce soit la guerre militaire, terroriste, ou encore économique ?
Pour saisir les raisonnements développés dans cet article, il n’est toutefois pas nécessaire d’avoir lu le livre au préalable, car le texte qui suit est organisé en trois parties, dans lesquelles on trouvera une structure unique avec trois éléments successifs : d’abord une évocation résumée de passages du livre, puis une discussion du contenu sélectionné, enfin les parallèles utiles à réaliser pour notre monde actuel.
Littell fait écrire le roman par un narrateur qui est officier SS, selon un journal fictif, tenu pendant toute cette période qui témoigne, tout d’abord, de l’offensive allemande à l’Est, jusqu’à la défaite de Stalingrad (automne 1941-début 1943), puis qui voit le reflux des armées allemandes jusqu’à la défaite de mai 1945, en passant par la mise en œuvre de la « solution finale », qui consistait comme chacun sait à éliminer physiquement tous les Juifs, entre autres, des territoires occupés par le 3e Reich.
Quel intérêt peut-on trouver à la lecture de ce roman pour réfléchir à notre monde actuel ? Tout d’abord, avançons une hypothèse : le grand succès du livre tient en bonne partie non pas à une attirance des lecteurs pour la description minutieuse de la cruauté dans sa plus extrême expression, déjà bien connue pour les faits relatés, mais au contraire pour les commentaires et réflexions qui accompagnent la relation de ces événements, ceci renvoyant le lecteur à sa propre perception de la dureté du monde actuel. De ce dernier il n’est bien entendu pas question dans l’ouvrage, mais on peut à juste titre y deviner des intentions de l’auteur, qui n’est pas un pur historien, mais d’abord un romancier moraliste. De fait, les réflexions morales dans ce livre abondent, nourries par une grande culture philosophique de l’auteur, et le personnage principal, l’acteur-narrateur nommé Maximilian Aue, est lui-même quelqu’un de très cultivé, qui a suivi des études de droit, aime beaucoup la musique classique (les titres des différentes parties de l’ouvrage sont empruntés à ceux d’une suite de Bach), ainsi que la littérature (en pleine débâcle militaire, il garde dans sa poche un exemplaire de L’éducation sentimentale , tant qu’il ne l’a pas terminé). Comment un homme civilisé et cultivé peut-il participer à des actions barbares, et comment expliquer son comportement ? Comment une nation de haute civilisation chrétienne, de grande culture, qui a donné au monde quelques-uns de ses plus grands philosophes, savants et compositeurs de musique, peut-elle s’enthousiasmer pour un tyran psychopathe et sanguinaire ? Voilà quels sont les thèmes principaux de l’ouvrage.
De l’action militaire à la politique, il y a évidemment moins qu’un pas, puisque la première n’est qu’un moyen de la seconde, selon Clausewitz. De la politique à l’économie il y a également moins qu’un pas, puisque la première ne peut rien sans la seconde, qui lui fournit de manière directe les moyens financiers et matériels pour mener à bien sa volonté de puissance. Or au 21e siècle, il s’avère que l’économie précède la politique comme déterminant principal du destin des hommes, d’abord comme vision même du monde, ou idéologie, puis aux divers niveaux des (groupes de) nations, puis au niveau des différentes formes organisationnelles, enfin celui de l’individu. Donc, tenter d’interpréter les grands enjeux moraux de notre époque, c’est forcément s’appuyer au moins partiellement sur des faits de comportement économique, orchestrés par l’idéologie dominante néo-libérale, mise en œuvre de la manière la plus fidèle par les entreprises mondialisées.
Pour autant, il n’est pas question ici de chercher à comparer directement l’époque nazie à la nôtre, c’est sans objet et Littell ne nous y aide en rien. L’intérêt réside dans la comparaison indirecte, via les mécanismes psychosociologiques à l’œuvre qui aboutissent, à n’importe quelle époque, à faire accepter l’inacceptable à des individus embarqués dans des événements collectifs qui les dépassent. Ce parallèle a donc comme but principal d’attirer l’attention sur des faits contemporains dont l’extrême gravité n’apparaît pas toujours parce que nos regards et notre réflexion ont été dressés, aussi, à accepter l’inacceptable. Ce dressage a été particulièrement probant, car l’écrivain Samuel Pisar, un Juif ancien déporté d’Auschwitz, publiait déjà un ouvrage en 1980 avançant la thèse selon laquelle « nous vivons dans un Auschwitz à l’échelle planétaire, avec des millions de prisonniers de la faim ».
Dans cette perspective, les trois grandes parties de l’article abordent successivement les questions du contexte, politique, juridique, militaire et idéologique, puis celles de l’organisation dans la guerre, enfin, dans la troisième, celles qui concernent l’individu, dont le comportement est influencé à la fois par le contexte et l’organisation.
Le contexte politique, juridique, militaire et idéologique
On sait que la seconde guerre mondiale a été amenée par l’évolution politique de l’entre-deux guerres dans les différents pays européens, notamment la montée du fascisme d’abord en Italie, puis en Allemagne, puis en Espagne ; le contexte politique et idéologique est donc bien connu dès le début du conflit ; il y avait plus d’incertitudes, cependant, sur les contextes militaire (« drôle de guerre ») et juridique. Le roman nous offre une abondante matière à réflexion sur ces aspects complémentaires de la société européenne en état de guerre.
Le roman
Le poids de la situation de guerre est évidemment énorme. L’expression « la guerre, c’est la guerre » revient très souvent dans la bouche des militaires, pour justifier des actions injustifiables en temps de paix. La déclaration de guerre donne aux individus le droit, et même le devoir, de tuer autrui par patriotisme, ou simplement parce que les hiérarchies militaire et politique l’exigent. Détruire devient un projet humain comme un autre, qui nécessite beaucoup d’organisation. Mais la raison d’État n’est pas suffisante. Il y faut ajouter des justifications, même morales, dont les citations abondent dans l’ouvrage. Au premier degré, on trouve par exemple ce raisonnement par l’absurde : plus on sera sauvages, plus on aura de chances de gagner la guerre rapidement, et moins il y aura de victimes... (y compris chez les ennemis...). Plusieurs fois aussi cette logique du « moindre mal » s’exprime par le fait que l’ennemi soviétique est supposé être pire, en termes de sauvagerie, que ses agresseurs : les officiers allemands ont même la conviction de délivrer du joug communiste les peuples envahis.
Au second degré, les justifications font appel directement aux sentiments, à la morale, au droit, et même à... la Bible, en évoquant un passage de l’Ancien Testament qui fait l’apologie du massacre (p. 211). Regardons par exemple la justification de la « solution finale » par Hitler : « jusqu’ici on n’a exécuté que les hommes juifs, par souci de sécurité pour nos troupes. C’est par souci humanitaire (sic) qu’il faut maintenant (à partir de 1941) tuer aussi les femmes, les enfants et les vieillards qui, en l’absence désormais des hommes, sont condamnés à une mort lente, de faim... » (p. 100). Cette décision « glace le sang des soldats allemands », mais tout un chacun a fait sienne cette maxime, qui revient très souvent dans le texte : « la parole du Führer a force de loi », même si cette loi entraîne des actes perçus par les acteurs comme horribles. Ajoutons qu’une solution finale moins terrible avait été très sérieusement envisagée par les autorités du 3e Reich : la déportation de tous les Juifs d’Allemagne à... Madagascar (et en les laissant en vie, en l’occurrence), après que la victoire eût permis d’annexer cette colonie française (p. 210). Les guerres de colonisation, justement, sont invoquées aussi par les protagonistes allemands, à titre de comparaison avec l’avancée des troupes, guerres menées par les autres principales puissances belligérantes depuis le 16e siècle, et qui ont abouti pour beaucoup à la quasi-élimination des peuples autochtones (notamment en Amérique du Nord).
Au-delà de cette justification d’Hitler pour le moins abusive, mais témoignant d’un désir d’habillage rhétorique, prenons un autre exemple, cette fois authentiquement moral : si le meurtre collectif est parfaitement légitimé par l’état de guerre, en revanche dans l’armée allemande, aucune incartade n’est en principe tolérée dans des affrontements interindividuels, par exemple le fait de choisir ses victimes pour « raisons personnelles », ou encore pire, en perpétrant un assassinat individuel, en dehors des codes de guerre prévus. La discipline a donc aussi comme but de maintenir les soldats dans la perspective d’une logique de guerre, et uniquement celle-ci : toute exaction qui ressemblerait à un crime de droit commun reste répréhensible dans le cadre du droit pénal classique. Il ne s’agit pas seulement de ce qui ressortit au « crime de guerre », commis dans une action typiquement guerrière, et consacré par la gravité du crime accompli ; en effet l’auteur du roman insiste fortement sur le fait qu’il y a maintien des règles du droit dans l’Allemagne en conflit, au travers d’un récit parallèle concernant le narrateur lui-même, harcelé par des policiers civils, jusque sur les théâtres des combats, pour être soupçonné d’avoir assassiné... ses propres parents (mère et beau-père), qui habitent le sud de la France, lors d’une permission. D’autres délits moins graves sont passibles de poursuites immédiates, par exemple au sein des camps de concentration, lorsque les responsables trafiquent à des fins personnelles les objets récupérés sur les victimes, ou abusent de prisonnières : « un homme de la SS doit être idéaliste (sic) : il ne peut pas faire son travail et en même temps forniquer avec des détenues ou s’en mettre plein les poches » (p. 549).
L’idéologie national-socialiste a comme fondement principal l’existence des races humaines, et la supériorité de certaines d’entre elles sur d’autres (donc en l’occurrence, de la race aryenne sur la juive) et plus encore, le caractère inévitable du conflit potentiel entre ces races, d’où la nécessité de la guerre, en quelque sorte préventive, pour empêcher les Juifs de nuire aux Aryens. Pour les SS, l’idée de race devait tomber sous le sens, et si ce n’était pas le cas, elle était facilement intégrable dans la foi national-socialiste. Or le roman met en scène un vrai scientifique, un ethnologue, qui dénie le statut scientifique au concept de race. Cela n’étonne pas le lecteur, puisque cette position a été maintes fois confirmée depuis. Mais dans les circonstances du roman, c’est bien étrange : cet ethnologue est envoyé sur le terrain des combats parce que le statut d’une ethnie vivant dans les montagnes du Caucase (les Bergjuden ) est ambigu. Certains disent qu’ils sont juifs, d’autres non. Mais même sans partager la croyance raciste, cet ethnologue doit travailler à une démonstration quant à la nécessité de les éliminer ou non, selon qu’il est estimé qu’ils sont dangereux pour les Allemands, en tant que Juifs, ou non ; c’est donc un enjeu très pragmatique, mais qui entraîne les protagonistes à de longues discussions sur la notion de race. En fait la solution est donnée par les facteurs politiques : les Juifs ne sont pas haïs seulement par les nazis, ils ont fait l’objet de persécutions aussi en Russie, en Pologne, etc. (cf. les pogroms). Or, les Bergjuden n’ont jamais été l’objet de la haine des autres populations locales... ils seront donc épargnés. Il arrive aussi que les Allemands aient des accès de révolte morale contre les ennemis, comme Himmler, à la suite d’un des nombreux bombardements sur Berlin en 1944-45 : « ces Anglais sont des monstres. Bombarder des civils, comme cela, sans discrimination ! Après la victoire, nous devrons organiser des procès pour crimes de guerre. Les responsables de ces atrocités devront répondre de leurs actes. » (p. 497)
Du droit aux règles de morale, il n’y a pas loin, aussi interviennent-elles souvent dans les discussions. L’impératif catégorique de Kant ne peut bien entendu être appliqué, dans un contexte de guerre ; les Allemands peuvent néanmoins en fournir une version « adaptée », exposée par l’intermédiaire d’Eichmann : « agissez de manière que le Führer, s’il connaissait votre action, l’approuverait, (car) celui-ci parle au nom du peuple, de son histoire, de sa culture, de sa volonté, et cela transcende le droit naturel. Le Führer n’est que pur service pour son peuple, il en traduit la volonté (…). Notre devoir, notre accomplissement du devoir, c’est la plus haute expression de la liberté humaine » (p. 521). Ceci permet de déresponsabiliser un peu plus l’individu : seule la Nation est coupable, incarnée par ses chefs. Le lien entre volonté et crime est une notion chrétienne, qui persiste dans le droit moderne. Au procès de Nuremberg, ce sont des chrétiens, pour qui la notion de culpabilité individuelle est centrale, qui ont jugé les nazis, selon une référence qui n’était donc pas la leur, ou qui ne l’était pas du moins au moment où les crimes ont été commis. En rentrant dans cette logique du « je ne savais pas tout, si j’avais su, j’aurais agi autrement », Speer par exemple a sauvé sa peau, mais il ne le méritait pas plus que ses compagnons lors du procès, ils auraient tous dû être traités de la même manière. 1
Discussion
En dépit du caractère exceptionnellement odieux des faits évoqués, il est clair qu’ils ne peuvent être jugés en noir et blanc : l’individu est rarement totalement mauvais, et un groupe humain, même complètement perverti par un système fasciste et une idéologie barbare, peut garder des principes de droit, voire même éthiques, et les (faire) respecter. Ce qui frappe néanmoins, c’est que le contraste des enjeux n’est pas pris en compte : simple extension d’une logique de guerre pour des assassinats systématiques de civils, c’est-à-dire en grandes masses, et poursuites de la part d’une justice rigide pour des faits isolés (deux morts sur la Côte d’Azur) ou des broutilles de corruption, simultanément. A partir de l’exemple de la rhétorique hitlérienne, on peut aussi en déduire que la conscience humaine peut toujours affleurer dans des décisions maléfiques, même si son effet bénéfique est nul. Elle se manifeste ici comme un sentiment de culpabilité, qui nourrit un effet de propagande qui ne recherche en fait que l’efficacité. L’ouvrage Les Bienveillantes nous apprend donc que la réalité du nazisme ne correspond pas exactement à l’image consacrée : un épisode de l’histoire humaine où la brutalité se serait exprimée de manière univoque, forcenée, sans retenue. Le fond de civilisation allemande et/ou l’éducation individuelle laissent des traces, s’expriment, et même tendent à imprimer des limites à l’acceptable - celui-ci, en temps de guerre, outrepassant bien entendu largement ce qui est admissible en temps de paix.
L’allusion aux génocides qui ont été perpétrés durant les guerres de colonisation, qui ont évidemment fortement marqué l’histoire récente du monde, tend aussi à suggérer que l’on a peut-être tort de considérer que la « solution finale » hitlérienne ait été le plus grand crime que l’humanité ait connu, ou du moins le premier de ce type de forfait.
Parallèles avec le monde actuel
Des manifestations de cette logique de guerre existent bien sûr encore aujourd’hui : guerre économique, et guerre militaire, les deux s’appuyant l’une l’autre, comme dans l’exemple des guerres en Irak. Mais sans s’attarder sur cet exemple vraiment actuel, remarquons que le phénomène concurrentiel, théoriquement placé sous l’angle d’une émulation moralement défendable, est souvent qualifié par les managers eux-mêmes de « sauvage, sans pitié, féroce, sans foi ni loi, etc. », ce qui explique que l’émulation se transforme très souvent en volonté d’exterminer ou de conquérir le ou les concurrents, ou que l’obsession de la « compétitivité » amène les managers à des initiatives très négatives pour certaines parties prenantes des entreprises.
Entre les trois mondes du politique, du militaire et de l’économique aux plus hauts niveaux, il y a en commun une volonté de puissance, qui entraîne nécessairement des enjeux éthiques, dont beaucoup se rejoignent.
De fait, toute oeuvre humaine collective est à la fois constructive et destructive. Pour la guerre, la destruction est le projet le plus évident, mais c’est en principe au service de la construction, par exemple de la paix, d’une nation, d’une idéologie, de la démocratie en Irak... La destruction est très rarement présentée comme un but en soi, même sous le régime hitlérien (cf. l’exemple de l’exil envisagé des Juifs à Madagascar). Pour l’économie contemporaine, la construction c’est la création de richesses, but principal avancé, et vérifié par les faits. Mais, de même que la guerre peut être vue comme étant aussi constructive, l’économie peut l’être comme étant également destructive, selon différents niveaux d’enjeux : destructions matérielles (environnement naturel, consommation et rejets...), destruction de lien social (licenciements, délocalisations...), et même destruction de vies humaines (accidents du travail ou maladies professionnelles, plus récemment : suicides, pollutions mortelles...).
Comparer ces deux phénomènes peut être jugé comme étant non seulement inadéquat mais indigne, car ils sont vus la plupart du temps comme étant deux extrêmes contraires : d’un côté, le nazisme et ses exactions qui ont touché au pire qu’une nation ait pu faire dans le mal (qualifié souvent de « Mal absolu »), et de l’autre l’économie moderne qui, à l’inverse, a créé infiniment plus de richesses pour l’homme qu’il n’en a jamais été accompli auparavant. Il est néanmoins soutenu dans cet article, à la suite d’une intention supposée de Littell, que les points de comparaison entre les deux sont suffisamment nombreux pour inspirer une réflexion morale applicable à notre monde contemporain, ce qui revient à réduire l’écart de perception entre eux : le nazisme a été mis en œuvre par des hommes ayant une conscience, et l’économie actuelle fait montre de plus en plus d’inconscience et surtout d’inconséquence, entraînant des risques destructifs beaucoup plus grands que ceux qui ont été en jeu durant la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui la question des enjeux éthiques revient au devant de la scène, mais tout comme en période de guerre, l’éthique ou le respect du droit ne sont généralement envisagés que pour des enjeux secondaires, dans l’économie actuelle ; en revanche, ils sont souvent évacués des enjeux destructifs majeurs.
Nous vivons sous le régime de la « pensée unique »... approuvée par la quasi-totalité de nos élites intellectuelles. Serions-nous alors dans une dictature idéologique sans le savoir ? Le fait est que cette idéologie néo-libérale a comme ambition principale de faire croire que nous sommes dans une démocratie parfaite, y compris sur le plan économique : nous avons ce que nous souhaitons... malgré quelques problèmes bien « mineurs » (chômage, pauvreté...). Autrement dit elle recherche en permanence une justification sociologique, économique ou morale, comme toute idéologie qui se heurte à une réalité qui s’avère très différente du dogme proclamé.
L’organisation, entre efficacité et responsabilité
Les enjeux éthiques dont il est couramment question aujourd’hui tournent autour de ce thème majeur : y a-t-il convergence entre efficacité et responsabilité ? Et si la réponse manifeste est « pas toujours », voire « jamais » dans les situations extrêmes d’une organisation par exemple en danger de mort, comment faire « passer » les décisions néfastes pour la seconde ? Cela dépend de trois facteurs ici passés en revue : le règne d’une rationalité qui constitue une loi d’airain pour toute initiative d’action, la maîtrise d’une communication dont le discours maquille et idéalise systématiquement la réalité, enfin la mise en place d’une bureaucratie qui dilue les responsabilités, au service de l’efficacité pure.
Le roman
« S’il y a bien une chose qui répugne encore plus à un militaire que le déshonneur, c’est le désordre » (p. 67). La gestion dans l’armée est très sévère, le moindre petit budget imprévu doit être négocié. Beaucoup de détails sont donnés sur les éléments de gestion au quotidien de la guerre, dans une optique de productivité et de réduction des coûts, auxquels il faut ajouter le pillage systématique des régions conquises, pour la nourriture des troupes, mais incluant aussi les richesses locales, minérales ou culturelles. Les comptabilités des camps de concentration, par exemple, devaient être très bien tenues, et contrôlées de manière pointilleuse (notamment pour détecter d’éventuels trafics ou fraudes). Mais l’exemple le plus horrible est celui-ci, bien détaillé : pour que l’armée allemande avance plus vite vers Stalingrad et Moscou, il fallait que la mise en oeuvre parallèle de la « solution finale » prenne le moins de temps possible, donc que les massacres des civils soient très organisés. Par exemple, le temps passé à creuser les fosses pour y entasser les victimes devait être minimum, d’où un soin particulier apporté à l’empilement des cadavres, ce qui devient encore plus horrible quand l’auteur narre que les victimes s’alignaient elles-mêmes dans ces trous « rationnels », avant d’être exécutées. La démarche de rationalité trouvera son accomplissement abject dans la gestion de la « solution finale » à l’intérieur même des camps de concentration. Cette rationalité s’appliquait aussi au choix des catégories de victimes, en dehors des Juifs : les criminels des prisons, les « asociaux », les malades mentaux, les tziganes, les homosexuels, les prostituées, les alcooliques, mais aussi les victimes de maladies graves, tuberculeux, cardiaques, etc. : autant de bouches inutiles à nourrir, sur les chemins de l’avancée des troupes, qui peuvent donc les retarder. Le souci de rationalité mène encore plus loin, ainsi de ce personnage du roman dont la tâche est d’euthanasier les soldats allemands, compatriotes qui sont trop blessés pour être « réutilisables » : il est irrationnel d’engager des frais inutiles pour la victoire. L’organisation de la « solution finale », notamment par l’édification des camps de concentration, a aussi fait l’objet d’études très poussées, notamment en collaboration avec les firmes productrices des équipements (baraquements, chambres à gaz, fours crématoires, etc.), et l’organisation du transport du « bétail humain », le tout à l’échelle industrielle afin de faire des gains de productivité, et donc de gagner du temps et de réduire les coûts. Un grand débat a lieu entre les personnages, à la fin du roman, à propos du traitement infligé aux prisonniers de guerre qui travaillent dans les camps ou autour (ceux qui n’ont pas été exécutés à leur arrivée). Les pratiques concernant ce traitement sont évidemment empreintes d’inhumanité, notamment l’absence de confort, d’hygiène, et d’une nourriture suffisante. Le narrateur 2 soutient qu’il faut les traiter mieux, non par humanisme, mais parce que ces prisonniers participent, même de force, à l’effort de guerre allemand vers la victoire, et que bien les traiter permet d’augmenter leur efficacité, de diminuer le taux de mortalité, et donc d’éviter la perte de temps du remplacement, etc. L’autre option consiste à faire faire ces travaux liés à l’effort de guerre par des Allemands, évidemment payés et bien traités, donc beaucoup plus coûteux, mais beaucoup plus efficaces (motivation, bonne forme physique, etc.) Le débat est vif entre les tenants des deux positions, mais n’est pas tranché.
Dans la gestion, il y a aussi les aspects du maintien du moral des troupes. La manipulation de la propagande interne en est évidemment un élément-clé : celle-ci maquille systématiquement la vérité, on ne s’en étonnera pas, afin de faire croire en permanence aux progrès en vue de la victoire. Le cas de la bataille de Stalingrad est particulièrement frappant en ce sens qu’il s’agit de la première grande défaite de la Wehrmacht, et que celle-ci ne se dessine que petit à petit, après que l’avantage des armées allemande et soviétique ait alterné. Pour la propagande, cette alternance n’a évidemment jamais existé : elle parlait encore de victoire alors que les soldats allemands évacuaient la ville définitivement, dans la plus grande panique ! Néanmoins, les nouvelles du front filtrent par les rumeurs, qui arrivent à contourner le mur de mensonges, déjouant ainsi, petit à petit, la propagande officielle. Plus généralement, il n’est question pour personne dans l’armée de parler d’une éventuelle défaite dans la guerre : c’est très mal vu, le défaitisme, même et peut-être surtout si cette opinion est, dans le temps, de plus en plus fondée. Même condamnation pour la critique des décisions prises par les hauts gradés, et les stratégies des généraux, et encore plus de Hitler, qui est intervenu lui-même dans les décisions qui ont mené à la défaite à Stalingrad. Les détails et précisions des politiques d’élimination des Juifs sont confiés au narrateur par sa hiérarchie sous le sceau du secret absolu, sous peine de mort. Il est même usé d’un vocabulaire d’équivalences d’expressions, pour éviter d’utiliser les mots crus correspondant aux faits perpétrés. Par exemple pour les exécutions massives en rase campagne, le mot neutre d’ « Aktion » est systématiquement utilisé. Quant à la communication externe, on en voit quelques échantillons, révélateurs d’une honte réellement ressentie, lorsque par exemple le narrateur parle du sort réservé aux Juifs à sa mère, qui est française : il n’avoue pas la vérité et minimise les faits, qu’il connaît pourtant très bien.
Un des moyens organisationnels utilisés pour faire passer des décisions que la morale courante réprouve, c’est la bureaucratie. En effet celle-ci se caractérise par une séparation des tâches, les bureaucrates connaissant exactement ce qu’ils ont à faire, mais ne sachant, ni ne cherchant à se situer dans la chaîne des processus qui aboutissent aux résultats poursuivis par les politiques ou les hauts commandements. Bien sûr, ils ne sont pas dupes de ces politiques car elles sont connues et diffusées, mais le fait de limiter leur travail à une phase précise du processus les délivre d’un sentiment de culpabilité général, ce qui peut s’exprimer par exemple par un refus brutal de réaliser des tâches qui ne sont pas les leurs, ou encore de répondre à des demandes d’explications qui pourraient dépasser les limites de leurs attributions. Ces scènes sont fréquentes dans le roman, parce que le narrateur enquête beaucoup sur les faits et agissements des troupes, de par sa fonction juridique. Celui-ci, parlant du bureaucrate, ajoute : « tout le monde est comme ça, vous aussi, à sa place, vous auriez été comme lui » (p. 719).
Discussion
La notion de guerre implique que celle-ci ne puisse être gagnée que par des stratégies, une organisation et des moyens adéquats, qui tous reposent sur un sens aigu des réalités politiques, matérielles et humaines en présence dans les différents camps. Pour une guerre qui dure plusieurs années, ces conditions évoluent et la conduite de l’action demande une dose d’intelligence supérieure alors même que la gestion des moyens se fait plus rigoureuse, car ceux-ci tendent à diminuer. Le souci d’une bonne gestion pénètre les moindres détails, comme on l’a vu, qui intègrent aussi la logique de sauvagerie guerrière, dans la mesure où, sur le plan de la gestion générale, elle se justifie. Par ailleurs l’éthique de la communication, en temps de guerre, n’a absolument pas sa place : qui veut la fin justifie les moyens. Et cela est vrai pour toutes les guerres, que cette communication soit interne ou externe : on ment et on dissimule, sans aucune hésitation ni scrupule. La bureaucratie est définitivement le moyen le plus approprié pour ménager à la fois l’efficacité et l’irresponsabilité morale ; elle est complémentaire des contraintes imposées par le groupe, dont il a été question dans la première partie de l’article : faire son travail avec compétence mais rien de plus, ne se considérer que comme un infime rouage dans une grande machinerie dont on ne connaît pas exactement comment elle fonctionne, penser en priorité à son plan de carrière pour progresser dans une hiérarchie dense et complexe, et pour cela « coller » aux attentes de ses supérieurs. Il ne s’agit là, ni plus ni moins, que d’une déshumanisation de l’organisation, conçue comme une machine qu’il suffit d’huiler par un discours lénifiant, et dont il faut extirper le rôle des sentiments pour qu’elle tourne sans à-coups.
Parallèles avec le monde actuel
La guerre économique emprunte énormément à la guerre militaire : on y retrouve facilement les notions de stratégie, de moyens, de politique, de discipline, de propagande, etc. Les termes utilisés (voir supra) pour qualifier la concurrence évoquent aussi des comportements ponctuels de sauvagerie. Seuls les objectifs sont différents, car ils sont ici constructifs, et non destructifs. Néanmoins, ce en quoi la politique de communication rejoint la propagande sous ses aspects les plus graves, c’est le silence le plus absolu respecté à propos des « externalités négatives » engendrées par l’activité des entreprises, celles-ci étant précisément l’objet des accusations éthiques : destruction de l’environnement, recherche systématique de la baisse des coûts même au prix de souffrances des salariés (horaires de travail inhumains, par exemple, ou délocalisations et licenciements massifs, etc.), refus de vente à des populations dans le besoin le plus basique (eau, nourriture, soins, etc.) par manque de rentabilité, etc. La honte transparaît donc ici aussi, comme chez les Allemands, conscients de la monstruosité morale de la « solution finale », ce qui explique l’extrême discrétion des grandes entreprises sur certaines de leurs pratiques. Qu’il y ait un rapport paradoxal entre le déploiement mondial de l’économie et la persistance du malheur humain massif n’est guère discutable aujourd’hui ; la recherche de la rentabilité maximum ajoute la touche de rationalité gestionnaire qui rend la situation contemporaine scandaleuse, compte tenu de l’importance, précisément, des richesses créées grâce à cette rationalité scientifico-économique. Le débat sur ce qui est le plus productif en matière de gestion des ressources humaines dans les camps fait penser à celui, bien actuel, des délocalisations, les salariés des pays pauvres étant plus proches du statut d’esclaves, dans beaucoup de cas, de même que les prisonniers de guerre des camps de concentration (le régime des sweat-shops y ressemble d’ailleurs beaucoup, selon les témoins qui connaissent bien les réalités locales).
Autre point commun : tous ceux qui critiquent de manière virulente la civilisation moderne de par ses scories sont traités de défaitistes ou de pessimistes indécrottables, montrés du doigt, et éloignés des grands médias, ou alors montrés comme des bêtes curieuses. On retrouve là la réaction d’une société qui veut croire à sa propre réussite, qui veut s’en persuader, et qui a besoin en permanence de laudateurs dans ce but, d’où l’instauration d’un chœur permanent des « intellectuels » de la pensée unique.
Plus largement encore, comment les deux mondes de la grande richesse et de l’extrême pauvreté peuvent-ils cohabiter à notre époque ? Par l’éloignement et l’ignorance (hors des voyages touristiques ou des reportages, en général bien balisés), par l’idéologie (« le système néo-libéral doit apporter prospérité et bonheur à tous sur le long terme »), par les légitimations rhétoriques (« les pauvres qui le restent dans un système libéral ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes »), enfin par les actions de propagande indirectes, qui visent à faire croire, notamment au travers des grands médias, que tout le monde est déjà riche, puisqu’on n’y parle que d’eux. Deux sociétés radicalement différentes peuvent donc parfaitement cohabiter, malgré l’injustice énorme qui préside à cette séparation des statuts, et cela est un phénomène qui ne se vérifie pas seulement à l’échelle du monde : la croissance des écarts de richesse est vérifiable aussi dans chaque pays du monde ouvert au libéralisme économique, et même dans chaque ville (phénomène des ghettos) : les pouvoirs dominants ont réussi, une fois encore, à faire accepter l’inacceptable.
Contrairement à ce qu’affirme la vulgate néo-libérale, la richesse et le progrès n’ont pas que des effets synergiques et propagateurs : ils sont prélevés sur la richesse potentielle de certains (groupes) d’individus, ou de peuples entiers (on pense aux richesses minérales, littéralement pillées). Et le bilan actuel est tout simplement effrayant, mais bien caché à nos concitoyens, qu’il soit social, politique ou environnemental. L’autre versant de l’instrumentalisation des citoyens, c’est évidemment la pression médiatique énorme utilisée pour modeler les comportements de consommation, de loisir, et surtout... d’empêcher les gens de penser par eux-mêmes, de ne leur laisser aucun répit grâce à l’invention de ces merveilles technologiques qui font que chacun est supposé être connecté en permanence à des émetteurs de messages. D’ailleurs George Orwell avait vu dans le modèle national-socialiste, dont il a été contemporain, une préfiguration de ce que pouvait devenir la société mondiale à la fin du 20e siècle.
La mondialisation impose aux entreprises des structures complexes, où l’autonomie des acteurs de terrain est souvent un leurre, de même que les démocraties, qui voient les élites politiques se détacher des réalités du terrain et de leurs électeurs, malgré tout le mérite qu’on prête à ce système politique insurpassable. La bureaucratie est une sorte de gangrène organisationnelle qui déshumanise tout, en même temps qu’elle peut faire régner une idéologie conquérante, et des discours exaltant l’Homme et sa grandeur. La déshumanisation des rapports humains procède d’une évacuation sournoise de l’humanité de l’homme, de même que les exactions guerrières ne sont possibles que dans ce même cas de figure. Les combats pour l’accumulation du profit peuvent être d’une grande sauvagerie, facilitée par l’utilisation de la bureaucratie, ou du moins une habile séparation des tâches qui déresponsabilise les intervenants, et permet d’inventer des argumentaires partiels et partiaux pour justifier de nouvelles formes d’externalités négatives, à commencer par l’invocation de « ratés ponctuels» d’une politique qui se veut bonne dans son ensemble.
Les comportements individuels
Et l’individu dans tout cela ? Il semble ne pas peser lourd, ni sa conscience, bien présente pourtant, mais comme anesthésiée par la mise en place préalable du contexte et de l’organisation.
Le roman
L’homme n’est ni bon ni mauvais, il est les deux à la fois selon les contextes de sa vie, l’individu étant intrinsèquement égoïste, d’où la pression exercée sur lui par la société pour réfréner cet instinct et arbitrer les conflits, ou à l’inverse dans certains cas (de guerre, en particulier) les exalter. Le narrateur est un militaire qui a conscience de l’« énormité » des événements, mais qui est contraint de s’y plier. Il représente en fait l’un des types de comportement des acteurs de terrain décrits dans le roman : « Depuis les débuts de l’histoire humaine, la guerre a toujours été perçue comme le plus grand mal. Or nous, nous avions inventé quelque chose à côté de quoi la guerre en venait à sembler propre et pure » (p. 127). Un second type est représenté par l’individu qui prend plaisir aux exécutions, jusqu’à une « jouissance », alimentée en outre par les traitements brutaux ou de tortures préalables, et les moqueries d’accompagnement. Le narrateur, qui a donc sa conscience, suggère que ces individus, dépourvus de toute capacité réflexive, ne devraient pas être affectés à ces tâches. Un troisième type est représenté par une sorte de « monstre froid » qui, à l’inverse du premier type, a certes une conscience, mais anesthésiée. Le narrateur ajoute à leur propos : « que la chose leur répugnât ou les laissât indifférents, ils s’en acquittaient par sens du devoir et de l’obligation, et ainsi tiraient plaisir de leur dévouement, de leur capacité à mener à bien malgré leur dégoût et leur appréhension une tâche si difficile » (p. 98) ; la différence entre un abattoir d’animaux et ces massacres, pour eux, semble ténue. Et leur moralité consiste à « détruire les ennemis sans haine et sans animosité ». Et ceux qui n’y participent pas, mais observent, sont aussi coupables que ces derniers.
Le narrateur, l’officier SS Aue, est tiraillé pendant tout le roman entre ce qu’il considère comme étant son devoir d’obéir à sa hiérarchie et, au-delà, à l’idéologie national-socialiste (à laquelle il adhère), et ses états d’âme à propos de la moralité de ce qu’il fait (ou qu’il voit faire par les autres SS). Car c’est un homme d’une grande culture, comme on l’a déjà vu, y compris philosophique. Un autre trait de sa personnalité qui contraste également avec cette haute culture, ce sont ses déviances, et même aberrations sexuelles : homosexuel, il est par ailleurs amoureux fou de sa soeur jumelle, qu’il ne rencontre que rarement dans le roman, mais qui est toujours présente dans son esprit, ou plutôt sa libido.
A aucun moment Aue ne se dérobe à son « devoir », malgré les réticences et le dégoût souvent forts que cela lui inspire. Ceux-ci déclenchent d’ailleurs chez lui des réactions d’ordre typiquement psychosomatique : gros ennuis permanents de l’appareil digestif (vomissements, diarrhées) pendant toutes les périodes de campagne, qui cessent en dehors de celles-ci. On ne compte pas non plus le nombre de psychopathies chez les simples soldats, jusqu’à la folie complète.
Néanmoins, beaucoup de personnages SS du roman mettent en avant leurs objectifs de carrière quant à l’obéissance à leur hiérarchie, surtout dans la perspective post-guerre, celle-ci étant supposée gagnée : l’individualisme est très présent dans les réflexions à propos des comportements d’obéissance, laquelle n’est pas si aveugle que cela. Il arrive aussi que les officiers SS aient des sentiments humains qui se traduisent en actes, tel cet épisode du petit Juif prisonnier qui joue du piano de manière divine : personne ne lui fait de mal, au contraire on le sollicite pour exécuter des morceaux ; le narrateur commande même pour lui des partitions de Rameau et Couperin... jusqu’à ce que le pauvre adolescent se blesse gravement à la main, ceci rendant sa présence désormais inutile. Il est alors expédié dans un camp de concentration, certainement voué à la mort vu son nouvel handicap. L’armée régulière allemande peut aussi jouer les délicates : elle veut laisser la mise en oeuvre des basses œuvres aux SS, et un de leurs généraux profère : « il est déshonorant que des officiers de la Wehrmacht soient présent lors des exécutions (de civils innocents)... » (p.172). Néanmoins, montrer de la compassion pour des victimes, et s’en prendre éventuellement à des compagnons d’armes pour leur comportement cruel, c’est s’exposer à des représailles immédiates de la part de ces compagnons et/ou de la hiérarchie : « Krieg ist Krieg ».
L’instrumentalisation des individus se résume bien par une phrase-clé proférée par un des personnages récurrent du roman, meilleur ami du narrateur et représentant perpétuel du point de vue cynique : « l’important n’est pas tellement ce qu’on croit ; l’important, c’est de croire » (p. 696). Et à propos d’Eichmann (p. 706) : « il est réellement efficace, bien que borné. Mais ce sont souvent les plus bornés qui sont les plus efficaces (…). Les barrières que les hommes érigent pour réguler la vie commune sont bien fragiles, la moindre peur ou la moindre pulsion un peu forte les font sauter comme une barrière de paille (…) Le chacun contre tous est la loi la plus naturelle, qui revient à la moindre occasion » (p. 743).
Discussion
La nature humaine est très malléable face aux influences extérieures, quelqu’intolérables, a priori, qu’elles soient. Le peuple germanique, issu d’une longue histoire, d’une grande civilisation, s’est fait instrumentaliser sans grande difficulté par un dictateur sanguinaire et illuminé, qui a poussé le machiavélisme jusqu’à se faire élire de manière démocratique (il a fait beaucoup d’émules depuis...).
Tout ceci signifie l’extrême fragilité de l’individu, et sa bien faible capacité de résistance face aux tentatives d’instrumentalisation de pouvoirs collectifs bien organisés. La dialectique entre individualisme et structure collective vient ici sous forme plutôt de complémentarité : la pression extérieure est bel et bien collective (structure étatique, parti politique unique, idéologie commune... l’unique se fond dans le tout), mais la réaction de chacun est de l’ordre de l’individuel : y adhérer ou pas, être militant ou simplement conformiste, ou encore résistant. On peut penser que « le conformiste » est le type le plus représenté (selon le titre d’un film de Bertolucci des années 70, traitant de ce thème pour le fascisme italien), ce qui veut dire en fait une attitude frileuse et défensive face aux éventuels soupçons ou accusations du collectif. Les grands tyrans de l’Histoire moderne ont toujours eu souci d’habiller leur pouvoir d’oripeaux idéologiques démagogiques, de manière à donner à croire - le plus bel exemple de la fin du 20e siècle est le « petit livre rouge » de Mao Tsétoung, utilisé comme une sorte de talisman par les Chinois.
La culture d’un individu, son éducation, sa capacité à réfléchir, ne sont pas des garde-fous contre des comportements barbares, si cette personne est placée dans un contexte où le groupe exerce suffisamment de pression.
La banalisation du mal (selon l’expression d’Hannah Arendt) : le troisième type de comportement précédemment mentionné est le plus fréquent et le plus recherché par les hiérarchies, à savoir utiliser le subordonné comme un automate, sans conscience, sans réactions émotives, qui ne recherche que la reconnaissance des siens et le fait d’être bien noté pour sa carrière. Il sera donc facile pour les nazis jugés à Nuremberg de répondre à leurs accusateurs : « on a obéi aux ordres », même à des échelons élevés. Ce sont en même temps les individus les mieux adaptés au système bureaucratique, dont on a vu précédemment que le principal effet recherché consiste à déshumaniser l’organisation. Enfin l’épisode du pianiste montre que l’individu civilisé et cultivé reste bien présent derrière le guerrier, et le remplace même, par moments, mais qu’il ne peut se manifester que par une brèche ouverte par le hasard des événements dans la logique de guerre, laquelle reprend le dessus dès que ceux-ci tournent.
Parallèles avec le monde actuel
Les stratégies des entreprises, comme les politiques des États, sont fixées par des acteurs qui n’ont pas à les exécuter, et qui ne connaissent que très peu les réalités du terrain : il sont dans leur « bulle », selon l’expression imagée du journaliste et polémiste Jean-François Kahn. Dans ces conditions, les éventuelles conséquences néfastes des décisions restent abstraites, pouvant être facilement minorées, justifiées, ou même ignorées. Le poids de la hiérarchie joue dans les organisations, auquel on peut ajouter les dimensions individualiste ou concurrentielle, aujourd’hui particulièrement exacerbées : « si je ne le fais pas, quelqu’un d’autre le fera (y compris et surtout un concurrent) ».
Les postulats idéologiques peuvent faire passer des actions moralement condamnables, par exemple le travail des enfants, voie qu’il serait normal d’emprunter sur le chemin du développement. La pression du groupe est également à mettre en parallèle, non seulement la hiérarchie, compte tenu des enjeux d’emploi, de revenus et de carrière, mais aussi celle des actionnaires sur le taux de rentabilité à obtenir, qui ne peut souvent être atteint que par des moyens que la morale réprouve. Ce groupe est en même temps protecteur : non seulement il tend à occulter les actions critiquables au plan moral, mais en outre il apporte une caution qui libère l’individu d’un sentiment de culpabilité qu’il peut ressentir en son for intérieur.
Et surtout, la preuve des culpabilités est impossible à établir, car chacun se renvoie la balle sur l’origine, ou les causes, de ces malheurs : il y a rarement dans l’économie d’agression directe, de volonté délibérée de nuire, d’idéologie destructrice, d’où l’indulgence réclamée pour les destructions, qui sont réputées ressortir plutôt à de la négligence, à du laisser-aller. Ce n’est cependant pas le cas lorsqu’il y a recherche explicite de réduction des coûts, ni non plus celui qui concerne des poisons commercialisés et qui tuent les consommateurs comme les salariés : l’amiante, le tabac, l’alcool, les drogues, des produits donc on sait les potentiels de mort, comme certains pesticides, mais que l’on continue à commercialiser au nom du laisser-faire (et donc du « laisser-détruire »).
Par ailleurs, la connaissance que les habitants des pays riches ont du malheur quotidien des pays très pauvres n’a jusqu’ici entraîné que des réactions essentiellement humanitaires (ONG , Églises...). Rien n’a encore été accompli sérieusement pour éradiquer les causes de ce malheur : même les gens qui ont une conscience, une foi religieuse, ou des convictions fortes n’agissent qu’à la marge sans que les choses soient modifiées en profondeur. Même une figure de sainteté comme feu l’Abbé Pierre, qui a reçu un hommage appuyé de tous les représentants des grandes institutions françaises lors de son récent décès, n’a pu que « limiter les dégâts », puisque la situation de l’exclusion en France en 2007 est pire que celle de 1954, année de son premier appel.
Tout comme l’on peut « détruire ses ennemis sans haine et sans animosité », on peut à l’inverse se déverser en bonnes intentions et en humanité envers son prochain, sans que cela change grand-chose à sa condition foncière. Quand le narrateur dit que ceux qui observent sont aussi coupables que ceux qui exécutent les condamnés, on peut en déduire que les citoyens contemporains qui savent mais qui ne font rien le sont tout autant, coupables. Et à la limite, même ceux qui ne veulent pas savoir.
* * *
Rappelons que l’intention de cet article consistait à mieux comprendre l’émergence des critiques éthiques qui caractérisent l’économie mondialisée actuelle (entraînant, et étant entraînées par les pouvoirs politiques), à l’aide d’un roman qui narre et commente l’une des plus grandes tragédies guerrières de l’époque moderne, selon une rigueur historique qui a été attestée par les meilleurs spécialistes. On peut évidemment être choqué par ce rapprochement, mais on peut l’être encore plus par la persistance des malheurs du monde actuel.
Il reste donc à tenter de parachever le point de vue ici défendu dans une conclusion d’une certaine consistance, comme l’introduction, et qui comporte à nouveau trois paragraphes : d’abord une synthèse des principaux points soulevés dans le corps de l’article, ensuite le rappel de quelques enjeux éthiques du 21e siècle qui restent la plupart du temps ignorés ou sous-estimés, mais qui apparaissent aujourd’hui comme étant bien plus élevés que ceux qu’a connus le siècle précédent, enfin l’évocation rapide de quelques auteurs qui ont connu la seconde guerre mondiale, et qui ont ressenti ces horreurs totalitaires du 20e siècle comme étant en continuité logique avec l’évolution générale du monde, ainsi que quelques contemporains. Ces philosophes évoquent donc une certaine filiation entre les conflits humains des 20e et 21e siècle, et donc des raisons de penser qu’il existe aussi des possibilités de comparaison directe, en termes de résultats terrifiants, sinon de moyens employés.
Que faut-il donc pour qu’un projet humain, à la fois destructeur et créateur, soit pris dans un engrenage toujours plus destructif, sans que cela ne suscite dans ses rangs ni blocages ni même protestations ouvertes ? Il y faut tout d’abord la grande rigueur d’un fonctionnement organisationnel pris dans une rationalité implacable, qui immerge dans sa logique à la fois les actes créateurs et destructeurs, effaçant ainsi leur différence sous un même sceau unificateur, aujourd’hui la rentabilité à tout prix (humain). Il y faut ensuite un sens pour les acteurs, un système de significations issu à la fois du contexte idéologique et du discours de l’organisation, congruents bien sûr, qui transmet d’une part une exaltation de la collectivité humaine concernée (peuple et/ou entreprise, ou marque) et d’autre part un contenu moral, d’où une communication intensive des organisations concernées sur ces deux registres, en occultant ou pourchassant systématiquement toute note discordante, au déni d’une part de la réalité, connue par d’autres voies. Il y faut également une forte dose de bureaucratie, qui dilue les responsabilités et qui, ce faisant, anesthésie les réflexes individuels de révolte morale ; l’existence de cette bureaucratie fait bien entendu partie des réalités volontairement occultées. Il faut enfin jouer sur la compétition individuelle, facteur de forte motivation, pour couler dans le moule tous les comportements et imposer, même sans contrainte ouverte, le conformisme organisationnel. La plupart de ces ingrédients sont présents dans et autour des grandes entreprises du 21e siècle, voire même la totalité. Le glissement subreptice des actes créateurs vers des actes destructeurs ne peut s’expliquer autrement, car il n’y a pas, dans l’ensemble, d’intention maligne, comme dans le cas inverse de la guerre où le projet destructeur est ouvertement prioritaire, au moins à court terme.
Reste un dernier ingrédient, grave, qu’il faut ajouter à cette liste, celui qui consiste à concentrer les actes et discours volontairement moraux de l’organisation sur des enjeux mineurs, tout en ignorant ou feignant d’ignorer toute réflexion éthique sur des enjeux majeurs pour la société. Voilà bien le plus grand danger pour notre siècle. Qu’on en juge (source : les journaux) : 20 000 morts par an chez les mineurs de charbon en Chine (« pays de cocagne » pour le néolibéralisme) ; des dizaines de millions d’Africains qui décèdent chaque année faute de disposer de médicaments accessibles, pour des maladies considérées dans les pays occidentaux comme facilement guérissables ; des centaines de milliers de travailleurs de l’amiante français condamnés à mourir prématurément (et évidemment des millions, à plus grande échelle) ; l’effet de serre, conséquence directe du développement industriel basé sur les hydrocarbures, va produire, d’après des économistes sérieux, 5500 milliards de dollars de dégâts divers à la nature et aux hommes qui l’habitent ; un milliard de personnes dans le monde n’ont pas accès direct à l’eau potable, bien naturel premier avec l’air, et la situation va se détériorer encore, compte tenu du facteur précédent ; 4 millions de morts dans une guerre civile au Congo RDC, au tournant des années 2000, avec en arrière-plan économique les immenses richesses minérales que détient ce pays ; 20 000 morts dans le tristement célèbre accident de Bhopal, et vingt ans après, aucun procès n’a pu faire condamner l’entreprise meurtrière, Union Carbide 3 ; 10 000 paysans en Inde se suicident annuellement faute de pouvoir rembourser leurs dettes créées par l’industrialisation forcée de leur activité, etc. etc. Quant à la France, les débats récents sur les méfaits ou bienfaits de la colonisation ont permis de montrer qu’il y a bien eu occultation volontaire de massacres sciemment organisés (Algérie, Madagascar, Indochine...), au moment même où notre pays sortait du joug nazi. La société tend bien sûr à maintenir en « secret d’État » ces chiffres d’horreurs, pourtant bel et bien comptabilisés, qui subissent donc le sort de toute mauvaise nouvelle dans des idéologies ou pouvoirs guerriers écrasants. Cependant l’eschatologie néo-libérale, semblable à celle du « grand soir » marxiste, se discrédite de plus en plus au fur et à mesure que les preuves s’accumulent selon lesquelles l’opulence des uns ne s’obtient que par le malheur des autres, au lieu de tendre à se généraliser par un effet utopique de synergie. Stalingrad est déjà en déroute, et on continue à proclamer la victoire.
Nous retiendrons dans nos références deux auteurs ayant connu l’époque concernée par l’ouvrage de Littell : Simone Weil, qui en a été une des victimes indirectes, et Hannah Arendt, qui a pu en réchapper de justesse (Courtine-Denamy, 2004). Simone Weil était une sorte de prophète, qui avait déjà vu au travers du nazisme le rôle prépondérant de la science dévoyée : « jamais les hommes n’ont été plus incapables de pensée, qui est la conséquence d’un renversement du rapport entre fin et moyens. Il faut restaurer l’équilibre rompu par la démesure de la science, du machinisme, de la bureaucratie, des statistiques, de la centralisation à outrance, restituer à l’individu son sens au sein d’une collectivité par trop dévorante, aux ouvriers leur utilité dans le processus de production finalisé » (p. 143). « Les scientifiques sont peut-être plus coupables des crimes de Hitler que Hitler lui-même » (p. 235), ainsi que semble le démontrer le passage de Mein Kampf qu’elle cite où Hitler avait compris que se prendre pour seigneur et maître de la nature où seule règne la force, c’est s’autoriser également à dominer l’homme, celui-ci ne relevant pas de lois différentes. De son côté Hannah Arendt, en affirmant dès 1946 que le génocide est par-delà le crime et l’innocence, voulait montrer qu’une tentative organisée a été faite pour éradiquer le concept d’être humain : « Les nazis avaient leurs idées, ils avaient besoin de techniques et de techniciens sans idées du tout, ou élevés dès le début dans l’idéologie nazie exclusivement » (p. 236). Ces derniers commentaires ont été faits à propos du procès d’Eichmann en 1963, qu’elle a suivi dans son intégralité, et d’où découlera sa fameuse expression de la « banalisation du mal », comme conséquence d’une « stupéfiante absence de pensée » (p. 143). Pour Arendt, penser c’est avant tout débattre : « le monde, en effet, reste inhumain tant que les hommes n’en débattent pas constamment » (p. 388).
Cette dernière citation nous permet de terminer sur quelques auteurs contemporains car, appliquée à l’entreprise, elle revient à disqualifier toute tentative éthique qui s’en tiendrait à un discours unilatéral, partiel, démonstratif, et ce dans un contexte de contrainte idéologique : pour Guy Coq et Isabelle Richebé, co-auteurs de « Petits pas vers la barbarie » (2002), la conjugaison de ces derniers facteurs diminue d’autant, à chaque caractéristique, la spécificité « éthique » des pratiques : « aujourd’hui le mal est moins représenté par les grands criminels du 20e siècle que par l’immense quantité de petites lâchetés individuelles qui se conjuguent, commises par des hommes moyens, ni très bons, ni très méchants » (p. 202) « La barbarie douce » est peut-être en marche, qui délégitimerait « en douceur » le respect de la dignité humaine, comme le montre par exemple les avancées vers l’eugénisme » (p. 162). De son côté Paul Ariès dénonce les mécanismes contemporains du marché, qui « génèrent la violence », au point de faire progresser la barbarie (2005). Il juge la société actuelle comme étant plus totalitaire que jamais, car l’emprise commerciale des grandes marques sur les individus s’exerce dans la consommation, le travail, la vie politique, l’enseignement, les loisirs... Enfin Jacques Généreux, dans son essai La dissociété (2006), avance des arguments proches de la thèse ici défendue : « Tout comme celle des années 1930, la crise économique et sociale de la fin du 20e siècle débouche sur une guerre mondiale, mais d’un genre nouveau, apparemment plus inoffensif, en réalité bien plus nocif pour la société et la démocratie : la guerre économique générale » (p. 81), avant de rejoindre un certain nombre d’autres arguments avancés ci-dessus, notamment sur le conformisme et l’absence de pensée : « la rébellion contre l’inacceptable n’est pas la réaction la plus probable des individus ordinaires » (p. 380), le règne sans partage de la science et l’évacuation, en son nom, de la question de l’humanité. Enfin il reprend, bien entendu pour la critiquer, l’idée selon laquelle un dirigeant exemplaire, aujourd’hui, serait celui qui a le « courage » de faire souffrir les autres. Exagération ? On peut lire en conclusion de l’éditorial de la revue The Economist (une référence idéologique), dans le numéro paru le 20 janvier 2007 cette phrase : « les dirigeants d’entreprise doivent être aujourd’hui encore plus courageux pour défendre un processus (la mondialisation) qui apporte autant de bien, alors que son impact apparaît quelquefois comme étant cruel ». De son côté le quotidien « Les Echos », moins « ultra » dans ses prises de position, écrit par la plume d’un de ses journalistes dans un dossier paru le 28 mars 2007 intitulé Changer la croissance pour sauver la Terre : « pour être acquittée dans le procès de crime contre l’humanité à venir, l’économie devra complètement se réinventer ».
Plus de guerre en Europe, certes, mais mondialisation des conflits politiques et militaires, concurrence exacerbée en économie... le tout mixé dans un maelström où en général personne ne déclare de guerre à personne. Mais les faits sont là, têtus, atroces si on les regarde de près ; peut-on encore éviter la grande tragédie du 21e siècle ? Et en attendant, peut-on encore se permettre de jouer avec l’éthique ?
Bibliographie
ARIÈS Paul, Décroissance ou barbarie , Lyon, Editions Golias, 2005.
COQ Guy et RICHEBÉ Isabelle, Petits pas vers la barbarie , Paris, Presse de la Renaissance, 2002.
COURTINE-DENAMY Sylvie, Trois femmes dans de sombres temps : Edith Stein, Hannah Arendt, Simone Weil , Paris, Le Livre de Poche, Biblio Essais, 2002.
GÉNÉREUX Jacques, La dissociété , Paris, Seuil, 2006.
KAHN Jean-François, Les bullocrates , Paris, Fayard, 2006.
ORWELL George, 1984 , ([1949], il existe de très nombreuses éditions en français).
PISAR Samuel, Le sang de l’espoir , Jean-Claude Lattès, 1980.
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Le narrateur est censé avoir écrit son journal après la guerre, dont il a réchappé, et peut donc se livrer à des réflexions prenant du recul par rapport aux faits ↩
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Rappelons que le narrateur est en même temps le personnage central du roman, à ne pas confondre avec l'auteur de l'ouvrage. ↩
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D'après Dominique Lapierre et Javier Moro (Il était minuit cinq à Bhopal, Paris, Robert Laffont, 2001) , l'accident a été dû à des erreurs et négligences diverses liées au fait que l'usine avait été arrêtée en vue de son transfert dans un pays du sud-est asiatique, pour des raisons de non-rentabilité. ↩