Présentation (POLEART)
La reconnaissance de l’enfance comme identité et différence – qu’expriment de façon trop imparfaite les thèmes de « l’enfant citoyen » et de « l’enfant artiste » – constitue l’un des principaux problèmes que doivent affronter les politiques de l’enfance dans les sociétés démocratiques contemporaines. Comme l’ont montré notamment les travaux de Marcel Gauchet et d’Alain Renaut, ces problèmes s’expriment dans les ébranlements et les mutations qui affectent la relation éducative, les fondements de l’autorité, les manières dont le monde de l’enfance est pensé et valorisé, les comportements et les attentes de la société et des adultes à son égard. Les dispositifs d’éducation artistique, comme en témoigne la place croissante et significative qui leur est faite dans les nouvelles politiques de l’enfance, en France comme au Québec, sont des lieux majeurs pour étudier ces mutations. Hauts lieux d’investissement de discours et d’expérimentation pour la problématique de l’enfance comme dialectique de l’identité et de la différence, ces dispositifs et les politiques qui les portent sont particulièrement engagés dans les recompositions en cours. Par un effet de loupe, comme l’ont montré quelques travaux en France comme au Québec, ils donnent ainsi à voir à gros traits des processus moins lisibles ailleurs. A plusieurs égards, ils peuvent être considérés comme des sortes de « laboratoires » au sein desquels s’essaient de nouvelles relations de nos sociétés à son enfance, et se forgent de nouveaux savoirs et de nouvelles représentations à son sujet (Alain Kerlan, 2008, Myriam Lemonchois, 2010, Laurence Loeffel, 2011).
L’engagement des artistes dans le champ éducatif – au sens large – est ainsi considéré comme une des dimensions révélatrices de la problématique de l’enfance dans nos sociétés. Ces journées d’étude invitent à rendre compte de ce que la rencontre de l’art et de l’enfance nous apprend des enfances contemporaines, et des politiques de l’enfance dont elle participe. Les travaux en sciences de l’éducation qui en rendent compte demeurent encore trop rares. Inviter, dans une dimension comparative, les chercheurs, et notamment les chercheurs français et québécois, à éclairer ce que révèlent de l’enfance d’aujourd’hui les politiques qui la concernent est l’objectif que poursuit la recherche ANR dont ces journées d’étude sont une étape.
En de nombreux lieux, et particulièrement au sein des associations et des collectivités locales, l’évolution des dispositifs artistiques consacrés à l’enfance et à l’adolescence, ou l’émergence de nouveaux dispositifs – dont la résidence d’artistes est sans doute l’une des formes les plus emblématiques – témoignent des déplacements qu’opère et/ou qu’accompagne au sein même des politiques de l’enfance le recours éducatif à l’art et aux artistes, et plus largement des réaménagements en cours concernant les savoirs et les pratiques de l’enfance. Portés par les municipalités, les départements, les régions, ces dispositifs se multiplient. Des discours les sous-tendent ou les accompagnent. Le centre de ressources Enfance Art et Langages, porté en France par la Ville de Lyon, ou bien les résidences d’artistes à l’école organisées par le centre culturel Maisonneuve à Montréal en sont des exemples particulièrement significatifs. Ces dispositifs occupent en effet dans le champ des politiques de l’enfance ce que l’on pourrait appeler une « centralité paradoxale ». La parole des éducateurs, des artistes mobilisés, exprime régulièrement ce décalage entre les attentes à l’égard de l’enfance que légitiment les savoirs hérités et « ce qui se passe », ce que font et sont « vraiment » les enfants dans le cadre de ces dispositifs. Le brouillage des savoirs sur l’enfance a partie liée avec les bougés de la relation éducative et la question de l’autorité. Le champ de l’éducation artistique, surtout quand s’y opère la rencontre de l’enfant et d’un artiste, le montre de façon particulièrement forte. Les travaux étrangers, notamment anglo-saxons, portant sur les effets de l’éducation artistique, développent depuis plusieurs années le même type de conclusions. Il est donc permis de pronostiquer que, dans les politiques de l’enfance, celles qui s’emploient à repenser la question des normes à travers des pratiques éducatives recourant à l’art comme vecteur, ont quelque chance, sinon de résoudre, du moins de mieux assumer la tension que provoque la reconnaissance en chaque enfant d’une individualité singulière, en autorisant une possibilité de conciliation entre expression réglée de soi et passage par l’intériorisation de contraintes finalement libératrices, dans la confrontation à la matérialité du réel et/ou de son propre corps.