Il a été démontré que l’éducation interculturelle et citoyenne est un domaine transversal et transdisciplinaire, l’école étant l’endroit où elle doit être le plus justement développée. Les enseignants de toutes les matières peuvent et doivent chercher les possibilités d’intégrer l’éducation à la citoyenneté et la dimension interculturelle dans leurs enseignements. C’est le cas pour les enseignants des langues étrangères, sans doute, mais aussi pour les enseignants des sciences naturelles et sociales.
Concernant les valeurs citoyennes et interculturelles européennes, nous parlons d’enseignement qui vise à développer du sens critique, des attitudes de curiosité, de respect, de solidarité et une volonté de s’engager. Parmi ces valeurs, on cite souvent la capacité de se tenir informé et la construction des savoir-faire communicatifs. De fait, communiquer, ce n’est pas seulement utiliser les éléments d’un code unique. C’est aussi, et avant tout, savoir choisir et savoir employer les éléments d’un code, les mots d’une langue, en fonction de son identité et de ses appartenances. C’est aussi savoir interpréter des codes qui ne nous sont pas propres. Par conséquent, se former signifie ouvrir l’accès à une pluralité des codes (linguistiques, culturelles et autres), se familiariser avec eux et devenir capable de les utiliser.
Ces compétences communicatives semblent aujourd’hui quasiment automatiques. Pourtant, leur développement n’est pas une évidence, surtout à l’heure de l’essor de nouveaux instruments de communication. La nécessité absolue d’être prêt à communiquer se montre avec une clarté inattendue, quand on pense à ces nouveaux médias électroniques qui permettent une prise de contact facile et commode. Si on veut communiquer dans ces nouveaux espaces, il faut cependant être conscient du fait que les nouvelles technologies transforment considérablement nos attentes, nos possibilités et nos compétences. Nous envisagerons une situation de communication qui représente, de nos jours, un phénomène tout à fait naturel, censé faciliter l’interaction interhumaine quotidienne. Il s’agit du « tchat », autrement dit, de la discussion en temps réel sur Internet.
Espaces électroniques
Nous prenons l’exemple du tchat, pratique très répandue et ouverte à un public large sans limite d’âge, pour montrer l’importance du développement des savoir-faire communicatifs liés aux nouveaux médias.
Du point de vue de la matérialité linguistique, le tchat a été souvent assimilé à une sorte de « parlécrit » (Anis, 1998, 1999 et 2000, Panckhurst, 1999, Gajos, 2006, etc.). Le trait d’oralité (et de scripturalité) est considéré comme un des paramètres essentiels dans les tentatives d’établissement des typologies textuelles et il doit nécessairement être pris en compte dès qu’il s’agit d’analyser ce type de production linguistique. Comme nous l’avons montré ailleurs (Chovancová, 2005), dans le cas du tchat - un « écrit d’écran » oralisé et spontané - nous avons affaire à un genre hybride, à un métissage sémiotique, qui fait apparaître de nouveaux besoins communicatifs.
La situation de communication ressemble à ce qu’on éprouve lors d’une rencontre de face-à-face, à une différence près : les tchateurs ne sont pas en contact physique. C’est le dispositif technique qui crée l’illusion d’être présents en même temps au même endroit. En fin de compte, tout se passe comme s’il y avait un double espace. D’une part, le véritable entourage physique des locuteurs (car celui-ci existe) : le bureau, le chez soi, le café internet, etc. où on s’adonne au bavardage en ligne. D’autre part, l’espace « virtuel », numérique, immatériel, celui du salon de tchat qui est créé sur un serveur Web.
Dans le tchat, on prétend bouger, chanter, crier. Le tchat est un monde qui se crée et recrée sans cesse dans les paroles de ceux qui y participent et qui fait parfois l’illusion d’offrir les mêmes possibilités que le monde réel.
La matérialité d’un espace électronique
Les limites imposées par le dispositif de transmission en quasi-instantané créent un espace-temps énonciatif atypique. Pour comprendre comment se déroule une conversation tchatée et où sont les sources de ses spécificités, il faut tenir compte de la non correspondance entre la manière par laquelle se réalise l’activité énonciatrice et les mots transcrits affichés à l’écran, espèce de notation - imparfaite, comme on va le voir - de ce qui se dit, ou plutôt de ce qui a été dit.
Au premier abord, le texte affiché à l’écran semble refléter fidèlement une seule longue conversation avec de nombreux participants. En réalité, comme nous espérons pouvoir le montrer, il y a une discordance fondamentale entre les mots énoncés et les mots affichés. Le flux des messages en mouvement perpétuel (les messages plus anciens disparaissent de la fenêtre de dialogue pour laisser de la place aux nouveaux) cache une multiplicité de petits dialogues au nombre d’énonciateurs restreint (le plus souvent 2 ou 3 personnes), se déroulant en simultané, mais indépendamment l’un de l’autre. Le produit accessible tant à l’observateur externe qu’au participant actif, la conversation affichée, ne correspond donc que très imparfaitement à l’activité énonciatrice « à géométrie variable », telle qu’elle se déroule réellement.
Le ’salon de tchat’ ressemble à un réel salon, lieu de rencontre sociale où, lors d’une soirée, les gens se rencontrent, bavardent en petits groupes, changent parfois d’interlocuteur ou - tout simplement - font connaissance. Si on avait la possibilité de regarder la situation d’énonciation d’« en haut », cette prise de vue fictive, « aérienne » pour ainsi dire, permettrait à l’observateur de se rendre bien compte de l’espace tridimensionnel où la communication en petits groupes se déroule. La conscience de la multiplicité de communications que l’observateur d’une soirée réelle se formerait n’est pas préservée lors de l’affichage des messages à l’écran. Cette visualisation ne connaît, dans le cas de tchat, qu’un seul axe : la succession chronologique des propos émis dans le salon, sans égard aux identités des émetteurs et des destinataires, sans égard surtout à la logique des fils discursifs partiels. Ainsi, ces derniers se trouvent entremêlés dans ce qui semble être un flux indistinct d’énoncés. On assiste donc à une sorte de mise à plat d’une multidimensionalité au profit de la bidimensionalité de l’écran. Le seul critère dont l’affichage tienne compte est le temps de l’énonciation (représenté par l’acte d’appuyer sur la touche ’entrée’ pour envoyer le message composé sur le clavier à l’écran).
Si l’énoncé (par lequel nous entendons, dans ce cas, le discours produit dans une certaine situation d’énonciation) est traditionnellement défini comme étant le produit de l’énonciation, nous sommes obligés de constater que cette définition n’est pas tout à fait opératoire dans le tchat. Le discours affiché ne rend pas compte pleinement de la réalité de l’acte de parler dans le tchat. Certains paramètres qui caractérisent l’énonciation se perdent vis-à-vis des limites du dispositif technique. La dimension temporelle représentée est relative vis-à-vis du paramètre du temps de l’énonciation vécu.
Les propriétés de l’énoncé, telles que l’économie stricte des moyens, l’extrême simplicité (et la simplification) de l’expression, le choix des stratégies pragmatiques spécifiques aboutissent à un produit à caractère rudimentaire, dépouillé, non seulement de toute marque de redondance morpho-syntaxique, mais aussi - comme il semble très souvent - grâce à un très faible développement thématique, de toute raison d’être communicative. Le tchat reflète la dynamique de nombreux changements à l’intérieur du système, mais il rend compte avant tout de la dynamique des fonctions langagières. La fonction phatique du langage prime ici sur la fonction informationnelle : les tchateurs créent un univers ludique où l’importance de la recherche du contact et la découverte de l’autre dépasse celle de l’échange de l’information.
Identités mises en jeu
Dans le tchat, la reconnaissance de l’identité des acteurs de la communication, de celui qui parle et de celui qui est censé réagir, est une des bases fondamentales de l’intercompréhension et d’un bon déroulement de l’échange. L’importance de cet appui à la compréhension est peut être encore plus grande qu’ailleurs étant donné la complexité du support utilisé et les spécificités techniques qui en résultent, dont notamment la pression temporelle et le ‘facteur groupe’. Comprendre la pluralité des voix qui sont présentes dans la discussion au même moment est un des défis primordiaux pour un tchateur actif qui veut assister à l’échange, de même que pour l’observateur que peut être le linguiste.
Pour pouvoir participer au ‘jeu’ de la communication électronique, il faut prendre l’habitude de distinguer le marquage du cadre énonciatif propre au tchat. Ce marquage fonctionne comme une des garanties principales de la cohérence de l’échange. La conversation électronique est dotée d’un système d’outils pour rendre compte de la situation d’énonciation et des statuts des énonciateurs.
La succession des propos affichés à l’écran est souvent complexe et impénétrable au premier abord. L’indication de l’auteur du message est toutefois un des éléments les plus stables dans le système du tchat. L’énonciateur est distingué facilement : son pseudonyme est indiqué en début de ligne, entre les crochets, en tête de message. Notons que le pseudonyme dans le tchat est plus qu’un simple moyen d’auto-dénomination : c’est un élément de base pour construire la personnalité virtuelle de celui qui parle.
Le fait que l’indication de l’énonciateur est toujours faite par l’ordinateur signifie que l’auteur du discours ne se présente jamais lui même par son pseudo, il ne signe pas ses paroles ; cette tâche est remplie pour lui. Néanmoins, il dispose d’un certain nombre de moyens qui lui permettent de s’individualiser, de se faire remarquer dans la discussion, de créer son « moi énonciatif ». Parmi ces moyens de la personnalisation du discours (de la mise en scène de soi-même), décrits par J. Anis (2001: 20-38), on trouve les pseudonymes, les avatars, la typographie personnalisée, la néographie, les « actions » et le portrait.
En règle générale, le choix des pseudonymes laisse voir la volonté des participants de se distinguer des autres en conférant à leurs personnalités virtuelles des caractéristiques spécifiques ou des valeurs particulières. Les pseudonymes trahissent les qualités et les caractéristiques que les participants s’attribuent (ou voudraient pouvoir attribuer) à eux-mêmes. Tout comme dans d’autres nouveaux types d’écrit (p. ex. le graffiti), le scripteur « doit en même temps faire preuve d’originalité tant au niveau graphique, qu’au niveau du choix de sa ‘nouvelle’ identité » et se singulariser par son pseudonyme au sein du groupe (cf. Lopez, 1999 : 105). Les pseudos sont intéressants du point de vue de leur forme, de leur sémantisme, ainsi que du point de vue de leur fonctionnement dans la discussion. Un pseudo intéressant incite souvent à la mise en contact, au jeu des mots, et devient ainsi une espèce de catalyseur du dialogue.
Les avatars sont des icônes ou des figures symboliques destinées à représenter les usagers dans les tchats visuels et multimédia, à la manière de la bande dessinée.Les paramètres typographiques personnalisés varient d’un tchat à un autre, mais il s’agit avant tout de la taille des caractères, de l’emploi des couleurs et des majuscules. La taille des caractères correspond au registre expressif qui va du chuchotement jusqu’au cri. Plus grande est la taille des caractères, plus le locuteur crie. L’expressivité peut cependant être exprimée aussi par la répétition des caractères. Ce moyen est même plus fréquemment utilisé.
180 <+JuLieTTe-La-mArTieNNe> TioteVenus zadoooooooooooore ton chien !!! il es trop mignon !!!
La couleur des caractères et du fond facilite l’identification des locuteurs. Bien évidemment, il y a d’autres attributs qui entrent en jeu dans le processus de la personnalisation typographique des énoncés, à savoir l’écriture en gras, en italique ou encore la capitalisation. Les majuscules sont surtout utilisées pour mettre en relief un mot ou une partie d’énoncé :
811 <+Vendeenne> alors STOPPPPPPPPPPPPP
Ou pour attirer l’attention à l’entrée dans la discussion :
1255 <MEL_>HOLAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA
L’utilisation de la néographie signifie l’emploi des procédés tels que les syllabogrammes (g au lieu de j’ai), les graphies phonétisantes (trankil pour tranquille) et la suppression des voyelles (slt au lieu salut). Nous tenons à souligner que chaque participant se sert des procédés de la néographie dans la mesure qui lui convient personnellement. Il y en a qui les utilisent beaucoup, d’autres ne le font que très peu. Pour cette raison nous considérons le degré de l’emploi des innovations graphiques comme un des choix personnels qui s’ouvre à chaque participant ;
Les ‘didascalies’ sont des événements ou des actions exprimées
- verbalement : B102 Info nicolas-91 s’est absenté(e) (douche)
- verbalement et graphiquement (à l’aide des émoticones) :
B83 <lafonsdeee> coucou lééééé genssssss😛
- graphiquement : 75 +anna_qbc_hate_pv>:))))))))))))))
Le ‘portrait’ est la présentation de soi-même que l’on peut fournir avec son pseudonyme, son mot de passe et son adresse électronique avant d’entrer dans le salon. Les composantes de cette présentation sont les suivantes : l’appel au dialogue destiné à celui qui vient consulter les informations ; l’identification personnelle (l’âge, le sexe, l’origine, le prénom réel) ; les centres d’intérêt ; les propos destinés au cercle d’amis proches ; les citations favorites, etc.
Nous aimerions bien ajouter à cette liste des éléments de l’appropriation personnelle de l’espace du tchat un autre élément, celui que nous appelons ‘verbalisation de l’aspect physique’. Il s’agit de l’évocation de la présence physique à travers l’usage des mots faisant appel aux mouvements et aux sensations, tels que voir, parler, chanter, danser, être là (dans le tchat). Apparemment, ces mots ne peuvent pas avoir de sens dans le tchat où les participants ne se voient pas et ne s’entendent pas. Pourtant, on les utilise comme si l’autre était vraiment présent, comme si on communiquait en face à face.
Dans le tchat, l’identification de l’allocutaire peut représenter un élément déstabilisant qui peut perturber sérieusement la compréhension. La reconnaissance du destinataire entraîne souvent une confusion ou, tout simplement, des difficultés de communication.
Dans le cas du destinataire, l’identification n’est pas faite automatiquement par le système : c’est l’énonciateur qui fait le choix de son allocutaire. C’est alors à celui qui écrit de désigner explicitement son interlocuteur ou de faire comprendre d’une autre manière à qui s’adresse son message. L’unique moyen direct dont on dispose est d’insérer le nom du destinataire dans le texte du message. Cela peut se faire en sélectionnant un pseudo dans la liste des participants et en le copiant dans le texte du message ou bien en le tapant tout simplement. L’ordinateur fera une mise en évidence automatique (en couleur différente) sur l’écran du participant auquel le message est destiné (c’est-à-dire à l’écran du participant dont le pseudo apparaît dans le message).
Il existe une tendance à remplacer le pseudo par le véritable prénom en dialogue privé et dans la conversation entre des locuteurs qui se connaissent bien. Autrement dit, si on parle ‘en privé’, sans que les autres puissent suivre l’échange, et si l’interlocuteur est quelqu’un de très proche, on abandonne les pseudos en faveur des noms et d’identités réels. Les emplois des noms réels sont hors de notre intérêt, car il s’agit d’une pratique éloignée de ce que nous considérons la vraie nature de la conversation électronique, réservée presqu’exclusivement aux dialogues privés (cachés). Ce phénomène manque des traits importants du dialogue dans la fenêtre générale, notamment le ludisme et le jeu de mots.
Même si on laisse à part les occurrences des vrais noms, nous constatons qu’on ne s’adresse pas toujours à son allocutaire par la forme exacte de son pseudo et parfois on n’en utilise même aucune. L’obligation de nommer le destinataire chaque fois que l’on compose un message contrarie l’efficacité de la communication ; elle va contre la loi du moindre effort. La « zone des indices d’allocution » (Kerbrat-Orecchioni, 1999 : 176) est cependant très riche, contenant d’autres pratiques pour désigner l’allocutaire, très courantes dans le tchat, dont notamment l’adresse par un pseudo modifié ou raccourci, les appellatifs affectifs (hypocoristiques ou péjoratifs) et finalement l’omission du terme d’adresse (nous appellerons cette pratique le pseudo ‘zéro’).
Dans certains cas, l’indication du destinataire manque entièrement. L’omission peut d’ailleurs être justifiée par le facteur temporel et le besoin d’efficacité que nous avons déjà évoqués. Il y a une quantité de messages qui ne contiennent aucun pseudonyme qui pourrait servir d’indication de la personne à laquelle le message est destiné. Cela nous oblige à nous poser toute une série de questions : quand et pourquoi a-t-on besoin de nommer l’allocutaire et quand n’est-ce pas nécessaire ? Pourquoi l’énonciateur considère-t-il dans certains cas que le destinataire est évident (ce qui ne doit pas être le cas pour celui-là) ? Comment le destinataire se reconnaît-il s’il n’est pas nommé directement ? Qu’est-ce qui lui permet de réagir correctement ? Il semble que si l’on ne nomme pas l’allocutaire choisi, c’est parce qu’on croit que le destinataire est évident et se reconnaîtra facilement en lisant le message. Dans ce cas-là, il y a sûrement une autre logique, une sorte de logique interne qui permet au destinataire de repérer (presque) toujours les messages qui lui sont destinés sans se tromper. Il faut alors chercher les liens et les indications incorporés dans les énoncés. Nous croyons qu’il s’agit surtout des liens anaphoriques et sémantiques qui font que l’interpellation directe du destinataire n’est plus nécessaire et peut être omise. L’effort de la mémoire (éventuellement aidée par le scrolling de la fenêtre principale et une vérification de ce qui a été dit, si on en a le temps) est souvent la seule manière pour s’en sortir de la complexité de l’échange.
Le destinataire du message n’étant pas nécessairement individuel, il est important de considérer aussi le nombre d’allocutaires qui entrent en jeu. On peut s’adresser à tout le groupe, à tous ceux qui sont connectés. C’est là une des fonctions de l’écran : permettre le contact entre le plus grand nombre possible de personnes, faciliter la rencontre. Si on ne s’adresse pas à tous à la fois, on peut toujours changer d’allocutaire et parler à plusieurs en même temps. C’est surtout dans ce cas (mais pas exclusivement) que l’on assiste à des incompréhensions.
Finalement, il y a des cas où on parle apparemment sans destinataire. Ce type de message peut être destiné au :
a) destinataire individuel: on peut supposer que le destinataire est la personne avec qui le locuteur parlait précédemment ou que l’énoncé est une réaction au message qui précède
b) destinataire collectif: on s’adresse à tous les participants en même temps
Les messages à destinataire collectif sont avant tout:
- les salutations d’entrée: 1137 <ChaBada> cOucOU
- les salutations de départ : 105 <+anthony__bzh> je vais allez mangé a toute a lheure et bonne app
- les recherches du partenaire pour la conversation. Celui-ci peut être
· spécifié: 1047 <betty_boop> recherche mec de cholet
1052 <betty_boop> ou fille s’appellant morgane
· non spécifié (résultat de l’ennui, du manque d’intérêt à la conversation de la part des autres participants): 1277 <le_charmeur_> a part oceane 56 qui est la
Certains messages reflètent très clairement un sentiment paradoxal du vide et de la solitude dans un espace communicatif surchargé où l’on veut communiquer et où l’on entre en dialogue avec d’autres, mais le hasard veut que personne ne réponde. Dans le tchat, les silences, les pauses et même l’absence de réaction sont des moyens d’expression très parlants. La présence virtuelle a une composante statique ; il est possible de voir les pseudonymes dans la liste, lire les renseignements sur les participants. Elle a aussi une composante dynamique ; il est nécessaire que les participants communiquent réellement. Pour avoir le sentiment d’une communication telle qu’elle doit être, réussie, il faut voir le dialogue se dérouler dans la fenêtre majeure et d’en voir d’autres dans les fenêtres privées. Le sujet parlant doit devenir destinataire des propos des autres :
816 <^Ry|cY^> J’ai l’impression que personne mentenddd !!!
838 <^Ry|cY^> YOuuuu Y a quelqun iCi ? ?
- les histoires drôles ou les devinettes: B261 <Grrr> Quel mot peut on former avec ces lettres ? : T S W B M R E E et 2 ? il se peut qu’il manque quelques lettres. Il faut que toutes ces lettres soient dans ce mot.
- les petites annonces: 10 <diablesse> JE CHERCHE 1 mec POUR PARLER AMOUR et RDV si plus , je suis blonde, mignonne, 1M68 45Kgs, mes sport : boxe anglaise et natation , moto ( passagère
c) destinataire non spécifié: le message n’est destiné à aucun destinataire (individuel ni collectif) ou le destinataire ne peut pas être déterminé:
823 <rostrenen_carhaix> *
On peut relever des messages où on ne trouve aucune trace du destinataire et le discours de celui qui parle devient une sorte de soliloque désespéré :
734 <Ced14> vaness14
735 <Ced14> tes la
736 <Ced14> allo
747 <Ced14> homme_du_14_ il y a vaness14
751 <Ced14> qui recherche un pv sympa
772 <Ced14> vaness14
775 <Ced14> tes la
et quelquefois même grognon ou coléreux :
99 <+CaM`EnnErVe> grrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr
100 <+CaM`EnnErVe> j’en ai marreeeeeeeeee
108 <+CaM`EnnErVe> mais pkoi ca ve po marcherrrrrr
113 <+CaM`EnnErVe> po moi j’suis vénerfs
128 <+CaM`EnnErVe> bordel de caca !!!!!!!!!!
180 <+CaM`EnnErVe> grrrrrr n’ai marreeee
Tous ces messages restent sans réponse. Même s’ils sont probablement destinés à tous (et à n’importe qui), personne ne réagit et le locuteur ne continue pas à développer son discours. Le tchat confirme qu’« émettre un message sans destinataire, c’est là un comportement qui passe pour pathologique » (Kerbrat-Orecchioni, 1999 : 15). Les messages-devinettes ou les petites annonces ne sont, en fin de compte, rien d’autre que des paroles sans réponse.
Le déséquilibre entre le statut du locuteur et celui de l’allocutaire est marquant. Leurs identifications respectives reposent sur deux dispositifs énonciatifs de nature diverse. L’énonciateur possède toute une variété de moyens pour se singulariser et s’affirmer lui même (en plus d’être marqué par le système), et un autre ensemble de pratiques et possibilités pour désigner le destinataire de son message ?
Conclusion
Nous aimerions bien souligner les raisons pour lesquelles il nous a semblé nécessaire de tenter d’éclaircir la question de la « perte dimensionnelle » du discours tchaté, les problèmes liés aux positions statutaires des sujets scripteurs, le jeu identitaire du caché et du dévoilé. Ces points relatifs au fonctionnement de l’énonciation dans l’espace du tchat qui, à notre avis, n’a pas encore été assez mis en évidence, a tendance à créer des confusions chez des lecteurs, des usagers et des observateurs non habitués du tchat.
Pourtant, les communautés virtuelles existent, s’établissent et se maintiennent avec une grande vigueur et force. Les usagers de l’Internet fréquentent les mêmes ’salons’, les mêmes endroits pour faire connaissance avec du monde, mais aussi pour rencontrer les personnes qu’ils connaissent déjà. Qu’est-ce qui fait la spécificité des salons de tchat ? En quoi consiste la grande popularité des discussions en ligne ? Quelles sont les raisons du degré de cohésion non négligeable des communautés qui prennent l’existence en ligne et qui font désormais partie intégrante de la vie sociale des jeunes et même des moins jeunes ?
Nous n’avons pas de réponses parfaites à ces interrogations. Nous constatons seulement que les communautés dont nous parlons sont réunis par un sentiment d’appartenance qui se fonde sur le partage d’un usage langagier commun, sur le fait d’être initié à toutes ses éléments, sur la convivialité qui se crée à partir du respect d’une norme / des normes communes au groupe. Pour pouvoir vivre ce type d’expérience communicationnelle, si typique pour notre époque et pour le territoire que nous habitons, il est indispensable de se sensibiliser au fonctionnement des nouveaux médias et de construire des savoir-faire qui nous permettront de les exploiter avec efficacité.
ANIS, Jacques (1998) Texte et ordinateur. L’écriture réinventée ? Paris, Bruxelles, De Boeck&Larcier. ISBN 2-8041-2923-3
ANIS, Jacques (1999) Internet communication et langue française. Paris, Hermès science publications. ISBN 2-7462-0063-5. 191 p.
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GAJOS, Mieczysław (2006) « Parler en écrivant : le lexique des internautes français », Verbum Analecta Neolatina, tome VIII, fasc.1 : 171-180
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