×

Ce site est un chantier à ciel ouvert habité par les éditeurs, lecteurs, auteurs, techniciens, designers de Sens public. Il s'agence et s'aménage au fil de l'eau. Explorez et prenez vos marques (mode d'emploi ici) !

Art vidéo, histoire d'une sectorisation

Informations
  • Résumé
  • Mots-clés (30)
Texte

Un outil comme seule raison de rassemblement

Rares sont les ouvrages qui se sont risqués à constituer une histoire des démarches liées à l’introduction du support vidéo dans le champ des arts contemporains tant il est difficile, voire même paradoxal, d’établir une définition capable de réunir sous une même appellation « d’art vidéo » toutes les démarches qui ont recours à son utilisation. L’ensemble des œuvres concernées sont de formes très différentes et relèvent de préoccupations également très diverses. On pourrait très vite imputer cela au caractère polymorphe de la création contemporaine, mais la chose se complique dès lors que l’on tient compte du nombre de productions qui n’ont pas été réalisées dans le but de s’inscrire dans le strict champ des arts contemporains. En effet, l’apparition du support vidéo dans les espaces d’exposition a été en partie le fait de personnalités étrangères au monde artistique, agissant dans sa sphère pour des raisons très diverses (cinéastes, écrivains, musiciens, chorégraphes, publicistes, techniciens de l’image... présentant des travaux dans les musées, galeries, foires, manifestations, festivals...). Cette tentative de conceptualiser un regroupement général des pratiques ayant pour seul point commun d’utiliser la vidéo se complique encore davantage si l’on prend en considération cet autre fait que des artistes, déjà reconnus comme tels dans leur champ, interviennent dans des espaces qui ne relèvent pas de l’art contemporain, se servant du support vidéo pour agir dans d’autres champs de production (cinéma, télévision, théâtre...).

La nature même de cette appellation « d’art vidéo » paraît donc d’emblée inconsistante, dans ce qu’elle tend à réunir indistinctement toutes ces pratiques, du fait qu’elle ne représente pas a priori un secteur de production indépendant, une forme d’art à part entière, une discipline, ni même une sous-catégorie de la production plastique. Cela semble d’autant plus évident lorsque l’on constate que certains travaux présentent en eux-mêmes l’utilisation de l’outil vidéo sur le mode d’une volonté d’agir dans (et sur) le champ de l’art contemporain, sans se revendiquer des problématiques internes qui en structurent les évolutions.

Face à ce fait, plutôt que de parler d’une histoire de « l’art vidéo », nous serions tentés de parler d’une histoire de « la vidéo » telle qu’elle fut employée dans le champ artistique, en considérant que la vidéo s’est inscrite dès le début dans l’hétérogénéité des pratiques et qu’il faut la prendre telle qu’elle vient. Mais ne pas chercher à historiciser cette notion « d’art vidéo », en l’éludant, poserait également problème, dans la mesure où elle sous-tend malgré tout la nature d’une telle entreprise. Cela reviendrait en somme à situer le raisonnement dans une logique interne au champ artistique, considérant l’influence générale de la vidéo sur les sujets et les modes de représentation artistiques, sans que les motifs d’une telle recherche soient explicités. Il s’agirait de voir en quoi l’apparition de la vidéo dans le champ artistique a pu changer la configuration générale des démarches esthétiques, en proposant une étude des problématiques et des formes émergeant du médium vidéo lui-même, et cela indépendamment des divergences fondamentales qui distinguent les œuvres. Nous en arriverions au final à tracer les contours d’une définition transversale de ce qui serait l’essence esthétique de la vidéo, le « vidéographique » 1 , sans nous poser la question de ce qui motive notre démarche, de ce qui justifie notre volonté d’englober différents types de productions artistiques sous le seul prétexte du médium qu’elles utilisent.

Partant de là, il serait toujours possible d’établir une typologie des œuvres vidéo, en fonction des spécificités esthétiques du médium, que les différents travaux choisissent d’interroger à leur manière. Mais cette démarche reviendrait encore à créditer, sans la nommer, la notion englobante « d’art vidéo » : le fait de compartimenter la production de vidéos d’art, donnerait à penser qu’elle forme une unité hétérogène d’œuvres dont le regroupement serait permis pour ce que celles-ci auraient toutes pour fonction première d’interroger les spécificités esthétiques du support vidéo (ce qui n’est pas le cas). Cela reviendrait à supposer un lien, certes flexible, entre les intentions radicalement différentes qui sont à l’origine de chacune des vidéos (malencontreusement amenées à se confondre dans une histoire commune, avec pour seul fil rouge l’utilisation d’un outil et l’interrogation des modes de représentations qu’il génère). Le fait de pointer cette contradiction ne relève pas simplement d’une question de méthode tatillonne : elle est le résultat d’une manière de lire l’histoire de l’art contemporain, comme articulée en enchaînements de révolutions esthétiques vaguement politisées. Elle découle d’une manière de penser le rôle des actions artistiques dans la société : s’interroger sur l’influence de la vidéo dans l’histoire de la production esthétique, en donnant à concevoir l’ensemble de celle-ci comme une entité indivisible, l’enveloppe dans l’idéal d’un ailleurs culturel où la question de la réception et de ses effets n’a même pas à être considérée. Or, mêler les productions vidéos dans la même bassine historique, c’est entre autres noyer la valeur subversive des démarches d’avant-gardes, qui ont justement eu recours à la vidéo dans une optique de communication, pour intervenir dans le champ artistique sans avoir pour autant la volonté de faire de l’art pour l’art.

Pour démêler le nœud géorgien qui se dessine ici, il est de première importance de remonter à l’origine de la notion « d’art vidéo », pour voir en quoi elle est le fruit d’une construction historique. Car c’est seulement à partir de là qu’il est possible d’appréhender, sans les confondre, les différentes démarches qui ont pu justifier l’introduction de l’outil vidéo dans le champ de l’art contemporain. Ce faisant, nous pourrons constater que la fabrication d’une catégorie aussi indéfinie que celle de « l’art vidéo », ayant une influence directe sur la manière de penser l’histoire des pratiques liées à l’utilisation de la vidéo en art, a pour conséquence d’agir sur la production artistique même. Nous verrons ainsi de quelle manière et suivant quels principes une histoire officielle a pu se constituer autour de la notion d’art vidéo, évinçant les démarches les plus contestataires au profit des démarches les plus « artistiques », permettant aux institutions qui en sont à l’origine, de se maintenir à la pointe de ce qu’elles définissent comme relevant d’une avancée culturelle.

Il est ainsi nécessaire de redessiner le contexte d’apparition de la notion d’art vidéo et de son évolution jusqu’à aujourd’hui, d’évoquer les différentes versions de l’histoire plus ou moins mythique qui s’y rattache, pour essayer d’en révéler les principes de construction. Nous pourrons ainsi voir qu’une tradition de « l’art vidéo » s’est mise en place sous l’action croisée des musées, des écoles d’art, et des premières chaînes de télévision, qui petit à petit ont favorisé l’apparition de critères de reconnaissance, permettant d’identifier certains types de démarches comme relevant ou non du domaine artistique, isolant les préoccupations de « l’art vidéo » des préoccupations cinématographiques et littéraires, de telle sorte que la logique de séparation des champs de pratiques culturelles s’en est trouvée reconduite (séparation justement contestée à l’origine dans la volonté d’utiliser la vidéo comme outil de médiation entre les disciplines).

I. Histoires d’un genre qui cherche à renverser les genres

La vidéo comme instrument de la fusion des cultures

L’histoire légendaire de « l’art vidéo » commence avec cet événement : l’installation de postes de télévision dans un espace d’art, en mars 1963 à la galerie Parnass de Wuppertal (Allemagne) : Exposition of Musik - Electronic Television. Nam June Paik, compositeur d’origine coréenne, auteur de cette exposition et père désigné de l’art vidéo, intervient ici avec treize téléviseurs posés à même le sol dans un esprit de décalage propre aux évènements Fluxus (auxquels il participait activement depuis sa création en Juin 1961 par Georges Maciunas à la galerie A/G de New-York) 2 . Les moniteurs en question, préparés comme John Cage 3 « préparait » ses pianos dès 1938, retransmettaient l’image d’une même chaîne de télévision, directement déformée par des manipulations préalablement effectuées sur les transistors ou par l’association de différentes composantes des tubes cathodiques à d’autres appareils électriques (radios, tourne-disques, micros) : l’idée était avant tout d’utiliser la télévision comme un instrument de musique, ici tant visuel que sonore, dans un principe de composition qui ferait appel aux principes de hasard et d’interactivité avec le public. Les images qu’il obtient sont brouillées, neigeuses, scandées par le balayage des faisceaux désorientés. Il établira dès lors un style qui fera école dans l’esthétique de l’image vidéo : celle du brouillage vidéo, qu’il continuera à développer, jusqu’en 1965, à la galerie Bonino de New York, où il exposera la série des Magnet TV 4 . Après avoir obtenu tous types de déformations à partir de l’image en noir et blanc, il part au Japon étudier les propriétés du signal vidéo de l’image en couleur et met au point avec l’ingénieur japonais Shuya Abe, le premier synthétiseur d’images (synthétiseur Paik/Abe) qui permettra de générer des formes colorées à partir d’une image en noir et blanc. Utilisant cet outil réalisé sur mesure pour ses expérimentations artistiques, il travaillera dans ses films à fusionner par le montage vidéo toutes sortes d’images faisant référence à tous les domaines culturels (d’élites comme de masses) : peinture, danse, musique classique, pop-rock, spots publicitaires... Ce faisant, il s’adonne à toutes les compositions kaléidoscopiques possibles, avec tous les déploiements d’arcs-en-ciel que lui permet d’obtenir son synthétiseur, mixant les fragments de films hétéroclites, récupérés des chaînes de télévision des quatre coins du monde ou bien tournés à la caméra vidéo Portapack. Se mêlent des morceaux d’interviews d’artistes, d’émissions de variétés, des images déformées, démultipliées : de danses traditionnelles, de sportifs, de paysages, de produits de consommation... Le montage étant le plus souvent orchestré par une musique entraînante, afin de susciter l’adhésion automatique du spectateur (ce que l’auteur revendiquait).

L’apparition de l’art vidéo étant souvent présentée comme corrélative de l’émergence de la télévision dans les foyers et du perfectionnement de l’industrie cinématographique (forme d’art naissant de la nécessité d’un contre pouvoir qui prendrait racine dans l’image même de ce pouvoir). Il n’y a qu’un pas à faire pour se permettre aujourd’hui de qualifier l’œuvre de Paik de « subversive », sous prétexte qu’elle « maltraite » l’image des médias. Les musées n’hésitent pas à le suggérer quand il s’agit de présenter son travail, ainsi que le travail de tous ceux qui ont suivi son exemple. Et pourtant, son rapport à l’image vidéo était en principe favorable à l’avènement des médias de masse, à la croissance industrielle, qui permettait le développement de nouvelles technologies de l’image : il revendiquait activement le fait de participer à l’élan d’un art tourné vers l’avenir, à celui de toute la société industrielle. Il est intéressant de voir de quelle manière son œuvre se voit aujourd’hui détournée de ses orientations premières selon les grilles de lectures historiques que l’on veut bien adopter. L’analyse esthétique s’avère alors tout à fait versatile. Loin de se réclamer des valeurs qui seront historicisées par la suite comme étant celles de l’art vidéo, Paik, dans ses premiers travaux, tendait à inscrire son geste dans une autre histoire : celle de l’hybridation des pratiques culturelles, de la fusion des disciplines entre elles. La vidéo représentait le meilleur moyen d’obtenir physiquement cette réunion idéale des arts et même des cultures. Et l’intérêt que suscita le support vidéo pour toute une lignée d’artistes à cette époque allait précisément dans ce sens : la vidéo, médium protéiforme, permettait la fusion des disciplines artistiques entre elles et la diffusion de l’art dans la vie.

Présenté comme pionnier de l’art vidéo, Nam June Paik est le premier artiste dont on parle dès qu’il est question de l’histoire de cette pratique. Peu de temps après ses premières réalisations, toute une pléiade de vidéastes suivront son exemple. Et c’est à partir de 1970 qu’une vaste vague de culture « underground » emporte la trouvaille dans son élan : pour obtenir de nouveaux effets visuels, un Stephen Beck ou un Ed Emshwiller sont amenés à construire leurs propres synthétiseurs ; Bill Etra et sa femme Louise avec Woody et Steina Vasulka fonderont à New-York un laboratoire d’images électroniques, The Kitchen, encore aujourd’hui le plus important de New-York, qui présentera quotidiennement des programmes de vidéos sous forme de simples bandes ou d’installation ; des groupes d’artistes expérimentaux se rassemblent, comme Vidéoflex avec entre autres Skip Blumberg, Nancy Cain, David Cort ; la revue Radical Software paraîtra réqulièrement, Gene Youhgblood publiera Expanded Cinema ; l’essai de Marshall McLuhan, Understanding Media 5 , devient le livre de chevet de la plupart de ces « vidéastes », pour ce qu’il conforte la grande utopie de l’air du temps, selon laquelle le monde tendrait à se concentrer sous forme d’un global village électronique, où les frontières géographiques et culturelles ne seraient plus de mise. Dans ce courant diffus de pensée, l’art devait être un mode de vie et la vidéo devint l’objet de sa cristallisation : en elle, pouvaient cohabiter simultanément les promesses d’un progrès social (passant par la contestation des médias et du capitalisme) et la fascination pour son pouvoir d’attraction, associé à ses possibilités de diffusion latentes. La vidéo, de par son origine médiatique, allait permettre d’inscrire les pratiques artistiques à l’échelle de la vie sociale, d’amener l’art, toutes disciplines confondues, à s’y dissoudre littéralement. La vidéo allait être l’instrument de la fusion entres tous les champs d’activités, culturels et autres. A titre d’exemple : Paik n’hésitera pas à affirmer, certes non sans provocation, qu’il n’y a « aucune différence entre l’art rituel, classique, élevé, le bas divertissement de masse et l’art » ou encore que « le rôle à jouer des artistes vidéo comme pionnier-chercheur en télécommunication-transport-échanges est immense » 6 . Voilà l’artiste promu à l’utilité de toute une société par le pouvoir de médiation de l’outil vidéo.

La critique sociale comme objet de production artistique

Autre père de l’art vidéo, issu lui aussi de la mouvance Fluxus, Wolf Vostell s’intéresse à l’objet téléviseur pour des raisons proches bien que plus politisées. Loin des préoccupations dont témoignent les installations vidéo de Paik 7 , celles de Vostell, originairement associées à des performances, privilégient la critique de la société industrielle et médiatique 8 . Quand Vostell invente son concept de dé-coll/age, adaptant le principe des décollages d’affiches des Nouveaux Réalistes à l’ère des médias télévisés, il se distingue de Paik par des intentions explicitement critiques à l’égard du pouvoir univoque des médias (que ses happenings accompagnés d’objets doivent représenter dans une « ritualisation » critique du culte voué au progrès technique) mais cette revendication subversive résidait, là aussi, dans l’idée d’hybrider les disciplines et d’aboutir à leur annulation réciproque. Il formule ainsi son projet esthétique dès 1961 : « ART = VIE, VIE = ART ; tout homme est une œuvre d’art » 9 . Ainsi, dans les deux cas, l’utilisation de la vidéo dans le champ artistique ne s’inscrivait pas tant dans une logique de subversion à visée proprement politique, que dans celle d’une évolution nécessaire de toutes les pratiques artistiques, amenées à s’interpénétrer les unes les autres pour se fondre dans le tout social (et les revendications politiques par conséquent). Selon cette formule synthétique de Jean Paul Fargier, chroniqueur de la création vidéo française depuis ses débuts, « la vidéo se veut un art de vivre son temps en acteurs engagés dans divers combats. Écologie, gauchisme, féminisme, antipsychiatrie, syndicalisme sauvage, libertinage sexuel.... » 10 . L’art doit évoluer et s’étendre à toutes les logiques, à tous les domaines. En d’autres termes, nous pouvons dire que ces démarches, qui en suivaient le cours, se situaient davantage dans une perspective progressiste qu’elles ne relevaient d’une attitude d’avant-garde 11  : l’objectif final étant de participer à l’évolution des pratiques artistiques et non de porter l’action politique au cœur du champ artistique (et cela, même si l’évolution des pratiques artistiques consécutive de la crise dadaïste comportait déjà l’exigence d’une subversion, cantonnée au plan symbolique). Comme l’écrivit Anne Marie Duguet en 1981, dans l’un des rares ouvrage de référence sur l’histoire des pratiques vidéo, Vidéo, La mémoire au poing :

« Certes, les désirs, l’imagination, la lutte engendrent des productions récalcitrantes et irrespectueuses. Mais elles sont aussi consternantes de platitude et de docilité aux codes d’expression traditionnels […] Les multiples usages de la vidéo sont, à des degrés divers et à des niveaux différents, imprégnés des normes dominantes et porteurs de modèles futurs » 12

Ce n’est donc pas un hasard si l’on en vient, a posteriori, à qualifier ces premières démarches de « pionnières » dans l’histoire officielle de l’art vidéo, selon une vision progressiste des arts, du simple fait qu’elles étaient les premières à introduire la télévision et l’image en mouvement dans ce champ. Cette reconnaissance institutionnelle ne résulte pas d’une évolution malencontreuse des évènements : cette fin était déjà contenue dans le projet initial (Vostell revendiquera même par la suite la paternité de l’art vidéo).

La friction des genres artistiques

Apparition de la Portapack de Sony sur le marché Américain en 1965 : cette caméra vidéo portative, relativement accessible du point de vue du prix, allait permettre aux artistes de réaliser leurs propres films. Il est important de rappeler que l’apparition de la vidéo en art se fait presque au même moment que celle du Body Art aux États-Unis et de ses équivalents européens. Cela ne sera pas sans conséquence dans l’histoire de l’art vidéo. Avant l’apparition de l’appareil, la caméra Super-huit permettait déjà à quelques artistes performeurs de garder des traces de leurs actions. La volonté de s’affranchir de l’objet pour laisser place à l’action, en elle-même libératrice, à l’évènement périssable, à la vitalité de l’éphémère, coïncide avec l’apparition de l’image en mouvement, impliquant elle aussi une dimension temporelle qui tendrait à destituer la sacralité de l’objet d’art (associée alors aux valeurs bourgeoises de la possession et du marché). La volonté de faire du corps le lieu d’une nouvelle forme d’expression artistique, de saper les soubassements mêmes de la définition des arts plastiques préfigure l’aventure commune qui attend ces deux formes embryonnaires de pratiques artistiques. Cette histoire là a également ses pionniers : Vito Acconci, Chris Burden, Gina Pane, Marina Abramovic... Tous ont en commun, d’une part, d’avoir utilisé la vidéo pour garder quelques traces de leurs actions, d’autre part, de ne pas en être restés là et d’avoir utilisé la vidéo comme support d’un nouveau travail. Pour évoquer deux types de démarches très différentes allant dans ce sens, l’exemple de Gina Pane et celui de Vito Acconci sont emblématiques. Gina Pane trouve, dans la mise en scène des « documents » qui retracent le déroulement de ses performances, l’occasion de réifier ses actions passées, produisant des œuvres à part entière (à la manière de reliques). Vito Acconci, quant à lui, va réaliser des performances pour la caméra, et en fonction de la caméra : il effectuera une problématisation croisée du rapport empathique que le spectateur peut avoir avec l’image d’un corps malmené et l’image télévisée (composant chacune de ses performances à partir d’une prise en compte du cadre, jouant avec le hors champs, thématisant le rapport de séduction malsain que le spectateur entretient avec l’image vidéo qui le manipule).

Dans ces travaux, nous retrouvons les mêmes idéaux de fusion des champs culturels entre eux : le spectacle vivant est amené dans le champs des arts plastiques, changé en objet par le recourt à l’image et en même temps réanimé par son mouvement. Bruce Nauman, dans son domaine, fut l’un des représentants emblématiques de cette attitude : dans ses premières vidéos 13 , on le voit seul dans son atelier vide, effectuant des mouvements minimalistes, suivant une chorégraphie adaptée au cadre de l’image. A chaque bande correspond une association précise de gestes, décrits dans le titre, comme pour constituer au final une série de modulations, tendant à épuiser méthodiquement toutes les possibilités de mouvement que l’artiste se propose d’effectuer. Vidéo, danse, arts plastiques ? C’est dans l’entrechoquement de ces disciplines que devait jaillir l’étincelle qui mettrait le feu aux poudres de l’art pour faire sauter les traditions. Mais ce principe de la transgression des pratiques traditionnelles, déjà inculqué dans les écoles d’art allait justement trouver dans l’outil vidéo le moyen de faire tradition.

A partir de là nous voyons bien ce qui distingue ces démarches, inscrites dans une logique évolutive des arts contemporains (les travaux se situant explicitement dans le champ artistique) et cet autre type de démarches qui consiste à employer la vidéo, parfois dans le champ des arts, parfois en dehors, pour aboutir à des travaux dont l’objectif premier est de mener une action politique en tant que produit culturel. On peut en effet se demander quelle place une histoire de l’art vidéo pourrait accorder aux films d’un Chris Marker, d’un Harun Farocky, d’un Godard, d’un Guy Debord... ou à ceux des groupes qui prirent les médias à bras le corps pour travailler à l’émergence d’une télévision alternative 14 . Force est de constater qu’ils ne correspondent que difficilement à ce qui ferait l’identité de l’art vidéo : ils ne s’exposent pas toujours en musée, le support n’est pas toujours vidéo, le film est tantôt trop littéraire tantôt trop documentaire pour relever des arts plastiques et surtout ces films cherchent trop à se faire entendre du grand public alors que l’art requiert une part d’obscurité... Ces quelques objections, constituant des poncifs de la pensée critique en vigueur, résument les arguments qui se mettent en place autour de cette notion d’art vidéo, éloignant ainsi des questions fondamentales quant à l’histoire de l’introduction de l’outil dans le champ artistique.

II. Apparition d’une catégorie et institutionnalisation de critères de reconnaissance

Le rôle des institutions dans l’élaboration d’une histoire

Bill Viola, autre grand personnage de l’histoire de l’art vidéo, écrira à la fin des années 1980 : « Il se peut que la vidéo soit la seule forme artistique à avoir une histoire avant même d’avoir une histoire » 15 . Marita Sturken, en historienne de l’art, citant ces propos dans le quarante-huitième numéro de la revue Communication, y explique pourquoi la constitution, ou plus exactement la reconstitution, d’une histoire de l’art vidéo est presque impossible aujourd’hui. Le matériel vidéo utilisé par les premiers travaux vidéo se détériore très vite et ne sont conservées de ces premières œuvres que celles appartenant aux collections des institutions, qui seules disposent des moyens de les transférer sur d’autres supports. Cela signifie que le choix des artistes opéré en amont par ces institutions a été non seulement déterminant dans la constitution d’une histoire de l’art vidéo, mais tend également à devenir irrévocable. L’histoire de l’art vidéo dépend ainsi doublement des institutions muséales : non seulement pour ce que représentent en elles-mêmes les expositions qu’elles organisent, une manière d’écrire l’histoire de l’art, mais aussi parce que les études rétrospectives se font majoritairement à partir des collections de vidéos « historiques » que les musées nationaux d’art contemporain ont recueillies ou financées. Ajoutons à cela que ces mêmes musées sont les premiers commanditaires des ouvrages traitant de la question de l’art vidéo, ouvrages qui ont naturellement, entre autres fonctions, celle de mettre en valeur leurs collections. L’influence de ces publications sur la pensée de l’art est d’autant plus importante qu’elles sont largement diffusées, les grands musées pouvant se permettre de publier à perte. Ce faisant, « ces institutions façonnent l’histoire de la vidéo sans vraiment rendre justice à l’influence des autres formes artistiques, des théories de la communication et des facteurs sociopolitiques qui ont contribué au développement de la production » 16 . Cette prépondérance institutionnelle au niveau de la pensée comme de la production d’art vidéo n’est pas récente : elle l’accompagne depuis ses débuts. Car à toutes les questions que nous venons d’évoquer, s’ajoute celle du financement des œuvres, qui est notamment nécessaire à la réalisation d’installations. Or, l’attribution de budgets représente également une manière de faire l’histoire, en ce que les choix actuels dépendent de critères eux-mêmes déterminés par les choix anciennement faits, suivant un principe de filiation évolutive avec les œuvres canonisées. Le mode de financement institutionnel fut également une porte ouverte à la marginalisation des collectifs (souvent les plus subversifs) dans la mesure où les subventions, pensées en termes d’aides à « l’artiste » ou au « chercheur », revenaient plus facilement à des individus.

En retraçant l’histoire des relations entre vidéos et institutions, on s’aperçoit que l’art vidéo connut sur ce mode un rapide succès auprès des musées d’art contemporain, des grandes galeries et des télévisions, qui mirent très vite des studios d’expérimentation à la disposition desdits artistes. La notion « d’art vidéo » fut également très vite mise en place avec le discours de légitimation qui devait l’accompagner, celle-ci s’étant tout simplement imposée avec l’émergence des structures qui ont accueillies cette nouvelle forme d’art : l’appellation devient importante, d’un point de vue administratif, pour ce qu’elle doit justifier l’ouverture d’un département dans un musée, l’extension d’une collection, la création d’un nouveau programme d’achats ou de nouveaux financements. Dès 1965, aux États-Unis, alors que la pratique elle-même n’en est qu’à ses balbutiements (la production de vidéos d’art se développera à partir de 1970), les principales chaînes de télévision américaines offrent à des artistes la possibilité de réaliser des émissions expérimentales, dont l’exemple le plus connu est la série « The medium is the medium » de Fred Barzyk, créée en 1969. Fin de cette même année 1969, la Howard Wise Gallery de New York organise la première exposition d’art vidéo intitulée T.V. as a creative medium ; l’Everson Museum de Syracuse va ouvrir la première vidéothèque publique de New-York ; en Allemagne, Gerry Chum ouvre sa Vidéo-Galerie à Dusseldoff, éditant des bandes à tirages limités ; le Musée d’Essen crée la première vidéothèque européenne, bientôt suivi par la Neue Galerie de Berlin. Dès 1970 le New-York State Concil on the Arts ainsi que la fondation Rockefeller attribue des subventions à la création de « video art » et créent des stations expérimentales ; le Walker Art Centre de Mineapolis, le MOMA, le Whitney Museum of American Art de New-York et le Country Museum of Modern Art de Los Angeles organisent leurs premières expositions consacrées à l’art vidéo, qui s’accompagnent, pour ces trois derniers musées, de la création de départements spécifiques. En 1972, la 5e Documenta de Cassel propose une importante section d’art vidéo dans sa programmation ; en Belgique, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles présente des bandes et des installations vidéo. En 1974, le Kölnischer Kuntverreiner de Cologne organise avec la Kunsthalle l’exposition Project 74 qui réunit plus de cent vidéos, l’A.R.C. propose la première grande exposition internationale d’art vidéo en France Art Vidéo Confrontation 74 ; et le Centre Américain du boulevard Raspail accueille des vidéos d’artistes américains parmi les plus connus et dispense des cours d’art vidéo aux élèves de l’École Nationale des Arts décoratifs de Paris. En 1976 le Musée d’art moderne de la ville de Paris commence à constituer sa collection de vidéos et en 1979 un département d’art vidéo est créé à l’ouverture du Centre Georges Pompidou  (le musée présentera régulièrement des vidéos d’artistes renommés).

Nouveau support, vieilles interrogations

On pourrait voir dans cette acceptation si prompte de la vidéo par le marché de l’art et ses institutions mêmes, comme la marque d’une certaine transparence déterministe dans la logique évolutive des arts : après l’introduction de la photographie dans les musées, vient le tour de la vidéo... et après la vidéo ce sera l’image de synthèse. Cette ouverture des arts aux nouvelles techniques de l’image, pour le moins calquée sur leur évolution, s’accompagne d’un retour symptomatique aux mêmes types de questionnements et donc aux mêmes postures de la part des artistes. Matha Rosler, artiste américaine engagée de la première heure, écrit en 1985 un article très important sur la question du dévoiement de l’art vidéo dans sa définition institutionnelle et notamment de la construction de son histoire en mythologie :

« En séparant une chose nommée "art vidéo" des autres façons dont les gens, y compris les artistes essaient de travailler avec les technologies vidéo, [certains historiens] ont tacitement accepté l’idée que les transformations de l’art sont formelles, cognitives et du domaine de la perception. […] Ces histoires semblent reposer sur des (pseudo) transgressions regroupages des institutions télévisées et muséales, des arrangements formalistes de ce qu’on appelle sans sourciller les "possibilité" du médium, comme si elles étaient données par Dieu, un scientisme technocratique qui remplace les considérations d’utilisation humaine et de réception sociale par des discutions hautement abstraites. » 17

Il est à ce titre significatif que l’introduction de la vidéo dans le champ artistique ait été suivie des mêmes questionnements théoriques (et pratiques) que celui de la photographie avant elle, ces deux médias ayant souvent été réduits aux particularités de leur support : comment interroger le médium en fonction de ses spécificités phénoménologiques 18  ; comment l’intégrer dans un espace (mise en relation de l’image avec des objets) 19  ; comment rompe l’effet de mimésis pour révéler la facture de l’image et par là sa véritable nature (mise en valeur du grain, des rayures, des effets de saturations...) ; ou encore comment détourner des images préexistantes pour produire une image symbolisant la critique de la société (découpage de l’image et recollage dans le montage)... Même les sujets se retrouvent d’une pratique à l’autre : la ville industrielle représentée dans des compositions géométrisantes ; la blancheur aseptisée des intérieurs modernes ; le corps découpé en gros plans ; les portraits intensifs de quidams... Cela explique certainement l’acceptation si rapide de « la vidéo » par les professionnels de l’art : la logique interne du champ artistique était suffisamment lisible dans l’évolution qu’elle imprimait aux pratiques pour que ce nouveau support, en tant que tel, puisse être rapidement admis en terrain institutionnel. Cette autodétermination des postures créatives, encouragée par les institutions, a ainsi favorisé l’éclosion d’une production « d’art vidéo » correspondant à la définition que ces institutions étaient prêtes à recevoir. Il lui faut alors simplement pouvoir distinguer la vidéo d’art des autres : la vidéo militante, la vidéo de documentaire, la vidéo de fiction, le cinéma expérimental... Tous ces termes seront alors à redéfinir pour permettre un cloisonnement relatif des pratiques. Comme le remarque avec dépit Matha Rosler, cela s’accompagne d’un retour aux anciennes catégories de la production artistique :

« L’esthétique s’est activement occupée de distinguer la vidéo de "l’information". C’est la mission que s’est imposée le monde artistique de cantonner la vidéo dans ses limites […] et de réprimer les questions de réception, de pratique de sens en faveur des questions ordinaires d’originalité et de "touche". La muséification a rehaussée l’importance des installations qui font de la vidéo de la sculpture, de la peinture ou des natures mortes, parce que les installations ne peuvent vivre que dans les musées […] Les structures des musées aiment aussi différencier les genres, si bien que la vidéo s’est vue forcée d’entrer dans ces vieilles formes familières. » 20

Certes, les travaux qui échappent à cette définition restreinte réussissent parfois à trouver leur place dans cette histoire, mais elle reste marginale comparée à celle qu’occupent les œuvres de ses héros. Les conséquences sont lourdes : si l’on considère les sélections des quelques grands festivals d’art vidéo, les œuvres présentées sur les foires internationales ou dans les grands musées, nous constatons que la création passe encore souvent par un travail de déformations colorées de l’image (ce qui aujourd’hui s’obtient facilement par des jeux de filtres préconçus dans les logiciels de montage informatique). Le plan fixe est un autre de ces facteurs d’identification essentiels : il est l’argument de contemplation artistique par excellence et permet d’éviter la narration qui caractérise les « autres » films. On retrouve aussi le procédé de la mise en boucle, qui permet d’isoler une courte séquence dans un temps suffisamment court pour inscrire une oeuvre dans le parcours d’un visiteur. Enfin, facteur essentiel de reconnaissance : la réflexivité, la distanciation conceptuelle. L’art relevant du pouvoir synthétique du symbole, les films d’art vidéo devraient se distinguer de par l’affirmation première d’un concept formel, le plus lisible possible : à un procédé doit correspondre une idée, un message à décrypter en fonction du registre d’attitudes signifiantes déjà éprouvées dans le champs.

Art vidéo et Cinéma

Ce n’est pas en raison du fait que l’art vidéo soit parfois appelé « cinéma d’exposition » 21 ou que le cinéma se fasse aussi sur support vidéo que ces deux types de productions, issues de deux champs de production culturelle différents, vont être amenés à se confondre. Le cinéma expérimental n’est pas plus de l’art vidéo que l’art vidéo n’est du cinéma expérimental pour cette seule raison que les grilles de lecture auxquelles ces deux champs soumettent les œuvres sont différentes. Une même œuvre présentée dans ces deux champs serait amenée à recevoir deux lectures différentes, car l’histoire de chacun des champs est différente et les attitudes critiques aussi 22 . Partant de là, les premières vidéos d’art expérimentales qui définissaient leur cadre d’action dans le champ artistique n’avaient pas à entrer en concurrence avec les expériences menées précédemment dans le champ cinématographique. Ce fut donc l’occasion pour la critique d’art de découvrir des interrogations menées depuis quelques années dans le monde du cinéma, à l’aune des habitudes conceptuelles de l’art. Les réflexions portant sur les dispositions sémiotiques de « l’image en mouvement » 23 vont ainsi pouvoir être présentées comme des découvertes artistiques notoires et resteront au centre du discours esthétique dominant jusqu’à la fin des années 1980. Se met alors en place toute une série de notions liées au temps, conçu comme nouveau médium artistique, sous couvert d’analyses phénoménologiques. L’œuvre d’art vidéo « au bout du compte est une fantastique concentration de temps » renvoyant à « l’énigme vivante » que nous sommes, de par sa faculté de donner « corps » à cette expérience plastique du temps 24 . Cette nouvelle forme d’art nous donne « la possibilité de faire état de ce qui par définition est disparaissant : le présent », en révélant les principes mêmes du montage à travers lequel « le temps peut être condensé par des effets d’ellipses » ; ou bien en exposant le ralenti comme « ingrédient majeur d’une poétique de la durée » 25  ; ou encore en dévoilant le procédé du fondu au noir dans sa « fonction de création et de disparition », « à l’instar de nos pensées qui entrent et qui sortent » 26 ... Tous les procédés cinématographiques vont ainsi être thématisés par les œuvres mêmes et dans le discours critique qui les soutient. L’art devenant outil de distanciation et de prévention face à l’inconscience productive du cinéma commercial et de la télévision, les œuvres sont lues comme étant en dialogue avec ces deux entités. Les champs de production culturelle extérieurs au champ artistique sont amenés à comparaître dans les musées, créant des interconnections toutes conceptuelles entre les disciplines.

Cet intérêt transparaît, au début des années 1980, dans les premiers travaux de cette deuxième génération d’artistes vidéastes que représente des personnalités internationales comme Douglas Gordon 27 , Philippe Parreno, Pierre Huygue, Dominique Gonzalez-Foester, Stan Douglas, Ange Leccia... Jouant des interférences entre art et cinéma, des œuvres se proposent même d’interroger directement le cinéma et son histoire, réutilisant des images de films préexistants ou y faisant explicitement référence 28 . L’objectif affirmé est bien souvent d’ouvrir la perception de l’image à des effets cognitifs auxquels le film de consommation courante ne permet pas d’accéder. Mais, théorie mise à part, l’intérêt premier repose encore et toujours sur ce jeu de frictions conceptuelles entre les champs de pratiques, propre à la tradition artistique du post-modernisme. Stan Douglas, qui s’intéressa tout particulièrement à la question du cinéma, explique qu’il « aime le fait qu’un public de cinéma puisse voir une œuvre filmée dans un musée et, inversement, que le public du musée puisse voir cette même œuvre dans un cinéma » 29  ; de même que Nam June Paik écrivait, avant lui, qu’il aimait « cette contradiction que représente le fait de placer une œuvre composée exclusivement de sons dans un contexte visuel, car cela crée un phénomène de déplacement qui nous oblige à nous interroger à nouveau » 30 . La transversalité, comme notion critique héritée du post-modernisme, détermine toujours la production contemporaine, jusqu’à devenir une fin en soi. « L’art vidéo », aujourd’hui élargi aux concept plus large d’art faisant appel aux « nouveaux médias », se situant au centre nerveux de cette valeur, s’en réfère somme toute au cinéma comme aux autres champs de pratiques, culturelles ou non, (pensons par exemple au succès institutionnel de la vidéo-danse, qui va jusqu’à être présentée en thème d’exposition dans des musées nationaux 31 ). Nous voyons ici en quoi le repliement de la production de vidéos sur des problématiques propres à l’histoire qui en a été faite, elle-même calquée sur une histoire des arts contemporains en général peut engendrer conjointement une autodétermination des démarches créatives et critiques (l’une d’elle étant justement la confusion conceptuelle des champs disciplinaires, valant pour elle-même en tant que facteur de transversalité).

Conclusion : De l’avant-garde actuelle et passée

« La nouvelle génération d’artistes formés principalement à l’école des beaux-arts se sent plus à l’aise dans la vie artistique […] Les artistes sortant de cette école savent qu’ils doivent construire une stratégie pour faire carrière, ce qui n’était pas le cas lorsque nous étions étudiants. » 32

Ainsi passe-t-on facilement de la notion de «  transgression artistique » à celle de « stratégie de carrière ». Ayant pour mission de privilégier l’enseignement des nouvelles technologies, les écoles d’art forment aujourd’hui des artistes vidéastes comme elles formaient des peintres de par le passé, portant cette mission d’inscrire leur pratique dans une logique d’indétermination disciplinaire, dont nous avons ici retracé les origines. Or, la notion de « nouveaux médias », appelant en elle-même le métissage des pratiques artistiques conformément à la tradition historique de l’art vidéo, l’horizon de la création contemporaine en vient finalement à faire de la logique post-moderne d’hybridation des disciplines un principe de développement expérimental 33  : l’artiste expérimente de nouvelles manières de produire du sens par tous les moyens imaginables. Ce faisant, l’originalité structurelle est généralement jugée indépendamment de la valeur sémantique que porte le discours produit en fin de course, celui-ci passant au second plan. Or, c’est précisément dans ce travail du sens que l’art contemporain est confronté aux limites qu’il s’est fixé.

Les travaux qui sont les plus à même de correspondre aux intentions qui déterminaient en premier lieu l’attitude avant-gardiste, dans sa volonté d’agir sur le champ artistique même, cherchent à soutenir une réflexion construite dans l’expérience sensible qu’elle propose aux spectateurs. Pour qu’un véritable décalage se produise, l’innovation formelle ne peut que correspondre au sens porté par l’œuvre, celle-ci étant au service de celui-là. Pour cela, l’emploi du document et le recours au langage peuvent s’avérer toujours aussi déterminants. La fin proclamée des avant-gardes, suite à l’effondrement des grandes utopies politiques qu’animait la scission bipolaire du monde entre communisme et capitalisme, témoignant tout au plus de l’inefficacité effective d’un certain type de militantisme, n’en a pas pour autant diminué le pouvoir subversif de travaux qui, déjà à cette époque, se situaient en dehors du débat politique dominant. Les œuvres qui tendent actuellement à porter l’exigence de l’art au rang de la réflexion politique ne sont pas moins pertinentes que celles de cette période historique. Le contexte de diffusion lui a certainement bien changé. L’histoire de cette position artistique, qu’elle utilise ou non la vidéo, l’histoire transversale de la position avant-gardiste, reste à écrire et à faire valoir au-delà des clivages historiques que justifie l’apparition de tel ou tel « nouveau » médium, ou de tel ou tel mouvement artistique prêt à l’étiquetage. Cette position avant-gardiste ne trouve évidemment pas sa place dans la perspective d’évolution que trace l’histoire de l’art vidéo, avec en point de fuite, la figure de Paik, qui ouvrit la voie à la recherche artistique sur les rails d’une association d’idées parallèles : celle de la magie lumineuse et du progrès social auquel conduit le perfectionnement des machines.

Pourtant, dans ce contexte, certaines œuvres parviennent à faire émerger des réflexions d’ensemble grâce à leur rapport documenté au monde (le document étant ici considéré au sens large). Le champ artistique s’en trouve alors ponctuellement chamboulé. Du point de vue du public, la situation de doute a lieu : Est-ce de l’art ou de la communication ? Est-ce une vidéo de création ou un documentaire ? Est-ce assez expérimental pour figurer dans un espace d’art ? Lorsqu’une œuvre arrive, encore aujourd’hui, à engendrer ce type de doutes, elle exerce d’autant plus efficacement son pouvoir réflexif, qu’elle comporte une mise à distance du champs artistique. Le spectateur est alors amené à s’interroger sur les choix de sens qu’impliquent les normes de production qui le régissent par ailleurs. Les travaux qui arrivent à condenser un système de pensée dans une volonté de communication, prennent d’assaut tout le système de valeurs établies dans le champ en lui imposant l’image d’une autre manière de penser le rôle social des productions artistiques. La vidéo, de par ses dispositions communicatives, portait en elle des promesses de décloisonnement au moment de son introduction dans le champ artistique. L’académisme n’en a pas pour autant disparu mais s’est constitué autour de nouvelles normes bien moins cernables qu’au 19e siècle. La logique expérimentale de la rupture prise pour elle-même, en tant que liée à l’idée de l’originalité de l’artiste et, sur le marché de l’art, à celle du produit rare ou nouveau, se trouve ainsi rompue, par le seul fait qu’elle passe au deuxième plan. L’acte de subversion peut alors se situer dans la pertinence de la réflexion suscitée par l’objet et non dans la seule image codifiée de la subversion comme valeur ajoutée.


  1.  Françoise Parfait, Vidéo : un art contemporain, éditions du regard 2001. L’ouvrage de Françoise Parfait est l’un des rares à tenter de constituer une histoire des pratiques vidéo dans le champ des arts contemporains. La notion de « vidéographique », qu’elle propose « dans cette forme substantivée, permet de concevoir la vidéo comme une véritable esthétique dont il est possible d’évaluer les effets substantiels qu’elle a pu avoir sur l’ensemble du domaine de l’art » (p.8). Cette notion justifie la démarche « à caractère esthétique » qui conduit tout son ouvrage, où « les considérations historiques ne sont pas majoritaires ». (p.11) Elle se propose ainsi de définir les « caractéristiques phénoménologiques du vidéographique » que les artistes auraient « petit à petit élaborées en esthétique spécifique ». Elle précise ainsi que, « si la vidéo s’était contentée d’être une technique et un outil », son ouvrage « n’aurait pas de sens ». Elle justifie ainsi, malgré ces précautions conceptuelles, le regroupement des œuvres phares qu’elle présente, du seul fait qu’elles interrogent le support vidéo, ne remettant pas en question le fondement du regroupement opéré par la logique interne du champ artistique (qui interroge une œuvre en fonction des questions perceptives qu’elle pose à son médium).

  2.  Présent au premier festival Fluxus qui eut lieu en décembre 1962 à l’American Student’s& Artist’s Center de Paris, Paik intervient en tant qu’installateur avec une sélection de téléviseurs « préparés » (expérimentés en 1961, au Studio électronique de la WDR chaîne de radio diffusion Allemande) et en tant que musicien participant à la cacophonie orchestrée à cette occasion par le groupe.

  3.  Un certain nombre d’artistes du courant Fluxus étaient proche du personnage pour avoir étudié dans sa classe de composition.

  4.  Avec Magnet TV, Nam June Paik obtient de multiples torsions de l’image vidéo en disposant des aimants autour du tube cathodique. Sa démarche est ici celle d’un musicien instaurant des analogies de processus créatif avec les arts plastiques, jouant des frictions produites entre deux champs de pratiques à l’origine distincts.

  5.  Mc Luhan Marshall, pour comprendre les médias, trad. Jean Paré, ed. MAME/Seuil, 1968. L’auteur expose une thèse selon laquelle l’évolution des sociétés humaines serait déterminée, non par l’évolution des idées mais par l’apparition de techniques nouvelles, auxquelles précisément les idées s’adapteraient. Il en vient ainsi à expliquer que les inventions comportent des implications sociales qui font sens dans l’histoire et changent l’homme jusque dans ses dispositions neurologiques. L’invention de la vidéo est ainsi amenée à faire sens en elle-même, indépendamment de ce que l’on en fait, et doit changer l’ancienne société lettrée en société de l’ère électronique. Ce changement s’accompagnerait d’un développement progressif de notre intelligence analogique, du fait de la sollicitation simultanée de nos sens dans l’émission des messages vidéo. Il déboucherait enfin sur la disparition de la société industrielle au profit d’un monde électronique, uniquement régi par des flux ininterrompus d’informations qui circuleraient en toute liberté.

  6.  Nam June Pzaik, « Vidéa, Vidiot, Vidéologie », dans The New Vidéo Artists, Bellour, (p.15)

  7.  Nam June Paick réalisa nombre dinstallations, relavant à la fois du ludique et du spectacullaire, qui consistent pour la majeur partie à représenter des objets en téléviseurs assemblés diffusant des extraits de ses montages colorés avec, parmi les plus célèbres : un télé-violoncelle, un télé-aquarium, un robot constitué de moniteurs assemblées, un drapeau français constitué de plus de trois cent téléviseurs...

  8.  Citons ses TV dé-coll/ages (les premier furent réalisés dès 1958) présentant des tableaux greffés à des téléviseurs et autres appareils techniques pour servir de toile de fond à ses performances ; ou TV Begräbnis (1963), performance au cours de laquelle le spectateur est invité à entourer un téléviseur allumé de barbelés et à le bombarder d’aliments ; ou Endogène Depression, qui présente un poste de télévision à moitié coulé dans le béton...

  9.  Wolf Vostell, TV and videoart

  10.  Jean-Paul Fargier, « Histoire de la vidéo Française, Structures et forces vives » 1992, dans La vidéo entre art et communication, dirigé par Nathalie Magnant, Ecole Nationale des Beaux-Arts, Paris, 1997, p.50

  11. Nous utilisons ici le terme d’avant-guarde dans le sens que François Albera donne au concept dans son ouvrage sur l’avant-garde au cinéma (François Albera, L’avant-garde au cinéma , ed. Armand Colin Cinéma, 2005). Il définit l’avant-garde dans de sa volonté première de mener une programme d’actions politiques cohérentes dans le champ des arts.

  12.  Anne Marie-Duguet, Vidéo, La mémoire au poing, coll. « L’échappée Belle », Hachette littérature, Paris 1981

  13.  Pour n’en citer que quelques-unes : Revolving Upside Down (1968) ; Stamping in the studio (1968) ; Slow Angle Walk (1968) ; Bouncing in the corner (1969) ; Pacing Upside Down (1969)...

  14.  Comme Vidéo Out pour la France (fin des années 1960) ou Ant Farm (1968), TVTV (1972), Optic Nerves, Paper Tiger Television (1987) aux États-Unis... et d’autres dont on a aujourd’hui presque oublié les noms.

  15.  Bill Viola, cité par Marita Sturken, « Les grandes espérences et la construction d’une histoire ; paradoxes de l’évolution d’une forme artistique », in Communication N°48, dirigé par Anne Marie Duguet et Raymond Bellour (p.27).

  16.  Marita Sturken, op.cit., p.30

  17.  Martha Rosler, « Vidéo : la dissipation du moment utopique », 1985, publié en français dans La vidéo, entre art et communication, dirigé par Nathalie Magnant, Ecole Nationale des Beaux-Arts, Paris, 1997, p.34

  18.  Citons à ce propos l’ouvrage de Christine Ross, Images de surface, l’art vidéo reconsidéré, Editions Artextes, 1996. Elle tente, au moyen d’une analyse relevant de l’esthétique, de définir la nature phénoménologique de celle-ci entre pouvoir d’absorption et superficialité, se demandant « comment problématiser la notion de surface en vue de repenser la profondeur ». Partant de là, elle est amenée à montrer, en quoi les vidéos qu’elle choisit de commenter s’en prennent directement à la dimension politique de l’image vidéo (et à travers elle des médias).

  19.  Nous pouvons ici faire référence à un ouvrage illustrant bien ce type de questionnements : Les installations vidéo, « œuvres d’art », de Monique Maza, aux éditions de l’harmattan (1998).  Monique Maza tente ici de définir la nature « artistique » de l’installation vidéo en fonction des systèmes de valeurs esthétiques déjà établies. Elle est emblématique de ces démarches purement esthéticiennes qui travaillent à partir de catégories et de problématiques préexistantes au sein du champ artistique sans envisager la possibilité de leur renversement. Son travail consiste à se demander si les installations vidéo sont bien des « œuvres d’art » en interrogeant les interactions phénoménologiques entre image en mouvement et objet matériel. A la fin de son analyse elle aura montré que les installations vidéo sont bien des œuvres d’art, que la « paternité de l’artiste » peut s’y reconnaître en fonction de modalités propres à chaque œuvre, que le spectateur peut donc y trouver un objet de contemplation et de réflexion stimulant.

  20.  Martha Rosler, op. cit., p.36- 37et 45

  21.  On parle parfois de « cinéma d’exposition » lorsque les œuvres (sur support vidéo ou sur pellicule) se présentent sous forme de grandes projections, transformant souvent le « white cube » traditionnel des lieux d’exposition en chambre obscure.

  22.  C’est là ce qui rend impossible la fusion des pratiques culturelles entre elles (comme le programmaient les utopies artistiques que nous avons évoquées). Le fait d’introduire une démarche propre à un champ donné dans un autre permet simplement de lire cette démarche selon les modes de lecture du champ dans lequel elle est introduite. Cela sous-tend une deuxième chose : le choix de présenter un travail dans tel ou tel champ (artistique, cinématographique, éditorial...) fait donc partie intégrante d’une œuvre, il conditionne l’acte artistique et/ou politique que représente sa monstration

  23.  Terme utilisé plus récemment par la critique pour désigner toutes les productions relevant de constructions filmiques dans l’art.

  24.  Propos caractéristique de cette disposition critique, tenu par Régis Durand à propos d’une œuvre de Pipilotti Rist  (Régis Durand, « pipilotti Rist, profusio et condensation », Art Press, N°278, avril 2002, p.22. )

  25.  Françoise Parfait, op. cit., p.30

  26.  Propos tenus par un artiste cette fois, Daniel Reeves, présentant sa vidéo, Smothering Dreams, 1981 (cité par Christine Ross, op. cit., p.31)

  27.  Raymond Bellour écrira même à propos des œuvres de cet artiste qu’elles « nous instruisent sur l’art et sur le cinéma » (Raymon Bellour, « La querelle des dispositifs », Art Press, N°262, novembre 2000, p.51)

  28.  Donnons quelques exemples : Douglas Gordon, avec The Searchers, réutilise le film de John Ford du même nom en étirant le temps de projection pour la faire durer théoriquement cinq ans (temps diégétique du film). Avec 24 Hour Psycho (1993), l’artiste reprend la même démarche, cette fois avec le film d’Hitchcock, qu’il étire comme le suggère le titre sur vingt-quatre heures. Avec Déjà Vu, il projette trois images d’une même bande vidéo diffusée à 23, 24 et 25 images par seconde, pour révéler la nature de l’évènement temporel et révéler l’aspect conventionnel du déroulement de l’image vidéo. Ange Leccia, avec Tron (1984), met en boucle et ralentit un extrait du film du même nom produit par Walt Disney, pour en transformer radicalement la dimension affective. Pierre Huygue, avec Fenêtre sur cour, retourne une scène du film d’Hitchcock, avec l’acteur du film (qui a vieilli entre temps), pour restituer ce qu’une ellipse narrative en avait cachée : le thème de l’ellipse se trouve ainsi mis en abîme. Claude Closky, avec En Avant, remonte des suites de travellings tirés de différents films sur un simple principe de continuité thématique. Evoquons également le cas de Chantal Akerman, cinéaste d’origine, qui fut invitée au cours de sa carrière à intervenir dans les musées, et qui trouva dans le fait de pouvoir exposer ses films l’occasion d’essayer « de sortir du cadre tout en restant dans un autre cadre très spécifique » : avec D’Est, au bord de la fiction (1995) elle divise dans l’espace son film, D’Est (1993), comme il l’était dans le temps ; en isolant les scènes pour les diffuser simultanément sur des écrans séparés (nous voyons bien en quoi ce type de démarches diffèrent d’avec le travail de Jean-Luc Godard qui propose une réflexion sur le cinéma lui-même dans ses Hstoire(s) du cinéma, et se sert du champ artistique comme d’un avant poste pour porter un regard distancié sur celui-ci.)

  29.  Cité par Christine Van Assche dans « Douglas Gordon, une nouvelle génération de ready made », Art Presse, N°255, mars 2000, p.30.

  30.  Nam June Paik,  Le Sonore et le Visuel, ed. Bellour, p.149

  31.  La dernière en date étant Vidéodance, exposition au Centre Georges Pompidou (ouverte en Janvier 2006)

  32.  Douglas Gordon, cité par Christine Van Assche, op. cit.

  33.  Nous tenons ici à noter que la distinction entre modernisme et postmodernisme n’est pas opérante dès lors que la logique de développement des démarches postmodernistes, par leur élargissement à de nouveaux domaines de production, introduit une idée d’évolution proprement moderniste.

Godon Norbert
Wormser Gérard masculin
Art vidéo, histoire d'une sectorisation
Godon Norbert
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public 2008-05-19

L’art vidéo est la première forme artistique à avoir eu une histoire avant même d’en avoir eu une. Cet article retrace l’histoire de la fabrication d’une catégorie par des institutions culturelles qui firent de l’outil le seul critère pour rassembler des travaux parfois sans rapport quant à leur nature. Il montre ainsi comment la raison de l’outil a progressivement pris le pas sur celle des intentions les plus subversives et comment les pratiques actuelles se trouvent fondamentalement redéfinies par cette histoire. Refermant le raisonnement historique sur la logique interne du champ de l’art contemporain, il est ici montré que les oeuvres se trouvent alors présentées comme appartenant à un enchaînement de ruptures et de continuités formelles, avec cette idée en perspective, que l’art est soucieux d’être toujours en phase avec les découvertes techniques de son époque. L’enjeu sera de comprendre comment, dans ce mouvement de fermeture d’un champ disciplinaire sur sa logique interne, une pensée historique en arrive à définir les modes d’appréciation des productions actuelles en les distinguant des autres domaines de production, comme le cinéma d’art et d’essai, la littérature, la philosophie… Ce faisant, la question de l’interdisciplinarité, impliquée par le support même de la vidéo, sera également abordée, en ce que l’histoire des pratiques artistiques contemporaines en a fait une valeur en soi, un critère de reconnaissance des pratiques contemporaines.

Video art, how it became a category. Video art is the first form of art that was given a history even before it actually had one. This paper counts the story of cultural institutions engaged in building a category based on technical devices, as if these devices were the only criterion to gather works that had little in common. Thus, it shows how technology has taken precedence over the most subversive messages, and, how, as a result, artistic experiences are currently being reshaped by this history. Since history defines the contemporary art field, we are confronted with works plainly reduced to their formal characteristics – the latter being supposed to continue a so-called tradition, or to be in a break with it, according to this idea that art has always kept in touch with the most recent technology. What is at stake is to understand how, while the field closes on its own logic, historic thinking will eventually classify videos according to criterions that separate them from other fields, such as independent cinema, literature, philosophy… Although it may seem obvious that video art is, in itself, interdisciplinary, this word calls for close reconsideration, since the latest developments of the arts made it a decisive factor of recognition.

Vidéo
Arts et lettres
Politique et société
Godard, Jean-Luc (1930-....)
Édition, presse et médias
Socialisme et Communisme
Capitalisme
Art Vidéo, Vidéo d’Art, Nouveaux Médias, Images en Mouvement, Cinéma Expérimental, Art Engagé, Avant-Garde, Art Contemporain, Écoles d’Art, Transdisciplinarité, Interdisciplinarité, Portapack, Synthétiseur Vidéo
Video Art, New Technologies, Expanded Cinema, Independent Cinéma, Political Art, Contemporary, Art School, Art Category, Portapack, Video Synthesizer