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Élitisme et délibération dans la pensée politique de Pierre Bourdieu

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Texte

La disparition de Pierre Bourdieu il y a désormais plus d’un an a donné lieu à une vaste polémique journalistico-académique. Au cœur de celle-ci se trouvait l’interrogation suivante : y aurait-il deux Bourdieu ? En effet, on essaya alors, sans trop de réussite ni de rigueur d’ailleurs, de distinguer le sociologue brillant qu’il avait été durant la majeure partie de sa vie, de ses premiers travaux sur la Kabylie à La Noblesse d’État, parue à la fin des années 1980, et l’acteur politique radical qu’il fut au cours des dix dernières années. Il y aurait d’un côté le Docteur Bourdieu sociologue, et de l’autre, le Mister militant. De par son engagement au côté des grévistes en décembre 1995, sa collaboration à la création de la collection Liber/Raisons d’agir, qui visait ouvertement à rendre plus accessibles des travaux critiques en sciences sociales, ou la rédaction de ses désormais célèbres recueils politiques intitulés Contre-feux 1 , et plus généralement son intervention régulière sur la scène politique 2 , Pierre Bourdieu aurait abandonné son objectivité sociologique au profit de son engagement politique. Tous ses derniers travaux seraient marqués de cette empreinte politique, et à ce titre n’auraient qu’une valeur sociologique minime. Il nous semble qu’une telle interprétation fait fi de l’intense production « scientifique », si l’on peut qualifier les sciences sociales ainsi, dont il fit preuve au cours de ces dix dernières années. Certes, La misère du monde est critiquable d’un point de vue méthodologique, et La domination masculine passe sous silence l’ensemble des recherches issues des Gender Studies américaines depuis près de 30 ans. Ces deux ouvrages n’en demeurent pas moins des travaux sociologiques d’envergure qui ont fait et continueront à faire date dans le champ académique français et international. Il ne s’agit pas ici de s’interroger sur sa conception du « métier de sociologue », nécessairement critique et donc engagé, ni de retracer son parcours intellectuel à la recherche d’une vaine unité, mais bien plus de tenter de comprendre la cohérence de sa pensée. Dans cette optique, tous ses derniers travaux, écrits en tant que sociologue, nous semblent dignes d’intérêt et indispensable à la compréhension de son oeuvre. Si cette distinction entre un Bourdieu sociologue et un autre militant paraît peu féconde intellectuellement, il semble néanmoins que sa sociologie a évolué au cours des dernières années de sa vie. Cette évolution est particulièrement nette en ce qui concerne sa sociologie politique et son interprétation de la représentation. Il est ainsi passé d’une sociologie du champ politique assez classique au début des années 1980 3 , à une interprétation plus originale issue de sa critique de la philosophie du langage 4 . C’est l’articulation de ces deux approches qu’il nous semble intéressant de dégager, afin de mieux comprendre la pensée politique de Pierre Bourdieu. Il semble en effet qu’on puisse parler de pensée politique, en dépit du travail avant tout sociologique effectué par Bourdieu. Par pensée politique, on entendra ici l’articulation entre sciences sociales et théorie politique, c’est à dire la construction d’une pensée normative encrée dans un positivisme sociologique ou historique. L’enjeu sera donc de montrer qu’à défaut de toute systématisation, l’analyse du politique de Bourdieu l’amène à formuler en filigrane une pensée politique, une théorie politique refusant l’abstraction philosophique. Il conviendra donc, après avoir présenter sa sociologie critique de la représentation, d’initier une reconstruction de sa pensée politique en s’appuyant sur ses derniers textes scientifiques.

« Le Mystère du ministère » : une critique de la représentation politique

Il est impossible de comprendre l’analyse du politique chez Pierre Bourdieu sans l’insérer dans le cadre plus large de sa sociologie de l’action et des concepts élaborés à ce titre. Sans une rapide référence à sa théorie de l’action ou au concept de champ, on ne peut percevoir clairement les bases sur lesquelles repose sa sociologie politique. On trouve en effet à la source de celle-ci la remise en cause du rationalisme moderne, de l’universalisme abstrait hérité des Lumières. Aux yeux de Bourdieu, la faculté de bien juger, de distinguer le bien du mal, est loin d’être universellement partagée. Celle-ci dépend directement des conditions sociales dans lesquelles évolue l’individu. A la théorie du choix rationnel, qui fait de l’homme un être raisonnable et calculateur, il oppose donc sa théorie de l’habitus. Il prend en ce sens position pour Pascal contre Descartes. La capacité d’accéder à une action rationnelle dépend directement des dispositions sociales héritées, c’est à dire de l’habitus de chacun. On peut juger cette théorie de l’action extrêmement déterministe, mais on entrera pas ici dans cette discussion. On la considèrera comme un a priori à la compréhension du politique chez Bourdieu 5 .

Cette remise en cause du rationalisme abstrait le conduit à poser la question de la compétence politique. Cette question est au centre de l’un de ses ouvrages majeurs, La distinction, paru en 1979 6 . Il définit la compétence politique comme la capacité à reconnaître une question politique comme une question politique, et d’y répondre politiquement, et non de manière éthique par exemple :

« La capacité plus ou moins grande de reconnaître la question politique comme politique et de la traiter comme telle en y répondant politiquement, c’est à dire à partir de principes proprement politiques (et non éthiques par exemple), capacité qui est inséparable d’un sentiment plus ou moins vif d’être compétent au sens plein du mot, c’est à dire socialement reconnu comme habilité à s’occuper des affaires politiques, à donner son opinion à leur propos ou même à en modifier le cours. 7 »

La compétence politique est donc la capacité de passer d’une expérience personnelle à un problème d’ordre plus général. C’est la capacité à faire d’un cas particulier l’exemple d’une loi universelle. Or tout le monde est loin d’être capable d’une telle montée en généralité. Pour accéder à la parole politique il faut se sentir capable et autorisé à le faire, ces dispositions étant largement déterminés socialement. En ce sens, la compétence politique n’est pas universelle. Elle dépend directement du capital culturel de chaque individu, hérité de sa famille ou transmis par l’école. Pour faire court, on peut dire que plus la compétence scolaire est élevée, plus l’agent a des chances d’accéder au discours politique. Or, comme on le sait, la compétence scolaire est directement liée, chez Bourdieu, au milieu social d’origine. Seuls les dominants peuvent donc se dire compétent en politique. Celle-ci est ainsi réservée de fait à une élite dominant culturellement et socialement.

Cette interprétation de la compétence politique conduit Bourdieu à distinguer professionnels et profanes de la politique. En effet, parmi les individus compétents politiquement se dégage une élite, les professionnels de la politique. Pour entrer dans l’arène politique, il faut posséder une compétence bien spécifique. N’importe qui ne peut pas devenir homme politique. Il ne suffit pas d’être compétent politiquement, c’est à dire d’être autorisé et capable d’émettre des jugements politiques, il faut également posséder un habitus politique. Il y a tout d’abord un ensemble de connaissances à acquérir : histoire politique, sciences économiques, théories politiques, etc. Il faut également posséder un langage particulier, « la rhétorique du tribun 8 », qui ne peut s’acquérir qu’au sein de certaines institutions. Ainsi des écoles comme Sciences-po ou l’ENA jouent un rôle essentiel dans la constitution de l’habitus des élites politiques françaises. La production, par le système scolaire et donc par l’État, de professionnels de la politique, conduit à la monopolisation des postes politiques par ceux-ci.

Cette division entre professionnels et profanes de la politique permet la création de ce que Bourdieu appelle le champ politique. Qu’est-ce qu’un champ pour Bourdieu ? Un champ est avant tout un microcosme social, qui peut être politique, bureaucratique, artistique, économique, etc. Ce microcosme fonctionne selon des règles du jeu strictes, qui lui sont propres. Les participants acceptent de fait les règles du jeu propres au champ. Ils reconnaissent ainsi que le jeu en vaut la chandelle, qu’il vaut la peine d’être joué. Même celui qui veut révolutionner le champ est bien obliger d’admettre les règles du jeu régissant celui-ci. Chaque participant se doit d’avoir le sens du jeu, l’illusio, celui-ci étant d’autant plus puissant qu’il n’est pas objectivé. Les jeux sociaux sont des jeux qui se font oublier en tant que jeux. Chaque champ est structuré par des rapports de force, et en ce sens chaque champ est un espace de lutte entre dominants et dominés. Chaque participant occupe donc une position au sein du champ, celle-ci étant déterminée par la distribution du capital symbolique propre au champ. Mais cette position n’est pas fixe et évolue dans le temps au gré des luttes entre agents. Les différentes positions qu’occuperont successivement les agents au sein du champ constituent leur trajectoire individuelle. Cette trajectoire est en fait le fruit de la rencontre entre la structure du champ et les dispositions des agents, leur habitus, relativement autonome par rapport à leur position. Ainsi, en fonction des dispositions constitutives de leur habitus et de la structuration présente du champ, les agents opteront pour telle ou telle stratégie, qui déterminera, par sa réussite ou son échec, la position de l’agent dans le champ. Bourdieu définit le champ politique ainsi :

« C’est le lieu où s’engendrent, dans la concurrence entre les agents qui s’y trouvent engagés, des produits politiques, problèmes, programmes, analyses, commentaires, concepts, évènements, entre lesquels les citoyens ordinaires, réduits au statut de "consommateurs", doivent choisir 9 . »

De part la structuration du champ, il existe de fait « une collusion originaire » entre les hommes politiques, puisqu’ils partagent tous cette donnée fondamentale qu’est l’acceptation des règles du jeu politique. Dès lors, leur seul mode de distinction est leur prise de position respective, qui n’est jamais qu’une prise de position relative. Ainsi, dans le champ politique comme dans les autres champs, il existe des dominants, les vainqueurs des élections, et des dominés, les vaincus. Les dominés du champ politique vont donc tout faire, par leurs prises de position, pour devenir les dominants de demain. On voit ainsi que les positions politiques pour Bourdieu, loin de correspondre à des convictions intimes et profondes, ne servent qu’à remporter l’adhésion la plus grande possible, c’est à dire à accéder au statut de dominant. En ce sens le fonctionnement du champ politique correspond bien à celui d’un marché. L’offre, par une politique de marketing et de communication adaptée, essaye de capter le maximum de consommateurs. Rien de très original jusqu’ici. En effet, la sociologie politique a depuis très longtemps opéré cette comparaison. Il faut notamment remonter à Schumpeter, qui définissait la démocratie, dans une formule devenue désormais canonique, comme « le système institutionnel, aboutissant à des décisions politiques, dans lequel des individus acquièrent le pouvoir de statuer sur ces décisions à l’issue d’une lutte concurrentielle portant sur les votes du peuple. » 10 Cette définition est à l’origine de toute la science politique américaine moderne, qu’on a qualifié d’élitiste. En effet, derrière une telle définition positive, se cache une conception normative de la démocratie. Schumpeter considérait en effet, et bien d’autres avant et après lui, que le filtre opéré par la représentation constituait un frein nécessaire aux aspirations irrationnelles des masses. Tel est en effet l’argument central de tous les théoriciens de la représentation, de Sieyès à Madison, jusqu’à Pareto et Robert Dahl 11 . Sieyès écrivait ainsi, dans un ouvrage devenu célèbre :

« la plupart de nos concitoyens n’ont ni l’instruction, ni les loisirs nécessaires pour vouloir décider eux même des affaires publiques. Leur avis est donc de nommer des représentants, beaucoup plus capables qu’eux même de décider. 12 »

La représentation serait donc préférable à tout autre système politique, car elle permet de filtrer les aspirations populaires grâce à la nomination d’élites éclairées et sages. La sociologie de Bourdieu ne fait que repérer, et s’avère à ce titre bien moins dévoilante qu’elle ne l’espérait, les véritables mécanismes du système représentatif. Celui-ci filtre les revendications et sélectionne des élites, exactement comme le souhaitaient ses partisans. Ce que remarque également Bourdieu, c’est le décalage entre le discours démocratique universaliste et la pratique élitiste du système représentatif. Au fond, hormis quelques théoriciens et politistes honnêtes cités précédemment, rares sont ceux, notamment parmi les hommes politiques, à reconnaître l’aspect ouvertement élitiste du gouvernement représentatif.

Si l’analyse du champ politique n’avait servi qu’à dégager de manière plus claire et rigoureuse ce que disait déjà cinquante ans auparavant Schumpeter, la sociologie de Bourdieu n’aurait guère d’intérêt. Pourtant une telle conclusion nous semble loin d’être légitime. La sociologie politique de Bourdieu n’est pas une analyse élitiste de plus, mais bien la construction d’une sociologie critique. En effet, le filtre opéré par la représentation n’est pas à ses yeux une limitation légitime de l’offre politique. Bourdieu ne cesse de dénoncer le manque de liberté du marché politique : « le marché politique est sans doute un des moins libres qui soit. 13  » Car en politique la liberté est synonyme de démocratie. Le filtre de la représentation apparaît proprement anti-démocratique aux yeux de Pierre Bourdieu :

« C’est dire que le champ politique exerce en fait un effet de censure en limitant l’univers du discours politique et, par là, l’univers de ce qui est pensable politiquement, à l’espace fini des discours susceptibles d’être produits ou reproduits dans les limites de la problématique politique comme espace de prises de position effectivement réalisées dans le champ, c’est à dire sociologiquement possibles étant donné les lois régissant l’entrée dans le champ. La frontière entre ce qui est politiquement dicible ou indicible, pensable ou impensable, pour une classe de profanes se détermine dans la relation entre les intérêts expressifs de cette classe et la capacité d’expression de ces intérêts que lui assure sa position dans les rapports de production culturelle et, par-là, politique. 14  »

On peut distinguer son sentiment sur la question du filtre opéré par la représentation dans le langage qu’il emploie ici. Il qualifie en effet celui-ci de « censure », qui « limite » l’espace des discours politiques possibles. Ce filtre serait anti-démocratique car il empêcherait l’expression véritable des profanes de la politique, c’est à dire des dominés. En effet, par cette division du travail politique, s’effectue une substitution des intérêts des représentants à ceux des représentés. Alors que la fonction du porte-parole devrait être de porter la parole de ceux qu’il représente, il produit en fait un discours ex nihilo qui correspond à ses propres intérêts :

« Ceux qui dominent le parti (…) trouvent dans la liberté que leur laisse le monopole de la production et de l’imposition des intérêts politiques institués la possibilité d’imposer comme les intérêts de leurs mandants leurs intérêts propres. 15  »

La raison d’une telle substitution est simple. Alors que les représentants devraient être les mandataires d’une parole politique déjà formée, ils s’avèrent créer cette parole de toute pièce et l’imposer aux profanes. C’est ce que Bourdieu appelle le mystère du ministère 16 . Alors que le représentant devrait porter la parole d’un groupe déjà formé, c’est lui, par l’action symbolique de la représentation, qui fait exister le groupe, et par-là, qui créé sa parole politique légitime. Le mandataire s’établit dans un rapport de métonymie avec le groupe. Il est une partie de celui-ci qui sert de signe pour exprimer la totalité d’un groupe qui n’existait pas auparavant. C’est en ce sens qu’il y a usurpation pour Bourdieu, le signe ne représente pas la chose signifiée, il la fait exister. En ce sens la représentation apparaît aux yeux de Bourdieu comme « un acte de magie » ou de « ventriloquie. 17  » Dès lors, les mandants font « un chèque en blanc à leur mandataire 18  » puisqu’ils n’ont aucun moyen de contrôler et d’influer sur le type de questions auxquelles le représentant aura à répondre. La substitution des intérêts du signe à ceux du signifié peut alors s’opérer.

La parole politique que fait exister le représentant n’émane en rien des électeurs, de leurs désirs ou de leurs souhaits. Celle-ci, loin de correspondre à leurs intérêts ou à leurs convictions, car qui a dit que l’on devait toujours soutenir une position politique conforme à ses intérêts, a pour fonction aux yeux de Bourdieu de servir les intérêts des politiciens. Tout l’agencement du champ politique sert à légitimer une telle substitution. En effet, en inculquant aux classes dominées qu’elles ne sont pas compétentes politiquement, car une telle compétence s’apprend dans des écoles hors de portée des classes populaires, le champ politique légitime un système de domination. Il transforme un rapport de force en pouvoir symbolique, les profanes intériorisant leur incompétence, leur domination, et acceptant par-là la légitimité du système politique. La seule alternative se présentant à eux n’est autre que se taire ou être parlés par d’autres. C’est ici que l’analyse de Bourdieu se distingue de celle des politistes élitistes. En effet, pour ceux-ci, le filtre représentatif n’a pas pour effet de substituer les intérêts des représentants à ceux des électeurs, mais simplement de filtrer les aspirations populaires dans le sens de l’intérêt général. Contre une majorité parfois irrationnelle, les élites politiques éclairées ont pour fonction de promouvoir ce qui, du point de vue de la raison, semble le plus désirable. Il faut remonter à ce que l’on pourrait appeler l’anthropologie politique de ces deux écoles pour comprendre la discorde entre les politistes élitistes et l’analyse de Pierre Bourdieu. D’un côté, l’analyse élitiste repose sur une conception désintéressée de l’intérêt général. Cette lecture du sens du politique conçoit donc celle-ci comme un espace de coopération sociale, où les citoyens votent pour ce qu’ils considèrent être l’intérêt de la communauté. L’anthropologie sous-jacente à une telle philosophie est nécessairement optimiste et pacifiste, dont l’archétype pourrait être la conception rousseauiste du citoyen. C’est justement ce type d’abstraction que rejette Bourdieu. Largement inspiré par Weber ici et donc par Marx indirectement, il fait de la lutte des intérêts sociaux le cœur de sa compréhension du politique. Cette anthropologie éristique le conduit à rejeter le concept abstrait de volonté générale. Le désintéressement des représentants n’est à ses yeux qu’un leurre. S’il est vrai que ceux-ci ne suivent pas rigoureusement les consignes de leur électorat 19 , ce n’est pas au nom d’un intérêt général abstrait, mais afin de promouvoir très concrètement leurs intérêts personnels. Le concept même d’un acte désintéressé semble suspect aux yeux de Bourdieu 20 . C’est cette Realpolitik de la volonté générale qu’on va tacher de présenter désormais.

La limite d’une telle analyse, d’un point de vue sociologique, c’est qu’elle conduit nécessairement à une prise de position normative ou philosophique. C’est pourquoi j’ai parlé de « sentiment » concernant son interprétation du filtre représentatif. Dans le texte qui constitue son travail de référence sur la question et qui nous a largement servi ici à dégager sa théorie du champ politique 21 , il n’avance aucun argument sociologique démontrant la nature anti-démocratique du filtre représentatif. En effet, considérer que celui existe, peu de sociologues ou de politistes honnêtes le nieront. En revanche, affirmer qu’il s’agit d’un filtre légitime, ou au contraire d’une « censure », ne relève plus de la sociologie, mais bien d’une approche normative ou philosophique. C’est au nom d’une certaine conception de la démocratie que la représentation peut être critiquée. Comme on l’a dit précédemment, une telle appréciation dépend directement de la conception anthropologique adoptée par le sociologue. Une telle prise de position sur la nature humaine, si elle ne saurait être qualifiée d’arbitraire, surtout chez un sociologue qui possède une solide formation ethnologique, n’en demeure pas moins un a priori qu’on pourrait qualifier d’infalsifiable, et donc de non-scientifique. Il s’agit bien d’une prise de position normative, qui le conduit à esquisser en creux une théorie de la démocratie, restant néanmoins largement encrée dans sa sociologie. C’est cette théorie de la démocratie sous jacente, qui se dessine en filigrane dans les dernières œuvres de Bourdieu, qu’on essayera de dégager et de reconstruire.

Une dénonciation de la démocratie agrégative

Afin de mieux comprendre la cohérence de sa pensée politique, il convient de rentrer dans le détail de sa sociologie de la volonté générale. Cette étude détaillée va nous permettre de constater, aussi étonnant que cela puisse paraître, que les analyses de Pierre Bourdieu s’avèrent extrêmement proches à certains égards des travaux des théoriciens de la démocratie délibérative Américains. Par sa dénonciation de la démocratie agrégative, il rejoint les partisans de la délibération dans leur recherche d’un nouveau mode de formation de la volonté collective et de la décision publique. Néanmoins il s’écarte aussi très clairement de cette école puisqu’il tente d’encrer ce mode de formation de la volonté collective dans la pratique sociale, ce qui le conduit à formuler une Realpolitik de l’universel contre l’universalisme abstrait d’un Jurgen Habermas par exemple.

On va tenter d’esquisser ici une comparaison entre les arguments de Pierre Bourdieu contre l’agrégation comme mode décision collective et ceux de certains théoriciens de la démocratie délibérative comme Bernard Manin. A la source de sa critique de la démocratie agrégative on trouve le rejet de la schématisation marchande de l’activité politique. Tel qu’il l’a décrite lui-même dans sa sociologie du champ politique, la logique de la démocratie représentative peut se réduire à la rencontre d’une offre et d’une demande sur un marché politique. Là où la sociologie de Bourdieu devient critique, c’est quand il s’intéresse aux effets d’un tel mode de formation de la volonté générale. Son argument est de montrer que le mode de formation de la volonté collective influe sur le contenu de celle-ci. En bref, la forme, l’agencement institutionnel et procédural, a une influence directe sur le contenu, la substance, sur le type de décision qui sera prise. Il s’appuie pour cela sur l’œuvre du fondateur de l’école sociologique française :

« Durkheim pose qu’on ne peut séparer le vote de ses conditions sociales de production et, plus précisément, que la forme et le contenu d’une action politique sont inséparables du mode d’existence du groupe dans lequel elle est produite. 22  »

Deux paradigmes s’opposent ici. D’un côté, le rassemblement occasionnel d’individus séparés qui votent un à un, de manière secrète et individuelle, pour un programme ou une personne, c’est à dire une offre politique qu’ils n’ont en rien pu façonner. C’est ce que Bourdieu qualifie « d’agrégation statistique des opinions individuelles. 23  » De l’autre, l’existence a priori d’un groupe permanent et intégré, d’individus se connaissant préalablement et capables de produire une opinion véritablement collective. Ce modèle correspond parfaitement à ce qu’on qualifie généralement de « démocratie délibérative », même si Bourdieu n’emploie jamais ce terme 24 . Ces modes de production de l’opinion se traduisent par des résultats radicalement différents dans la mesure où l’électeur se rendant à l’isoloir n’a pas à subir le regard et donc le contrôle social d’autrui. Le vote secret est souvent considéré comme une avancée considérable de la liberté individuelle, les individus ne pouvant être influencés dans leurs choix par l’autorité de personne. Il faut en effet rappeler qu’au moment de l’instauration du suffrage universel en France, en 1848, et pendant de longues décennies, le vote n’était en rien secret, et que bien souvent les électeurs se rendaient au bureau de vote en procession, derrière le curé ou le notable local. L’isoloir, quand il fut instauré, avait bien pour fonction s’assurer l’autonomie individuelle des choix. Néanmoins, on peut faire, avec Bourdieu, une lecture bien différente de la fonction du secret en matière de vote. En effet, le vote individuel et secret fait disparaître tout contrôle social, mais également tout besoin de justification. Quand on choisit son bulletin dans l’isoloir on a pas besoin de justifier sa préférence devant les autres, on se retrouve seul face à soi-même. Or, cette absence de justification peut avoir des effets délétères. En effet, la justification des choix politiques au sein de « la cité civique 25  » se traduit en général par une modification des opinions individuelles. C’est ce que John Elster qualifie de « forces civilisatrice de l’hypocrisie. 26  » On ne s’interrogera pas ici sur les notions d’hypocrisie et de sincérité, mais simplement sur les effets de ce type d’épreuve de justification publique. En bref, on peut dire que face à une assemblée de concitoyens on peut difficilement mettre en avant ses intérêts personnels ou privés, on se doit de justifier sa position, en ayant recours à des arguments politiques, c’est à dire en montrant que son opinion vise l’intérêt général. En ce sens, un mode de formation de la volonté non-agrégatif aurait pour fonction de favoriser l’empathie et la solidarité entre les membres de la communauté politique, alors que l’agrégation statistique des opinions individuelles se traduirait par la séparation des individus et leur repli sur leurs intérêts privés.

Si la réflexion de Bourdieu ne va pas si loin ici, bien que ces idées soient évoquées, il montre néanmoins en quoi la démocratie agrégative influence le contenu des opinions et défavorise de fait les dominés. La logique du vote s’avère doublement défavorable aux dominés. Tout d’abord, tous les agents ne sont pas capables de produire une opinion personnelle, du fait des inégalités de capital culturel évoquées précédemment ; si bien que les profanes de la politique sont bien plus soumis à l’influence et l’autorité des discours dominants que les dominants eux-mêmes, qui sont capables d’exercer leur esprit critique. « Ce qui signifie que le vote ne deviendra vraiment le suffrage universel qu’il prétend être que lorsqu’on aura universalisé les conditions d’accès à l’universel. 27  » D’autre part, la logique du vote est favorable aux dominants car elle favorise la reproduction d’un ordre social qui leur profite. En effet, de par la limitation de l’offre politique opérée par le filtre de la représentation, les opinions individuelles ont de fortes chances de s’orienter vers des options privilégiant un ordre symbolique dominant. Dans la mesure où l’offre politique est très largement le fruit de dominants, seuls capables de devenir professionnels de la politique, les opinions individuelles possibles sont de fait orientées dans le sens de la reproduction de l’ordre symbolique privilégiant les intérêts des dominants. Par la substitution des intérêts des mandataires à ceux des mandants, opérée par la représentation, il est extrêmement difficile pour les dominés de mettre en avant leurs intérêts, et par-là de subvertir un ordre social qui les opprime.

La dénonciation de la logique agrégative se retrouve très largement chez les théoriciens de la démocratie délibérative. Ces politistes très souvent Américains adressent en effet trois types de reproches à la conception agrégative de la décision collective :

- Tout d’abord, il serait illusoire de croire que les préférences sont autonomes ou choisies librement par les individus. Elles sont notamment le fruit d’un contexte économique et social particulier. Bourdieu est entièrement d’accord sur ce point, puisqu’il n’a de cesse de dénoncer l’universalisme abstrait des théories du choix rationnel.

- En outre, ces préférences sont en général loin d’être absolument figées au moment de la décision collective. Il suffit de se référer à la sociologie électorale pour constater le nombre d’électeurs indécis ou « mouvants » d’une élection à l’autre. Les individus ne savent que partiellement ce qu’ils veulent. « Ils ont certaines préférences et certaines informations, mais elles sont incertaines, incomplètes, le plus souvent confuses et en conflit entre elles. Le processus de délibération, la confrontation des arguments leur permettent de préciser leur information et de découvrir plus avant leurs propres préférences en modifiant au besoin leurs objectifs initiaux. 28  »

- Enfin, le processus agrégatif a comme travers essentiel de ne pas promouvoir le bien commun ni la justice sociale. Chacun ne votant que selon ses préférences propres, déterminées par ses intérêts individuels, la décision collective n’est pas orientée dans le sens du bien commun.

En quoi la démocratie délibérative est-elle plus à même de répondre à ces critiques, et en particulier à l’exigence de justice sociale ? C’est qu’à la conception figée de préférences déjà formées, les philosophes de la délibération opposent le concept de préférences modifiables. Celles-ci sont sensées évoluer, par la discussion publique, dans le sens de la promotion de la justice sociale. Il y a en effet certains arguments qu’on ne peut avancer dans le cadre d’une délibération publique. Il est impossible de justifier un point de vue de façon essentiellement égoïste. Tout argument avancé se doit de viser l’intérêt général. Dans le cadre d’une décision collective, justifiée discursivement, il est impossible d’avoir recours à des arguments personnels ou égoïstes, c’est toujours le bien commun qui doit être visé.

« The conceptual impossibility of expressing selfish arguments in a debate about the public good, and the psychological difficulty of expressing other-regarding preferences without ultimately coming to acquire them, jointly bring it about that public discussion tends to promote the common good. 29  »

Si la délibération implique que les préférences individuelles puissent changer, grâce à la persuasion des auditeurs permise par la force du meilleur argument, la transformation qu’elle suppose est en fait bien plus profonde. Pour comprendre ce point, il faut évoquer un des théoriciens les plus importants du paradigme délibératif, Joshua Cohen, qui écrit :

« Democratic politics involves public deliberation focused on the common good, requires some form of manifest equality among citizens, and shapes the identity and interests of citizens in ways that contribute to the formation of a public conception of the common good. 30  »

Afin de parvenir à la promotion du bien commun, il convient non seulement que les préférences des individus puissent évoluer, mais aussi que l’identité même des participants puisse changer. Le processus délibératif transforme et façonne 31 les individus de telle sorte qu’ils soient amener à promouvoir le bien commun et la justice sociale. Ainsi, une des vertus essentielles de la délibération serait la « création de meilleurs citoyens » 32 , tournés non plus vers leurs intérêts propres, mais vers l’intérêt général de la communauté politique. Cette idée n’est toute fois pas nouvelle. On la trouvait déjà chez certains penseurs républicains, et exprimée de la façon la plus claire par John Stuart Mill 33 . A ses yeux la participation politique 34 , permet de créer une « mentalité élargie », d’ouvrir les horizons des citoyens. Par « mentalité élargie », il faut comprendre que la participation a pour vertu de créer des citoyens à la fois plus démocrates et plus altruistes. Plus démocrates, car capables d’écouter les autres et de changer de préférences si les arguments avancés sont valides. Plus altruistes, car comme on l’a dit précédemment, dans une activité publique il est impossible d’avoir recours à des justifications personnelles ou égoïstes.

La délibération comme mode d’élaboration de la volonté générale

Si l’on a tenu à rentrer dans le détail de ces théories de la démocratie délibérative, c’est qu’il nous semble que certains arguments de Bourdieu sont très proches de ceux-ci. On va tenter désormais d’analyser presque phrase par phrase les dernières pages de son article sur la formation de la volonté générale, afin de dégager ce qui constitue à ses yeux une production adéquate des opinions et par-là ce qu’est pour lui un système politique véritablement démocratique. Il écrit ainsi :

« On ne peut sortir vraiment de l’addition mécanique de préférences qu’opère le vote qu’en traitant les opinions non comme des choses susceptibles d’être mécaniquement et passivement additionnées, mais comme des signes qui peuvent être changés par l’échange, par la discussion, par la confrontation, le problème n’étant plus celui du choix, comme dans la tradition libérale, mais celui du choix du mode de construction collective des choix. 35  »

Après avoir montré qu’il fallait rejeter l’agrégation statistique des opinions individuelles comme mode de formation de la volonté collective, car celle-ci est doublement défavorable aux dominés, Bourdieu esquisse un mode alternatif de formation des opinions, qui peut clairement être qualifié de délibératif. La définition de la délibération n’est autre que la formation discursive, via la confrontation des arguments, de la volonté des individus : « la tradition philosophique suivant un usage qui remonte à l’aristotélisme, désigne en général, par le terme de délibération, le processus de formation de la volonté, ce moment qui précède le choix et dans lequel l’individu s’interroge sur différentes solutions, avant de se déterminer pour l’une d’entre elles. 36  » Par opposition au paradigme agrégatif, on peut dire que Bourdieu adhère à une formation à la fois discursive et collective de la volonté. Ces deux caractéristiques sont au cœur du paradigme délibératif, la délibération correspondant toujours à un usage public de la raison, c’est à dire à un échange dialogique et public. On peut donc conclure que Bourdieu adhère à la norme délibérative comme mode de formation de la volonté. La dernière phrase de son dernier article, testament peut-être, est à ce titre tout à fait éclairante :

« Pour échapper à l’agrégation mécanique des opinions atomisées sans tomber dans l’antinomie de la protestation collective - et apporter ainsi une contribution décisive à la construction d’une véritable démocratie -, il faut travailler à créer les conditions sociales de l’instauration d’un mode de fabrication de la « volonté générale » (ou de l’opinion collective) réellement collectif, c’est à dire fondé sur l’échange réglé d’une confrontation dialectique supposant la concertation sur les instruments de communication nécessaires pour établir l’accord ou le désaccord et capable de transformer les contenus communiqués et ceux qui communiquent. 37  »

La référence à la délibération et à une conception communicationnelle de la politique est encore plus claire ici. Sa démarche également, puisqu’il s’agit bien de contribuer à « la construction d’une véritable démocratie. » Le travail de Bourdieu n’est plus ici sociologique, mais bien de l’ordre de la pensée politique. Il esquisse une théorie de la démocratie, qui s’inscrit parfaitement dans le cadre de sa critique de la représentation. Il va plus loin que précédemment dans son adhésion au paradigme délibératif. En effet, il ne s’agit plus uniquement de promouvoir une formation dialogique de la volonté générale par « une confrontation dialectique », mais de montrer en quoi un tel processus est bénéfique pour la collectivité. Les vertus qu’il semble prêter à la délibération recoupent parfaitement celles que soulignent les théoriciens de la démocratie délibérative. La délibération a en effet deux fonctions pour Bourdieu. Elle permet tout d’abord « d’établir l’accord 38  » et donc de fonder la légitimité de l’ordre politique. Mais elle a également des effets substantiels, elle permet de « transformer les contenus communiqués et ceux qui les communiquent. » La délibération permet donc une modification des opinions individuelles, les contenus échangés, et plus profondément elle est la source d’une transformation anthropologique, puisqu’elle permet de transformer « ceux qui communiquent. » Si le concept de démocratie délibérative rencontre un tel succès dans la sphère académique aujourd’hui, c’est que celle-ci aurait des vertus insoupçonnées. On peut mettre les arguments de Bourdieu en parallèle avec ceux d’un des théoriciens majeurs de la démocratie délibérative, Diego Gambetta, qui dégage quatre avantages escomptés d’un processus délibératif effectif 39  :

  1. 1) La délibération devrait permettre une rationalisation des décisions collectives, permise par l’information mutuelle des participants lors de l’échange discursif. Le résultat des décisions serait ainsi pareto-supérieur.
  2. 2) La délibération devrait orienter le résultat des décisions collectives dans le sens de la promotion de la justice sociale et du bien commun.
  3. 3) La délibération permet d’atteindre l’accord le plus large pour toute décision.
  4. 4) Les décisions issues du processus délibératif sont considérées plus légitimes que si elles provenaient de tout autre mode de choix collectif (négociation, marchandage, agrégation des opinions, etc.)

Outre qu’elle permettrait une fondation non-métaphysique, car procédurale, de l’ordre politique légitime, la délibération orienterait naturellement la décision collective, si le processus délibératif est impartial, dans le sens du bien commun.

Si Bourdieu rejoint les théoriciens de la démocratie délibérative dans les vertus qu’ils prêtent à ce processus de formation de la volonté collective, il s’en éloigne lorsqu’on aborde la question des conditions nécessaires à une bonne délibération. Pour les politistes américains qu’on vient d’évoquer, ces conditions sont presque essentiellement procédurales, c’est à dire institutionnelles. Alors qu’au contraire, pour Bourdieu, il s’agit avant tout de conditions sociales d’accès à la parole politique, et donc d’accès à l’universel. C’est en ce sens qu’on peut dire que sa théorie de la démocratie est encrée dans sa sociologie, et qu’elle constitue donc une pensée politique. C’est à la compréhension de cette Realpolitik de l’universel qu’on s’attachera à présent.

Une Realpolitik de la démocratie

Les conditions nécessaires à la délibération sont essentiellement procédurales pour les théoriciens que critique Bourdieu. En particulier, Jurgen Habermas, la principale référence philosophique sur cette question, conçoit celle-ci comme la réalisation des conditions idéale de communication. La délibération est un rapport de type intersubjectif qui substitue la force des arguments aux rapports de domination. Face à la communication nous serions tous idéalement égaux. Tel est le fondement anthropologique des théories de la délibération auxquelles va s’attaquer Bourdieu. Ainsi, pour les théoriciens de la politique délibérative, une décision sera considérée comme légitime si elle est le fruit d’un processus impartial de délibération collective. Tout l’enjeu soulevé par les partisans d’une telle conception de la démocratie est de fonder un ordre politique dont la légitimité serait purement procédurale. Un régime politique sera dit « démocratique », et donc légitime, si les procédures encadrant la délibération publique sont justes. Que faut-il entendre par des procédures justes ? Jurgen Habermas en donne une description détaillée, reprenant largement les analyses de Joshua Cohen 40 . Les critères sont les suivants :

  1. 1) La délibération doit s’effectuer sous une forme argumentée, c’est à dire à un échange de propositions et à leur examen critique.
  2. 2) La délibération doit être inclusive et publique. Formellement, nul ne peut être exclu du processus délibératif.
  3. 3) La délibération doit être exempte de contraintes externes.
  4. 4) La délibération doit être exempte de contraintes internes. Chaque participant doit avoir une chance égale de prendre la parole, de faire une proposition ou de critiquer la position d’un autre. Seule la force du meilleur argument doit régir les débats.
  5. 5) La délibération doit pouvoir être indéfiniment poursuivie ou reprise. Aucune décision collective n’est irrévocable.
  6. 6) Le but de la délibération est l’accord le plus large, voire le consensus, entre les participants autour d’une décision commune. Mais pour parvenir à décider collectivement on doit se résigner à accepter le principe du vote à la majorité.
  7. 7) Aucune question ne peut être soustraite au débat public. En particulier les questions relatives à la répartition inégale des ressources, qui influence largement les capacités discursives des individus, doivent être abordées au cours de la délibération collective.

Ces conditions procédurales d’une véritable délibération semblent extrêmement exigeantes. Pourtant, aux yeux d’Habermas elles sont en général réunies dans le cadre de la société civile, puisqu’il estime que les démocraties représentatives modernes constituent des exemples paradigmatiques, bien qu’imparfaits, de politique délibérative. La délibération se déroule au sein des multiples instances de l’espace public (dans les cafés et les salons lors de l’émergence de l’espace public au 18e siècle, au sein des associations, des ONG, des partis politiques, etc. aujourd’hui) 41 . Cette délibération publique, grâce aux relais médiatiques, permet de former une opinion publique, qui sera ensuite transmise à la sphère politique par la médiation du droit, c’est à dire via la représentation. C’est ce mécanisme de formation de l’opinion publique que remet en cause Bourdieu.

Au fond, les procédures nécessaires à une bonne délibération listées précédemment ne seraient pas forcément rejetées par Bourdieu. Il met simplement l’accent sur certaines d’entre elles, et en particulier les critères 2 et 4. Le processus délibératif doit être inclusif nous dit le premier de ces deux critères. Nul ne peut en être formellement exclu. De la même façon, la délibération doit être dépourvue de contraintes internes, c’est à dire que chacun doit avoir une « chance » égale de prendre la parole, doit posséder le même droit d’accéder à la parole politique que les autres participants. C’est la conceptions purement formelle de ces critères que dénonce Bourdieu et qu’il qualifie d’universalisme abstrait. Si juridiquement personne ne peut et ne doit être exclu du processus délibératif, il en va bien autrement dans la pratique sociale de la délibération. De nombreuses études sociologiques ont été menées afin de prouver l’inégalité des compétences discursives des participants au processus délibératif 42 . Si formellement chacun à la possibilité de prendre la parole, dans les faits on constate une sur-représentation des hommes, blancs, ayant un capital culturel et scolaire élevé. Comme on l’a montré précédemment, le fondement de l’argumentation de Bourdieu est l’inégale répartition de la compétence politique et de la capacité à formuler un discours de type politique :

« Il y a donc des conditions historiques de l’émergence de la raison. Et toute la représentation, à prétention scientifique ou non, qui repose sur l’oubli ou l’occultation délibérée de ces conditions tend à légitimer le plus injustifiable des monopoles, c’est à dire le monopole de l’universel. Il faut donc, au risque de s’exposer à leurs feux croisés, opposer le même refus aux tenants d’un universalisme abstrait passant sous silence les conditions d’accès à l’universel - ces privilégiés du point de vue du sexe, de l’ethnie ou de la position sociale qui, détenant un monopole de fait des conditions d’appropriation de l’universel, s’octroient par surcroît la légitimation de leur monopole. 43  »

Ce qu’il reproche à l’universalisme abstrait est de légitimer, sous les oripeaux du droit, un ordre symbolique inégalitaire : « Accorder à tous, mais de manière purement formelle, l’"humanité", c’est en exclure, sous les dehors de l’humanisme, tous ceux qui sont dépossédés des moyens de la réaliser. 44  » L’inclusion formelle se traduit donc par une exclusion réelle.

Bourdieu s’en prend ensuite directement à la philosophie habermassienne. Il lui reproche de dépolitiser les rapports sociaux, de les réduire à des rapports purement éthiques. Habermas réduit les rapports de force politique à des rapports communicationnels non violents. Dans l’échange communicationnel c’est la force non-violente du meilleur argument qui est censée l’emporter. Chacun, grâce à une égale capacité d’accès à la raison, serait capable de convaincre les autres et de faire triompher son point de vue. Mais c’est oublier que cette capacité à convaincre les autres, à faire valoir ses arguments, est déterminée socialement, qu’elle est le fruit d’un rapport de domination, et donc de force, dans le monde social. L’approche transcendantale, Bourdieu dirait scolastique, d’Habermas, oublie les conditions économiques, sociales et culturelles d’accès à la parole politique et à l’universel. Il ignore que « la force des arguments n’est guère efficace contre les arguments de la force (ou même contre les désirs, les besoins, les passions et surtout les dispositions), et que la domination n’est jamais absente des rapports sociaux de communication. 45  » Dès lors, que faire si les échanges communicationnels sont incapables de transcender la domination symbolique née de l’ordre social ? L’ambition d’Habermas et à sa suite de tous les théoriciens de la délibération était de fonder un ordre social sans domination, égalitaire, issu des rapports intersubjectifs dans l’espace public. La délibération avait pour ambition de dépasser le mode agrégatif de formation de la volonté collective qui entretenait la domination des classes populaires. Or l’œuvre de Bourdieu nous montre qu’une telle tentative est vaine et que le processus délibératif est incapable de surmonter les dispositions sociales héritées. Un simple agencement institutionnel est insuffisant à corriger les rapports de domination. Mais là où les derniers travaux de Bourdieu nous intéressent, c’est qu’ils n’en restent pas là. Ils esquissent également des solutions. Au fond, Bourdieu reste cohérent avec ce qu’il n’a cessé de répondre à ses détracteurs tout au long de sa vie, qui l’accusaient d’avoir créer une sociologie déterministe et sans espoir : ce que le social a fait, il peut le défaire. Mais il ne peut le défaire que par du social. C’est en ce sens que Bourdieu reste marqué par la sociologie d’Émile Durkheim. Ce ne sont donc pas les formes institutionnelles qu’il faut changer, du moins pas uniquement, c’est la société. Si les rapports discursifs sont marqués par les dispositions sociales, il faut égaliser ces dispositions, universaliser les conditions d’accès à l’universel. C’est ce que Bourdieu appelle la Realpolitik de l’universel. Il faut démocratiser les conditions d’accès à la démocratie, et pour cela il faut égaliser les conditions économiques et sociales des agents. Seule une égalisation des conditions sociales permettra d’universaliser l’accès à la parole politique et ainsi assurer la réalisation d’une délibération véritablement juste.

« Force est donc d’en appeler à une Realpolitik de l’universel, forme spécifique de lutte politique destinée à défendre les conditions sociales d’exercice de la raison et les bases institutionnelles de l’activité intellectuelle, et à doter la raison des instruments qui sont la condition de son accomplissement dans l’histoire. 46  »

La pensée de Bourdieu reste donc résolument matérialiste. Seule la transformation des conditions économiques et sociales peut assurer l’accès de tous à la raison, et permettre la construction d’une véritable démocratie. Le politique demeure entièrement déterminé par les conditions économiques et sociales de production de l’ordre symbolique.

On pourrait donc synthétiser la pensée politique de Pierre Bourdieu ainsi. Face à la démocratie formelle proposée par les théoriciens de la démocratie délibérative il convient de promouvoir une Realpolitik de l’universel, une démocratisation de l’accès à la politique. Le préalable à la construction d’un régime véritablement démocratique est la transformation des conditions économiques et sociales. La démocratie réelle est impossible dans un ordre social inégalitaire. Une telle position ne le conduit pas néanmoins à rejeter le paradigme délibératif :

 « C’est ainsi que la représentation de la vie politique que propose Habermas, à partir d’une description de l’émergence de l’ « espace public » (…) occulte et refoule la question des conditions économiques et sociales qui devraient être remplies pour que s’instaure la délibération publique propre à conduire à un consensus rationnel, c’est à dire un débat où les intérêts particuliers en concurrence recevraient la même considération et où les participants, se conformant à un modèle idéal de l’ « agir communicationnel », essaieraient de comprendre le point de vue des autres et de lui donner le même poids qu’à leur point de vue propre. 47  »

La dimension normative de sa théorie apparaît clairement ici. Il propose bien l’élaboration d’un système de formation de la volonté collective de type délibératif, mais s’encrant dans sa sociologie, c’est à dire dans l’égalisation des conditions économiques et sociales. Il prend les théoriciens de la délibération au mot, en considérant l’absence de contraintes internes, l’égale capacité de tous à prendre la parole, comme une condition préalable indispensable à la réalisation d’une juste délibération. Son projet politique s’articule donc en deux temps. Tout d’abord l’égalisation des conditions économiques et sociales. Ensuite, celle-ci permettant d’égaliser la compétence politique, on pourra transformer le mode de formation de la volonté collective dans un sens délibératif. La révolution, Bourdieu emploie le terme, devra donc être d’abord économique et sociale, et ensuite politique. « La dernière révolution politique, la révolution contre la cléricature politique, et contre l’usurpation qui est inscrite à l’état potentiel dans la délégation, reste toujours à faire. 48  » S’il ne faut pas nécessairement entendre le terme « révolution » littéralement, comme prise du pouvoir par les armes, on perçoit néanmoins l’ampleur et l’ambition du projet politique de Pierre Bourdieu, puisqu’il semble qu’à ses yeux le choix de la délibération s’accompagne, de manière relativement cohérente avec le reste de sa sociologie de la représentation, du rejet de toute délégation de pouvoir, et donc du recours à la démocratie directe.

Bibliographie Pierre Bourdieu

Pierre Bourdieu laisse une somme de travaux considérables, de ses premiers travaux sur la sociologie de l’Algérie à ses dernières œuvres plus engagées politiquement. Sa pensée originale en a fait un sociologue de dimension mondiale, et sa bibliographie impressionne par la diversité des thèmes étudiés, concernant la culture et l’éducation, l’art et la question de la domination.

Principaux ouvrages :

Le déracinement : la crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie. Avec Abdelmalek Sayad. Paris : Ed. de Minuit,1964. 225 p.

Les héritiers : les étudiants et la culture. Paris : Ed. de Minuit, 1964. 183 p.

L’amour de l’art : les musées et leur public. Paris : Ed. de Minuit,1966. 216 p. Avec Alain Darbel

Un art moyen : essai sur les usages sociaux de la photographie. Paris : Ed. de minuit, 1965. 360 p. Avec L. Boltanski, R. Castel, J.-C. Chamboredon

Architecture gothique et pensée scolastique ; précédé de L’Abbé Suger de Saint-Denis / Erwin Panofsky ; traduction et postface de Pierre Bourdieu. Paris : Ed. de Minuit, 1967. 217 p.

Le métier de sociologue : préalables épistémologiques. Avec J.-C. Passeron et J.-C. Chamboredon. Paris : Bordas : Mouton, 1968. 430 p.

L’amour de l’art : les musées d’art européens et leur public. 2e éd. rev. et augm. Paris : Ed. de Minuit,1969. 251 p. Avec Dominique Schnapper et Alain Darbel

La reproduction : éléments pour une théorie du système d’enseignement. Paris : Ed. de Minuit, 1970. 283 p.

Sociologie de l’Algérie. Paris : Presses universitaires de France, 1970. 127 p.Esquisse d’une théorie de la pratique ; précédé de Trois études d’ethnologie kabyle. Genève : Droz, 1972. 269 p.

La distinction : critique sociale du jugement. Paris : Ed. de Minuit, 1979. 670 p.

Le sens pratique. Paris : Ed. de Minuit, 1980. 475 p.

Ce que parler veut dire : l’économie des échanges linguistiques. Paris : Fayard, 1982. 244 p.

Leçon inaugurale faite le vendredi 23 avril 1982. Paris : Collège de France, 1982. 36 p.

Leçon sur la leçon. Paris : Ed. de Minuit, 1982. 55 p.

Homo academicus. Paris : Ed. de Minuit, 1984. 302 p.

Choses dites. Paris : Ed. de Minuit,1987. 229 p.

L’ontologie politique de Martin Heidegger. Paris : Ed. de Minuit, 1988. 122 p.

La noblesse d’Etat : grandes écoles et esprit de corps. Paris : Ed. de Minuit, 1989. 568 p.

Principes pour une réflexion sur les contenus de l’enseignement. S.l. : s.n., 1989. 14 p. Avec François Gros.

La sociologie de Bourdieu : textes choisis et commentés. Bordeaux : Mascaret, 1989. 247 p. Avec Philippe Corcuff et Alain Accardo.

Social theory for a changing society. New York : Russell Sage Foundation ; Boulder, Colo. : Westview, 1991. 389 p. Avec James Samuel Coleman.

Compte-rendu de conférence : 5 juin 1992. Paris : Ecole nationale des ponts et chaussées, 1992. 24 p.

Les règles de l’art : genèse et structure du champ littéraire. Paris : Seuil, 1992. 480 p.

Réponses : pour une anthropologie réflexive. Paris : Seuil, 1992. 267 p. Avec Loïc Wacquant.

Libre-échange. Avec Hans Haacke. Paris : Presses du réel : Seuil, 1993. 147 p.

La misère du monde. Paris : Seuil, 1993. 947 p.

Questions de sociologie. Paris : Ed. de Minuit, 1994. 277 p.

Raisons pratiques : sur la théorie de l’action. Paris : Ed. du Seuil, 1994. 251 p.

Rassismus und Nationalismus heute. Die Diskussion in Frankreich. Frankfurt-am-Main : Materialis-Verlag, 1994. 138 p.

Sur la télévision ; suivi de L’emprise du journalisme. Paris : Liber éd., 1996. 95 p.

Méditations pascaliennes. Paris : Seuil, 1997. 316 p.

Contre-feux : propos pour servir à la résistance contre l’invasion néo-libérale. Paris : Liber-Raisons d’agir, 1998. 125 p.

La domination masculine. Paris : Seuil, 1998. 142 p.

Les perspectives de la protestation : la résistance sociale outre-Rhin, foyer d’une autre Europe. Paris : Syllepse, 1998. 184 p.

Propos sur le champ politique. Lyon : Presses universitaires de Lyon, 2000. 110 p. Avec une introduction de Philippe Fritsch.

Les structures sociales de l’économie. Paris : Seuil, 2000. 289 p.

Contre-feux 2 : pour un mouvement social européen. Paris : Raisons d’agir éd., 2001. 108 p.

Langage et pouvoir symbolique. Paris : Seuil, 2001. 423 p. préf. de John B. Thompson

Le bal des célibataires : crise de la société paysanne en Béarn. Paris : Ed. du Seuil, 2002. 266 p.

Interventions politiques, 1961-2001 : sciences sociales & action politique. Marseille : Agone éditeur, 2002. 487 p. Textes choisis et présentés par Franck Poupeau et Thierry Discepolo

Si le monde social m’est supportable, c’est parce que je peux m’indigner. Entretien mené par Antoine Spire ; assisté de Pascale Casanova et Miguel Benassayag ; préf. d’Antoine Spire. La Tour-d’Aigues (Vaucluse) : Ed. de l’Aube, 2002. 56 p.

Principaux articles :

Nous reprenons ici l’essentiel de ses articles parus durant les années 1990-2002.

"Politisches Feld und symbolische Macht. Berliner Journal für Soziologie." (4), 1991 : p. 483-487.

"Que faire de la sociologie ?. CFDT aujourd’hui." (100), mars 1991 : p. 111-124. Avec Jacques Bass.

"Le champ littéraire. Actes de la recherche en sciences sociales. "(89), septembre 1991 : p. 4-46 ; résumés en anglais et en allemand.

"Une vie perdue : entretien avec deux agriculteurs béarnais. Actes de la recherche en sciences sociales." (90), décembre 1991 : p. 29-36.

"Doxa and common life." New Left Review. (191), février 1992 : p. 111-121. Avec Terry Eagleton.

"Démocratie effective et contre-pouvoir critique." Lignes (Paris). (15), mars 1992 : p. 36-44. Avec Roger-Pol Droit et Thomas Ferenczi.

"Esprits d’Etat : genèse et structure du champ buraucratique." Actes de la recherche en sciences sociales. (96-97), mars 1993 : p. 49-62.

"A propos de la famille comme catégorie réalisée." Actes de la recherche en sciences sociales. (100), décembre 1993 : p. 32-36 ; résumé en allemand et en anglais.

"Stratégies de reproduction et transmission des pouvoirs." Actes de la recherche en sciences sociales. (105), décembre 1994 : p. 3-70 ; bibliographie ; résumés en allemand et en anglais

"Sur les rapports entre la sociologie et l’histoire en Allemagne et en France." Actes de la recherche en sciences sociales. (106-107), mars 1995 : p. 108-122.

"Sur les ruses de la raison impérialiste." Actes de la recherche en sciences sociales. (1998-03) n°121-122, p.109-118. Avec Loïc J. D. Wacquant.

"Un sociologue dans le monde : rencontre avec Pierre Bourdieu." Revue d’études palestiniennes. (2000,hiver)n°22, p.3-13.

"La République des langues." Raisons politiques. (2001-05/07)n°2, p.5-215.

"Television." European Review (Chichester, England). (2001-07) vol.9:n°3, p.245-256.

"The "progressive" restoration : a franco-german dialogue. "New Left Review. (2002-03/04) n°14, p.63-77. Avec Günter Grass.

Principaux sites :

Portail de liens consacrés à Pierre Bourdieu

Textes en ligne.

Forum sur Bourdieu.

Texte sur la communication.

Article sur Bourdieu concernant sa critique de la télévision, paru dans Le Monde Diplomatique.

Site de l’université de recherche en sciences sociales de Surrey.

Texte sur Bourdieu : « valeur et capital chez Bourdieu et Marx ».

Texte sur le « sens de la distinction » chez Bourdieu.

Article d’Elaine Haynes sur « les formes du capital ».


  1.  Pierre Bourdieu, Contre-feux, propos pour servir à la résistance contre l’invasion néo-libérale, Liber/Raisons d’agir, Paris, 1998.

  2.  On pense bien sûr à son article « Pour une gauche de la gauche » paru dans l’édition du 8 avril 1998 du Monde.

  3.  Nous faisons surtout référence ici à l’article « La représentation politique, éléments pour une théorie du champ politique », Actes de la recherche en sciences sociales, 36-37, février-mars 1981.

  4.  Voir notamment, Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 1991 ; et Méditations pascaliennes, Paris, Liber, 1997.

  5.  Il est évident que cet a priori est loin d’être arbitraire, et de fait n’en est pas un. Toute la sociologie de Pierre Bourdieu est centrée sur la problématique liberté individuelle/reproduction sociale. Le concept d’habitus, qui se trouve au cœur de sa théorie de l’action, loin d’être posé a priori, est le fruit d’un travail sociologique très précis qu’on ne peut qu’évoquer ici. A défaut de pouvoir présenter l’œuvre de Bourdieu dans son ensemble, et pour se concentrer sur sa sociologie du champ politique, il faut considérer cette question comme résolue et la prendre comme présupposé solide à tout ce qui va suivre.

  6.  Pierre Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement de goût, Paris, Minuit, 1979.

  7.  Ibid. p. 466.

  8.  Pierre Bourdieu, « La représentation politique, éléments pour une théorie du champ politique », Actes de la recherche en sciences sociales, 36-37, février-mars 1981, p. 6.

  9.  Ibid. pp. 3-4.

  10.  Joseph Schumpeter, Capitalisme, Socialisme et Démocratie, Paris, Payot, 1954 (1942), p.355.

  11.  Voir à ce titre l’ouvrage de Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 1996.

  12.  Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers-état ?

  13.  Pierre Bourdieu, « La représentation politique, éléments pour une théorie du champ politique », Actes de la recherche en sciences sociales, 36-37, février-mars 1981, p. 4.

  14.  Ibid. p.4.

  15.  Ibid. p. 5.

  16.  Voir notamment « Le mystère du ministère. Des volontés particulière à la ‘volonté générale’ » in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, janvier 2002, pp. 7-11.

  17.  Voir notamment « Délégation et fétichisme politique » in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°52-53, juin, 1984.

  18.  Pierre Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001, p. 263.

  19.  Au cœur du système représentatif on trouve le rejet du mandat impératif au profit du mandat représentatif. On retrouve ici tout le débat souveraineté populaire / souveraineté nationale, qui avait fait rage au moment de la révolution française.

  20.  Voir à ce sujet "Un acte désintéressé est-il possible ?" in Raisons pratiques, Paris, Seuil, 1994.

  21.  Pierre Bourdieu, « La représentation politique, éléments pour une théorie du champ politique », Actes de la recherche en sciences sociales, 36-37, février-mars 1981.

  22.  « Le mystère du ministère. Des volontés particulières à la ‘volonté générale’ » in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, janvier 2002, p. 8.

  23.  Ibid. p.8.

  24.  Il parle en revanche souvent de délibération.

  25.  Je m’inspire ici des travaux de Luc Boltanski et Laurent Thévenot, et notamment De la justification. Les économies de la grandeur. Paris, Gallimard, 1991.

  26.  John Elster, « Argumenter et négocier dans deux assemblées constituantes », Revue Française de Sciences politiques, juin 1994, vol. 44, n°2.

  27.  « Le mystère du ministère. Des volontés particulières à la ‘volonté générale’ » in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, janvier 2002, p. 9.

  28.  Bernard Manin, "Volonté générale ou délibération. Esquisse d’une théorie générale de la délibération politique » paru in Le Débat, n°33, janvier 1985. p. 83.

  29.  Jon Elster, op. cit. p. 12.

  30.  Joshua Cohen, « Deliberation and Democratic Legitimacy » in Bohman, John and Rahg, William, Deliberative Democracy. Essays on Reason and Politics, Cambridge, MIT Press, 1997, p. 69 Souligné par moi.

  31.  Traduction la plus fidèle de l’anglais "shape" employé par Joshua Cohen.

  32.  Je reprends le terme « meilleurs citoyens » à Jane Mansbridge in "On the idea that participation makes better citizens" in Citizen Competence and Democratic Institutions, S. Elkin and K.Soltan (Ed.), The Pennsylvania University press, 1999.

  33.  Mill, John Stuart. (1861) 1958 Considerations on Representative Government, New York : Bobbs-Merrill.

  34.  On voit déjà ici toute l’ambiguïté du rapprochement entre démocratie délibérative et participative. C’est pourquoi on effectuera une distinction rigoureuse entre ces deux concepts ultérieurement.

  35.  Pierre Bourdieu, "Le mystère du ministère", op. cit. , p. 11. Souligné par moi.

  36.  Bernard Manin, ""Volonté générale ou délibération. Esquisse d’une théorie générale de la délibération politique » paru in Le Débat, n°33, janvier 1985, p. 78.

  37.  Pierre Bourdieu, "Le mystère du ministère", op. cit. , p. 11. Souligné par moi.

  38.  Ibid. p. 11.

  39.  Diego Gambetta, « Claro ! : An Essay on Discursive Machismo" in John Elster (Ed.), Deliberative Democracy, Cambridge : Cambridge University Press, 1998, pp. 23-24.

  40.  Jurgen Habermas, Droit et démocratie, Paris, Gallimard, 1997, p. 397 et suivantes.

  41.  Voir Jurgen Habermas, L’espace public, Payot, Paris, 1992 (1962).

  42.  Voir en particulier Loïc Blondiaux, « La démocratie par le bas. Prise de parole et délibération dans les conseils de quartier du vingtième arrondissement de Paris » in Hermes, n°26-27, 2000 ; Mansbridge, Jane. (1980) Beyond Adversary Democracy, New York : Basic Books ; Mouchard, Daniel, Les exclus dans l’espace public. Mobilisations et logiques de représentation dans la France contemporaine. Thèse de doctorat, IEP de paris, 2001.

  43.  Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997, pp. 86-87.

  44.  Ibid. p. 80.

  45.  Ibid. p. 80.

  46.  Ibid. p. 96.

  47.  Ibid. p. 80.

  48.  Pierre Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique, op. cit., p. 279.

Talpin Julien
Wormser Gérard masculin
Élitisme et délibération dans la pensée politique de Pierre Bourdieu
Talpin Julien
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public 2003-10-20

La disparition de Pierre Bourdieu il y a désormais plus d’un an a donné lieu à une vaste polémique journalistico-académique. Au cœur de celle-ci se trouvait l’interrogation suivante : y aurait-il deux Bourdieu ? En effet, on essaya alors, sans trop de réussite ni de rigueur d’ailleurs, de distinguer le sociologue brillant qu’il avait été durant la majeure partie de sa vie, de ses premiers travaux sur la Kabylie à La Noblesse d’État, parue à la fin des années 1980, et l’acteur politique radical qu’il fut au cours des dix dernières années. Il y aurait d’un côté le Docteur Bourdieu sociologue, et de l’autre, le Mister militant. De par son engagement au côté des grévistes en décembre 1995, sa collaboration à la création de la collection Liber/Raisons d’agir, qui visait ouvertement à rendre plus accessibles des travaux critiques en sciences sociales, ou la rédaction de ses désormais célèbres recueils politiques intitulés Contre-feux, et plus généralement son intervention régulière sur la scène politique, Pierre Bourdieu aurait abandonné son objectivité sociologique au profit de son engagement politique.

Weber, Max (1864-1920)
Bourdieu, Pierre (1930-2002)
Rousseau, Jean-Jacques (1712-1778)
France
Politique et société
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