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De l'Académie de Platon à la Star Academy

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      Texte

      A cadémos, citoyen d’Athènes, avait un parc. Il le vendit à Platon. Platon y créa son Académie, prestigieux centre de recherche et d’enseignement en philosophie mais aussi en sciences. C’était en 387 avant J.-C. L’Académie fonctionna jusqu’en 529 après J.-C. et fut fréquentée par la fine fleur de la jeunesse de Grèce et de tous les pays alentour. L’enseignement était dispensé sous forme de discussions et de débats d’idées. L’exigence de Platon, fidèle en cela à son maître Socrate, portait sur la précision des définitions, sur la claire distinction entre la réalité et tous ses simulacres, sur la recherche d’une hiérarchie de jugements et de valeurs , garantis par le logos, la raison. L’étudiant le plus célèbre de Platon, Aristote, fonda à son tour son école, le Lycée. D’où les nôtres.

      Au fronton de l’Académie, il était inscrit : Nul n’entre ici s’il n’est géomètre.

      François Dussault dirigeait une société immobilière, la Siprobat, propriétaire du château des Vives-Eaux, à Dammarie-les-Lys. Ce château fut loué en 2001 à Endemol, société de production liée à TFI, pour lancer une émission dite de « télé-réalité ». Cette émission prit le nom de Star Academy. Seize jeunes apprentis chanteurs, après une difficile sélection, vinrent résider quatre mois par an au château pour prendre des cours, dispensés par des artistes de variétés. Toute leur vie au château fut filmée en direct. A l’issue des répétitions, chaque année, celui ou celle qui avait obtenu les faveurs du public, gagna beaucoup d’argent, le droit de faire un disque, la célébrité. Les autres furent éliminés. Tous connurent une gloire éphémère. En 2004, une question se posa : la prochaine édition de Star Academy se déroulerait-elle toujours à Dammarie ?

      Au fronton du château, on pourrait voir écrit : Nul ne sort d’ici s’il n’est marionnette.

      Entre les deux académies, 25 siècles d’écart, et, en effet, une différence radicale.

      Que voulait Platon ? Que ses élèves soient géomètres, c’est-à-dire qu’ils sachent établir de justes rapports entre les idées, qu’ils s’interrogent sur l’important et l’accessoire, qu’ils distinguent les arts véritables des activités qui, au contraire, ne sont que du maquillage, de la « toilette ». Qu’ils deviennent des individualités critiques, capables de trier, des philosophes responsables de l’harmonie dans la Cité.

      Certes, tout n’était pas simple : la démocratie athénienne était en pleine crise, et les sophistes, habiles professeurs de rhétorique, faisaient et défaisaient la doxa, l’opinion publique, à force d’arguties éloquentes. La foule se laissait séduire par le commentaire, le on-dit, le discours fallacieux et sans preuves, les jeux de langage vides de sens, mais qui captaient par l’émotion. Violence était faite à la raison, par ces premiers spécialistes en communication. Chez eux, pas de hiérarchisation, pas de distinction. Socrate s’opposa à eux toute sa vie, en les accusant de créer l’amalgame, la confusion, le chaos dans les esprits et dans la vie collective. Selon lui, ils ne formaient pas des esprits libres, mais des singes savants. D’un côté la recherche du vrai, de l’autre le mimétisme.

      A cette époque, peu de monde à vrai dire était concerné. L’état athénien comptait 40 000 citoyens à tout casser. Un seul Socrate, si original, si isolé fût-il, pouvait encore faire le poids, à arpenter sans trêve la place du Marché pour discuter avec ses concitoyens, ouvrir leurs yeux et leur esprit. Il n’en fut pas moins jugé trop dangereux, accusé de corruption de la jeunesse et condamné à mort.

      Aujourd’hui, quelles chances auraient Platon et Socrate de se faire entendre ? Les sophistes ont tout pour eux. L’opinion, c’est la télévision qui la crée, à coups de raccourcis, à travers, entre autres, ses émissions de télé-réalité. Revoilà le langage de l’émotion, véhiculé par les images. On pleure beaucoup dans les émissions de la Star Ac’, on s’émeut, d’une émotion de pacotille, qui naît sur commande, pour la montre, et qui, prenant la place des sentiments profonds, les empêche de mûrir. Revoilà le mimétisme, puisqu’on forge en quatre mois, par un entraînement de choc, souvent humiliant et cruel, de faux artistes, qui seront capables de tout imiter sans savoir rien faire, en copiant les chanteurs préférés du moment. Toutes et tous pareils, habillés de la même façon par les mêmes grandes marques, principales intéressées puisque la Star Ac’ fait la mode chez les 12-20 ans. Tous chantant de la même voix sucrée ou acidulée, avec les mêmes gestes et les mêmes expressions. Destins d’amuseurs publics, de marionnettes. S’il ne s’agissait que d’une émission de télévision, passe encore. Mais que risque de devenir, si nous n’y prenons garde, l’éducation dispensée dans nos collèges et nos lycées ? On forme de moins en moins les élèves à réaliser leurs talents propres, à choisir la vie qu’ils veulent mener en connaissance de cause, à devenir des citoyens libres. On les forme de plus en plus à savoir se placer dans les cases disponibles sur le marché du travail. Mais comme il y a de moins en moins de vrais métiers, comme la notion même de métier devient floue et fluctuante, on leur apprend surtout à s’adapter, à être malléables, à bien imiter. La Starac’ deviendra-t-elle le laboratoire d’une pédagogie du futur qui consisterait à créer des modèles artificiels en fonction du marché, et à formater les élèves en fonction de ces modèles ? Élèves adaptés aux exigences des marques, des industriels, élèves tous sortis du même moule ? Voilà qui ne rassure guère sur l’avenir de la recherche : elle est déjà en crise, en France. Oui, et en particulier parce qu’elle est de plus en plus scindée de l’enseignement.

      A force de ne pas montrer aux adolescents comment reconnaître l’accessoire et l’essentiel, à force de privilégier le mimétisme, on construira des personnalités incapables de faire la différence entre les diverses postures, attitudes ou idées, et tentées par la facilité du relativisme. Celui de notre époque prend parfois le masque de l’affirmation des différences et n’en est que plus dangereux, tant il enterre toute hiérarchisation des valeurs, toute décision forte de l’esprit, sous la chape de plomb du « tout se vaut ». Une conscience qui ne distingue pas, qui ne dit ni oui ni non, est prête à tout accepter. Devrons-nous alors compter uniquement sur les crues de la violence, sur l’immensité de nos scandales et de nos désastres, pour provoquer le sursaut des consciences ? Faut-il attendre que de la barbarie naissent de nouvelles lumières ? Nous nous en passerions pourtant volontiers.

      Narvaez Michèle
      Wormser Gérard masculin
      De l'Académie de Platon à la Star Academy
      Narvaez Michèle
      Département des littératures de langue française
      2104-3272
      Sens public 2004-09-24

      Partant d'une comparaison entre les Académies de Platon et de TF1, l'auteur porte un regard sur la société actuelle en s'interrogeant sur le sens contemporain de cette émission de variétés surnommée la Star Ac'.

      From a comparison between the Academies of Platon and TF1, the author observes the current society and wonders the contemporary meaning of this variety show nicknamed the Star Ac'.