Le 11 décembre dernier, une tentative d’attentat-suicide a manqué de provoquer un carnage dans la plus grande rue passante de Stockholm. L’auteur s’est fait exploser à côté d’un magasin sans qu’il y ait eu de victimes. La police spéciale (Säpo) a indiqué lors de plusieurs conférences de presse que l’auteur de ces actes, de nationalité suédoise, avait effectué plusieurs séjours au contact de réseaux terroristes en Jordanie et dans d’autres pays du monde arabe.
C’est la première fois qu’un événement de cette gravité survient en Suède. Visant à fragiliser un pays occidental suite à l’engagement de militaires suédois en Afghanistan, l’attentat-suicide n’a pas eu d’effet traumatisant et l’extrême-droite représentée au Parlement n’a pas pu instrumentaliser le débat en liant menace terroriste et immigration incontrôlée. Le premier ministre conservateur, Fredrik Reinfeldt, a réaffirmé le socle des valeurs fondamentales de la société suédoise lors de son traditionnel discours de Noël à la fin de l’année 2010 : la liberté d’expression, la solidarité sociale et la protection des droits individuels.
La peur d’une menace terroriste peut-elle modifier les fondements du pacte social suédois ? La politique étrangère et la sécurité intérieure en sont-elles affectées ? Deux questions que l’on peut examiner à la suite de l’attentat.
La neutralité suédoise existe-t-elle toujours ?
Cet attentat avait pour objectif de fragiliser le pays, en accusant la Suède de s’éloigner de sa position de neutralité. En effet, l’intervention militaire de la Suède, membre de l’OTAN, en Afghanistan pour sécuriser la région montrait une évolution de sa politique étrangère, traditionnellement plus ancrée dans la défense de la paix. La Suède a des diplomates exemplaires investis dans cette défense de la paix (on pense à Hans Blix et à l’enquête sur les armes de destruction massive en Irak). En outre, si le pays n’a pas connu de guerre sur son territoire en deux siècles, ce n’est pas dû à un hasard géopolitique, mais à une volonté de se transformer en puissance morale exerçant une influence au sein des grandes institutions internationales. L’engagement des troupes en Afghanistan a donc eu un impact fort sur la conception même de la neutralité suédoise, ce qui avait d’ailleurs fait l’objet de débats lors de la campagne électorale. Les partis de l’opposition (Sociaux-démocrates, Verts et parti de Gauche) avaient critiqué la politique gouvernementale en la matière (coalition des Libéraux, Conservateurs, Chrétiens-Démocrates et Centristes), avec des nuances différentes, le parti de Gauche souhaitant un retrait total des troupes militaires en Afghanistan.
En réalité, si la politique de défense suédoise fait l’objet de réajustements, c’est afin de répondre le plus adéquatement possible aux menaces extérieures présentes, dont le terrorisme. Le concept de neutralité est évolutif, il a déjà connu des reformulations au cours du temps. Dans les années 60-70, la Suède s’était positionnée de façon originale en critiquant l’intervention américaine au Vietnam et elle s’était maintenue à distance de l’Union Soviétique. Cela n’avait pas empêché le pays de collaborer avec les forces de l’OTAN pour être en mesure de riposter à une agression soviétique éventuelle.
Sécurité et liberté dans la société suédoise
La société suédoise n’a pas été déstabilisée par la tentative d’attentat du 11 décembre pour deux raisons. Elle a confiance en ses institutions et elle a connu d’autres épisodes dramatiques dans le passé : Olof Palme avait été assassiné en 1986 en rentrant du cinéma avec son épouse, alors qu’il avait demandé à ses gardes du corps de ne pas l’accompagner ce soir-là. Les circonstances de cet assassinat n’ont jamais été éclaircies. Le 11 septembre 2003, Anna Lindh, la populaire ministre des affaires étrangères sous le gouvernement de Göran Persson, était assassinée par un détraqué. Depuis cette époque, des mesures de sécurité ont été renforcées. Mais la liberté d’expression reste l’une des valeurs fondamentales de la société suédoise défendue par la charte des droits fondamentaux (Grundlage).
Si le score de l’extrême-droite lors des dernières élections législatives de septembre 2010 reflète une certaine crainte de l’immigration, la tentative d’attentat terroriste n’a pas suscité de peur collective. L’État est mobilisé sur cette question, mais la sécurité n’est cependant pas au centre du débat médiatique. Au contraire, les responsables politiques de tous bords ont réaffirmé leur confiance dans les valeurs de la société suédoise moderne. Il y a finalement eu comme un effet dialectique de la peur qui s’est traduit par un regain de confiance dans les institutions du pays.