Imaginez-vous en artiste du cirque : un éternel saltimbanque. De temps en temps, vous dormez dans les hôtels cinq-étoiles du monde, et de temps au temps dans les rues à leurs pieds. Ce soir, vous mangez du caviar et buvez du cognac dans les meilleurs restaurants russes mais demain, vous aurez à vivre avec 3 dollars par jour en Malaisie. Votre unique maison est votre valise au bout du bras.
Vous êtes en l’an 2010 et vous êtres un acrobate ; comme un guerrier ou une prostituée, l’histoire de votre profession est aussi vieille que celle de l’humanité elle-même.
Vous savez quel est le sentiment de se tenir sur une main, et comment virevolter à travers les airs. Vous savez comment une vie peut rapidement et facilement être ruinée à cause d’une erreur commise par quelqu’un d’autre. Votre unique métier est de faire en sorte que des inconnus vous aiment, nuit après nuit.
L’ontogenèse reproduit la phylogénèse, nous explique-t-on. L’évolution d’une espèce reflète le développement d’un individu. Nous commençons par être un organisme doté d’une seule cellule. Nous faisons pousser des branchies, et des queues, nous les perdons, et nous voici nés.
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Il y a dix ans : L’école du cirque m’apprend comment boire, comment fumer des cigares, et comment aimer une femme jusqu’au petit-déjeuner. Mes camarades et moi-même sommes le futur hirsute, mal rasé, des arts du cirque, nous dormons sur le parquet, dans les recoins des appartements des uns et des autres. Dans les hivers aux chandelles de Montréal, nous nous promettons de livrer ensemble le bon combat : « Le futur du cirque, se dit-on, tard, plongés dans les voiles de fumée et d’alcool, sera ce que nous en ferons - peu importe quoi ».
Il y a six ans : Notre collectif d’artistes expansifs et engagés dans l’expression théâtrale à travers les arts du cirque a été choisi par le gouvernement français pour recevoir un financement et un soutien pour une tournée internationale. Nous sommes obligés de nous séparer quand deux des quatre membres acceptent des contrats du Cirque du Soleil. Le futur du cirque est avec ceux qui ont plus de stabilité que nous.
Il y a quatre ans : Je suis un acrobate sans domicile fixe perdu dans les rues de Tokyo jusqu’à ce qu’une danseuse de flamenco venue de Madrid me recueille. Elle m’apprend comment séduire une femme et comment danser au plus près d’elle. « Tu sens la cannelle », me confie-t-elle, avant de lancer, telle une malédiction de bohémienne : « Tu seras un jour le patron de ta propre compagnie ».
Il y a deux ans : Je suis le patron de ma propre compagnie de cirque, avec des projets dans quatorze pays et un chiffre d’affaires annuel qui dépasse les 300.000 dollars. Le futur du cirque, il semble, est dans les affaires.
L’an passé : Février. Je vis dans une caravane sans chauffage quelque part en dehors de Bâle, en Suisse. Il n’y a ni eau courante, ni accès à internet. Je dirige un spectacle pour les Gassers, l’une des dernières familles du cirque européen. Dans le chapiteau, notre air se condense et gèle sur la toile. Le matin, le souffle de la veille fond et nous pleut dessus. Lorsque la tempête arrive et que la tente s’écroule, je rampe dans la boue pour récupérer nos accessoires. Ce spectacle sera dirigé comme il l’a été la plupart du temps les deux derniers siècles : présenter le spectacle le soir, plier bagage puis rouler jusqu’au prochain site la même nuit, se lever à l’aube pour dresser le chapiteau, et présenter le spectacle, à nouveau. Mon meilleur ami et co-directeur, Goos Meeuwsen, un clown hollandais de 27 ans qui a passé sa vie à faire des spectacles dans les rues, sous les chapiteaux, dans les cabarets européens ou dans les temples chatoyants du Cirque du Soleil de Las Vegas, éblouit. L’on boit du vin et du cognac français en trinquant au rêve que le futur du cirque se trouve quelque part dans son passé. Mais à l’intérieur de cette caravane, le futur ressemble tant au passé qu’il est difficile de dire dans quelle direction avance le temps.
Il y a trois mois : Je bois de l’absinthe derrière le fleuve Chao Praya à Bangkok, en compagnie de l’un de mes meilleurs amis, un acrobate français. Il y a sept ans, nous faisions nos spectacles sur les Ramblas de Barcelone. « Le futur du cirque a changé pour toujours », me confie-t-il. Nous sommes la dernière génération à avoir connu le cirque d’avant le Cirque du Soleil - tout comme la génération avant nous, qui était la dernière à connaître les grandes familles du cirque européen à leur apogée. Le tronc a été coupé à la racine.
Ce soir : Je bois de la Руский Стандарт Водка 1 Platinum lors des Nuits Blanches de Saint-Pétersbourg. Il est minuit moins le quart, c’est le jour le plus long de l’année, et le soleil, têtu, se maintient sur l’horizon. Je suis le directeur artistique de Corteo, la tournée la plus sophistiquée du Cirque du Soleil. Il y a deux semaines, j’ai rejoint la troupe au Japon, qui s’est produite à guichet fermé dans cinq villes pendant 18 mois. Il y a trois nuits, j’ai pris la décision, difficile, de quitter la compagnie. De toutes les façons, dans mon futur proche, l’avenir du cirque se trouve quelque part ailleurs.
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Nous sommes en l’an 1994, et vous voulez voir quelque chose de physiquement impossible, quelque chose qui va vous transporter vers un monde futur qui évolue en parallèle à votre expérience d’un quotidien reclus : un monde embaumé par la musique des gitans et de l’Extrême Orient. Des langues étrangères et des costumes d’outre-monde y tourbillonnent. Vous avez le sentiment de jeter un coup d’œil furtif derrière un rideau de fer sur un monde qui a langui (peut-être, après tout, car vous n’avez aucun moyen de savoir) dans les 50 curieuses années de la Guerre froide qui vient juste de finir.
Vous voulez la sophistication qui provient de la vision d’un spectacle qui est une pièce d’art. Un spectacle que d’autres se bousculent pour voir. Vous voulez avoir le droit de vous vanter d’être le seul gamin du quartier à avoir vu un show dont les autres ont simplement entendu des murmures : « Il y a un nouveau type de divertissement, une nouvelle forme de cirque ».
Il n’y a pas d’animaux ou de sciure de bois, ce qui vous fait vous sentir comme un adulte, mais cela se passe sous une tente, ce qui vous fait éprouver l’émerveillement d’un enfant. La tente est rafraichie par l’air conditionné et pleine de brumes. Les personnages détruisent le quatrième mur et se déplacent parmi le public, vous invitant dans leur monde, jouant avec vous, non pour vous.
L’éclairage s’inspire de l’opéra et des concerts de rock, la musique en live emprunte elle aussi à l’opéra, mais également aux airs indiens, à la passion masochiste des Balkans, et aux rythmes latins si séduisants. Les acrobates sont taillés dans la pierre, et leur performance est plus qu’un spectacle, elle est, pour vous, une fenêtre sur leur vie au-delà de la piste 2 - une vie de souffrance, de satisfaction toujours différée, de sacrifice, et d’entraînement sans fin.
Ces gens sont le produit d’un idéal romantique, nomade - un idéal embrassé avec le cœur, pleinement, sans remord ou regard jeté par-dessus l’épaule. Ils sont vous, voudriez-vous croire, ou tout du moins ce que vous auriez pu être si seulement vous aviez su, enfant, ce que maintenant vous savez que vous auriez voulu être.
Trois heures plus tard, vous avez été empli, tel un vase vide, d’une histoire que vous ne comprenez qu’avec votre cœur. Votre esprit a pris congé, et vous êtes submergé par les possibilités de l’âme humaine.
Vous rentrez chez vous, à peine capable de contenir votre excitation à propos de ce que vous avez vu. Vous en parlez à vos camarades et au boulot, mais vos paroles ne rendent pas justice à ce spectacle. « Il faut que vous le voyiez vous-même », vous surprenez-vous à dire. « C’est comme le cirque, mais différent. Meilleur ».
Mais il est trop tard. Vous réalisez que cette troupe de dieux nomades a déjà fait ses affaires et est partie vers la prochaine ville. Peut-être y connaissez-vous quelqu’un et vous passez un coup de fil longue distance - vous vous souvenez ? - afin de leur dire qu’ils ne peuvent pas manquer ce spectacle. Peut-être leur écrivez-vous même une lettre - vous vous souvenez de ça aussi ? - avec un postscriptum leur recommandant de jeter un coup d’œil. En tous les cas, vous êtes heureux d’avoir eu cette chance : Qui sait quand est-ce qu’un spectacle comme celui-là sera à nouveau dans le voisinage ?
C’est là le monde dans lequel le nouveau cirque est né, la terre humaine fertile dans laquelle il a déployé ses racines et conquis le monde. Un certain nombre de compagnies à travers le monde sont devenues célèbres entre 1992 et 2002 - le Cirque Eloize, Les 7 Doigts de la Main, Circus OZ, Circus Cirkör, Cirque Plume, autant de compagnies riches d’histoires différentes, mais leur succès mondial incontestablement facilité par celui du Cirque du Soleil qui, à l’époque, n’avait que trois tournées et un spectacle permanent, donc pas de quoi remplir les esprits affamés de ceux qui, les premiers, eurent vent de ce phénomène artistique global.
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Ce n’est pas comme trouver un danseur pour apprendre la chorégraphie ou un acteur pour apprendre le rôle - ce sont là des vins qui épousent la forme de leur contenant ; plus fin est l’artiste, plus fin le vin. Un acrobate est tout - le vin, le verre, la bouteille qui le contenait, voire même le fût dans lequel il a fermenté.
Un acteur ou un danseur meurt, le rôle lui survit. Mais les artistes du cirque meurent, et avec eux disparaît leur travail. Les murs du Cabaret GOP Variété/Münster et le Cirque National du Viêtnam à Hanoi sont couverts de photographies en noir et blanc d’artistes oubliés depuis longtemps. Leur existence est essentiellement fugace.
Pour autant, ce monde a été infecté par une indifférence venimeuse à l’égard de cette essence éphémère de l’art. Essayer de créer un spectacle qui devienne une superproduction en mixant une troupe d’artistes parmi les meilleurs au monde avec un metteur en scène d’un certain renom est comme essayer de créer un vin élégant en se contentant simplement de stocker les raisins écrasés les plus fins avec la levure de vin la meilleure.
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Une pièce de métal se dévisse sous la tension et saute ; en se relâchant, le harnais offre à un acrobate un vol impardonnable s’achevant sur le sol 10 mètres plus bas, où il se tordra d’une douleur causée par un million d’os et de dents fracturés.
« Le futur du cirque, explique Volker Brümer, le producteur de spectacles de variétés, attablé à un café de Berlin, c’est l’intimité ; des performances qui révèlent l’essence de l’artiste en tant qu’individu ».
Le contorsionniste de 24 ans qui sirote un martini à ma table au 57e étage du Park Hyatt, à Tokyo, explique son avenir dans le cirque : « Je possède un appartement, maintenant. Je vis avec un gala par mois ».
Oui, le tronc a été coupé à la racine.
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Les artistes du cirque avaient l’habitude de développer et de raffiner leurs techniques pendant des années. « Il faut trois ans pour éduquer un érudit et dix ans pour former un acrobate », affirme un dicton dans l’Opéra chinois.
Nos entraînements impliquaient que l’on vive à la périphérie de la société, allant d’endroit en endroit, de spectacle en spectacle - davantage à la maison sur la route ou sur la scène que nous l’étions jamais dans un appartement ou une maison. Notre connaissance de l’art, du public et de nous-mêmes augmentait avec chaque spectacle, chaque arrivée, chaque départ. Une connaissance que nous absorbions seulement pour réinventer et que nous rejouions sur la scène nuit après nuit.
Il y a 15 ans, personne ne venait dans ce monde pour devenir riche, mais aujourd’hui, les rêves des artistes évoluant dans l’ère du Cirque du Soleil épousent ceux qui aspirent à devenir des modèles ou de futurs acteurs d’Hollywood.
Aujourd’hui, la plupart des artistes du cirque professionnels âgés de 18 à 30 ans font l’expérience d’une vie nomade uniquement depuis les fenêtres des bus de tournée, des avions et des hôtels quatre étoiles réservés par leur managers de tournée ou leurs directeur de casting.
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Au vrai, les pionniers du « nouveau cirque » se sont seulement débarrassés des scènes avec des animaux et ont ajouté des détails chorégraphiques et une fine couche de théâtralité. Il est difficile de définir une « nouvelle » forme d’art en termes de ce qu’il n’est pas et de ce qui lui a été ajouté.
Considérez la chose suivante : Jouer est une forme d’art alors que le théâtre ou le film sont des structures. Au tournant du dernier siècle, quand le cinéma muet est né, personne n’a parlé d’émergence d’une « nouvelle façon de jouer » ou d’un « théâtre nouveau » 3 , pas plus qu’on a proclamé la naissance du « nouveau film » grâce au développement de technologies du son ou de la couleur. Personne n’affirme que la renaissance des films en 3 dimensions a rendu les anciens obsolètes ou que ceux-ci sont passés de mode.
Mais ainsi fut-il avec le cirque.
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Il n’est pas difficile d’imaginer combien dévastateur l’effet du « nouveau cirque » a pu être pour ces familles et ces artistes sur lesquels un empire a été érigé. Une fois ces familles et ces artistes-nomades expérimentés avalés, l’industrie a commencé à cibler les jeunes diplômés des grandes écoles de cirque. Maintenant que la demande pour les artistes dépasse le nombre de nouveaux diplômés, de nombreux athlètes sans expérience artistique ou qui ne sont jamais produits peuplent le cirque et les scènes de variétés à travers le monde. Parfois, une seule semaine sépare leur dernière compétition sportive de leur premier spectacle artistique.
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« Je ne considère pas ce que je fais comme du cirque ».
Des paroles qui semblent ironiques de la part du fameux directeur du cirque Daniele Finzi Pasca (Nomade, Rain ou Nebbia pour le Cirque Eloize ou Corteo pour le Cirque du Soleil), mais il est drôlement sérieux.
« Ce qui m’intéresse n’est pas la forme, mais les acrobaties sous-jacentes qui sont présentes dans toutes les cultures dont les rituels sont très anciens. Dans certaines cultures, de jeunes garçons vont dans la jungle pour se battre contre des animaux sauvages afin de prouver qu’ils sont des hommes. Il y a un peu de cette qualité mythique dans ce que fait un acrobate. ».
Nous discutons lors d’un dîner constitué de pâtes à la carbonara et de sushis sur un toit-terrasse chic de Saint-Pétersbourg. La Coupe du Monde a commencé. L’Argentine est en train de détruire le Mexique sur un écran derrière nous.
« Pourquoi sommes-nous surpris et pourquoi rêvons-nous quand l’on voit un acrobate ? C’est une question psychologique, peut-être ».
Je suis frappé par ma propre conviction que cette qualité mythique, que les spectateurs ressentent et dont Pasca parle, est liée plus intensément à la profondeur de l’expérience des acrobates nomades d’hier - ces artistes d’autrefois, ce qu’ils étaient vraiment et la réalité de la vie qu’ils étaient contraints de vivre - qu’aux aspirations à devenir une star partagées par les nouvelles, les fraîches générations d’artistes-athlètes du cirque.
Il résume : « Le Nouveau Cirque a cassé la jambe du cirque ».
Alors, il n’y a donc pas d’espoir pour un futur de saltimbanque ?
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Nous sommes en l’an 1994, et vous voulez voir quelque chose de physiquement impossible, quelque chose qui va vous transporter vers un monde futur qui évolue en parallèle à votre expérience d’un quotidien reclus : un monde embaumé par la musique des gitans et de l’Extrême Orient.
Aujourd’hui, c’est une histoire différente. Si vous voulez une petite dose d’humains faisant l’impossible, vous pouvez aller sur YouTube pour chercher des cascades acrobatiques réalisées par des adolescents de banlieue équipés d’une webcam et ayant le cran de risquer de se blesser ou de se tuer pour 15 secondes de gloire sur internet. ITunes a démocratisé et aplati la musique du monde et la scène du remix.
Ces pays communistes languissant qui ont élevé vos acrobates-gladiateurs stoïques d’il y a 15 ans sont devenus des leaders mondiaux pour produire des milliardaires, et ce faisant, ont perdu un peu de cette aura de mystère de la Guerre Froide qui nous faisait aimer les vies de Nuits Blanches de ces artistes torturés.
Partout dans le monde, l’on trouve une pléthore de compagnies de cirque, dont beaucoup de productions n’ont guère plus d’ambition que celles des spectacles de petites universités ; elles ont plaqué le mot « cirque » dans leurs noms, et le pauvre public de South Bend, dans l’Indiana, se rue vers elles en masse. Leurs spectateurs ne sont peut-être pas capables de saisir leur modeste qualité, mais ils ne rentrent certainement pas chez eux en courant pour parler à leurs amis de l’expérience qu’ils viennent de vivre, pas plus qu’ils ne le feraient s’ils allaient voir l’un des spectacles interchangeables de Barnum et Bailey, circulant à bord de trains centenaires.
Le Cirque du Soleil, un pionnier dans le domaine pendant 25 ans, a désormais 19 spectacles sur tous les continents. Une surexposition via internet et des sites de fans de leurs shows et artistes les ont dépouillés de leur mystère. Les artistes rédigent des blogs et ont des milliers d’amis sur Facebook - finie l’aura de l’œil triste prête à charmer les gens avec l’amour de la vie.
L’internet génère des attentes auprès de méga-fans fatigués qui ont une envie vorace de mettre KO la prochaine production qui ne les satisfera pas. Les producteurs sont par trop serviables. L’opinion virevolte à travers le monde via le clic d’une souris. Pour paraphraser l’ancien Premier ministre britannique Clement Atlee, « celui-là ne peut diriger, qui a peur de faillir ». Les spectacles du cirque sont embourbés dans une perpétuelle glue d’inévitabilité - des marchandises que l’on peut éviter plutôt que des luxes que l’on ne peut rejeter.
« Une victime de son propre succès », tel est le mantra de ces critiques qui y prêtent attention, mais je ne suis pas d’accord. Comme toute chose qui s’élève comme un météore simplement pour caler et bafouiller au bout de dix ans, c’est une victime de son propre échec : un échec à tuer ses enfants afin d’élever ses futures sages.
Le cirque contemporain peut encore être sauvé, mais il fait face à des décisions difficiles face à ce qu’il est aujourd’hui, comment il a commencé, et comment il veut survivre.
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Il est 2h30 du matin le 22 juin en Russie et le soleil se lève. Ma bouteille de Руский Стандарт Водка Platinum a vu son niveau baisser dangereusement, nous sommes au milieu de la plus grave crise financière depuis 80 ans, et dans cinq mois, je n’aurai plus de boulot. Dieu merci.
Le cirque, à son meilleur niveau, est un oxymore - mettant ce qui est original et réel sur scène devant un public qui a payé pour cela. Sa machinerie, ce sont ses acrobates, et leur expérience collective est son seul carburant - l’essence de ce qu’ils mettent sous vos yeux nuit après nuit jusqu’à leur dernier souffle, qui sera anonyme.
Si le monde d’aujourd’hui est un manteau de connaissance artificielle qui étouffe notre quête de l’archaïque et du méconnaissable, pourquoi ne serait-ce pas des acrobates philosophes qui lèveraient le coin du voile et s’aventureraient dorénavant à se perdre dans les catacombes d’un bonheur viscéral, sans adresse ? Leurs vies sont déjà dédiées à l’indépendance, au sacrifice et à la connaissance de soi, alors pourquoi ne se soumettraient-ils pas à l’épreuve du monde réel comme à celle de la scène ? Leur propre futur dépend de la ré-exploration et de la résurrection d’un monde entier qui risque d’être oublié - parce que le futur du cirque lui-même doit précisément être cherché dans ces histoires qu’ils raconteront.
Traduit de l’anglais par Niels Planel